dimanche 26 juin 2011

vandalisme légal

On focalise l’attention, en matière d’écologie des transports, sur les émissions de gaz à effet de serre. Mais, en réalité, la pression écologique exercée par une simple automobile est très loin de se résumer à ce qu’elle dépense et à ce qu’elle émet lors de son fonctionnement. Ce qui caractérise une voiture personnelle dans son rapport avec l’économie terrestre, c’est avant tout la masse énorme de ressources et de matières premières qu’elle représente d’emblée en tant qu’objet. Que l’on pense aux 4x4 par exemple. Ils ont beau avoir le label Ecoplus et je ne sais quel autre marquage écologiquement correct, il n’en reste pas moins que leurs propriétaires urbains accaparent pour leur agrément personnel des kilos de matières premières communes. Ce procédé a beau recevoir l’aval, et même la bénédiction, d’une société tout entière prise dans une logique aberrante de rentabilité, il entre très exactement dans la catégorie du vandalisme. De sorte que, même s’ils émettaient zéro gramme de CO2, il ne serait pas moins absurde et irresponsable de continuer à produire et à acheter en masse des objets en eux-mêmes si scandaleux.

Le vandalisme de banlieue n’est rien comparé au vandalisme légal à grande échelle que nous cautionnons chaque jour sous le nom de croissance. Ceux qui se persuadent de son irrévocabilité, ne peuvent pas nier pour autant le saccage afférent. Et s’ils sont prêts, en connaissance de cause, à en payer le prix pour eux-mêmes et pour leurs descendants, encore faudrait-il qu’ils s’assurent, s’agissant de dommages possiblement irréversibles et concernant chacun, de l’adhésion de tous.

En langage kunique, on résumerait de la manière suivante: Certains corps individuels accaparent une partie démesurément grande de leur corps social partagé, sans que jamais le droit en cette matière n'ait été démocratiquement discuté. De la liberté d'entreprendre, découle-t-il nécessairement, en droit public, la liberté de spolier?

Adrien Royo

Sans intention

«Il (l’être humain) n’a pour intention que son propre gain et il est, en cela comme dans de nombreux autres domaines, mené par une main invisible à promouvoir une fin qui ne faisait pas partie de ses intentions.» Voilà comment Adam Smith résume l’action aveugle d’une société créant sa richesse. Un siècle plus tard, Charles Darwin ne décrira pas autrement le rôle des vers de terre dans la fertilisation des sols. Eux aussi sont menés par une main invisible à promouvoir une fin (le renouvellement des sols dévolus à la production humaine de nourriture) qui ne faisait pas partie de leur intention initiale (se nourrir).

Imitant la nature, l’homme en société devrait donc se laisser aller à ses premiers élans d’égoïsme pour favoriser cette organisation spontanée du bien commun. Nous pourrions appeler cette pratique une permaculture sociale libérale. Tout y est : moindre interventionnisme, respect des cycles économiques, confiance, etc. Oui, mais…

Il existe dans cette belle harmonie supposée deux éléments discordants. D’abord, la pratique sociale du laisser faire s’inscrit en contradiction, voire en opposition avec les cycles naturels extérieurs, comme on le constate dans les différents dérèglements qu’elle engendre (climatique, énergétique, environnementaux, etc.). Ce qui signifie que la main sociale contredit la main naturelle, que l’une ne se confond pas avec l’autre. Qu’il y a, ô hérésie ! deux mains, par conséquent, au lieu d’une. Ou alors, il faudrait d’ores et déjà renoncer aux deux en même temps. D’autre part, les crises internes ne cessent de se multiplier, creusant les inégalités et les injustices et provoquant une gabegie sans pareil dans l’histoire. Ce qui veut dire que la main sociale, non seulement ne s’accorde pas avec la main naturelle, mais ne parvient même pas à assurer le minimum d’équilibre qu’on attend d’elle. Pourquoi, dès lors qu’elle n’accomplit rien de ce qui était prévu, hormis l’accumulation stupide de biens inutiles, ne pas la laisser choir comme synthèse révocable. Ceux qui en maintiennent l’idée en dépit du bon sens, et en dépit de l’expérience quotidienne de son inefficience, ne font ainsi que prouver son aspect dogmatique.

L’homme est naturel, je ne m’écarte pas de là, mais sa nature rend paradoxalement possible une action anti-naturelle. C’est là sa singularité, ce qui le place dans une position marginale par rapport au ver de terre. Une main invisible a peut-être bien organisé les interactions de tous les êtres naturels, mais de toute évidence à l’exception de l’homme. La chute originelle de l’homme dans la connaissance l’aurait donc arraché à la circonscription de la main naturelle. Mais alors, sa rédemption ne serait-elle pas d’incarner lui-même cette main, dans l’espace qui lui est dévolu ? Sans pour cela s’y substituer, bien sûr.

Adrien Royo

A Jean-François Billeter

Je me sens extraordinairement proche, et pour cela réconforter dans mes travaux et mes jours, de Jean-François Billeter, sinologue distingué. Quand le professeur émérite rejoint le roturier des idées sur le chemin de la création sociale!

Les concepts d'imagination et de synthèse, tels que développés dans son petit livre si dense "Notes sur Tchouang Tseu et la philosophie" chez Allia, me ravissent et m'enchantent.

Qu'on en juge par ces extraits de la toute fin :

"Il est arrivé, cependant, que les hommes prennent conscience du pouvoir de l'imagination, comprennent que toutes les synthèses que l'homme a produites sont contingentes et révocables et posent que, si l'homme a en lui la liberté de donner forme et sens à la réalité, cette liberté ne doit pas être exercée par une minorité, mais par tous, de façon concertée."

"L'un des principaux constats qu'on puisse faire aujourd'hui est que la critique du monde existant, quel que soit le point où on la pousse, est impuissante à produire par elle-même le moindre changement. Elle doit être relayée par des actes de l'imagination qui instituent des significations inédites, fondées sur des appréhensions nouvelles de la réalité."

"L'imagination nous asservit, pour notre malheur, quand nous ignorons son rôle. Elle est le remède quand nous découvrons ce rôle et nous mettons à user librement du langage. Nous avons alors le pouvoir de dissoudre les formes déjà données à la réalité et d'en faire naître d'autres."

Si, par le plus grand des hasards, quelqu'un, parmi les lecteurs de ce blog (s'il y en a), se souvenait de certaines idées développées ici autour du mythe, il ne manquerait pas de trouver chez Billeter quelque proximité.

Et puis, Castoriadis, Arendt et Tchouang Tseu en référence ?

Vivement la suite!

Adrien Royo

lundi 20 juin 2011

AMA'

Une formule marxienne résume parfaitement notre système de production et d’échange, et même, désormais, notre pratique sociale globale. Cette formule est : AMA’. Où A est l’argent premier, M la marchandise et A’ le plus d’argent gagné dans le procès. L’argent va vers la marchandise qui donne un plus d’argent. Cette boucle infernale, car A’ revient en A pour repartir en un M qui lui-même redonne un A’, est le piège en forme de roue dont certains se font gloire.

Que nous indique cette formule ? D'abord, banalement, que l’argent (grâce au travail) produit des marchandises qui produisent plus d’argent et qu’une certaine richesse publique augmente avec la quantité de marchandises fabriquées. Mais ensuite et surtout que A’, le plus d’argent, est la finalité réelle du procès. La marchandise, sous sa forme d’usage, n’étant ici qu'un moyen, pour ne pas dire un prétexte, comme on le voit dans la spéculation financière ou A produit directement A’ sans passer par la case M. Le langage populaire traduit la formule dans l’expression : recherche effrénée du profit. Mais AMA’ dit plus, je crois, en sa concision, car elle dévoile, par-delà la réprobation éthique, la loi fondamentale du temps. Elle nous donne, avec l’équation économique, l’équation morale et politique de nos sociétés. Elle fournit, comme la loi de la gravitation universelle pour le mouvement des astres, les coordonnées d’un social errant dans l’orbite du Capital.

L’argent va donc vers la marchandise dans le seul but de faire plus d’argent. Pourquoi pas, nous diront les libéraux convaincus. Si, avec le cynisme, nous obtenons, comme par surcroît, la richesse économique et l’amélioration de la qualité de vie. Sauf que la finalité de l’action générale n’étant ni la richesse publique ni la qualité de vie, nous devons envisager aussi la possibilité d’un passage au négatif de l'accessoire, et donc d'une détérioration des conditions d’existence. Il faut en effet une croyance indéracinable dans les vertus du vice pour ne pas imaginer l'hypothèse du renversement contre-productif d'une positivité de hasard. Vouloir utiliser idéologiquement le cynisme et l’égoïsme comme moyen de la richesse et du bien être, alors que la pratique réelle consiste en son contraire, à savoir le confort utilisé comme moyen de l’égoïsme, c’est risquer de produire la misère et l’inconfort pour le cas où le mouvement central de A vers A’ viendrait à inverser la polarité secondaire. Le bien n’étant ni voulu ni nécessaire, il faudra l’admettre dans ces conditions comme occasionnel, instable et fugace. Par exemple, la qualité de la marchandise produite pour donner A’ étant indifférente par principe, puisque seul compte le plus de A, il y a de grandes chances pour que celle-ci finisse par se dégrader. Et comme les conditions de sa production sont tout aussi indifférentes, il va de soi que ces dernières courent le même risque. Seule une contre-action sociale reposant sur d’autres principes moraux, et soumettant la production et l’échange à ses lois, pourrait en diminuer les effets déplorables. Mais comment faire d’un simple moyen au service d’une fin, une finalité nouvelle, sans faire du même coup de la fin initiale un moyen ? Autrement dit comment faire pour que A se déplace vers M sans nécessairement produire A’, ou pour que A’ devienne à son tour le moyen de M ? Car le processus alors s'arrêterait net et nous irions vers une autre forme de production et d'échange où M prendrait la forme d'un A pour obtenir seulement un autre M. Ce qui donnerait la formule MAM. L’argent, abandonnant sa fonction téléologique, ne serait plus qu’un moyen pour combler des besoins.

Est-ce à dire que le cynisme et l’immoralité sont le prix à payer pour la richesse ? Sans doute, mais pour une fausse et fragile richesse dont finalement nous n’avons peut-être même pas besoin. Et si le processus décrit ici nous avait permis de prendre conscience de cela ? Et si l'un des effets secondaires de son action avait été de faire la lumière sur un certain nombre de pseudo évidences, et nous libérait d’un désir malheureux ? Et si nous faisions contre mauvaise fortune bon cœur ? Et si, donc, nous utilisions les nouvelles contraintes pour entrer en résilience, comme on dit en résistance? Ne ferions-nous pas alors un grand pas vers la transition?

Adrien Royo

dimanche 19 juin 2011

Pour ceux qui jugeraient trop "New Age" la question des trois corps kuniques telle que succinctement exposée dans quelques articles précédents, j’apporterai les précisions suivantes :

Avec ce qu’il est convenu d’appeler le New Age, c’est-à-dire le fourre-tout moderne de la spiritualité confusionnelle, tout démarre je crois avec l’idée de nature. La Nature est en effet considérée dans ce cadre de pensée, ou d’impensée, comme un tout intemporel parfaitement organisé dès l’abord, tendu vers un but bien précis quoique mystérieux, et incluant l’homme dans sa perfection comme élément imprévisible et perturbateur. Celui-ci pouvant toutefois s’amender par soumission à sa vérité intérieure éternelle et individuelle. Il s’agit d’une Nature que j’appellerais ptoléméenne : fixe, anhistorique, intemporelle et conduite par des forces conscientes vers un but dont l’homme, étrangement, a la capacité de s’éloigner. Elle s’oppose à une nature prométhéenne, mouvante et non téléologique, dont l’homme, au contraire, serait le regard et la conscience. Il existe un excès ptolémaïque comme il existe un excès prométhéen. Le premier rejette la conscience humaine et sa liberté, l’autre fait du milieu naturel un simple réservoir d’utilités consommables. Au regard de l’un, l’homme est trop petit, au regard de l’autre, il est beaucoup trop grand. Pour moi l’homme est naturellement social, il n’a pas de nature hors du social, le social est le naturel de l’homme, le social est la nature contrôlable de l’homme.

J’en entends qui parlent du passé humain primitif, ou de certains ailleurs actuels comme d’un Eden. Selon eux, il existerait un homme naturel, caché sous l’individu social, dépositaire de la vérité. Le retrouver ou le laisser s’exprimer en supprimant les obstacles artificiels de la société et de l’intellect serait la condition du bonheur. Le corps contre le « mental », la nature contre la société, le passé contre le présent, l’ailleurs contre l’ici, la spontanéité contre la réflexion. Je préfère quant à moi l’avec au contre. Le corps avec l’intellect, la nature avec la société, etc. Je m’écarte donc résolument des hypothèses revivalistes et ne partage pas l’idée d’un univers parfait dont l’homme serait le perturbateur. Non pas que je sois d’un optimisme béat concernant l’espèce et que je fasse de la nature extérieure sa propriété (au sens économique du terme), son domaine exploitable ; seulement, je ne me représente pas les civilisations lointaines comme des paradis, et constate que l’homme, au final, n’est pas moins naturel (y compris lorsqu’il est équipé de ses multiples prothèses technologiques) que le tigre, l’escargot ou la grenouille. Qu’il a dû, comme tous les animaux, et plus qu’eux peut-être, à cause de sa faiblesse native, mener un dur combat pour survivre ; un combat avec la nature si ce n’est contre elle, auquel je ne vois aucune perfection. Et je trouve légitime, pour un être vivant placé dans de telles difficultés, de s’équiper des outils nécessaires à sa liberté et à sa vie. Que ces outils ensuite deviennent contre-productifs et qu’ils prennent une forme telle qu’ils finissent par compromettre sa propre survie, et, au-delà, la vie même de son écosystème, ne signifie pas pour autant leur disqualification définitive ni le reniement de l’homme lui-même en tant qu’animal maladroit. Au contraire, je garde espoir que son potentiel puisse un jour construire la maison sociale idoine dans et avec la nature qui l’environne et le nourrit. Pourquoi aller chercher des explications fumeuses, indémontrables en tout cas, et pour cela faisant appel à la croyance et parfois à la crédulité, alors que la raison suffit pour forger les projets nécessaires à la réalisation humaine. C’est cela le New Age, la fuite dans les délires pour échapper au délire. Je préfère tenter d’échapper au délire par la raison. Son excès suscite des fantômes, mais son sommeil, nous le savons depuis Goya, produit des monstres. Car l’intellect n’est pas moins naturel que le corps, et d’ailleurs, il me semble que les humains New Age font un usage excessif de ce qu'ils méprisent lorsqu’ils justifient par le langage, en des pages et des pages de textes, leurs théories du corps.

Je trouve personnellement inutile, si ce n’est à des fins mercantiles ou de pouvoir, de faire de la nature un paradis méconnu qu’un primate dégénéré se plairait à renier, plutôt qu’un environnement-corps ni bon ni mauvais, qui existe simplement ainsi et pas autrement, comme ce primate existe lui-même avec ses imperfections.

Adrien Royo

mardi 14 juin 2011

C’est fou comme la valeur travail a la cote en ce moment. Wauquiez d’abord, Le Pen ensuite. Tumeurs hier, parasites aujourd’hui, haro sur les pauvres qui ne travaillent pas. Travail, famille, Patrie, le retour. J’ai bien peur toutefois qu’une petite erreur ne se soit glissée dans le raisonnement. Oh, pas grand-chose : une simple confusion entre valeur travail et valeur argent. Je me permets de la pointer pour éviter les malentendus. Je suis certain que Marine et Laurent me sauront gré de cette clarification. Errare humanum est, comme disait Mussolini. Voici l’affaire : un pauvre qui ne travaille pas est un parasite, mais un riche qui glande est un citoyen respectable. On suppose sans doute que ce dernier a travaillé dur auparavant pour gagner son pactole et qu’il a mérité son oisiveté. Il dépense son argent après tout, pas celui de la communauté. (C’est là que ma formule « il n’y a pas de richesse privée », prendrait toute sa saveur. Mais je n’insisterai pas ici sur ce point. Voir plus loin dans ce blog). Je signalerai seulement qu’un vieux pauvre qui a travaillé dur toute sa vie avant de se retrouver au chômage sur le tard n’est pas mieux considéré qu’un jeune fainéant vivant en parasite sur le dos d’un Etat "providentiel". C’est drôle d’ailleurs, quand on y pense : les conservateurs chrétiens acceptent la Providence du dimanche matin, et celle du Marché pendant la semaine, mais pas celle de la collectivité solidaire du vendredi soir. Celle-ci viendrait-elle moins de Dieu que la première? Un fils de famille n’ayant jamais travaillé durant sa vie reçoit en héritage, avec l’argent des autres, la considération de Le Pen; le fils des quartiers, lui, avec la misère, reçoit pour le même exploit, un coup de pied de Wauquiez au cul. Mais si l’obligation de travailler est uniquement adressée aux pauvres, c’est que la valeur argent, à l’évidence, l’emporte sur la valeur travail. Car une valeur qui ne concerne qu’une fraction de la population n’est pas une valeur. CQFD. Il y avait maldonne, ouf ! je rectifie. A la suite de cette explication, Marine et Laurent procèderont sans doute à une actualisation de leur programme, sous la forme : Argent, Famille, Patrie. Ceux qui croient en la valeur argent, citoyens à part entière de notre République, sauront clairement pour qui voter aux prochaines présidentielles. Qu’ils n'oublient pas pour autant, mais ceci est une autre histoire, que sur le dos de ces chameaux de pauvres, ils auront bien du mal à entrer au paradis.


Adrien Royo

samedi 11 juin 2011

Tao kunique et transition

Je remercie mon ami Benoît Kubiak d’avoir attirer mon attention sur l’idée de ville en transition, ou d’initiative de transition, développée ces dernières années dans beaucoup de pays à travers le monde. Cette idée nous vient d’Angleterre, et particulièrement d’une petite ville du sud appelée Totnes. Rob Hopkins, un professeur en permaculture, en fut l’initiateur. La permaculture est la méthode d’adaptation d’un écosystème social à une logique du long terme. C’est un soin collectif en quelque sorte, une médecine, qui travaille sur l’idée de résilience, c’est-à-dire sur la capacité d’un système à retrouver l’équilibre après que celui-ci ait été perturbé. Appliquée à une communauté humaine, elle revient à diagnostiquer ses fragilités écosystémiques, notamment en matière de consommation d’énergie, d’approvisionnement, de transport et d’échange, pour corriger son aménagement global en direction d’une plus grande autonomie, d’une relocalisation de l’économie, d’un plus grand respect des ressources, d’une diminution de l’empreinte écologique, d’une réappropriation des savoirs et des techniques et d’un mieux-être collectif. Prenant en compte les conséquences du pic pétrolier déjà atteint ou en passe de l’être et du changement climatique en cours, cette méthode analyse puis réorganise le champ collectif global pour répondre aux nouveaux déséquilibres ou pour les anticiper.

Le taoïsme kunique, tel que défini dans un article précédent, semble en parfait accord avec ces principes. D’une part la résilience rejoint l’idée d’unité entre cosmique et social. Elle cherche à harmoniser ou à rétablir les liens distendus entre environnement et activités humaines, le yin cosmique et le yang social se concevant comme les deux parties en conjugaison d’un tout. D’autre part, le concept de non-agir (wu wei) s’adapte parfaitement à une forme d’action consistant à rediriger les forces sociales entropiques (se dispersant en chaleur inutile et polluante) vers le circuit néguentropique (freinant le gaspillage) des associations solidaires. Cette action ressemblerait alors à une sorte de gymnastique sociale taoïste, à un Qi-Gong politique. Ce que préconise par ailleurs la transition résiliente, c’est de faire de nécessité vertu, d’utiliser les crises environnementale, énergétique, sociale, économique et civilisationnelle comme moyen d’accélérer un processus vertueux d’adaptation des structures à une autre forme de communauté. Et cela me paraît être une bonne alternative aux mouvements qui visent seulement la conquête du pouvoir étatique en donnant de si mauvais résultats. Ils se retrouvent la plupart du temps dans l’obligation de gérer le connu en lui appliquant par la force des recettes absurdes de bonheur. Les gens de la transition résiliente pensent, au contraire de tous ceux qui répondent à la question des lendemains par le sempiternel « on verra après la révolution », qu’une vision précise des lendemains est justement la condition de réussite d’un projet et que pour basculer dans le nouveau, il faut que ce nouveau ait déjà été mis en place dans le présent. Cette façon de voir était exactement celle du philosophe écologiste André Gorz. Pour moi, cette pratique a aussi l’avantage de travailler directement le corps social et de ne pas indiquer seulement la voie d’un « salut » individuel par application de consignes privées (éteindre la lumière, prendre des douches, trier ses déchets) ou de rituels domestiques. Elle se situe d’emblée dans l’inter-individuel, la relation et les modalités du social le plus étendu.

A suivre…

Adrien Royo