dimanche 26 juin 2011

Sans intention

«Il (l’être humain) n’a pour intention que son propre gain et il est, en cela comme dans de nombreux autres domaines, mené par une main invisible à promouvoir une fin qui ne faisait pas partie de ses intentions.» Voilà comment Adam Smith résume l’action aveugle d’une société créant sa richesse. Un siècle plus tard, Charles Darwin ne décrira pas autrement le rôle des vers de terre dans la fertilisation des sols. Eux aussi sont menés par une main invisible à promouvoir une fin (le renouvellement des sols dévolus à la production humaine de nourriture) qui ne faisait pas partie de leur intention initiale (se nourrir).

Imitant la nature, l’homme en société devrait donc se laisser aller à ses premiers élans d’égoïsme pour favoriser cette organisation spontanée du bien commun. Nous pourrions appeler cette pratique une permaculture sociale libérale. Tout y est : moindre interventionnisme, respect des cycles économiques, confiance, etc. Oui, mais…

Il existe dans cette belle harmonie supposée deux éléments discordants. D’abord, la pratique sociale du laisser faire s’inscrit en contradiction, voire en opposition avec les cycles naturels extérieurs, comme on le constate dans les différents dérèglements qu’elle engendre (climatique, énergétique, environnementaux, etc.). Ce qui signifie que la main sociale contredit la main naturelle, que l’une ne se confond pas avec l’autre. Qu’il y a, ô hérésie ! deux mains, par conséquent, au lieu d’une. Ou alors, il faudrait d’ores et déjà renoncer aux deux en même temps. D’autre part, les crises internes ne cessent de se multiplier, creusant les inégalités et les injustices et provoquant une gabegie sans pareil dans l’histoire. Ce qui veut dire que la main sociale, non seulement ne s’accorde pas avec la main naturelle, mais ne parvient même pas à assurer le minimum d’équilibre qu’on attend d’elle. Pourquoi, dès lors qu’elle n’accomplit rien de ce qui était prévu, hormis l’accumulation stupide de biens inutiles, ne pas la laisser choir comme synthèse révocable. Ceux qui en maintiennent l’idée en dépit du bon sens, et en dépit de l’expérience quotidienne de son inefficience, ne font ainsi que prouver son aspect dogmatique.

L’homme est naturel, je ne m’écarte pas de là, mais sa nature rend paradoxalement possible une action anti-naturelle. C’est là sa singularité, ce qui le place dans une position marginale par rapport au ver de terre. Une main invisible a peut-être bien organisé les interactions de tous les êtres naturels, mais de toute évidence à l’exception de l’homme. La chute originelle de l’homme dans la connaissance l’aurait donc arraché à la circonscription de la main naturelle. Mais alors, sa rédemption ne serait-elle pas d’incarner lui-même cette main, dans l’espace qui lui est dévolu ? Sans pour cela s’y substituer, bien sûr.

Adrien Royo

Aucun commentaire: