mercredi 5 juillet 2023


                                                

mardi 9 mars 2021

Marchandise et conscience

La marchandise est par nature internationale et cosmopolite, asociale, anti-naturelle, anti-historique, anti-dialectique, anti-discursive, mesquinement matérialiste et anti-spirituelle. Elle ne supporte aucune limite territoriale, symbolique ou temporelle, et aucune évolution en conscience. Elle est profondément liée à nos formes inconscientes les plus primitives, à notre fonds pulsionnel le plus souterrain, à notre volonté de toute puissance infantile qui débouche sur l'impuissance la plus totale, à nos contradictions humaines les plus obscures. Elle est l'expression de nos peurs et de nos culpabilités.

Son développement ressemble à celui d'un égrégore, à une forme pensée collective envahissante qui décide de nos mouvements les plus intimes.

Elle est cet enfant intérieur collectif coincé dans la forterresse de ses illusions. Illusions que cet enfant avait édifié en défense de son territoire d'amour et qui se transforment en prison ?

Le monde que nous avons créé collectivement est un monde de la marchandise dans lequel nous devenons nous-mêmes une marchandise. Mais cette marchandise n'a de pouvoir sur nous que parce que nous la considérons comme extérieure, que parce que nous la voyons comme une construction sociale sans lien direct avec nos profondeurs individuelles, que parce que nous nous obstinons à la comprendre comme une simple matrice dans laquelle nous évoluons et que les « autres » persistent à vouloir. Nous sommes aliénés, oppressés, exploités, et attendons l'effondrement, la révolution, ou le retour à la normale qui n'existe pas.

Il existe vraiment une lutte de classes. Il serait stupide de la nier. Il existe vraiment une dialectique historique en mouvement qu'il serait irresponsable de ne pas voir. Mais cette lutte de classes cache et exprime à la fois une lutte plus profonde qui est cette lutte intime que nous menons obstinément contre nous-mêmes et qui s'extériorise en lutte de classes.

Max nous a donné les clés de compréhension de cette impasse historique. Il a dévoilé le mécanisme par lequel une relation sociale particulière se cristallise, s'autonomise, et devient hégémonique. Le fétichisme de la marchandise est une de ces clés, ainsi que la baisse tendancielle du taux de profit, la plus-value relative, et la composition organique du capital.

Avec ces notions bien comprises, nous avons tous les outils nécessaires pour comprendre notre système social universel. Mais jusqu'ici, cette compréhension, si toutefois il est permis de considérer comme telle les nombreuses interprétations du siècle passé, n'a débouché que sur la révolte impuissante, la défaite, la soumission à une nouvelle autorité bureaucratique, et le désespoir. C'est que le mensonge à soi est le plus invisible de tous, le plus difficile a admettre. C'est que le déni est le rapport à soi le plus commun.

Certes, l'extrême marchandise que nous vivons est monstrueusement puissante et infernale. Mais elle est aussi le moyen de l'émancipation réelle. Sa puissance même pousse à l'instrospection. Etant invincible par l'extérieur, elle renvoie nécessairement tout individu à lui-même et à son intériorité. Elle oblige à une remise en question intime et renversante. Qui suis-je vraiment pour extérioriser un tel monstre ? Suis-je donc ce monstre même ? Et si oui, pourquoi quelque chose en moi le refuse-t-elle ?

Si le monstre est extérieur et puissant au point de faire de moi son outil, je ne peux rien contre lui. Si, au contraire, il est une part de moi, je peux le changer. Je ne peux changer les conditions extérieures de ma vie qu'en les acceptant comme miennes, en les aimants comme expressions de mon enfant intérieur blessé, comme un moment de mon évolution intérieure à dépasser. C'est là que se rejoignent les élans révolutionnaires extérieur et intérieur. C'est là que s'établit le contact entre la nouvelle spiritualité affranchie des formes sclérosées et le mouvement prolétarien des origines lié aux tentatives d'émancipation des sociétés ancienne occidentales.

C'est ainsi que toute connection avec le divin contemporain devient aussi une force de transformation sociale, la société et l'individu ne pouvant jamais réellement se dissocier dans la matière. L'une étant l'expression de l'autre.

La révolution ne peut être qu'une révolution de conscience individuelle avant de se matérialiser en une forme extérieure commune. Sans cela elle ne saurait être autre chose qu'une répétition du même sous une autre forme et donc une contre-révolution masquée.

Ceci sera peu compris encore longtemps peut-être. Ceci est pourtant à la base des vrais messages spirituels à travers les âges, comme il est à la base de l'oeuvre de Marx malgré son auteur.

 

samedi 20 février 2021

Objecteur d'immunité


Objecteurs d'Immunité


Association pour la liberté de choix en matière d'immunité.




Un objecteur de conscience, en quelque domaine que ce soit, exerce son droit au retrait lorsqu'il juge non conformes à ses valeurs philosophiques, morales ou religieuses, certaines obligations sociales. Cette liberté de pensée est garantie par le droit international. Fort de ce principe, l'objecteur d'immunité fait valoir son droit inaliénable à s'opposer, pour lui-même et ses enfants, à toute manipulation sociale, au moyen d'un vaccin ou par génie génétique, de son immunité individuelle. Il se veut libre de choisir les éléments de renforcement de son système immunitaire comme il est libre, plus généralement, de choisir la manière de se soigner.




Selon l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé), qui vient de changer sa définition de l'immunité collective en supprimant purement et simplement toute référence à l'immunité naturelle :



« L’« immunité collective » (ou « immunité de la population ») est un concept utilisé pour la vaccination, selon lequel une population est ‎protégée contre un virus donné une fois un certain seuil franchi. L’immunité collective est obtenue en protégeant les individus contre un virus, et non en les exposant à celui-ci.

Les vaccins entraînent notre système immunitaire à produire des protéines qui combattent la maladie (les anticorps), comme lorsque nous sommes exposés à une maladie, mais - ce qui est fondamental - les vaccins agissent sans nous rendre malades. Les personnes vaccinées sont protégées contre la maladie en question et ne peuvent pas la transmettre, ce qui brise les chaînes de transmission. » (source : site officiel de l'OMS en date du 8 janvier 2021)





Notre association s'oppose radicalement à cette conception aussi séduisante qu'approximative, et qui n'est au final qu'une opinion discutable. Certes, l'immunité collective dite naturelle (sans recours au vaccin) passe inévitablement par la maladie, mais ceci ne saurait, de notre point de vue, la disqualifier systématiquement au profit d'une immunité artificielle, vaccinale ou autre, qui vise à construire des lignes Maginot biologiques, des murs artificiels, des armures ou scaphandres, qui feront de nos corps des systèmes fermés, des réduits confinés, fragilisés, totalement dépendants de la technologie.



Qu'est-ce que l'immunité pour nous :



Un processus vivant, ouvert, souple et complexe, d'adaptation permanente à l'environnement.



Ce processus est principalement symbiotique en ce qu'il utilise les organismes vivants associés (bactéries, virus, champignons) comme vecteurs d'informations. On pourrait dire que l'immunité en tant que structure est une fédération extra-organique, un milieu associé, comme dirait Gilbert Simondon (philosophe de la technique), une solidarité, une mutualisation d'informations, une conspiration de la vie pour maintenir ses formes existantes. Le système immunitaire est l'interface entre la vie, en tant que flux sans forme, et la forme particulière, le corps, la cristallisation provisoire, que ce flux génère dans l'espace-temps.



Qui peut croire scientifiquement dans la maîtrise parfaite, ne serait-ce qu'infinitésimale, d'une telle complexité vivante ? Et, surtout, quelle liberté me reste-t-il quand j'ai confié la responsabilité de mon terrain immunitaire à une machine extérieure approximative (la machine techno-industrielle) ?



La liberté en question



Qu'est-ce que la roue sinon l'extension de la jambe ? Qu'est-ce que la machine thermique ou électrique sinon l'extension du muscle en général ? Qu'est-ce qu'un ordinateur sinon l'extension de la mémoire et des capacités de calcul ? L'évolution technologique est une lente acumulation de prothèses sociales, et la socialisation prothétique est l'autre nom de l'extériorisation. Or, toute projection de capacité, de puissance ou de fonction, renvoie au domaine de la dépossession, de l'éloignement, de la transformation de soi en autre, ce qui rapproche l'extériorisation de l'aliénation.


Après la projection musculaire et intellectuelle, arrive désormais la projection immunitaire avec ses vaccins et son génie génétique.


Le vaccin n'est pas un traitement, mais un stimulateur d'immunité. Contrairement au médicament, qui peut être individuel, le vaccin est intrinsèquement social. Statistique et préventif, il répond parfaitement aux injonctions cybernétiques des sociétés prolétarisées dans lesquelles nous vivons désormais, et qui s'affranchissent de plus en plus des nécessités démocratiques et individuelles en privilégiant le pilotage automatique en toute matière.



Selon l'OMS encore:


« Il existe aujourd’hui des vaccins pour prévenir plus de 20 maladies potentiellement mortelles, et des travaux sont actuellement menés à un rythme sans précédent pour faire également de la COVID-19 une maladie évitable par la vaccination.

Plus de 169 vaccins candidats contre la COVID-19 sont en cours de développement, dont 26 en phase d’essai chez l’homme. Dans le cadre de l’Accélérateur ACT, l’OMS travaille en collaboration avec des scientifiques, des entreprises et des organisations mondiales œuvrant dans le domaine de la santé en vue d’accélérer la riposte à la pandémie. Lorsqu’un vaccin sûr et efficace aura été trouvé, le mécanisme COVAX (dirigé par l’OMS, l’Alliance GAVI et la CEPI) sera mis en œuvre pour favoriser un accès et une distribution équitables des vaccins, l’objectif étant de protéger les populations de tous les pays. La priorité sera donnée aux personnes les plus à risque. » (source : site officiel de l'OMS en date du 8 janvier 2021)



Utilisé avec parcimonie, pour éradiquer une maladie ancienne, endogène, et pour laquelle il n'existe aucun traitement, un vaccin peut avoir du sens, mais son utilisation systématique et dogmatique faisant de lui le seul recours pour toutes les infections virales émergentes est proprement un abus de pouvoir médical et politique. Cela relève par surcroît d'une pure absurdité épistémologique. Si dans quelques années, grâce aux gentilles manipulations militaro-industrielles, aux incubateurs viraux que constituent les élevages intensifs, aux mutations lentes naturelles, des dizaines de nouveaux virus proliféraient, il faudrait, selon cette conception, mettre en œuvre autant de vaccins-panacées. Qui pourrait croire alors dans leur parfaite innocuité d'ensemble interactif ? Qui pourrait nous assurer, sans basculer dans la folie scientiste la plus complète, qu'il garderait le contrôle d'une telle situation ? Comment imaginer que l'on puisse piloter l'immunité humaine comme on pilote une usine automatisée ? Et si même c'était imaginable, resterait la question philosophico-morale du souhaitable.



Le système immunitaire naturel a fait ses preuves au cours de centaines de milliers, voire de millions d'années. Preuves par la survie, par le fait même que nous soyons là pour en parler. Il s'agit d'un système très fin d'adaptation à un environnement en permanente transformation. C'est un système intuitif aux multiples ramifications informationnelles. Prétendre le surpasser au moyen de notre techno-science expérimentale, en prenant le risque de le fragiliser définitivement, nous semble pour le moins déraisonnable, voire même délirant. La confiance dans les facultés humaines de connaissance et de dépassement n'interdit pas la prudence et même la réclame. Cela s'appelle l'humilité.



Adrien Royo



Test



Pour savoir si vous êtes un objecteur d'immunité,

répondez à ces quatre questions :





1- Connaissez-vous de manière exhaustive le processus immunitaire humain ?

2 - Existe-t-il déjà selon vous une immunité naturelle efficace ?

3- Le vaccin est-il la seule solution pour booster un système immunitaire ?

4- Sinon, est-il important pour vous de pouvoir conserver une totale liberté de choix parmi les différentes solutions ?





Si vous avez répondu :



1- Non

2- Oui

3- Non

4- Oui



Vous êtes de fait un objecteur d'immnunité, et le bienvenu au sein de l'association.

 

jeudi 11 février 2021

Méditation de classe

Le récit matérialiste de l'histoire humaine décrit une épopée : l'épopée de la marchandise comme rapport social évoluant vers l'hégémonie absolue. La valeur d'échange, qui transforme tout objet en brume existentielle, produit sous le nom de monnaie un universel abstrait qui remplace le concret particulier. Une chemise, un tabouret ou un smartphone, ne s'échangent pas contre un pantalon, une chaise ou une tablette, mais contre une certaine quantité d'argent qui représente l'ensemble des objets ou services ayant la même valeur. La valeur abstraite se substitue à tout objet concret. 

La valeur d'échange est donc une abstraction qui investit peu à peu le champ entier de la pratique humaine. Le travail devient abstrait en se socialisant, la richesse de même. L'Etat, la nation, la production, la consommation, les rapports humains, la santé et les loisirs, tout cela devient abstrait, c'est-à-dire médiatisé par l'argent. Comme l'argent, qui n'est rien en soi qu'une marchandise choisie comme équivalent universel, et servant à échanger, devient le seul et unique objet de tous les désirs à la place des objets réels du désir auxquels il donne accès, il a cette capacité de dissoudre la matière qu'il représente et plonge celui qui le possède dans un monde abstrait, c'est-à-dire réduit à ses désirs ou fantasmes.

C'est ainsi que la valeur d'échange finit par créer un monde à son image, abstrait à souhait, où tout concret est banni. Et, puisqu'elle produit du faux à la chaîne, ce faux devient le vrai par habitude, et tout est inversé. L'esprit humain se noie dans sa création et meurt de son mensonge.

D'où les désirs récurrents et impuissants de retour au concret par tous les moyens.

Cette aspect de la réalité humaine a été théorisée par Marx dans le Livre I du Capital sous le nom de fétichisme de la marchandise. La marchandise se présentant à chacun sous la forme concrète d'objet et voyageant pourtant dans l'espace sous la forme abstraite de rapport social. Un peu comme la particule de matière apparaît à la fois comme onde et comme particule à celui qui l'observe en fonction des conditions d'expérience auxquelles il la soumet, tout se passe comme si le nuage de la marchandise se cristallisait en objet solide au moment de l'acte d'achat ou de vente, avant de reprendre sa forme de nuage (cloud) dès que l'attention est relâchée. D'où la nécessité de recommencer toujours l'expérience, compulsion d'achat, pour se sentir exister malgré tout.

De ce fétichisme de la marchandise de Marx résulte nécessairement, après un siècle d'évolution, le Spectacle de Guy Debord. Lorsque le fétichisme marchand investit le champ du social au point de former un brouillard élucubrant à la surface du monde, il devient spectacle intégral au sens de double ou de semblant. L'apparence du monde n'aura pas trop changé tandis que sa réalité sous-jacente se sera purement et simplement inversée. Le faux universel a remplacé le vrai dans un mouvement subreptice, une sorte de saut qualitatif, favorisé par le désir individuel du faux spectaculaire. Chacun voulant échapper à lui-même par l'imaginaire marchand qu'il pense libérateur. Le Spectacle selon Debord n'est pas une zone particulière de la société devenant hégémonique, son service culturel devenu fou, il est le nom même de cette société, sa vérité ontologique, son substrat. Désormais le vrai est un moment du faux. Tout est faux intégralement, et c'est le vrai qui est mis en demeure de s'expliquer devant les tribunaux populaires démocratiques tandis que le faux s'ébroue à l'abri des lumières. Comme sous Staline on devait avouer individuellement des crimes qu'on n'avait pas commis pour maintenir le mensonge social du pouvoir criminel. Le mensonge était alors scientifique et totalitaire, il est désormais scientifique et démocratique avec une propension a redevenir totalitaire.

Dans le monde actuel le concret est abstrait et l'abstrait concret. Demander du concret c'est donc vouloir le mensonge, tandis que plonger dans l'abstrait c'est entrer en vérité.

L'abstrait, c'est par exemple la contradiction interne du capital dont le mouvement tend vers la valorisation éternelle tout en détruisant nécessairement les moyens de cette valorisation. En simplifiant, je dirais que le travail produit la richesse qui détruit le travail. Qui veut comprendre le détail devra s'intéresser à la baisse tendancielle du taux de profit telle qu'expliquée par Marx dans le Livre III du Capital et à l'évolution de la plus value relative liée aux gains de productivité et à la technologie.

Ce mouvement contradictoire est le moteur de l'histoire. Il détermine notre réalité extérieure économique, politique, sociale, médiatique et culturelle et répond à nos projections intérieures. C'est un mouvement mécanique autoalimenté que nous laissons s'exprimer par ignorance de notre puissance intérieure et spirituelle autonome. Il fait bouger ses marionnettes élitistes en leur faisant croire qu'elles sont toutes-puissantes parce qu'elles s'imaginent posséder quelque chose. Elles ne possèdent rien, et dans ce processus, perdent davantage à mesure qu'elles gagnent. Leur perte ou leur chute n'est tout simplement pas aussi évidente et brutale que pour les autres. Celui qui croit maîtriser extérieurement quoi que ce soit dans ce processus est le plus aveugle de tous. Le processus fonctionne pour lui-même et se nourrit de l'ignorance quant à son principe intérieur. Il est une projection de chacun dans le tout et ne peut disparaître que dans le tout de chacun. Il est le symptôme d'une pathologie sociale qui ne peut trouver son remède que dans la conscience individuelle.

La correspondance entre microcosme et macrocosme joue encore pleinement ici. A une misère intérieure amplifiée par le nombre correspond une maladie extérieure et sociale qui, par effet d'illusion, semble indépendante. Un monstre intérieur se projette, devient autonome, grossit démesurément, et hante l'individu oublieux de sa création. Mais le mensonge devient tellement hégémonique un jour que le déni décline. Le poids du monstre l'affaiblit, ses pieds d'argile se fendent, l'individu sent vibrer en lui la force du doute. La séparation est anéantie, l'individu apprend par la maladie qu'il est cette puissance même qui l'asservit.

Le prolétaire, l'être socialement dépossédé, c'est-à-dire la quasi totalité de l 'humanité aujourd'hui, apprend la liberté par son aliénation même et crée les conditions d'abord intérieure de son émancipation. Il apprend ce qu'il est par ce qui lui revient. Il se connaît par l'extérieur et se change par l'intérieur.

L'éveillé est donc un prolétaire qui se connaît comme tel. C'est ainsi que je comprend Marx. La révolution qu'il appelait de ses vœux est une révolution de conscience. J'observe le monde pour me connaître moi-même et me connaissant je me change.

Le prolétaire n'est pas là pour abattre la bourgeoisie, elle le fait déjà elle-même. Il est là pour prendre conscience de la non-séparation et donc de l'amour. Et il ne le fait pas parce qu'il est meilleur mais parce que sa condition de dépossédé le pousse dans ses retranchements. La maladie générale qui sévit pour tous mais qui l'atteint plus durement provoque chez lui un saut de conscience et un élan d'amour. Il comprend que l'aliénation c'est lui parce qu'il est le dernier sur la liste des vainqueurs possibles. Les aristocrates avaient les bourgeois, les bourgeois les prolétaires, les prolétaires n'ont plus personne, ils sont seuls face à eux-mêmes. Soit ils disparaissent, soit ils changent. Mais ils n'ont pas à changer un système extérieur pour changer leur condition, ils ont à changer leur système intérieur pour que le monde change. C'est en ce sens que les derniers seront les premiers.

Marx avait donc raison, mais pas comme il le pensait. Les prolétaires ont bien pour mission historique d'instaurer une société sans classes, mais pas par une guerre de classe, par une médiation de classe plutôt et un non-agir.


 

mardi 9 février 2021

Je décide de nous




« Je »

décide de « nous »


Adrien Royo





Qui je ?


Je suis ET je pense. Je pense, donc "il" est. "Il" est ce "je" qui pense. Mais où suis-je pour penser ce "il-je" ou bien ce "j'il"?


Descartes posait Dieu d'abord. Dieu pense, donc je suis. Voilà la vérité du cartésien. La conscience hors du sujet. C'est l'identité de la conscience et du sujet, paradoxalement, qui crée la séparation. Que "je" soit parce que quelque chose pense à travers "je" est hors de doute, mais de quoi ce "je" est-il le nom ?


"Je" n'était pas si clair pour moi. Dès l'origine ce "je" posa question. "Je" faisait un "nous" en plus. A moins que "nous" ait produit ce "je". "Ils" avaient fait "je", ça c'était sûr. Mes parents, qui formaient la base du "nous". Mais faisaient-ils "je" égal ?


Le "tu" me faisait mal. Il ne jouait pas le "je". Il tuait le "je". Après "tu", "je" l'avait bien cherché. "Il" désert, "je" Robinson. Vendre! dit "il".


"Je-nous" bloqué. Il fallait avancer quand même.




Poïesis : le corps en scansion




Il s'agit du corps, du corps, du corps, du corps... agi.


Corps texte.

Corps à faire/ à défaire.

Corps épris

Corps esprit.

Corps d’état.

Corps machine.

Corps obstacle/ élément/ paradoxe/ étalon.

Corps miroir disposé/ exposé.

Corps mystère.

Corps temple/ éperdu/ effacé.

Corps espace.

Corps temps.

Corps abîme/ dépensé/ dispensé.

Corps simple/ ex-pensé/ digressé/ digressant.

Corps aveugle.


Corps à naître/ évanoui/ existant/ simulé/ constitué/ exagéré/ dissimulé/

Symbolique/ évènement/ diabolique.

Corps à voir/ à savoir.

Corps pur/ impur/ souillé.

Corps fait/ imaginé.

Corps sage/ langage/ bagage/ individuel/ sans individu.

Corps coulé/ écoulé/ avalé/ juridique/ évadé/ égaré/ transmué.

Corps saisi/ dessaisi.


Corpus ex machina.




Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps... agi.


Corps marché/ marchant/ démarchant.

Corps technique/ hypothétique/ prothétique.

Corps social/ monstrueux/ cybernétique.

Corps système/ logiciel.

Corps diffus/ éclaté/ dilaté.

Corps obscur/ négatif/ matériel/ immatériel/ atomique/ subatomique.

Corps sans fil/ relatif/ réifié.

Corps réseau/ du réseau.

Corps échantillon/ mondialisé.

Corps copié/ copié collé/ échantillonné/ téléchargé.

Corps avatar.

Corps mémoire/ mémorisé/ intériorisé/ sublimé.

Corps outil/ instrument/ émergent.


Corpus ex machina.


«Je» n'était pas à l'aise en «nous». Il voulait comprendre.


Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps... agi.


Corps bulle.

Corps promis.

Corps promesse.

Corps projet.

Corps kunique.

Corps cynique.

Corps cimetière.

Corps monnaie.

Corps échange.


Corps valeur.

Corps action.

Corps croissance.

Corps fossile.

Corps interdit/ sans interdits.

Corps pulsion/ affection/ désaffection.

Corps affecté/ désaffecté/ sans affection.

Corps donné/ repris/ volé.

Corps humain/ inhumain/ extra-humain.

Corps virtuel/ inorganique/ électronique.

Corps libéral/ collectif/ libéré/ délibéré/ shivaïque/ extatique/ chimérique/

à venir/ à finir.

Corps à deux.

Corps à trois.

Corps à quatre.

Corps à mille.

Corps à tous.

Corps à moi.


Corpus ex machina.


Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps... agi.


Corps abeille.

Corps des cimes/ décimal.

Corps du mal.

Corps sans corps.

Corps empreinte/ exutoire.

Corps sans trace.

Corps écho/ symphonie

Corps létal.

Corps pour soi.


Corps passion.

Corps en soi.

Corps émoi.

Corps banal.

Corps total.

Corps totalisant.

Corps totalitaire/ asocial/ associé.

Corps inné/ inéluctable.

Corps acquis.

Corps à toi.

Corps à moi.

Corps à nous.

Corps à corps.


Corpus ex machina.




Le je de la marchandise



Mais ce qu'il faut garder à l'esprit, cependant, c'est que l'«il» du «je» est un «je» d'«il» aussi, un jeu de séparation pour explorer la vie, et que le «nous» et le «tu» est un «je» qui revient.


Dans ce jeu de la vie et de la mort, l'extérieur n'est qu'un jouet du moi. Le moi se projette et joue avec lui-même sans le savoir. Il joue à se faire peur, il joue à se faire plaisir, il joue à se faire souffrir, il joue et ne le sait. Il analyse et pense les éléments de son propre jeu, de sa construction. «Il» se cogne à «elle» car «elle» est ré-elle, c'est-à-dire qu'elle est le res(chose) qui revient, dur, centripète. Elle est le temps et l'espace, dans la séparation, du soi immobile et calme qui observe les mouvements du «je» dans le manifesté.


«Je» ne peut pas intervenir dans son propre jeu sans être conscient qu'il joue. S'il croit en son rêve, il y évolue en autre, il nourrit ses avatars comme autres, et perpétue le rêve ou le cauchemar. Il se trouve aliéné, autre en lui, et ne se rejoint pas. Le rêve se durcit en réel. Jamais la chose ne se repose et c'est lui, le «je», qui s'envole en effluves de songe.


L'extérieur se joue de son ori«je»ne. L'origine du «je» quant à elle reste introuvable.


Connais-toi toi-même... Double toi sur le toit du monde. Toi double aussi quand il sort du «je». Jeu avec toi sans discrétion.


Plonge à l'intérieur de toi, tu connaîtras le monde, et tu sauras que le monde est toi. Il te suffira alors de regarder le monde pour connaître «toi». «Je» apparaîtra comme «toi» et «nous» sera comme moi.


Auparavant, j'aimais observer le nous sans moi. Je l'observais du dehors comme un autre lointain. Je le sentais violent, agressif, assidument sournois, pinailleur, incohérent, désinvolte, inconscient, stupide, méchant et lourd. Je voulais le comprendre pour m'en préserver, le transformer pour le mettre en conformité avec son propre idéal. Il était tout sauf moi. Je savais pourtant déjà que j'étais lui. J'étais lui, pensais-je, mais il n'était pas moi. Il m'avait fait ce que j'étais mais je ne l'alimentais pas. Il me domestiquait, mais je n'avais aucune prise sur lui. Il n'y avait pas de moi sans nous, je croyais qu'il pouvait exister un nous sans moi. Comme si le moi pouvait flotter au-dessus du nous longtemps...


Je retombais bientôt du plus haut de ces cîmes brumeuses.


Si le nous était moi, c'était au moi qu'il me fallait revenir. Ou plutôt à ce «je» de dupe dans le grand jeu.


Tant que je laissais le petit «je» se regarder lui-même et observer cet «eux» qui l'entourait selon ses limites, la vie se présentait comme une durée s'étendant sur un axe unique, d'un début vers une fin, avec des entités ontologiquement séparées en interaction, dans un foisonnement vibrionnaire plus ou moins organisé, chacune de ces entités vivantes voyant l'ensemble et soi-même dans un rapport extérieur-intérieur d'intentionnalité. La conscience naît du cerveau, qui lui-même naît par accumulation de cellules en une évolution matérielle à partir de deux cellules originelles réunies par le hasard des rencontres, et cette conscience, qui est toujours conscience de quelque chose, toujours extérieure donc à ce qu'elle est, conscience du temps, de l'espace, des évènements, des autres et de soi-même, mourra avec les cellules qui en sont à l'origine, disparaîtra, tandis qu'une conscience nouvelle la remplacera jusqu'à ce que toute conscience disparaisse enfin et s'éteigne et laisse la place à cette matière universelle, issue d'elle-même, qui la créa par hasard et très momentanément.


La conscience intentionnelle ainsi créée, créant à son tour son histoire, sa réalité, son futur et son être, son devenir sans être plutôt, puisqu'aussi bien rien ne justifie, dans les limites qu'elle s'est elle-même fixées a posteriori, c'est-à-dire après naissance dans le monde qui la crée le créant, une sortie quelconque du périmètre de cette fiction qu'elle appelle réalité. Réalité qui n'est au final que la fiction dernière sur laquelle s'accordent les consciences créantes réunies par création fortuite créée.


Où l'on aboutit à une circularité existentielle créant elle-même les conditions de sa vérité selon des a priori reposant sur la base conditionnelle de sa naissance telle qu'elle se l'imagine. Les outils limités reçus d'emblée devenant mécaniquement notre unique horizon d'outils. Comme un androïde programmé ne sort pas du rapport programmé avec son environnement et lui-même, les humains socialement programmés éprouvent bien des difficultés à s'affranchir d'un rapport programmé avec eux-mêmes, et vivent le récit de leur

invention plutôt que leur réalité profonde.


Et si, par hypothèse, les choses étaient inversées ? Si la conscience créante de son monde était elle-même déjà créée avant sa naissance ? Si la conscience existait avant le cerveau et le corps qui la limitent, qui ne feraient alors que créer une histoire de corps et de cerveaux à la convenance des corps et des cerveaux ? Une sorte d'illusion à l'usage des corps et des cerveaux ayant pour but de conserver corps et cerveaux.


Faudrait-il alors réécrire les Méditations Métaphysiques de Descartes ? Peut-être pas si le Dieu exclu était remis à sa place et compris comme Conscience. Il faudrait juste rétablir le cogito comme suit : « Elle (la Conscience) pense, donc je suis ».


Et alors, bien entendu, il ne s'agirait plus de transformer l'illusion pour la mettre en conformité avec la volonté de l'illusionniste, mais de transformer l'illusionniste lui-même en créateur pour qu'il se crée lui-même à partir de la conscience d'illusionniste se connaissant comme telle.


L'illusionniste que je suis fabrique son monde et se fabrique lui-même dans son monde. Mais il ne peut le faire que parce que la Conscience vivante et créatrice le précède. C'est donc la Conscience qui fabrique à travers moi. Elle se joue d'elle-même et se propose un spectacle de sa création. Comme si elle avait besoin de mes yeux pour se voir. Sauf que mes yeux ne la voient pas directement et qu'ils se perdent d'abord dans l'illusion nécessaire, dans le spectacle qu'ils projettent. Car les yeux ne reçoivent pas d'images, ils les projettent. Comme l'image n'est pas dans le projecteur mais dans la pellicule ou le disque dur, l'image n'est pas dans les yeux mais dans le cerveau qui la sculpte. Et encore ne s'agit-il peut-être même pas d'une image, mais d'un amas d'informations lumineuses ressaisies par la Conscience qui les organise à l'aide d'un cerveau. Quel abîme !


Quoi qu'il en soit, le monde est comme il est parce que je me le représente ainsi. Et je me le représente ainsi parce que je le veux. Ou plutôt parce que je ne veux pas vouloir autrement qu'en «je». Ce n'est qu'en me replaçant dans le grand jeu du soi que «je» peut vouloir autre chose que sa peur et choisir qu'il en soit selon Sa volonté et non la sienne. Si je renonce à «je», je gagne le créateur du «je» et du «nous», qui est moi-même non-limité par mes peurs. «je» alors n'est plus impuissant face à l'autre qui n'était pas lui, il peut créer de nouveaux rapports, sur la base d'un rapport premier intrinsèque, où la peur diminue et l'amour augmente.


Le simple nécessaire, dans cette aventure nouvelle ou plus rien d'une certaine manière n'est autre absolument, s'appelle acceptation et gratitude.


Les choses sont ainsi parce que je les veux telles. Ce qui signifie qu'elles peuvent prendre une autre forme si je le décide en moi.


Ce qui aboutit à une série de paradoxes :


1- L'extérieur ne change que si je l'accepte d'abord comme il est.

2- Je ne suis totalement créateur et puissant que lorsque j'abandonne mes velléités créatrices particulières.

3- Je ne suis pleinement libre que lorsque je me soumets à la Conscience.

4- Je ne suis révolutionnaire que lorsque j'opère cette révolution intérieure qui consiste à me soumettre.

5- Je ne gagne que lorsque j'accepte de tout abandonner.


C'est en ce sens que les premiers sont déjà les derniers.


Il y a quelques siècles, la Marchandise a allumé la mèche du monde (de son monde, construction mentale en forme de machine globale, de système intégré). Puis Elle a prospéré, créant un monde à Son image. Elle nous a offert le confort matériel et l'illusion d'échapper aux lois naturelles de la maladie, de la souffrance et de la mort. Elle était la matérialisation, l'actualisation, de notre désir de survie et donc la forme extériorisée de nos peurs. Le techno-logos nous aiderait à surmonter notre faiblesse native et les prothèses technologiques remplaceraient avantageusement nos moyens biologiques. Aujourd'hui, la Marchandise est arrivée au faîte de son monde, Elle n'a plus besoin de l'homme, de l'homme total du moins. Elle n'a plus besoin, pour piloter Son monde, que d'un ersatz d'individu limité à son rôle de consommateur et de pilote adjoint de la machine. Elle n'a plus besoin que d'hommes-instruments, de moyens pour sa fin. Pour nous protéger de la vie, nous avons choisi de créer, projeter, un monstre collectif dévorant ses enfants créateurs. Nous avons donc choisi de nous dévorer nous-mêmes. Mais là encore il ne s'agit que d'une cascade de représentations individuelles formant un égrégore. S'il en était autrement, aucun espoir ne serait plus permis pour quiconque aurait vu le monstre de trop près. Son fonctionnement de machine auto-alimentée, et sa finalité d'accumulation impossible, ne laissant pas de doute sur la profondeur de l'abîme auquel elle conduit.


Pour catastrophique qu'il soit, le film n'en reste pas moins un film, une projection du moi apeuré. Paradoxalement plus apeuré encore depuis qu'il connaît les moyens mécaniques de l'apaisement. Sachant bien, au fond, que tous ces moyens ne sont qu'un leurre.


Esclave de lui-même et de ses limites supposées, esclave de ses croyances, il ne reste à l'homme technique que la surenchère technicienne d'auto-coercition. Mais s'en libérer est facile, il suffit de ne plus croire.


Dans le mouvement général d'automutilation, l'oeil de la conscience se pose encore sur nous.




L'oeil était dans la tombe



Le poème d'Hugo résonne encore dans notre caverne d'images.


Caïn, personnage de la Bible, fils d'Adam et Eve, tue son frère Abel et se voit exilé par Dieu. L'oeil du remord le poursuit en tout lieu. Il ne peut échapper à sa conscience.


« Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva
Au bas d'une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
« Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
« Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
L'oeil à la même place au fond de l'horizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
« Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l'aïeul farouche.
Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
« Etends de ce côté la toile de la tente. »
Et l'on développa la muraille flottante ;
Et, quand on l'eut fixée avec des poids de plomb :
« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l'enfant blond,
La fille de ses Fils, douce comme l'aurore ;
Et Caïn répondit : « je vois cet oeil encore ! »
Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : « je saurai bien construire une barrière. »
Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours! »
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible, que rien ne puisse approcher d'elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle,
Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »
Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d'Enos et les enfants de Seth ;
Et l'on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des noeuds de fer,
Et la ville semblait une ville d'enfer ;
L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d'entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
L'oeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : " Non, il est toujours là. »
Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C'est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn. »


Nous sommes tous, symboliquement, descendants de Caïn. Mais saurons-nous rester dans la lumière pour affronter l'aurore ?





« Connais-toi toi-même... »




Connais cet œil qui te regarde sans te juger, connais-le vraiment, sens-le en toi, sur toi, par toi. Toi en moi par lui, et moi en toi aussi. Oeil qui te confirme que tu n'es pas seul, que tu ne le seras jamais, quoi que tu fasses. Oeil que tu vois comme œil et qui est aussi oreille et bouche et mains et tout toi en lui. Et pas que...

Parce que...

Par ce que...

Par cela qui est...

Par ce La qui est...

Part ! cela qui hait...

Et que revienne celui qui est Me...

Qui est moi...

Qui aime...

par...

Dis...

Le...

La...

Qui aime...

Par...

Ce...

Cœur.


...et tu connaîtras l'univers et les dieux. »





Et le corps du je




Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous
merciz.
Vous nous voyez ci attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça
dévorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!


Naissance in-mercatus.

Rétro-naissance.

Rétroversion.

Vivre et laisser naître.

Mouvement imaginaire.

Sens interdit.

Nous invisible et pourtant hégémonique.

Je partout, et moi nulle part.

Ou bien l’inverse.

Obscur en moi sans nous.

Mobilisation générale.

L’espace de la marchandise est courbe.

La marchandise me pense donc je suis la marchandise.


Après ta dernière mort, tu renaîtras machine.

Peaux liées par la peau invisible.

Je-tu-il-nous.

Inconscients collectivisés.

Souterrain mythologique sans mythologie.

Crypto-mythologie.

Mythologie ex-machina.

Dévotion de chaque instant, sans croyance.

Ou bien croyance en l’absence de croyance.

Religion de pratiquants sans foi.

Naissance d’un nouveau soleil.

Trou noir déjà.

La lumière cessant à sa frontière gravitationnelle, tout près de son sol.

Le ciel s’abattit sans bruit sur la terre. Resta le feu dernier de ses étoiles mortes.


Et la machine s’émancipa.

Son règne parmi nous.

Et la forme du nous était la machine même.

Corps social-maison.

Économie.

Liberté, égalité, fraternité, progrès.

Corps magnifique se détachant sur l’horizon.

Corps sur un cheval, galopant vers l’ouest.

Débris du corps dans la tranchée.

Travail, famille, patrie.

Esprit dans sa coquille.

Suspendu à l’abîme sans fond.

Regardant le monde par hublot.

Connaissez-vous vous-mêmes!

Et l’esprit-corps se heurtant à la pierre de son inconcevable.

En son [fort] intérieur, sa mesure.

Vrai, beau, bon.

Et le corps du je danse au théâtre.

Exhibition.

Seul face à Elle.

Cérémonie du libre-échange.

Au rendez-vous des solitudes.


Et l’autre, aux mille bras, coincé dans ses interactions.

Fasciné par l’écran qu’il prend pour son miroir.

Ne voyant que lui toujours en lui.

N’ayant appris que lui jamais.

Pas autrement.

Son ego satisfait de se voir si entier.

Photographiable.

À l’image du père.

Père-Projecteur.

Marchandise-Père.

Op[è]rable.

LE Marchandise.

Pourquoi pas ?

Les images peuplant les rues.

Image de soi devenue soi.

Et la chair n’est plus triste puisqu’elle n’est plus.

Et la chair n’est plus rien.

Et moins elle existe comme séparée, plus elle doit se revendiquer comme solitude.

Intensification du fantôme.

Collectivisme libéral par réduction du champ d’individu.

Sous microscope idéologique, un isolat.

Égalité devant le monstre.

Fraternité à son service.

Liberté dans sa mesure à lui.

Croissance pour la croissance.

Marchandise pour elle-même.

Toute énergie sociale dirigée vers son centre.

Big bang économique.

L’individu s’éloignant de lui-même à la vitesse de la lumière.

Au commencement même de sa création.

Intervalle entropique.

La masse par la vitesse des échanges au carré.

Silence.

Capit[u]lisme.

Adaptation.

Tempo des choses.

En rangs serrés.

Plus de bourgeois.

La prolétarisation du monde est accomplie.


Le bourgeois, en tant qu’être-pour-la-marchandise, était prédestiné au sacrifice.

Être-pour-la-marchandise s’appelle maintenant tout individu.

Dictature du prolétariat.

Société sans classes.

Involution.

Réinvolution finale.

Bourgeois prolétaire.

Prolétaire bourgeois.

Serviteur.

Exilé volontaire dans sa propre maison.

Quasi-individu.

Quasi-néant.

Dans la fraternité obligatoire des richesses misérables.

Crevant à lui-même dans le confort de son image.

Et le riche plus que le pauvre.

Le premier, déjà le dernier.

Ici et maintenant.

Tous les derniers, main dans la main.

Ronde sévère.


Le libéralisme est un collectivisme,

Et le mouvement du capital un nihilisme.

Pratique de la machine aveugle au destin de machine.

Monstre gravitationnel au carrefour des chemins.

Serrant les dents sur l’ombre.

Étourdissant tapage.

Volière en émoi.

Et [moi] qui panique.

Homme de peu.

À genoux, fidèles!

De peu de foi.

Liturgie des valeurs.

Prières jetables.

À quoi sert le dimanche de hanter les églises?

Puisque tout le monde sait que la messe est ailleurs.

Partout ailleurs.

Là où elle n’est pas.


Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous merciz.
Vous nous voyez ci attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça dévorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!


Novembre 2020