samedi 28 juin 2014

Soumission par la révolte

On dit beaucoup de bêtises au sujet de la marginalité, et nombre de sociopathes ou de pervers narcissiques se donnent à eux-mêmes des brevets de contestation en exhibant des apparences rebelles qui impressionnent les adolescents plus ou moins attardés que nous sommes tous devenus.

Observons d'abord que les marges se trouvent sur la feuille elle-même, pas à côté d'elle. Ceci devrait déjà nous mettre en garde contre toute velléité d'expression à partir d'un dehors. Il n'y a pas de dehors. Il n'y a que de l'intérieur. Et justement « on ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l'on admet pas d'abord qu'elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure » (Bernanos – « La France contre les Robots »)

Il y a deux sortes de soumission à un ordre établi quel qu'il soit: une première, classique banale, visible, pratiquée par la plupart d'entre nous quotidiennement, que je qualifierais de satisfaite ou résignée; et une deuxième, le plus souvent ignorée au contraire, parce que paradoxale, se donnant pour ce qu'elle n'est pas, que j'appellerais la soumission par la révolte, une certaine révolte induite par le système lui-même pour se maintenir, qui procède à la manière de ces soupapes de sécurité permettant au gaz, ou aux énergies négatives en surcharge, de s'évacuer. Car un ordre, pour se pérenniser, certes à besoin de soumission, mais aussi d'un certain degré de révolte contrôlée, partie intégrante de son être, et qui prend les apparences de l'extériorité pour mieux intégrer, soit par effet de répulsion, soit au contraire de fascination. La répulsion provoque une soumission plus grande, et la fascination permet d'augmenter encore l'effet de répulsion au moyen de la peur suscitée et manipulée. La fascination rend fanatique, et les fanatiques sont des auxiliaires parfaits de l'ordre, manipulables à souhait.

Or, il est tout à fait clair pour moi qu'à peu près tous les mouvements révolutionnaires, et a fortiori réformistes de ces 150 dernières années, entrent dans cette catégorie de la révolte soumise. Soit qu'ils renforcent l'État, l'instrument de la Valeur fonctionnant pour elle-même, au détriment des individus, soit qu'ils renforcent le pseudo individu, l'individu abstrait tel qu'inventé par la marchandise, au dépend de la communauté et de l'individu réel lui-même qui est trinitaire (individuel, social et cosmique ou divin).

C'est pourquoi, je n'en appelle pas à la marginalité, mais à l'idiotie, c'est-à-dire à la singularité. Car idiotie vient du grec idiotès qui signifie quelque chose comme particulier, singulier, original. Est donc idiot pour moi, celui qui s'avère incapable de circuler sur les autoroutes de la pensée moderne, et qui explore son intimité singulière, avec tout ce qu'elle a de trinitaire et donc d'anti individuel au sens d'individuel de marché.

Adrien Royo