On dit beaucoup de
bêtises au sujet de la marginalité, et nombre de sociopathes ou de
pervers narcissiques se donnent à eux-mêmes des brevets de
contestation en exhibant des apparences rebelles qui impressionnent
les adolescents plus ou moins attardés que nous sommes tous devenus.
Observons d'abord que les
marges se trouvent sur la feuille elle-même, pas à côté d'elle. Ceci
devrait déjà nous mettre en garde contre toute velléité
d'expression à partir d'un dehors. Il n'y a pas de dehors. Il n'y a
que de l'intérieur. Et justement « on ne comprend absolument
rien à la civilisation moderne si l'on admet pas d'abord qu'elle est
une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure »
(Bernanos – « La France contre les Robots »)
Il y a deux sortes de
soumission à un ordre établi quel qu'il soit: une première,
classique banale, visible, pratiquée par la plupart d'entre nous
quotidiennement, que je qualifierais de satisfaite ou résignée; et
une deuxième, le plus souvent ignorée au contraire, parce que
paradoxale, se donnant pour ce qu'elle n'est pas, que j'appellerais
la soumission par la révolte, une certaine révolte induite par le
système lui-même pour se maintenir, qui procède à la manière de
ces soupapes de sécurité permettant au gaz, ou aux énergies
négatives en surcharge, de s'évacuer. Car un ordre, pour se
pérenniser, certes à besoin de soumission, mais aussi d'un certain
degré de révolte contrôlée, partie intégrante de son être, et
qui prend les apparences de l'extériorité pour mieux intégrer,
soit par effet de répulsion, soit au contraire de
fascination. La répulsion provoque une soumission plus grande, et la
fascination permet d'augmenter encore l'effet de répulsion au moyen
de la peur suscitée et manipulée. La fascination rend fanatique, et
les fanatiques sont des auxiliaires parfaits de l'ordre, manipulables
à souhait.
Or, il est tout à fait
clair pour moi qu'à peu près tous les mouvements révolutionnaires,
et a fortiori réformistes de ces 150 dernières années, entrent
dans cette catégorie de la révolte soumise. Soit qu'ils renforcent
l'État, l'instrument de la Valeur fonctionnant pour elle-même, au
détriment des individus, soit qu'ils renforcent le pseudo individu,
l'individu abstrait tel qu'inventé par la marchandise, au dépend de
la communauté et de l'individu réel lui-même qui est trinitaire
(individuel, social et cosmique ou divin).
C'est pourquoi, je n'en
appelle pas à la marginalité, mais à l'idiotie, c'est-à-dire à
la singularité. Car idiotie vient du grec idiotès qui signifie
quelque chose comme particulier, singulier, original. Est donc idiot
pour moi, celui qui s'avère incapable de circuler sur les autoroutes
de la pensée moderne, et qui explore son intimité singulière, avec
tout ce qu'elle a de trinitaire et donc d'anti individuel au sens
d'individuel de marché.
Adrien Royo