lundi 1 septembre 2014

Corpus ex machina



Corpus ex Machina
Concertférence

Adrien Royo
(Kunique System Incorporated)




Introduction



Il y a plusieurs manières d’appréhender l’adresse individuelle à un public. J'ai choisi pour ma part le chœur à chœur. Chœur avec un h. Une sorte d’auto-spectacle.

Considérant que je suis moi-même le spectacle, non pas parce que je me présente ici devant vous, mais parce que je participe comme vous tous d’un monde qui est intégralement spectacle, je ne peux que me laisser glisser dans vos regards pour essayer de me connaître, tandis que vous vous connaîtrez peut-être vous-mêmes en vous glissant dans le mien.

Car ce n’est pas, contrairement à ce qu’il croit, de l’intérieur de lui-même que l’individu s’exprime, du moins sous la forme que l’on donne généralement à cet intérieur, mais depuis la matrice invisible d’un corps social (et aussi plus que social) dont il n’est qu’un moment. Son discours ressemblera donc toujours davantage à l’écume verbale d’un océan supra individuel, qu’à une élaboration consciente à partir d’un simple héritage culturel.

Ce que je veux dire, c’est que je me fais, ici et maintenant, le porte-voix d’un chœur d’objets avant de me vouloir explorateur d’un corps objet. Et je me fais porte-voix parce que je crois qu’il n’y pas d’autre choix pour un être humain réellement conscient que de laisser parler ce qui le traverse de part en part.

Ce n’est pas de la modestie, c’est la simple expression d’un réalisme conséquent. Je suis toujours parlé en même temps que je parle. Nous sommes les enfants d’un texte, dirait Pierre Legendre. Nous sommes les enfants de la Technique, dirait Jacques Ellul. Nous sommes les enfants de la Valeur, dirait Karl Marx.

Le monde n’est pas seulement hors de moi, il est moi aussi. Pour en exprimer la forme possible, je n’ai donc pas à chercher plus loin qu’au bout de mon nez, au bout de ma langue, au bout de mes doigts, dans mon activité réelle et celle de mes voisins immédiats. Un regard sincère sur nos actes quotidiens devrait suffire à en éclairer l’architecture.

Alors, commençons par un portrait, le portrait de l’homme moderne, de l'homme industriel, mon portrait et le vôtre par la même occasion, dessiné par un artiste de la révolte au milieu du XXe siècle: Guy Debord. Celui-là même qui fit paraître en 1967 « La Société du Spectacle ».


Plaçons-nous dans la situation. Nous voici dans une salle de cinéma. Un film commence, les lumières s’éteignent. Le titre apparaît : In girum imus nocte et consumimur igni. C’est un palindrome : une phrase qui se lit à l’endroit et à l’envers de la même manière, lettre après lettre. Une phrase circulaire, une phrase qui tourne en rond. Traduite en français, cela donne d'ailleurs : nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu… Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu…


Voix off  :


[« Je ne ferai dans ce film aucune concession au public. Plusieurs excellentes raisons justifient, à mes yeux, une telle conduite ; et je vais les dire. Tout d’abord, il est assez notoire que je n’ai nulle part fait de concession aux idées dominantes de mon époque, ni à aucun des pouvoirs existants. Par ailleurs, quelle que soit l’époque, rien d’important ne s’est communiqué en ménageant un public, fût-il composé des contemporains de Périclès ; et, dans le miroir glacé de l’écran, les spectateurs ne voient présentement rien qui évoque les citoyens respectables d’une démocratie. Voilà bien l’essentiel : ce public, si parfaitement privé de liberté, et qui a tout supporté, mérite moins que tout autre d’être ménagé. Les manipulateurs de la publicité, avec le cynisme traditionnel de ceux qui savent que les gens sont portés à justifier les affronts dont ils ne vengent pas, lui annoncent aujourd’hui tranquillement que « quand on aime la vie, on va au cinéma ». Mais cette vie et ce cinéma sont également peu de chose ; et c’est par là qu’ils sont effectivement échangeables avec indifférence. Le public du cinéma, qui n’a jamais été très bourgeois et qui n’est presque plus populaire, est désormais presque entièrement recruté dans une seule couche sociale, du reste devenue large : celle des petits agents spécialisés dans les divers emplois de ces « services » dont le système a si impérieusement besoin : gestion, contrôle, entretien, recherche, enseignement, propagande, amusement, et pseudo-critique. C’est là suffisamment dire ce qu’ils sont. Il faut compter aussi, bien sûr, dans ce public qui va encore au cinéma, la même espèce quand, plus jeune, elle n’en est qu’au stade d’un apprentissage sommaire de ces diverses tâches d’encadrement. Au réalisme et aux accomplissements de ce fameux système, on peut déjà connaître les capacités personnelles des exécutants qu’il a formés. Et, en effet, ceux-ci se trompent sur tout, et ne peuvent que déraisonner sur des mensonges. Ce sont des salariés pauvres qui se croient des propriétaires, des ignorants mystifiés qui se croient instruits, et des morts qui croient voter. »]  


[« De progrès en promotion, ils ont perdu le peu qu’ils avaient, et gagné ce dont personne ne voulait.

Ils collectionnent les misères et les humiliations de tous les systèmes d’exploitation du passé. Ils n’en ignorent que la révolte.

Ils ressemblent beaucoup aux esclaves, parce qu’ils sont parqués en masse, et à l’étroit, dans de mauvaises bâtisses malsaines et lugubres.

Mal nourris d’une alimentation polluée et sans goût.

Mal soignés dans leurs maladies toujours renouvelées.

Continuellement et mesquinement surveillés.

Entretenus dans l’analphabétisme modernisé et les superstitions spectaculaires qui correspondent aux intérêts de leurs maîtres.

Ils sont transplantés loin de leurs provinces ou de leurs quartiers, dans un paysage nouveau et hostile, suivant les convenances concentrationnaires de l’industrie présente.

Ils ne sont que des chiffres dans des graphiques que dressent des imbéciles. Ils meurent par série sur les routes.

A chaque épidémie de grippe…

A chaque vague de chaleur…
A chaque erreur de ceux qui falsifient leurs aliments…

A chaque innovation technique profitable aux multiples entrepreneurs d’un décor dont ils essuient les plâtres.

Leurs éprouvantes conditions d’existence entraînent leur dégénérescence physique, intellectuelle, mentale.

On leur parle toujours comme à des enfants obéissants, à qui il suffit de dire : « il faut … »

Et ils veulent bien le croire.

Mais surtout, on les traite comme des enfants stupides, devant qui bafouillent et délirent des dizaines de spécialisations paternalistes…

Improvisées de la veille.

Leur faisant admettre n’importe quoi en le leur disant n’importe comment…

Et aussi bien le contraire le lendemain.

Séparés entre eux par la perte générale de tout langage adéquat aux faits…

Perte qui leur interdit le moindre dialogue…

Séparés par leur incessante concurrence…

Toujours pressés par le fouet…

Dans la consommation ostentatoire du néant…

Et donc séparés par l’envie la moins fondée et la moins capable de trouver quelque satisfaction…

On leur enlève, en bas âge, le contrôle de ces enfants…

Déjà leurs rivaux…

Qui n’écoutent plus du tout les opinions informes de leurs parents…

Et sourient de leur échec flagrant…

Méprisent, non sans raisons, leur origine, et se sentent bien davantage les fils du spectacle régnant que ceux de ses domestiques qui les ont par hasard engendrés.

Ils se rêvent les métis de ces nègres là. Derrière la façade du ravissement simulé, dans ces couples comme entre eux et leur progéniture, on n’échange que des regards de haine.

Cependant, ces travailleurs privilégiés de la société marchande accomplie ne ressemblent pas aux esclaves en ce sens qu’ils doivent pourvoir eux-mêmes à leur entretien. Leur statut peut être plutôt comparé au servage, parce qu’ils sont exclusivement attachés à une entreprise et à sa bonne marche, quoique sans réciprocité en leur faveur ; et surtout parce qu’ils sont étroitement astreints à résider dans un espace unique : le même circuit des domiciles, bureaux, autoroutes, vacances et aéroports toujours identiques.

Mais ils ressemblent aussi aux prolétaires modernes par l’insécurité de leurs ressources, qui est en contradiction avec la routine programmée de leurs dépenses. Il leur faut acheter des marchandises, et l’on a fait en sorte qu’ils ne puissent garder de contact avec rien qui ne soit une marchandise.

Où pourtant, leur situation économique s’apparente plus précisément au système particulier du « péonage », c’est en ceci que, cet argent autour duquel tourne toute leur activité, on ne leur en laisse même pas le maniement momentané. Ils ne peuvent que le dépenser, le recevant en trop petite quantité pour l’accumuler. Ils se voient obligés de consommer à crédit ; et l’on retient sur leur salaire le crédit qui leur est consenti, dont ils auront à se libérer en travaillant encore. Comme toute l’organisation de la distribution des biens est liée à celle de la production et de l’Etat, on rogne sans gêne sur leurs rations, de nourriture comme d’espace, en quantité et en qualité. Quoique restant formellement des travailleurs et des consommateurs libres, ils ne peuvent s’adresser ailleurs, car c’est partout que l’on se moque d’eux. Ceux qui n’ont jamais eu de proie, l’on lâchée pour l’ombre.

Le caractère illusoire des richesses que prétend distribuer la société actuelle, s’il n’avait pas été reconnu en toutes les autres matières, serait suffisamment démontré par cette seule observation que c’est la première fois qu’un système de tyrannie entretient aussi mal ses familiers, ses experts, ses bouffons. Serviteurs surmenés du vide, le vide les gratifie en monnaie à son effigie.

Autrement dit, c’est la première fois que des pauvres croient faire partie d’une élite économique, malgré l’évidence contraire. Non seulement ils travaillent, ces malheureux spectateurs, mais personne ne travaille pour eux…

Et moins que personne les gens qu’ils payent : car leurs fournisseurs mêmes se considèrent plutôt comme leurs contremaîtres, jugeant s’ils sont venus assez vaillamment au ramassage des ersatz qu’ils ont le devoir d’acheter. Rien ne saurait cacher l’usure véloce qui est intégrée, dès la source, non seulement pour chaque objet matériel, mais jusque sur le plan juridique, dans leurs rares propriétés. De même qu’ils n’ont pas reçu d’héritages, ils n’en laisseront pas. »]


Fin de la voix off.


(Réf. musicales en passant): Missa brevis – J.S.Bach (BWV 233) ; Different trains - Steve Reich; Bugge Wesselstof, Red Snaper, Magma.



I



« Eternels passagers de nous-mêmes, il n’est pas d’autre paysage que ce que nous sommes. Nous ne possédons rien, car nous ne nous possédons pas nous-mêmes. Nous n’avons rien parce que nous ne sommes rien. Quelles mains pourrais-je tendre, et vers quel univers ? Car l’univers n’est pas à moi : c’est moi qui suis l’univers. »


Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s'agit du corps... agi.


Corps texte.
Corps à faire/ à défaire.
Corps épris
Corps esprit.
Corps d’état.
Corps machine.
Corps obstacle/ élément/ paradoxe/ étalon.
Corps miroir/ disposé/ exposé.
Corps mystère.
Corps temple/ éperdu/ effacé.
Corps espace.
Corps temps.
Corps abîme/ dépensé/ dispensé.
Corps simple/ ex-pensé/ digressé/ digressant.
Corps aveugle.

Corps à naître/ évanoui/ existant/ simulé/ constitué/ exagéré/ dissimulé/
Symbolique/ évènement/ diabolique.
Corps à voir/ à savoir.
Corps pur/ impur/ souillé.
Corps fait/ imaginé.
Corps sage/ langage/ bagage/ individuel/ sans individu.
Corps coulé/ écoulé/ avalé/ juridique/ évadé/ égaré/ transmué.
Corps saisi/ dessaisi.

Corpus ex machina.

Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s'agit du corps... agi.

Corps marché/ marchant/ démarchant.
Corps technique/ hypothétique/ prothétique.
Corps social/ monstrueux/ cybernétique.
Corps système/ logiciel.
Corps diffus/ éclaté/ dilaté.
Corps obscur/ négatif/ matériel/ immatériel/ atomique/ subatomique.
Corps sans fil/ relatif/ réifié.
Corps réseau/ du réseau.
Corps échantillon/ mondialisé.
Corps copié/ copié collé/ échantillonné/ téléchargé.
Corps avatar.
Corps mémoire/ mémorisé/ intériorisé/ sublimé.
Corps outil/ instrument/ émergent.

Corpus ex machina.

Corps bulle.
Corps promis.
Corps promesse.
Corps projet.
Corps kunique.
Corps cynique.
Corps cimetière.
Corps monnaie.
Corps échange.
Corps valeur.
Corps action.
Corps croissance.
Corps fossile.
Corps interdit/ sans interdits.
Corps pulsion/ affection/ désaffection.
Corps affecté/ désaffecté/ sans affection.
Corps donné/ repris/ volé.
Corps humain/ inhumain/ extra-humain.
Corps virtuel/ inorganique/ électronique.
Corps libéral/ collectif/ libéré/ délibéré/ shivaïque/ extatique/ chimérique/
à venir/ à finir.
Corps à deux.
Corps à trois.
Corps à quatre.
Corps à mille.
Corps à tous.
Corps à moi.
Corps peste.

Corpus ex machina.

Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s'agit du corps... agi.

Corps abeille.
Corps des cimes/ décimal.
Corps du mal.
Corps sans corps.
Corps empreinte/ exutoire.
Corps sans trace.
Corps écho/ symphonie
Corps létal.
Corps pour soi.
Corps passion.
Corps en soi.
Corps émoi.
Corps banal.
Corps total.
Corps totalisant.
Corps totalitaire/ asocial/ associé.
Corps inné/ inéluctable.
Corps acquis.
Corps à toi.
Corps à moi.
Corps à nous.
Corps à corps.
Corps peste.

Corpus ex machina.



II



L’extension prothétique de l’homme, ce que j’appelle son corps social : l’ensemble des machines collectives, symboliques ou réelles, interconnectées en une hypermachine autosuffisante, hypertrophiée désormais, déstabilise aujourd'hui le soma primordial constitué d’un corps individuel, d’un corps social et d’un corps cosmique; trois corps séparés ne faisant qu’un. L’immunologie sociale gagnant sur l’individuelle au fil de l’évolution, un équilibre fragile est rompu et la naissance de l’individu, qui n’a encore jamais existé en tant que conscience trinitaire, se trouve entravée. Or, cette naissance identifiant le projet humain, c’est l’humanité elle-même, comme promesse, qui disparaît devant cet obstacle.

Il paraît qu’à la fin de sa vie, Pasteur, désabusé, donna finalement raison à Claude Bernard, son rival de toujours : le microbe n’est rien, dit-il, le milieu est tout. Manière de dire que c’est l’adaptation immunologique à un milieu qui fait la santé.

Ceci nous aide à mieux comprendre la relation nécessaire entre corps individuel et corps social. Si le corps social ne compose pas correctement avec les corps individuels dont il est fait, et dont l’adaptation immunologique demande un temps incomparablement plus long que son évolution technologique à lui, alors ce que nous pourrions appeler l'hypermaladie survient, et la médecine industrielle, avec les instruments du corps social, s’engage dans une fuite en avant désespérée pour combler un fossé qui ne cesse de s’élargir du fait même de ces instruments. Il n’y a déjà plus pour elle d’autre alternative que d'adapter toujours mieux les individus au corps prothétique en expansion. Les corps individuels devenant ainsi progressivement les prothèses de leurs machines.

Mais souvenons-nous que le prolétariage, notre forme de civilisation actuelle, que d’autres appellent de façon moins heureuse capitalisme, contient depuis toujours cet élément de négation individuelle au profit du collectif, caché seulement par la prodigieuse faculté d’illusion que le système entretient comme sa principale ressource. Le Capital abstrait s’auto-valorisant en un processus toujours plus massif et universel au dépens des hommes concrets, ce que j’appelle développement du corps social pathologique, transforme les individus en prolétaires d'abord, puis en parasites. Et, les parasites, soit on les domestique, soit on les détruit.



«Toujours le mystère du fond aussi évident que le sommeil du mystère de la surface ...»


Des gestes abandonnés nous traversent qu’il faut se réapproprier.



Maîtriser son corps individuel ne suffit pas. Il faudrait inventer un yoga du corps social.







III





Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous
merciz.
Vous nous voyez ci attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons
nourrie,
Elle est pieça
dévorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et
poudre.
De notre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!


Naissance in-mercatus.
Rétro-naissance.
Rétroversion.
Vivre et laisser naître.
Mouvement imaginaire.
Sens interdit.
Nous invisible et pourtant hégémonique.
Je partout, et moi nulle part.
Ou bien l’inverse.
Obscur en moi sans nous.
Mobilisation générale.
L’espace de la marchandise est courbe.
La marchandise me pense donc je suis la marchandise.
Après ta dernière mort, tu renaîtras machine.
Peaux liées par la peau invisible.
Je-tu-il-nous.
Inconscients collectivisés.
Souterrain mythologique sans mythologie.
Crypto-mythologie.
Mythologie ex-machina.
Dévotion de chaque instant, sans croyance.
Ou bien croyance en l’absence de croyance.
Religion de pratiquants sans foi.
Naissance d’un nouveau soleil.
Trou noir déjà.
La lumière cessant à sa frontière gravitationnelle, tout près de son sol.
Le ciel s’abattit sans bruit sur la terre. Resta le feu dernier de ses étoiles mortes.


Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous
merciz.
Et la machine s’émancipa.
Son règne parmi nous.
Et la forme du nous était la machine même.
Corps social-maison.
Économie.
Liberté, égalité, fraternité, progrès.
Corps magnifique se détachant sur l’horizon.
Corps sur un cheval, galopant vers l’ouest.
Débris du corps dans la tranchée.
Travail, famille, patrie.
Esprit dans sa coquille.
Suspendu à l’abîme sans fond.
Regardant le monde par hublot.
Connaissez-vous vous-mêmes!
Et l’esprit-corps se heurtant à la pierre de son inconcevable.
En son [fort] intérieur, sa mesure.
Vrai, beau, bon.
Et le corps du je danse au théâtre.
Exhibition.
Seul face à Elle.
Cérémonie du libre-échange.
Au rendez-vous des solitudes.


Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous
merciz.

Et l’autre, aux mille bras, coincé dans ses interactions.
Fasciné par l’écran qu’il prend pour son miroir.
Ne voyant que lui toujours en lui.
N’ayant appris que lui jamais.
Pas autrement.
Son ego satisfait de se voir si entier.
Photographiable.
À l’image du père.
Père-Projecteur.
Marchandise-Père.
Op[è]rable.
LE Marchandise.
Pourquoi pas ?
Les images peuplent les rues.
Image de soi devenue soi.
Et la chair n’est plus triste puisqu’elle n’est plus.
Et la chair n’est plus rien.
Et moins elle existe comme séparée, plus elle doit se revendiquer comme solitude.
Intensification du fantôme.
Collectivisme libéral par réduction du champ d’individu.
Sous microscope idéologique, un isolat.
Égalité devant le monstre.
Fraternité à son service.
Liberté dans sa mesure à lui.
Croissance pour la croissance.
Marchandise pour elle-même.
Toute énergie sociale dirigée vers son centre.
Big bang économique.
L’individu s’éloignant de lui-même à la vitesse de la lumière.
Au commencement même de sa création.
Intervalle entropique.
La masse par la vitesse des échanges au carré.
Silence.
Capit[u]lisme.
Adaptation.
Tempo des choses.
En rangs serrés.
Plus de bourgeois.
La prolétarisation du monde est accomplie.
Le bourgeois, en tant qu’être-pour-la-marchandise, était prédestiné au sacrifice.
Être-pour-la-marchandise s’appelle maintenant tout individu.
Dictature du prolétariat.
Société sans classes.
Involution.
Réinvolution finale.
Bourgeois prolétaire.
Prolétaire bourgeois.
Serviteur.
Exilé volontaire dans sa propre maison.
Quasi-individu.
Quasi-néant.
Dans la fraternité obligatoire des richesses misérables.
Crevant à lui-même dans le confort de son image.
Et le riche plus que le pauvre.
Le premier, déjà le dernier.
Ici et maintenant.
Tous les derniers, main dans la main.
Ronde sévère.


Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous
merciz.


Le libéralisme est un collectivisme,
Et le mouvement du capital un nihilisme.
Pratique de la machine aveugle au destin de machine.
Monstre gravitationnel au carrefour des chemins.
Serrant les dents sur l’ombre.
Étourdissant tapage.
Volière en émoi.
Et [moi] qui panique.
Homme de peu.
À genoux, fidèles!
De peu de foi.
Liturgie des valeurs.
Prières jetables.
À quoi sert le dimanche de hanter les églises?
Puisque tout le monde sait que la messe est ailleurs.
Partout ailleurs.
Là où elle n’est pas.


Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous
merciz.
Vous nous voyez ci attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons
nourrie,
Elle est pieça
dévorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et
poudre.
De notre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!



Il faut encore avoir du chaos en soi pour mettre au monde une étoile dansante.”