lundi 20 juin 2011

AMA'

Une formule marxienne résume parfaitement notre système de production et d’échange, et même, désormais, notre pratique sociale globale. Cette formule est : AMA’. Où A est l’argent premier, M la marchandise et A’ le plus d’argent gagné dans le procès. L’argent va vers la marchandise qui donne un plus d’argent. Cette boucle infernale, car A’ revient en A pour repartir en un M qui lui-même redonne un A’, est le piège en forme de roue dont certains se font gloire.

Que nous indique cette formule ? D'abord, banalement, que l’argent (grâce au travail) produit des marchandises qui produisent plus d’argent et qu’une certaine richesse publique augmente avec la quantité de marchandises fabriquées. Mais ensuite et surtout que A’, le plus d’argent, est la finalité réelle du procès. La marchandise, sous sa forme d’usage, n’étant ici qu'un moyen, pour ne pas dire un prétexte, comme on le voit dans la spéculation financière ou A produit directement A’ sans passer par la case M. Le langage populaire traduit la formule dans l’expression : recherche effrénée du profit. Mais AMA’ dit plus, je crois, en sa concision, car elle dévoile, par-delà la réprobation éthique, la loi fondamentale du temps. Elle nous donne, avec l’équation économique, l’équation morale et politique de nos sociétés. Elle fournit, comme la loi de la gravitation universelle pour le mouvement des astres, les coordonnées d’un social errant dans l’orbite du Capital.

L’argent va donc vers la marchandise dans le seul but de faire plus d’argent. Pourquoi pas, nous diront les libéraux convaincus. Si, avec le cynisme, nous obtenons, comme par surcroît, la richesse économique et l’amélioration de la qualité de vie. Sauf que la finalité de l’action générale n’étant ni la richesse publique ni la qualité de vie, nous devons envisager aussi la possibilité d’un passage au négatif de l'accessoire, et donc d'une détérioration des conditions d’existence. Il faut en effet une croyance indéracinable dans les vertus du vice pour ne pas imaginer l'hypothèse du renversement contre-productif d'une positivité de hasard. Vouloir utiliser idéologiquement le cynisme et l’égoïsme comme moyen de la richesse et du bien être, alors que la pratique réelle consiste en son contraire, à savoir le confort utilisé comme moyen de l’égoïsme, c’est risquer de produire la misère et l’inconfort pour le cas où le mouvement central de A vers A’ viendrait à inverser la polarité secondaire. Le bien n’étant ni voulu ni nécessaire, il faudra l’admettre dans ces conditions comme occasionnel, instable et fugace. Par exemple, la qualité de la marchandise produite pour donner A’ étant indifférente par principe, puisque seul compte le plus de A, il y a de grandes chances pour que celle-ci finisse par se dégrader. Et comme les conditions de sa production sont tout aussi indifférentes, il va de soi que ces dernières courent le même risque. Seule une contre-action sociale reposant sur d’autres principes moraux, et soumettant la production et l’échange à ses lois, pourrait en diminuer les effets déplorables. Mais comment faire d’un simple moyen au service d’une fin, une finalité nouvelle, sans faire du même coup de la fin initiale un moyen ? Autrement dit comment faire pour que A se déplace vers M sans nécessairement produire A’, ou pour que A’ devienne à son tour le moyen de M ? Car le processus alors s'arrêterait net et nous irions vers une autre forme de production et d'échange où M prendrait la forme d'un A pour obtenir seulement un autre M. Ce qui donnerait la formule MAM. L’argent, abandonnant sa fonction téléologique, ne serait plus qu’un moyen pour combler des besoins.

Est-ce à dire que le cynisme et l’immoralité sont le prix à payer pour la richesse ? Sans doute, mais pour une fausse et fragile richesse dont finalement nous n’avons peut-être même pas besoin. Et si le processus décrit ici nous avait permis de prendre conscience de cela ? Et si l'un des effets secondaires de son action avait été de faire la lumière sur un certain nombre de pseudo évidences, et nous libérait d’un désir malheureux ? Et si nous faisions contre mauvaise fortune bon cœur ? Et si, donc, nous utilisions les nouvelles contraintes pour entrer en résilience, comme on dit en résistance? Ne ferions-nous pas alors un grand pas vers la transition?

Adrien Royo

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