mardi 9 mars 2021

Marchandise et conscience

La marchandise est par nature internationale et cosmopolite, asociale, anti-naturelle, anti-historique, anti-dialectique, anti-discursive, mesquinement matérialiste et anti-spirituelle. Elle ne supporte aucune limite territoriale, symbolique ou temporelle, et aucune évolution en conscience. Elle est profondément liée à nos formes inconscientes les plus primitives, à notre fonds pulsionnel le plus souterrain, à notre volonté de toute puissance infantile qui débouche sur l'impuissance la plus totale, à nos contradictions humaines les plus obscures. Elle est l'expression de nos peurs et de nos culpabilités.

Son développement ressemble à celui d'un égrégore, à une forme pensée collective envahissante qui décide de nos mouvements les plus intimes.

Elle est cet enfant intérieur collectif coincé dans la forterresse de ses illusions. Illusions que cet enfant avait édifié en défense de son territoire d'amour et qui se transforment en prison ?

Le monde que nous avons créé collectivement est un monde de la marchandise dans lequel nous devenons nous-mêmes une marchandise. Mais cette marchandise n'a de pouvoir sur nous que parce que nous la considérons comme extérieure, que parce que nous la voyons comme une construction sociale sans lien direct avec nos profondeurs individuelles, que parce que nous nous obstinons à la comprendre comme une simple matrice dans laquelle nous évoluons et que les « autres » persistent à vouloir. Nous sommes aliénés, oppressés, exploités, et attendons l'effondrement, la révolution, ou le retour à la normale qui n'existe pas.

Il existe vraiment une lutte de classes. Il serait stupide de la nier. Il existe vraiment une dialectique historique en mouvement qu'il serait irresponsable de ne pas voir. Mais cette lutte de classes cache et exprime à la fois une lutte plus profonde qui est cette lutte intime que nous menons obstinément contre nous-mêmes et qui s'extériorise en lutte de classes.

Max nous a donné les clés de compréhension de cette impasse historique. Il a dévoilé le mécanisme par lequel une relation sociale particulière se cristallise, s'autonomise, et devient hégémonique. Le fétichisme de la marchandise est une de ces clés, ainsi que la baisse tendancielle du taux de profit, la plus-value relative, et la composition organique du capital.

Avec ces notions bien comprises, nous avons tous les outils nécessaires pour comprendre notre système social universel. Mais jusqu'ici, cette compréhension, si toutefois il est permis de considérer comme telle les nombreuses interprétations du siècle passé, n'a débouché que sur la révolte impuissante, la défaite, la soumission à une nouvelle autorité bureaucratique, et le désespoir. C'est que le mensonge à soi est le plus invisible de tous, le plus difficile a admettre. C'est que le déni est le rapport à soi le plus commun.

Certes, l'extrême marchandise que nous vivons est monstrueusement puissante et infernale. Mais elle est aussi le moyen de l'émancipation réelle. Sa puissance même pousse à l'instrospection. Etant invincible par l'extérieur, elle renvoie nécessairement tout individu à lui-même et à son intériorité. Elle oblige à une remise en question intime et renversante. Qui suis-je vraiment pour extérioriser un tel monstre ? Suis-je donc ce monstre même ? Et si oui, pourquoi quelque chose en moi le refuse-t-elle ?

Si le monstre est extérieur et puissant au point de faire de moi son outil, je ne peux rien contre lui. Si, au contraire, il est une part de moi, je peux le changer. Je ne peux changer les conditions extérieures de ma vie qu'en les acceptant comme miennes, en les aimants comme expressions de mon enfant intérieur blessé, comme un moment de mon évolution intérieure à dépasser. C'est là que se rejoignent les élans révolutionnaires extérieur et intérieur. C'est là que s'établit le contact entre la nouvelle spiritualité affranchie des formes sclérosées et le mouvement prolétarien des origines lié aux tentatives d'émancipation des sociétés ancienne occidentales.

C'est ainsi que toute connection avec le divin contemporain devient aussi une force de transformation sociale, la société et l'individu ne pouvant jamais réellement se dissocier dans la matière. L'une étant l'expression de l'autre.

La révolution ne peut être qu'une révolution de conscience individuelle avant de se matérialiser en une forme extérieure commune. Sans cela elle ne saurait être autre chose qu'une répétition du même sous une autre forme et donc une contre-révolution masquée.

Ceci sera peu compris encore longtemps peut-être. Ceci est pourtant à la base des vrais messages spirituels à travers les âges, comme il est à la base de l'oeuvre de Marx malgré son auteur.