vendredi 27 août 2010

J’ai toujours pensé que capitalisme était un terme inapproprié pour désigner le projet anthropologique global, fût-il inconscient, de notre mode de production; qu’il était réducteur et pas assez évocateur. Moins évocateur assurément que servage ou esclavage, décrivant les périodes antérieures. Marx l’avait utilisé en son temps par commodité parce qu’il était à disposition. Je lui préfèrerais, ô combien, prolétariage par exemple, ou salariage, qui souligneraient d’emblée le devenir instrument des hommes de cette ère ; qui désigneraient sans détour le projet évident de réduction existentielle. L’un de ces termes (prolétariage aurait ma préférence) permettrait aussi d’entrevoir une sortie du clivage absurde et inopérant capitalisme-anticapitalisme, ou même capitalisme-socialisme, pour inventer quelque chose de plus profond, inversant le rapport historique infrastructure-superstructures. Car un simple changement de propriétaire, comme nous le confirment des expériences récentes in vivo, ne garantirait nullement une sortie de ce prolétariage, nonobstant le fétichisme : le rapport social voilé.

Bien que l’économie mérite sa primauté, et que nous acceptions son analyse marxienne, quel esprit réellement scientifique aujourd’hui pourrait négliger l’hypothèse réaliste selon laquelle notre mode de production : « le monde à l’envers », « le reniement achevé de l’homme », serait non pas l’ultime étape avant la naissance d’un monde réconcilié, sans classes, mais la dernière avant l’autodestruction? Autrement dit, pourquoi refuser d’imaginer notre mode de création de richesses comme le dévoilement d’une praxis humaine uniquement dépassable en termes non-économiques ? Imaginons un petit instant que ce qui s’appelle encore capitalisme ait eu pour l’humanité une valeur heuristique définitive mettant en lumière sa part maudite et donnant pour mission de la dépasser en conscience au moyen d’un nouveau projet anthropologique global. Imaginons qu’un grand miroir se soit tout à coup dressé sur le monde, et qu’il nous permette enfin de sortir de notre ignorance. Socialisme ou communisme conservant trop encore de cette ignorance.

Entendons-nous bien : il est fort possible que le développement des forces productives, selon le schéma marxiste, nécessite en effet un changement de mode de production. Mais je prétends que ce nouveau mode, si on le laissait advenir, serait nécessairement plus réducteur encore que l’ancien ; le mouvement des forces productives livré à lui-même, facteur négligé par Marx en raison de l’optimisme scientiste de son siècle, et révélé par la prise de conscience écologique actuelle, étant en lui-même un mouvement anéantisseur d’humanité, au plan moral du moins, transformant les hommes en machines désirées, la seule machine désirante étant le capital, c’est-à-dire la valeur en procès mécanique et autonome, détachée même du rapport social qui l’avait fait naître.

Le kunisme est donc cette question posée d’un autre dépassement. Il tend à constituer un regard et un corps, un œil correspondant au grand dévoilement prolérarial. C’est pourquoi il est un projet esthétique et politique, une réconciliation aussi avec le grand récit et l’épopée.