A
la faveur des évènements récents, se développe une double
hystérie bien propre à rappeler les moments les plus tragiques de
l'histoire européenne. Tout le monde semble vouloir se ranger bien
hystériquement dans l'une des cases toutes prêtes à l'accueillir:
fascisme, antifascisme, socialisme reconfiguré, libéralisme
pseudo-neutre.
Remontons
le temps de façon un peu provocatrice. De la variété possible de
l'offre politique des années vingt du 20e siècle, on est vite
passé, une décennie plus tard, à une réduction drastique avec
radicalisation, et affrontement direct de deux camps
irréconciliables. L'Espagne offre un excellent exemple de cette
réduction avec l'histoire du mouvement phalangiste. Fondée par
Jose-Antonio Primo de Rivera, la première Phalange, deux ou trois
ans avant la guerre, cherchait ses repères entre la révolution
sociale et le nationalisme autoritaire. Elle élabora à la va-vite
une plateforme idéologique un peu floue mais qui voulait s'appuyer
sur le petit peuple et amener à résipiscence les classes
privilégiées et l'Église. A la toute veille du soulèvement
militaire toutefois, pressée de toute part et financièrement à
l'agonie, peu soutenue par les riches, elle s'associa aux militaires
et soutint le coup de force. Un peu plus tard, Franco n'hésita pas à
la récupérer, à la renverser idéologiquement, pour en faire le
socle de son pouvoir dictatorial, el jefe (le chef) Jose-Antonio,
comme l'appelait ses sympathisants, ayant été exécuté dans sa
prison de Valence dès le début de la guerre civile. Des gens qui
réfléchissaient en toute sincérité, même s'ils se trompaient, à
une quatrième voie entre le marxisme, la droite traditionaliste et
le libéralisme, avec tout ce que cela suppose d'errements et
d'ambigüités, ont été purement et simplement éliminés pour
former un bloc bien carré et bien simpliste propre à s'insérer
dans l'espace binaire et sans nuances de la guerre totale. La même
chose s'est d'ailleurs produite dans l'autre camp, où les
anarchistes ont laissé la place à de bons staliniens dociles et
cyniques. C'est un petit fils de républicain espagnol qui
vous parle.
Je
soutiens que nous préparons aujourd'hui la même sauce pour le même
genre d'agapes, avec cette différence notable et paradoxale que tout
se remet en place par la volonté même de ne pas reproduire le
passé. Les gens de gauche interdisent de chercher du nouveau en
écrasant leurs amis sous le poids d'une histoire mal digérée, et
les gens de droite, piégés dans le même cercle, servent des plats
réchauffés. De tous côtés, on ferme les voies de l'analyse
sereine, de la synthèse et du dialogue en se repliant frileusement
sur des positions jugées sûres parce que déjà enlevées au moins
une fois. Quiconque se pique de liberté prend le risque de se voir
lyncher par les uns ou par les autres, et mêmes par les uns et
par les autres. Interdiction de penser librement! est le mot d'ordre
général. Il ne se dit jamais ouvertement, mais il s'inter-dit
constamment.
Le
système aujourd'hui est étouffant. Tout le monde sent bien
qu'aucune proposition existante n'offre de vraies perspectives, et
tout le monde vibrionne cependant en pure perte autour des mêmes
idoles. On ne sait plus à quel saint se vouer, mais on se voue corps
et âmes, et on s'accroche désespérément à l'épave la plus
vermoulue qui s'enfonce déjà et promet la noyade. Et accepter le
statu quo revient à accepter la glissade inéluctable vers l'abîme.
De quelle manière la chute aura-t-elle lieu? Guerre de civilisation,
prenant la forme de guerres civiles par endroits; débandade
économique ou environnementale; totalitarisme techno-mondialiste ou
techno-nationaliste, ou tout cela à la fois? Nul ne le sait, mais
qu'il y ait chute, tout le monde le sent confusément.
Dans
une telle ambiance, comment s'étonner que certains prennent un malin
plaisir à faire exploser le consensus, quitte à devenir les têtes
de turc de tous les autres, trop contents de pouvoir se coaliser
enfin autour d'une même proie. C'est le rôle qu'a choisi de jouer
Alain Soral par exemple. Soral, qui par bien des côtés rappelle ce
Primo de Rivera dont je parlais précédemment, plus proche d'un
Poutine ou d'un Chavez, que d'un Hitler, qui rentre néanmoins dans
la case prévue du nationalisme autoritaire et de l'interprétation
communautariste de l'histoire. Soral est antisémite, dit-on. C'est
possible! Mais qu'il le soit ou pas, certains chasseurs
d'antisémites, arc-boutés sur la mémoire du génocide préparent
malgré tout comme les autres, par leur maladresse et leur hystérie,
le terrain d'un beau chaos à l'ancienne. Qu'il y ait des
antisémites, je ne le nie pas, mais qu'il faille, pour lutter contre
eux, employer des moyens que l'on dénonce chez les autres:
mensonges, rumeurs, dénigrement systématique, condamnation sans
procès, lynchage médiatique et mêmes agressions physiques, me
semble tout à fait contre-productif et bien propre même à créer
de l'antisémitisme là où il n'y en avait pas.
Prenons
l'exemple de Dieudonné, puisqu'il est associé à Soral dans la même
réprobation universelle. Voilà quelqu'un qui, sauf à l'accuser
gratuitement d'antisémitisme latent depuis sa naissance, avait tout,
avant son sketch chez Fogiel, pour devenir l'emblème de
l'antiracisme authentique. Or, voilà qu'un beau jour l'ensemble de
l'establishment lui tombe dessus pour avoir fait exactement ce que
Charlie Hebdo faisait toutes les semaines, et qui suscite aujourd'hui
tant d'admiration rétrospective, à savoir une caricature
d'extrémiste. La disproportion entre la peine immédiate qui lui a
été infligée: ostracisme généralisé, interdiction de se
produire, lynchage médiatique, et la nature de la transgression,
était bien faite pour attirer le soupçon. Et le soupçon s'est
effectivement généralisé quand la victime, loin de s'agenouiller
devant ses bourreaux, se mit à en rajouter sous le costume du
méchant absolu qu'on lui avait mis sur les épaules. Dieudonné joua
ce jour-là malgré lui le rôle de l'agent chimique plongé dans une
solution stable et qui précipite involontairement des réactions
moléculaires en chaîne qui font tout exploser, révélant par
l'explosion elle-même les incohérences du milieu initial. Les
censeurs en cette occasion, pensant démasquer un crypto-antisémite,
dévoilaient en réalité à la fois leur pouvoir et leur stupidité.
Ils créèrent donc, par leur réaction disproportionnée un
pseudo-antisémitisme massif, né d'un étonnement agacé ou d'une
révolte étonnée. Des milliers de personnes se découvraient en
effet du jour au lendemain antisémites. Le niveau s'étant abaissé si
brutalement que tous
ceux qui émettaient une simple critique de l'État d'Israël ou
évoquaient le racisme hébreu, recevaient immédiatement leur
diplôme avec félicitation du jury. Sans compter les gens que tout
cela rendait curieux et qui commencèrent à chercher des réponses à
des questions qu'ils ne s'étaient jamais posés. Dans ce cas précis,
j'affirme que des organisations communautaires ont créé de toute
pièce et de manière irresponsable ce qu'elles prétendaient
combattre. Un peu comme ces obsessionnels qui finissent par réaliser
le fantasme contre lequel ils avaient fondé leur existence, par peur
que celui-ci leur échappe. Ce qui ne justifie en rien, bien entendu,
le vrai antisémitisme qui aurait pu se développer parallèlement.
Mais aussi, n'y aurait-il pas là un calcul bassement politicien
consistant à créer un monstre de toute pièce pour se concilier les
faveurs d'une partie du peuple encore prête à croire toutes les
balivernes du pouvoir en matière de lutte contre l'extrémisme, le
racisme, l'antisémitisme ou le complotisme. Quoi de mieux, pour se
donner des allures de gauche, lorsque la gauche réelle a disparu,
que de s'inventer un extrémisme de droite? Comme naguère on
s'inventa à droite un extrémisme « ultragauchiste ».
Résultat
des courses, chacun enfile son petit uniforme et se précipite dans
les tranchées anciennes numérotées pour rejouer la der des ders et
le « plus jamais ça » en y ajoutant les variantes du
jour.
J'entends
bien que les victimes, ou les descendants de victimes, soient
inquiets de voir que la discussion autour de l'antisémitisme
recommence, mais de grâce, ne tombons pas dans le piège de la
séparation et du repli. C'est en nous-mêmes toujours que le monstre
doit être poursuivi, sans quoi il renaîtra inévitablement, la
victime d'hier se transformant en bourreau, comme cela arrive depuis
le commencement de l'histoire humaine. Si une petite flamme de vérité
et d'amour subsiste, au contraire, tout n'est pas perdu. C'est de
cette flamme dont il est question ici, de rien d'autre.
Le
racisme est dangereux, mais certaines façons de l'affronter le sont
tout autant.
L'époque
réclamerait la recherche urgente d'une alternative spirituelle et
idéologique, un rêve alternatif propre à désamorcer la crise ou
du moins à laisser imaginer un avenir humain réellement pacifique,
mais personne ne pense pour cela à renoncer aux codes préétablis,
au psittacisme, au savoir pré mâché, ou aux réflexes grégaires.
Il faudrait une vraie liberté de pensée, quand des barrières se
dressent de partout, y compris, et plus encore qu'ailleurs, dans les
espaces prévus pour elle. Cette liberté est dangereuse, oui, mais
moins que le conformisme étriqué d'aujourd'hui. Cette liberté est
risquée, oui, mais moins que le statuquo. Cette liberté est
inquiétante, oui, mais moins que ce qui nous attend de toute
manière. Des jeunes deviennent antisémites en allant sur certains
sites? Eh bien, je gage que ce n'est pas en s'acharnant contre eux et
en appliquant des méthodes fascistes qu'on luttera efficacement
contre le totalitarisme qui vient, qui lui n'a rien d'antisémite ni
de particulièrement sémite d'ailleurs, et qui s'insinue entre les
rangs de l'imbécilité éternelle en ordre de bataille.
Et
puis, il y a une suffisance des gens au pouvoir aujourd'hui qui
dépasse l'entendement. Tout le monde prétend parler au nom du
peuple et tout le monde le méprise. On le voit encore avec
l'attitude de l'Europe face à la Grèce. On s'arrange soit pour
discréditer sa parole, soit pour en nier la pertinence, soit pour le
réduire au silence. Un des vocables inventés pour obtenir ce
magnifique résultat est « populisme ». Est populiste
tout ce qui n'arrange pas les élites. On dit que le peuple est bête
et on s'en méfie, mais on oublie que la responsabilité de toutes
les saletés de l'histoire pèsent sur la tête des dirigeants et des
intelligents, pas sur le peuple qui n'élit ses représentants que
parmi ceux qu'on veut bien lui présenter. La peur du peuple est sans
doute aujourd'hui la peur la mieux partagée. Aujourd'hui, cette
peur se manifeste par l'habitude de lui cacher l'essentiel afin qu'il
ne remette pas en question le bel ordonnancement élitaire censé
assurer, si ce n'est le bonheur, du moins l'avenir. Et quand par
hasard il découvre tout de même quelques bribes de vérité, on
l'accuse de complotisme. D'ailleurs, on se dirige tout droit, et pas
seulement en Europe, vers un techno-bio-pouvoir dont le bras armé
sera fait d'une minuscule élite technocratique triée sur le volet,
avec une majorité d' « ignorants » faisant là où on
leur dira de faire. C'est ce qui s'appelle aller vers des lendemains
meilleurs. L'idée est toujours la suivante: si on laisse le peuple
faire, on obtient Hitler. CQFD! Mais votez quand même! Il faut bien
sauver les apparences. Bien sûr que la vérité est un jeu de
miroirs, et qu'elle nous fuit toujours, mais la recherche est le
propre de l'homme, et parce que certains se font piéger sur la
route, on n'arrête pas le voyage.
Internet,
même surveillé continuellement, est en libre accès. Tout peu se
dire, y compris le n'importe quoi. Mais quand le n'importe quoi et le
mépris envahissent les médias traditionnels réputés porteurs de
vérités, pourquoi devrait-on le bouder. Depuis que je suis en âge
de comprendre, on ne cesse de me mentir, non seulement en toute
impunité, mais encore avec un cynisme hyperbolique. J'ai vu le pays
de la liberté soutenir des dictatures et des groupes terroristes, la
gauche devenir la droite, la démocratie se passer des citoyens, la
justice s'incliner devant le pouvoir et faire preuve d'intransigeance
envers les petits, l'argent aller à l'argent, des descendants de
victimes devenir des bourreaux donneurs de leçon, la raison d'État
s'ériger en morale, le racisme envahir l'espace public, des guerres
sans morts à la télévision, des robots remplacer des hommes, des
médicaments tuer, de la nourriture empoisonner, des travailleurs
mourir à cause de leur travail, etc; J'ai vu tout cela et malgré
tout je reste confiant. Confiant en l'homme du quotidien, le petit,
le sans-grade, le tâcheron, pas le puissant, le tout-sachant, le
brillant.
Je
veux pouvoir penser sans avoir un censeur au-dessus de mon épaule
pour me dire ce qu'il faut que je voie, que je sente, que je rêve.
Je veux pouvoir me tromper. Mes références sont claires: Marx,
Debord, Kurz, Postone, Lacan, Weil, Legendre, Jésus, Lao Tseu et
Diogène.
Dans
sa note n°11 intitulée « Conspirationnisme: un état des
lieux », la Fondation Jean Jaurès, Think tank socialiste dont
le premier article des statuts dit vouloir: « favoriser
l’étude du mouvement ouvrier et du socialisme international,
promouvoir les idéaux démocratiques et humanistes par le débat
d’idées et la recherche, contribuer à la connaissance de l’homme
et de son environnement, mener des actions de coopération
économique, culturelle et politique concourant à l’essor du
pluralisme et de la démocratie dans le monde », on trouve, à
la page 8, le paragraphe suivant:
« Thierry
Meyssan est probablement l’une des personnalités qui, avec
Dieudonné M’Bala M’Bala et Alain Soral (Égalité &
Réconciliation), incarnent le mieux le noyau dur de cette mouvance
hétéroclite (le conspirationnisme), fortement intriquée avec la
mouvance négationniste, et où se côtoient admirateurs d’Hugo
Chavez et inconditionnels de Vladimir Poutine. Un milieu interlope
que composent anciens militants de gauche ou d’extrême gauche,
ex-«Indignés», souverainistes, nationaux-révolutionnaires,
ultra-nationalistes, nostalgiques du IIIème Reich, militants
anti-vaccination, partisans du tirage au sort, révisionnistes du 11
Septembre, antisionistes, afrocentristes, survivalistes, adeptes des
«médecines alternatives», agents d’influence du régime iranien,
bacharistes, intégristes catholiques ou islamistes.”
En
effet, ce que le pouvoir appelle les complotistes ou les
conspirationnistes, et que d'autres appellent les débranchés, vient
de tous ces horizons. C'est déjà intéressant en soi d'abattre les
frontières mentales à ce point. Qu'est-ce qui unit ces
individus? Entre autre, la défiance. La défiance vis-à-vis de tout
ce qui vient de la sphère médiatico-politico-culturelle officielle.
Cette défiance peut conduire à des dérapages et à des
élucubrations, c'est un fait. Mais des dérapages et des
élucubrations beaucoup moins graves que ceux des puissants que
soutient cette Fondation. Qui a attaqué l'Irak sur un prétexte
fallacieux? Qui manipule l'opinion tous les jours? Qui dirige des
services secrets échappant par définition à la surveillance des
citoyens? Qui déstabilise des États souverains pour les soumettre?
Qui fomente des troubles partout sur la planète pour préserver ses
intérêts? Qui propage des thèses absurdes pour discréditer les
adversaires? Qui écrit des faux rapports pour diffuser telle ou
telle marchandise délétère? Qui utilise des terroristes pour
lutter contre des adversaires communs? Qui dresse des populations
contre les autres? Qui ment? Qui vend? Qui gagne? A qui profite les
crimes de toute sorte commis chaque jour? Aux complotistes ou à ceux
qui les dénoncent? Qui est le plus dangereux? Le petit
conspirationniste d'Internet ou le conspirationniste d’État qui le
persécute? Derrière tout complotisme supposé, on veut toujours
trouver le futur nazi. On agite le chiffon rouge ou noir du fascisme
ou de l'antisémitisme dès que quelqu'un se pique de penser par
lui-même. Ce que l'on nie ainsi en le confirmant implicitement,
c'est le visage profondément fasciste de l'époque. Que veulent ces
démocrates autoproclamés? La pluralité progressisto-libérale,
c'est-à-dire la pensée unique sans contradicteurs.
“Dans
le monde à l'envers, le vrai est un moment du faux.” (Guy Debord
in “Commentaires sur la Société du Spectacle”). “Croire en
l'histoire officielle, c'est croire des criminels sur parole.”
(Simone Weil in “L'Enracinement”).
Pour
ma part, je n'ai aucune confiance dans la parole des médias
officiels, comme je n'ai aucune confiance dans tout ce qui vient de
l'agro-industrie, de l'industrie pharmaceutique, de l'industrie
militaire, de la culture mondaine, de la propagande étatique, de la
publicité, ou de la politique partisane . Si cela fait de moi un
complotiste, tant pis. J'ai entendu trop de mensonges venant de ces
porteurs de lumières.
Pour
avoir une chance aujourd'hui de percevoir un peu de vérité vraie,
il faut s'émanciper de tout cela.
1-
Changer son alimentation pour s'émanciper de l'agro-industrie;
2-
Changer sa façon d'envisager la santé pour s'émanciper des
professionnels de la maladie et du médicaments;
3-
Changer sa façon de voir le monde pour s'émanciper des médias et de la
culture de masse;
4- Changer son regard sur la politique pour s'émanciper des marionnettes
du prolétarisme mondialisé;
5-
Changer de logiciel philosophico-spirituel pour s'émanciper des
intellectuels d'élevage.
Avec
ça, que l'on me classe où l'on voudra. Peu me chaut!
Adrien
Royo