mardi 31 mars 2015

La conjuration des imbéciles

A la faveur des évènements récents, se développe une double hystérie bien propre à rappeler les moments les plus tragiques de l'histoire européenne. Tout le monde semble vouloir se ranger bien hystériquement dans l'une des cases toutes prêtes à l'accueillir: fascisme, antifascisme, socialisme reconfiguré, libéralisme pseudo-neutre.

Remontons le temps de façon un peu provocatrice. De la variété possible de l'offre politique des années vingt du 20e siècle, on est vite passé, une décennie plus tard, à une réduction drastique avec radicalisation, et affrontement direct de deux camps irréconciliables. L'Espagne offre un excellent exemple de cette réduction avec l'histoire du mouvement phalangiste. Fondée par Jose-Antonio Primo de Rivera, la première Phalange, deux ou trois ans avant la guerre, cherchait ses repères entre la révolution sociale et le nationalisme autoritaire. Elle élabora à la va-vite une plateforme idéologique un peu floue mais qui voulait s'appuyer sur le petit peuple et amener à résipiscence les classes privilégiées et l'Église. A la toute veille du soulèvement militaire toutefois, pressée de toute part et financièrement à l'agonie, peu soutenue par les riches, elle s'associa aux militaires et soutint le coup de force. Un peu plus tard, Franco n'hésita pas à la récupérer, à la renverser idéologiquement, pour en faire le socle de son pouvoir dictatorial, el jefe (le chef) Jose-Antonio, comme l'appelait ses sympathisants, ayant été exécuté dans sa prison de Valence dès le début de la guerre civile. Des gens qui réfléchissaient en toute sincérité, même s'ils se trompaient, à une quatrième voie entre le marxisme, la droite traditionaliste et le libéralisme, avec tout ce que cela suppose d'errements et d'ambigüités, ont été purement et simplement éliminés pour former un bloc bien carré et bien simpliste propre à s'insérer dans l'espace binaire et sans nuances de la guerre totale. La même chose s'est d'ailleurs produite dans l'autre camp, où les anarchistes ont laissé la place à de bons staliniens dociles et cyniques. C'est un petit fils de républicain espagnol qui vous parle.

Je soutiens que nous préparons aujourd'hui la même sauce pour le même genre d'agapes, avec cette différence notable et paradoxale que tout se remet en place par la volonté même de ne pas reproduire le passé. Les gens de gauche interdisent de chercher du nouveau en écrasant leurs amis sous le poids d'une histoire mal digérée, et les gens de droite, piégés dans le même cercle, servent des plats réchauffés. De tous côtés, on ferme les voies de l'analyse sereine, de la synthèse et du dialogue en se repliant frileusement sur des positions jugées sûres parce que déjà enlevées au moins une fois. Quiconque se pique de liberté prend le risque de se voir lyncher par les uns ou par les autres, et mêmes par les uns et par les autres. Interdiction de penser librement! est le mot d'ordre général. Il ne se dit jamais ouvertement, mais il s'inter-dit constamment.

Le système aujourd'hui est étouffant. Tout le monde sent bien qu'aucune proposition existante n'offre de vraies perspectives, et tout le monde vibrionne cependant en pure perte autour des mêmes idoles. On ne sait plus à quel saint se vouer, mais on se voue corps et âmes, et on s'accroche désespérément à l'épave la plus vermoulue qui s'enfonce déjà et promet la noyade. Et accepter le statu quo revient à accepter la glissade inéluctable vers l'abîme. De quelle manière la chute aura-t-elle lieu? Guerre de civilisation, prenant la forme de guerres civiles par endroits; débandade économique ou environnementale; totalitarisme techno-mondialiste ou techno-nationaliste, ou tout cela à la fois? Nul ne le sait, mais qu'il y ait chute, tout le monde le sent confusément.

Dans une telle ambiance, comment s'étonner que certains prennent un malin plaisir à faire exploser le consensus, quitte à devenir les têtes de turc de tous les autres, trop contents de pouvoir se coaliser enfin autour d'une même proie. C'est le rôle qu'a choisi de jouer Alain Soral par exemple. Soral, qui par bien des côtés rappelle ce Primo de Rivera dont je parlais précédemment, plus proche d'un Poutine ou d'un Chavez, que d'un Hitler, qui rentre néanmoins dans la case prévue du nationalisme autoritaire et de l'interprétation communautariste de l'histoire. Soral est antisémite, dit-on. C'est possible! Mais qu'il le soit ou pas, certains chasseurs d'antisémites, arc-boutés sur la mémoire du génocide préparent malgré tout comme les autres, par leur maladresse et leur hystérie, le terrain d'un beau chaos à l'ancienne. Qu'il y ait des antisémites, je ne le nie pas, mais qu'il faille, pour lutter contre eux, employer des moyens que l'on dénonce chez les autres: mensonges, rumeurs, dénigrement systématique, condamnation sans procès, lynchage médiatique et mêmes agressions physiques, me semble tout à fait contre-productif et bien propre même à créer de l'antisémitisme là où il n'y en avait pas.

Prenons l'exemple de Dieudonné, puisqu'il est associé à Soral dans la même réprobation universelle. Voilà quelqu'un qui, sauf à l'accuser gratuitement d'antisémitisme latent depuis sa naissance, avait tout, avant son sketch chez Fogiel, pour devenir l'emblème de l'antiracisme authentique. Or, voilà qu'un beau jour l'ensemble de l'establishment lui tombe dessus pour avoir fait exactement ce que Charlie Hebdo faisait toutes les semaines, et qui suscite aujourd'hui tant d'admiration rétrospective, à savoir une caricature d'extrémiste. La disproportion entre la peine immédiate qui lui a été infligée: ostracisme généralisé, interdiction de se produire, lynchage médiatique, et la nature de la transgression, était bien faite pour attirer le soupçon. Et le soupçon s'est effectivement généralisé quand la victime, loin de s'agenouiller devant ses bourreaux, se mit à en rajouter sous le costume du méchant absolu qu'on lui avait mis sur les épaules. Dieudonné joua ce jour-là malgré lui le rôle de l'agent chimique plongé dans une solution stable et qui précipite involontairement des réactions moléculaires en chaîne qui font tout exploser, révélant par l'explosion elle-même les incohérences du milieu initial. Les censeurs en cette occasion, pensant démasquer un crypto-antisémite, dévoilaient en réalité à la fois leur pouvoir et leur stupidité. Ils créèrent donc, par leur réaction disproportionnée un pseudo-antisémitisme massif, né d'un étonnement agacé ou d'une révolte étonnée. Des milliers de personnes se découvraient en effet du jour au lendemain antisémites. Le niveau s'étant abaissé si brutalement que tous ceux qui émettaient une simple critique de l'État d'Israël ou évoquaient le racisme hébreu, recevaient immédiatement leur diplôme avec félicitation du jury. Sans compter les gens que tout cela rendait curieux et qui commencèrent à chercher des réponses à des questions qu'ils ne s'étaient jamais posés. Dans ce cas précis, j'affirme que des organisations communautaires ont créé de toute pièce et de manière irresponsable ce qu'elles prétendaient combattre. Un peu comme ces obsessionnels qui finissent par réaliser le fantasme contre lequel ils avaient fondé leur existence, par peur que celui-ci leur échappe. Ce qui ne justifie en rien, bien entendu, le vrai antisémitisme qui aurait pu se développer parallèlement. Mais aussi, n'y aurait-il pas là un calcul bassement politicien consistant à créer un monstre de toute pièce pour se concilier les faveurs d'une partie du peuple encore prête à croire toutes les balivernes du pouvoir en matière de lutte contre l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le complotisme. Quoi de mieux, pour se donner des allures de gauche, lorsque la gauche réelle a disparu, que de s'inventer un extrémisme de droite? Comme naguère on s'inventa à droite un extrémisme « ultragauchiste ».

Résultat des courses, chacun enfile son petit uniforme et se précipite dans les tranchées anciennes numérotées pour rejouer la der des ders et le « plus jamais ça » en y ajoutant les variantes du jour.

J'entends bien que les victimes, ou les descendants de victimes, soient inquiets de voir que la discussion autour de l'antisémitisme recommence, mais de grâce, ne tombons pas dans le piège de la séparation et du repli. C'est en nous-mêmes toujours que le monstre doit être poursuivi, sans quoi il renaîtra inévitablement, la victime d'hier se transformant en bourreau, comme cela arrive depuis le commencement de l'histoire humaine. Si une petite flamme de vérité et d'amour subsiste, au contraire, tout n'est pas perdu. C'est de cette flamme dont il est question ici, de rien d'autre.

Le racisme est dangereux, mais certaines façons de l'affronter le sont tout autant.

L'époque réclamerait la recherche urgente d'une alternative spirituelle et idéologique, un rêve alternatif propre à désamorcer la crise ou du moins à laisser imaginer un avenir humain réellement pacifique, mais personne ne pense pour cela à renoncer aux codes préétablis, au psittacisme, au savoir pré mâché, ou aux réflexes grégaires. Il faudrait une vraie liberté de pensée, quand des barrières se dressent de partout, y compris, et plus encore qu'ailleurs, dans les espaces prévus pour elle. Cette liberté est dangereuse, oui, mais moins que le conformisme étriqué d'aujourd'hui. Cette liberté est risquée, oui, mais moins que le statuquo. Cette liberté est inquiétante, oui, mais moins que ce qui nous attend de toute manière. Des jeunes deviennent antisémites en allant sur certains sites? Eh bien, je gage que ce n'est pas en s'acharnant contre eux et en appliquant des méthodes fascistes qu'on luttera efficacement contre le totalitarisme qui vient, qui lui n'a rien d'antisémite ni de particulièrement sémite d'ailleurs, et qui s'insinue entre les rangs de l'imbécilité éternelle en ordre de bataille.

Et puis, il y a une suffisance des gens au pouvoir aujourd'hui qui dépasse l'entendement. Tout le monde prétend parler au nom du peuple et tout le monde le méprise. On le voit encore avec l'attitude de l'Europe face à la Grèce. On s'arrange soit pour discréditer sa parole, soit pour en nier la pertinence, soit pour le réduire au silence. Un des vocables inventés pour obtenir ce magnifique résultat est « populisme ». Est populiste tout ce qui n'arrange pas les élites. On dit que le peuple est bête et on s'en méfie, mais on oublie que la responsabilité de toutes les saletés de l'histoire pèsent sur la tête des dirigeants et des intelligents, pas sur le peuple qui n'élit ses représentants que parmi ceux qu'on veut bien lui présenter. La peur du peuple est sans doute aujourd'hui la peur la mieux partagée. Aujourd'hui, cette peur se manifeste par l'habitude de lui cacher l'essentiel afin qu'il ne remette pas en question le bel ordonnancement élitaire censé assurer, si ce n'est le bonheur, du moins l'avenir. Et quand par hasard il découvre tout de même quelques bribes de vérité, on l'accuse de complotisme. D'ailleurs, on se dirige tout droit, et pas seulement en Europe, vers un techno-bio-pouvoir dont le bras armé sera fait d'une minuscule élite technocratique triée sur le volet, avec une majorité d' « ignorants » faisant là où on leur dira de faire. C'est ce qui s'appelle aller vers des lendemains meilleurs. L'idée est toujours la suivante: si on laisse le peuple faire, on obtient Hitler. CQFD! Mais votez quand même! Il faut bien sauver les apparences. Bien sûr que la vérité est un jeu de miroirs, et qu'elle nous fuit toujours, mais la recherche est le propre de l'homme, et parce que certains se font piéger sur la route, on n'arrête pas le voyage.

Internet, même surveillé continuellement, est en libre accès. Tout peu se dire, y compris le n'importe quoi. Mais quand le n'importe quoi et le mépris envahissent les médias traditionnels réputés porteurs de vérités, pourquoi devrait-on le bouder. Depuis que je suis en âge de comprendre, on ne cesse de me mentir, non seulement en toute impunité, mais encore avec un cynisme hyperbolique. J'ai vu le pays de la liberté soutenir des dictatures et des groupes terroristes, la gauche devenir la droite, la démocratie se passer des citoyens, la justice s'incliner devant le pouvoir et faire preuve d'intransigeance envers les petits, l'argent aller à l'argent, des descendants de victimes devenir des bourreaux donneurs de leçon, la raison d'État s'ériger en morale, le racisme envahir l'espace public, des guerres sans morts à la télévision, des robots remplacer des hommes, des médicaments tuer, de la nourriture empoisonner, des travailleurs mourir à cause de leur travail, etc; J'ai vu tout cela et malgré tout je reste confiant. Confiant en l'homme du quotidien, le petit, le sans-grade, le tâcheron, pas le puissant, le tout-sachant, le brillant.

Je veux pouvoir penser sans avoir un censeur au-dessus de mon épaule pour me dire ce qu'il faut que je voie, que je sente, que je rêve. Je veux pouvoir me tromper. Mes références sont claires: Marx, Debord, Kurz, Postone, Lacan, Weil, Legendre, Jésus, Lao Tseu et Diogène.

Dans sa note n°11 intitulée « Conspirationnisme: un état des lieux », la Fondation Jean Jaurès, Think tank socialiste dont le premier article des statuts dit vouloir: « favoriser l’étude du mouvement ouvrier et du socialisme international, promouvoir les idéaux démocratiques et humanistes par le débat d’idées et la recherche, contribuer à la connaissance de l’homme et de son environnement, mener des actions de coopération économique, culturelle et politique concourant à l’essor du pluralisme et de la démocratie dans le monde », on trouve, à la page 8, le paragraphe suivant:
 
« Thierry Meyssan est probablement l’une des personnalités qui, avec Dieudonné M’Bala M’Bala et Alain Soral (Égalité & Réconciliation), incarnent le mieux le noyau dur de cette mouvance hétéroclite (le conspirationnisme), fortement intriquée avec la mouvance négationniste, et où se côtoient admirateurs d’Hugo Chavez et inconditionnels de Vladimir Poutine. Un milieu interlope que composent anciens militants de gauche ou d’extrême gauche, ex-«Indignés», souverainistes, nationaux-révolutionnaires, ultra-nationalistes, nostalgiques du IIIème Reich, militants anti-vaccination, partisans du tirage au sort, révisionnistes du 11 Septembre, antisionistes, afrocentristes, survivalistes, adeptes des «médecines alternatives», agents d’influence du régime iranien, bacharistes, intégristes catholiques ou islamistes.”

En effet, ce que le pouvoir appelle les complotistes ou les conspirationnistes, et que d'autres appellent les débranchés, vient de tous ces horizons. C'est déjà intéressant en soi d'abattre les frontières mentales à ce point. Qu'est-ce qui unit ces individus? Entre autre, la défiance. La défiance vis-à-vis de tout ce qui vient de la sphère médiatico-politico-culturelle officielle. Cette défiance peut conduire à des dérapages et à des élucubrations, c'est un fait. Mais des dérapages et des élucubrations beaucoup moins graves que ceux des puissants que soutient cette Fondation. Qui a attaqué l'Irak sur un prétexte fallacieux? Qui manipule l'opinion tous les jours? Qui dirige des services secrets échappant par définition à la surveillance des citoyens? Qui déstabilise des États souverains pour les soumettre? Qui fomente des troubles partout sur la planète pour préserver ses intérêts? Qui propage des thèses absurdes pour discréditer les adversaires? Qui écrit des faux rapports pour diffuser telle ou telle marchandise délétère? Qui utilise des terroristes pour lutter contre des adversaires communs? Qui dresse des populations contre les autres? Qui ment? Qui vend? Qui gagne? A qui profite les crimes de toute sorte commis chaque jour? Aux complotistes ou à ceux qui les dénoncent? Qui est le plus dangereux? Le petit conspirationniste d'Internet ou le conspirationniste d’État qui le persécute? Derrière tout complotisme supposé, on veut toujours trouver le futur nazi. On agite le chiffon rouge ou noir du fascisme ou de l'antisémitisme dès que quelqu'un se pique de penser par lui-même. Ce que l'on nie ainsi en le confirmant implicitement, c'est le visage profondément fasciste de l'époque. Que veulent ces démocrates autoproclamés? La pluralité progressisto-libérale, c'est-à-dire la pensée unique sans contradicteurs.

“Dans le monde à l'envers, le vrai est un moment du faux.” (Guy Debord in “Commentaires sur la Société du Spectacle”). “Croire en l'histoire officielle, c'est croire des criminels sur parole.” (Simone Weil in “L'Enracinement”).

Pour ma part, je n'ai aucune confiance dans la parole des médias officiels, comme je n'ai aucune confiance dans tout ce qui vient de l'agro-industrie, de l'industrie pharmaceutique, de l'industrie militaire, de la culture mondaine, de la propagande étatique, de la publicité, ou de la politique partisane . Si cela fait de moi un complotiste, tant pis. J'ai entendu trop de mensonges venant de ces porteurs de lumières.

Pour avoir une chance aujourd'hui de percevoir un peu de vérité vraie, il faut s'émanciper de tout cela.

1- Changer son alimentation pour s'émanciper de l'agro-industrie;
2- Changer sa façon d'envisager la santé pour s'émanciper des professionnels de la maladie et du médicaments;
3- Changer sa façon de voir le monde pour s'émanciper des médias et de la culture de masse;
4- Changer son regard sur la politique pour s'émanciper des marionnettes du prolétarisme mondialisé;
5- Changer de logiciel philosophico-spirituel pour s'émanciper des intellectuels d'élevage.

Avec ça, que l'on me classe où l'on voudra. Peu me chaut!

Adrien Royo