dimanche 19 juin 2011

Pour ceux qui jugeraient trop "New Age" la question des trois corps kuniques telle que succinctement exposée dans quelques articles précédents, j’apporterai les précisions suivantes :

Avec ce qu’il est convenu d’appeler le New Age, c’est-à-dire le fourre-tout moderne de la spiritualité confusionnelle, tout démarre je crois avec l’idée de nature. La Nature est en effet considérée dans ce cadre de pensée, ou d’impensée, comme un tout intemporel parfaitement organisé dès l’abord, tendu vers un but bien précis quoique mystérieux, et incluant l’homme dans sa perfection comme élément imprévisible et perturbateur. Celui-ci pouvant toutefois s’amender par soumission à sa vérité intérieure éternelle et individuelle. Il s’agit d’une Nature que j’appellerais ptoléméenne : fixe, anhistorique, intemporelle et conduite par des forces conscientes vers un but dont l’homme, étrangement, a la capacité de s’éloigner. Elle s’oppose à une nature prométhéenne, mouvante et non téléologique, dont l’homme, au contraire, serait le regard et la conscience. Il existe un excès ptolémaïque comme il existe un excès prométhéen. Le premier rejette la conscience humaine et sa liberté, l’autre fait du milieu naturel un simple réservoir d’utilités consommables. Au regard de l’un, l’homme est trop petit, au regard de l’autre, il est beaucoup trop grand. Pour moi l’homme est naturellement social, il n’a pas de nature hors du social, le social est le naturel de l’homme, le social est la nature contrôlable de l’homme.

J’en entends qui parlent du passé humain primitif, ou de certains ailleurs actuels comme d’un Eden. Selon eux, il existerait un homme naturel, caché sous l’individu social, dépositaire de la vérité. Le retrouver ou le laisser s’exprimer en supprimant les obstacles artificiels de la société et de l’intellect serait la condition du bonheur. Le corps contre le « mental », la nature contre la société, le passé contre le présent, l’ailleurs contre l’ici, la spontanéité contre la réflexion. Je préfère quant à moi l’avec au contre. Le corps avec l’intellect, la nature avec la société, etc. Je m’écarte donc résolument des hypothèses revivalistes et ne partage pas l’idée d’un univers parfait dont l’homme serait le perturbateur. Non pas que je sois d’un optimisme béat concernant l’espèce et que je fasse de la nature extérieure sa propriété (au sens économique du terme), son domaine exploitable ; seulement, je ne me représente pas les civilisations lointaines comme des paradis, et constate que l’homme, au final, n’est pas moins naturel (y compris lorsqu’il est équipé de ses multiples prothèses technologiques) que le tigre, l’escargot ou la grenouille. Qu’il a dû, comme tous les animaux, et plus qu’eux peut-être, à cause de sa faiblesse native, mener un dur combat pour survivre ; un combat avec la nature si ce n’est contre elle, auquel je ne vois aucune perfection. Et je trouve légitime, pour un être vivant placé dans de telles difficultés, de s’équiper des outils nécessaires à sa liberté et à sa vie. Que ces outils ensuite deviennent contre-productifs et qu’ils prennent une forme telle qu’ils finissent par compromettre sa propre survie, et, au-delà, la vie même de son écosystème, ne signifie pas pour autant leur disqualification définitive ni le reniement de l’homme lui-même en tant qu’animal maladroit. Au contraire, je garde espoir que son potentiel puisse un jour construire la maison sociale idoine dans et avec la nature qui l’environne et le nourrit. Pourquoi aller chercher des explications fumeuses, indémontrables en tout cas, et pour cela faisant appel à la croyance et parfois à la crédulité, alors que la raison suffit pour forger les projets nécessaires à la réalisation humaine. C’est cela le New Age, la fuite dans les délires pour échapper au délire. Je préfère tenter d’échapper au délire par la raison. Son excès suscite des fantômes, mais son sommeil, nous le savons depuis Goya, produit des monstres. Car l’intellect n’est pas moins naturel que le corps, et d’ailleurs, il me semble que les humains New Age font un usage excessif de ce qu'ils méprisent lorsqu’ils justifient par le langage, en des pages et des pages de textes, leurs théories du corps.

Je trouve personnellement inutile, si ce n’est à des fins mercantiles ou de pouvoir, de faire de la nature un paradis méconnu qu’un primate dégénéré se plairait à renier, plutôt qu’un environnement-corps ni bon ni mauvais, qui existe simplement ainsi et pas autrement, comme ce primate existe lui-même avec ses imperfections.

Adrien Royo

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