vendredi 30 décembre 2011

Sauve qui peut ! La vie ? Non… Partout l’on s’active pour sauver l’économie. Cette économie si précieuse que nous devrions y sacrifier nos vies même. Pour sauver la croissance, égorger les enfants ? Autour de l’autel, les prêtres, les experts omniscients, intercesseurs des dieux, préconisent et vaticinent. Faire grossir la Bête, affamer les hommes. Bête pas assez grosse, Jaggernaut pas assez grand encore. Le prédateur mythologique en recherche de proies. Toujours plus. Sous l’orage, le troupeau rassemblé tend l’oreille à l’oracle. Des efforts, encore, jamais assez. Le chaos est béni. Bacchanales modernes, danses de mort. Devant les écrans Bloomberg, crocs et griffes dehors, l’homme-chacal, l’homme-hyène opère le meurtre. Sans scrupules, sans morale et sans joie, il décime de loin. Laissons faire, laissons aller ! Mais prions alors, pour nos pauvres carcasses.


Adrien Royo

mercredi 21 décembre 2011

Il faut toujours à un moment ou à un autre rembourser ses dettes, nous répète-on à longueur de temps. Qui paie ses dettes s’enrichit. Etc. Cela paraît logique. En effet, si vous payer vos dettes vous êtes plus libres. Sauf que le système ne fonctionne absolument pas sur ces principes, et que même il s’appuie sur des fondements à l’opposé de ce bon sens. Pour lui, au contraire, qui s’endette s’enrichit et plus on a de dettes, mieux se porte l’économie (avant l’explosion inévitable des bulles, bien entendu). Vive la bulle ! Semble-t-il déclamer tous les jours qui le séparent de la catastrophe finale. La croissance infinie est au prix de ce déséquilibre permanent, on le sait depuis Marx. Inutile donc de nous la jouer façon vierge effarouchée. De ce point de vue, François de Closets est une vierge parfaite ou un imbécile notoire, quand il nous rappelle à l’ordre de la bonne gestion. Lui et beaucoup d’autres : Attali par exemple, voudraient gérer la Mafia avec des règles de bénédictins, comme s’ils ne connaissaient pas les lois de cette Mafia dont ils ne cessent par ailleurs de chanter les mérites. Il aurait suffi que l’Etat soit moins généreux, et tout aurait été parfait. La Mafia est idéale quand on la laisse agir tranquillement sans s’occuper des pauvres. Mais il s’est endetté, cet idiot. Et pourquoi ? Pour payer des fonctionnaires, assurer des services publics, faire la guerre, construire des centrales nucléaires, des autoroutes ou des TGV, et surtout payer le service des intérêt de la dette. Comment vivrait la Mafia si personne ne s’endettait plus ? Le crédit est au cœur du système. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille supprimer le crédit. Il serait utile en revanche, comme le font Frédéric Lordon, Paul Jorion, Etienne Chouard, Bernard Friot et d’autres, de s’interroger sur la façon de l’obtenir. De s’interroger donc sur la Mafia elle-même et pas seulement sur ses conséquences.

Adrien Royo
 

mardi 20 décembre 2011

Le fonctionnement des choses

Voici trois ou quatre ans que je me promène dans le monde avec une sorte d’amulette invisible autour de la langue. Cette amulette, ce porte-bonheur, cet objet sans importance, propice à tous les contenus, et dont la forme, pourtant, se précise en moi comme une voile lointaine émerge de la brume, je l’appelle kunisme. Quel sens a pris cette amulette au fil du temps ? Qu’est-ce que le kunisme ? C’est ce à quoi je vais m’efforcer de répondre ici avec le maximum de concision et de clarté. Sachant, néanmoins, que le chemin qu’il s’agit d’emprunter n’est pas des plus faciles. Pour les amateurs de hors-pistes tout ira bien. Pour les autres, il paraîtra sans doute désespérément abrupt.

Je ne suis ni philosophe, ni universitaire. Aucun diplôme ni aucun parrainage ne garantira mon discours. Je n’ai aucune légitimité sociale pour m’adresser à vous aujourd’hui en dehors de celle que s’octroie tout artiste pour communiquer. Et je me sens artiste. Même si je déteste le mot quand il sert à se défausser de toute responsabilité sociale. C’est donc en artiste que je vous parlerai.

Ainsi, en vertu de l’idée que tout projet repose sur l’invention d’un langage propre, et que le système actuel est une de ces inventions, j’entends assumer avec le kunisme la création d’un nouvel espace symbolique et donc d’un nouveau langage. Langage destiné à rendre compte de l’existant et à promouvoir une alternative. Or, travailler le symbolique consistant d’abord à travailler les mots, je me propose de changer les mots de la critique pour les adapter à la réalité d’un monde étrange et nouveau. Qu’est-ce que le kunisme ? Rien moins qu’une tentative de reformulation complète de la critique radicale, c’est-à-dire du champ symbolique opposé au collectivisme libéral.

Mais avant d’escalader la montagne, arrêtons-nous un instant dans les marais de la contradiction moderne. L’accolement surprenant des deux termes considérés comme antinomiques, collectivisme et libéral, servira de prétexte à une flânerie liminaire. Pratique d’un regard avant sa théorie.


Première digression

N’oublions pas : l’idéologie nous piège et les mots de la tribu nous font perdre le réel. Qu’est-ce que l’idéologie ? Au sens marxien du terme, un regard social autopromotionnel. Propagande et marketing. Ainsi, notre société « démocratique » se regarde-t-elle comme un espace idéal d’expression de la liberté individuelle. Le marché « libère » les individus de la pression communautaire antérieure. Il détruit les alliances et jette les citoyens de la république bancaire dans l’arène des égos. Chaque individu dépend de lui-même et lutte pour lui-même. Libéré de la famille, de la nation, du seigneur, de l’Eglise, du village et des corporations, il peut enfin s’épanouir pleinement. Dans ce contexte, le mot libéral jouit d’une connotation particulièrement favorable et positive. L’étymologie le confirme: libéral 1. « qui donne avec largesse, générosité » ([Benoît de Ste-Maure,] Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 44259); 1549 liberal de (Est.); 2. « qui convient à un homme de condition libre » (Dialogue Grégoire, éd. W. Foerster, p. 55, 7); Empr. au lat. liberalis « relatif à une personne de condition libre » d'où « bienfaisant, généreux » et « noble » proprement « qui convient à un homme libre », dér. de liber « libre ». (Source : CNRTL, Centre National de Ressources textuelles et lexicales, sur Internet).

Irrépressiblement, donc, libéral consonne avec liberté. Le libéral : chantre de l’individu en lutte contre toutes les contraintes sociales. Etymologie de liberté : 1. « pouvoir qu'a la volonté de se déterminer sans subir aucune contrainte » (Sapientia ds Dialogue Grégoire, éd. W. Foerster, p. 289, 18); 2. « Immunités, franchises » (Charte de franch. octr. à la ville d'Orgelet, Tuetey, Ét. sur le dr. munic. en Fr.-Comté, p. 189 ds Gdf. Compl.); 3. « Degré le plus élevé d'indépendance reconnu à un groupe social » (Bersuire ms. B.N. no 20312 ter, f. 27 verso ds Littré);  4. « Condition de l'homme qui ne dépend pas d'un maître » (Lett. de Ch. le Bel, A.N. JJ 62, fo 178 ro ds Gdf. Compl., s.v. franchise); 5. « État de quelqu'un qui n'est pas prisonnier » (Psautier Lorrain, éd. Fr. Apfelstedt, XVII, 19); 6. « Possibilité pour quelqu'un d'agir sans contrainte » (op. cit., t. 1, p. 101); « absence de toute contrainte sociale ou morale; hardiesses en paroles » (Est.); 7. Empr. au lat. libertas, -atis « état de celui qui n'est pas esclave ». (Source CNRTL sur Internet).

Toute opposition au libéralisme, dès lors, ne pourra plus venir que d’une idéologie collectiviste liberticide ou d’un communautarisme réactionnaire.

A partir du XVIIIe siècle, en France et en Angleterre, le libéralisme économique, néanmoins, assume ses fondements pratiques. Il théorise et justifie l’égoïsme. Auparavant, tout au long du XVIIe siècle, les jansénistes français et les puritains britanniques, main dans la main (invisible), préparèrent le terrain idéologique en débarrassant l’individu de toute responsabilité concernant le mouvement « naturel » de la société. Les réflexes individualistes les plus vulgaires trouvèrent opportunément leur place dans une morale nouvelle fondée sur l’idée que les hommes sont trop petits pour regarder le monde en face. L’individu, n’ayant qu’une vision parcellaire du mécanisme général, devait désormais travailler à sa prospérité personnelle en laissant les grands rouages capitalistes agir tranquillement par automatisme. Voir à ce sujet les livres de Dany-Robert Dufour et Jean-Claude Michéa. Lorsque le Dieu du Jugement se fait horloger, il ne s’agit plus de mériter un Paradis mais de respecter le fonctionnement d’un processus. La bourgeoisie ramène Dieu sur la terre et l’installe dans ses bureaux administratifs. Il devient en quelque sorte un Gestionnaire de la maison commune (définition de l’économie : gestion de la maison) sans que Ses Voies pour cela s’en trouvent plus pénétrables. Les ouvriers aveugles que nous sommes participent en effet, chacun de leur côté, à l’œuvre totale, sans jamais avoir accès au plan d’ensemble et sans pouvoir distinguer par eux-mêmes le bien du mal. En bref, à partir de Pierre Nicole, théologien de Port-Royal, et Bernard Mandeville, auteur hollandais de la Fable des Abeilles, et plus encore après Adam Smith, le moraliste écossais, Dieu et la richesse matérielle ne font qu’un. Tout acte vicieux qui accroît celle-ci devient vertueux, et en retour tout acte vertueux qui lui fait obstacle devient vice. S’opère donc, pendant la période classique européenne, un retournement complet de la morale traditionnelle, doublé d’un phénomène curieux d’échange de libertés. Alors que dans le monde ancien, politiquement coercitif, les individus libres métaphysiquement avaient à faire leur preuve pour mériter Dieu, les hommes politiquement libres de la modernité se trouvent soumis à l’économie théologisée. Dieu n’agissant plus que par et dans l’économie, c’est elle, et uniquement elle désormais, que l’individu doit mériter. D’un projet de liberté, nous sommes passés à l’esclavage divin. Dieu gouverne l’économie qui gouverne les hommes.

Alors de trois choses l’une, ou bien le monde piloté par Dieu est mauvais, et ce n’est pas Dieu qui domine mais le Malin ; ou bien le monde est bon, malgré ce qui se présente à nos yeux, et nous devons nous résigner ; ou bien encore nous sommes toujours libres sans le savoir, l’économie est notre affaire, et Dieu, qui n’est pas horloger, nous jugera sur nos actes. Quoi qu’il en soit de ces trois hypothèses - que nous soyons les prisonniers du Mal, de Dieu ou de nous-mêmes - par quelle trappe invisible a donc pu disparaître, pendant que nous parlions, l’individu libéral avec sa liberté ?

Serait-ce qu’il n’a jamais existé ? Il est en tout cas très visible aujourd’hui que derrière une apparence individualiste, nos sociétés « démocratiques » séparent et isolent les individus pour mieux les transformer collectivement en objets mécaniques uniformisés ; qu’elles exaltent le citoyen libre pour mieux ressaisir l’homme à la nuque ; pour qu’il vienne de lui-même, en quelque sorte, se placer sous le joug. Et de fait, cet individualisme extérieur constitue le meilleur appât et le plus grand leurre. Appât pour moralistes pressés et leurre pour contestataires. Souvenons-nous des propos de Guy Debord dans sa « Société du Spectacle » : « De même que la logique de la marchandise prime sur les diverses ambitions concurrentielles de tous les commerçants, ou que la logique de la guerre domine toujours les fréquentes modifications de l’armement, de même la logique sévère du spectacle commande partout la foisonnante diversité des extravagances médiatiques. » Comment pourrait-on répondre avec un si grand empressement aux injonctions économiques, achetant comme on nous dit d’acheter, travaillant comme on nous l’ordonne, si nous étions réellement ce que nous nous croyons, c’est-à-dire des individus libres et autonomes ? Que l’injonction prenne la forme érotique d’une caresse entre les jambes, ne change rien à l’affaire. Plus sournoise, elle n’en est que plus efficace. On n’imagine pas le niveau d’inertie intellectuelle que peut atteindre un organisme social travaillé par l’idéologie. Surtout l’idéologie du laisser faire et de la jouissance immédiate. Tout se passe comme si la société avait besoin du masque de l’individu pour anéantir sa réalité. Au minimum, il devient évident avec les crises actuelles qu’elle dissimule son mécanisme réel derrière un simulacre. Simulacre individualiste qui lui permet par surcroît de dénoncer, avec une violence et un acharnement hystérique et donc suspect, un collectivisme adverse, reflet du sien. Mais reconnaissons que l’ennemi ainsi désigné joue avec enthousiasme son rôle d’idiot utile lorsqu’il accepte de porter la casquette ouvrière du collectiviste assumé s’insurgeant contre l’égoïsme bourgeois. Ce que l’un s’efforce de nier, l’autre veut l’assumer en créant ce qui existe déjà. Au sens propre, en enfonçant une porte ouverte. Et c’est ainsi que depuis plus d’un siècle, les représentants de la contestation traditionnelle s’épuisent à combattre toujours les mêmes fantômes. Ce n’est pas parce que les libéraux ont construit leur fond de commerce sur la liberté individuelle, qu’elle existe réellement. Je dirai même, prenant ainsi à contre-pied toutes les oppositions, que le primat de la société sur l’individu, c’est le libéralisme qui l’incarne le mieux. Au collectiviste malgré lui (le libéral), répond toujours un libéral qui s’ignore (le socialiste). Car le libéral pense à l’individu en fabriquant dans ses usines un monstre qui l’anéantit, tandis que le socialiste pense à la collectivité en travaillant au même projet monstrueux d’anéantissement individuel. Marx avait donc vu juste en affirmant que le système capitaliste était un « reniement achevé de l’homme ». Car l’homme se renie par la promesse non tenue de liberté individuelle. Et cela va plus loin, entendons-nous bien, que les questions de liberté formelle ou réelle. Il ne s’agit pas de savoir si l’énoncé de la liberté correspond à sa pratique, mais de chercher, dans les fondements technologiques des économies modernes, dans le hardware social, ce qui pourrait ressembler à quelque chose comme un virus endogène liberticide. Je me contente ici de prolonger certaines réflexions marxiennes, que l’on trouve notamment dans le Manifeste de 1848, concernant l’anéantissement par le capitalisme des valeurs bourgeoises. Valeurs, pour la plupart, récupérées de l’Ancien Régime. Pour Marx et Engels, l’avènement de la bourgeoisie en tant que classe dominante coïncidait avec la destruction de celles-ci. La bourgeoisie existe pour détruire la bourgeoisie, voilà le marxianisme. Il me semble que l’on n’a pas tiré toutes les conséquences de cette analyse. Citons un passage du Manifeste : « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, donc les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. La conservation immobile de l’ancien mode de production était au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de l’existence. Ce bouleversement continuel de la production, cet ébranlement ininterrompu de tout le système social, cette agitation et cette perpétuelle insécurité, distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux traditionnels et figés avec leur cortège de notions et d’idées antiques et vénérables se dissolvent ; tous ceux qui les remplacent vieillissent avant même de pouvoir s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont enfin forcés de jeter un regard lucide sur leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques. » Et Guy Debord d’ajouter : « La croissance économique libère les sociétés de la pression naturelle qui exigeait leur lutte immédiate pour la survie, mais c’est alors de leur libérateur qu’elles ne sont pas libérées. L’indépendance de la marchandise s’est étendue à l’ensemble de l’économie sur laquelle elle règne. L’économie transforme le monde, mais elle le transforme en monde de l’économie ».

L’individualisme libéral correspond donc à la réduction programmée de tout individu à une marchandise ou à un support de marchandise. L’absolutisme du libre-échange ayant besoin de l’individu isolé, donc inconsistant, pour s’exprimer pleinement. Derrière la marchandise bigarrée, libre de se déplacer d’un corps à l’autre, se cache la valeur d’échange uniformisatrice, traduite en argent. L’injonction libérale sollicite l’égoïsme en supprimant toute valeur extérieure à la pratique du commerce et précipite les individus dans une confrontation tragique avec leur néant. Enveloppes solitaires vidées de leur contenu social, ils se voient obligés désormais de chercher en eux-mêmes, dans une fuite en avant narcissique, le fondement introuvable de leur existence séparée. L’homme n’étant au fond qu’un support de naissance qui a pour mission de naître à lui-même en passant par l’autre, la marchandise ne peut que le sortir de son projet fondamental et provoquer chez lui le narcissisme terrorisé des bannis. Exilé de son monde, renvoyé à son seul intérêt matériel, sommé de lutter contre tous les autres, chacun des hommes de la modernité, sous le soleil bancaire, perd peu à peu son ombre, c’est-à-dire son âme. L’éternel midi de la consommation satisfaite et de l’égoïsme bien pensant interdit la projection désintéressée de soi vers l’autre. De cet enfer collectif pavé de bonnes intentions, nul ne peut sortir qu’en refusant la solitude libérale, négation de l’individu, l’exact contraire de la solitude ascétique. Le libéralisme étant un collectivisme, dans le sens où le comprend aussi Debord : «… C’est tout le travail vendu d’une société qui devient globalement la marchandise totale dont le cycle doit se poursuivre. Pour ce faire, il faut que cette marchandise totale revienne fragmentairement à l’individu fragmentaire, absolument séparé des forces productives opérant comme un ensemble. » ; c’est au nom de l’individu, désormais, qu’il faudra le répudier.

La morale de l’histoire, c’est que la liberté n’existe ni pour l’individu soumis à son corps social ni pour celui qui s’en croit totalement affranchi. Nous reviendrons sur ce « déni du corps » qui se trouve être aussi, dans la situation qui nous intéresse, le corps du délit.

La grille de lecture que je propose ici permet de mieux comprendre ce qui s’est joué au vingtième siècle avec les différents socialismes appliqués. Faute de saisir le réel dans toute sa profondeur contradictoire, on s’est beaucoup écharpé autour de fantômes. Ceux qui comprennent cela, ne sont pas étonnés du tour qu’a pris l’histoire. Elle réunit maintenant les frères ennemis de ce que Guy Debord appelait le Spectacle, désignant ainsi l’espace idéologique commun aux deux blocs « irréconciliables » de la Guerre Froide. Le spectacle diffus (du côté libéral) et le spectacle concentré (du côté communiste) fusionnant dans les années 1980, et aboutissant, d’après lui, au spectacle intégré qui domine aujourd’hui sous le nom de néo-libéralisme.

Où l’on constate que cet individu dont on nous rebat les oreilles, il nous reste encore à l’inventer. Cette invention passant par l’organisation d’une société qui établirait les conditions de sa naissance. Car l’individu libéral n’est, comme l’individu socialiste, qu’un ersatz d’individu, un cyborg au service de l’économie. Le véritable individu, s’il doit exister, se rendra maître de lui-même par le contrôle collectif de son extériorité sociale.

Nous venons de voir les grands effets d’une petite manipulation symbolique. Il y en a beaucoup d’autres du même genre. Quel est donc le procédé kunique appliqué à cette situation? La Restauration du sens des mots affectés d’idéologie et l’attribution d’un sens nouveau à des mots désaffectés ou détournés. Il s’agit de mettre au jour les contradictions structurelles, sans se limiter aux structures économiques, dans un style marxien mais pas marxiste.

Ce que l’on gagne à sortir des autoroutes obligatoires de la pensée pour flâner au hasard des chemins inconnus.

Mais d’où vient le mot lui-même ?


Kunique

Kunique est un équivalent de cynique. Il renvoie à l’école philosophique grecque du même nom. Philosophie du corps naturel, incarnée dans l’imaginaire collectif par Diogène de Sinope avec son tonneau, sa lanterne et ses masturbations publiques. Celui-là même qui répondit au grand Alexandre, venu lui demander ce qu’il pouvait faire pour lui, de s’écarter de son soleil. Des penseurs Allemands ont élaboré kunisme au siècle dernier pour marquer la différence avec cynisme, couramment utilisé aujourd’hui pour parler d’une attitude méprisante et hautaine. Je le reprends à mon compte en lui donnant une coloration différente. Je m’en sers comme d’une sorte d’aimant chargé d’attirer à lui tout ce qui permet de mieux lire le cynisme addictif (que je tiens pour l’idéologie dominante) et d’échapper à ses pièges. Mais voilà une nouvelle juxtaposition de termes qu’il me faut expliciter.


Deuxième digression

Le cynisme est une posture sociale consistant à se soumettre à une réalité déclarée naturelle, non humaine, et donc incontournable. C’est comme ça, on n’y peut rien, profitons de ce qui existe, carpe diem, prenons ce qu’il y a à prendre, il y a toujours eu des riches et des pauvres, après nous le déluge. Addictif, est l’effet d’une telle posture idéologique sur les masses. Celles-ci désormais sont priées de profiter de l’instant présent, qu’elles le veuillent ou non, selon des normes contraignantes qui abolissent le futur et le passé. Les punks seventies avaient bien deviné cette injonction nouvelle quand ils choisirent la voie de la destruction pour tenter d’exister malgré tout. Le retour du même sous des déguisements variés (la mode), est l’expression ultime de ce présent éternel de la marchandise sans histoire et sans projet. Tout détruire, ou disparaître dans la dépendance pathologique aux différents produits dont nous sommes submergés. Drogués ou violents, violents et drogués, tel paraît être le devenir nouveau des citoyens mutants de nos sociétés libres. Bernard Stiegler, le philosophe de la technique, appellerait cela, captation de l’énergie libidinale (énergie du corps désirant) par le marketing et la publicité.

Le cynisme addictif se distingue en somme par la résignation et la dépendance. Résignation devant la dernière création humaine collective naturalisée et dépendance à ses produits. Naturalisation par déni du potentiel créatif humain, dépendance par soumission à l’objet social. L’homme ne crée pas collectivement son environnement technologique, il gère le déterminisme naturel et subit l’œuvre d’un grand Autre. Fuyant ses responsabilités, il s’auto-confisque à lui-même son propre travail pour le confier à une puissance quelconque qu’il s’est choisi. C’est ainsi qu’il perd la main et que sa propre organisation lui devient invisible. D’autres appelleraient cela, aliénation. Dès lors, à quoi bon se révolter ? Se révolte-t-on contre une éruption volcanique ? Nous avons la résignation. Et pourquoi pas désirer ce qu’on nous donne comme le chien veut l’os que son maître lui cède ? Nous avons la dépendance.

A ce cynisme-là, j’oppose donc le kunisme.

Terme choisit d’abord pour sa puissance expressive. Décision artistique plus que philosophique, ce qui n’interdit pas de continuer brièvement à explorer son origine.

Kunos signifie chien en grec, canis veut dire chien en latin. Du premier dérive kunique, de l’autre vient cynique. Il y a donc dans kunique la volonté de retrouver les fondements grecs du concept. Chien de la philosophie, le philosophe kunique ancien est avant tout un ascète, un homme du dépouillement, une sorte de yogi occidental dépravé qui croit en la nature contre la société. Il y a du Rousseau là-dedans, mais sans le contrat social. Il y a du Robinson aussi, et du Don Quichotte peut-être. Du Sancho Pança en tout cas. Imaginons un Sancho robinsonné au milieu d’une grande ville. Un SDF vivant nu dans un tonneau, complètement indifférent aux lois et aux pratiques sociales. Vilipendant à longueur de journée ses compatriotes et satisfaisant ses besoins physiques au moment même où ils se présentent et à l’endroit même où il se trouve, sans souci d’aucune bienséance ; pensant que le bien consiste à se défaire des habitudes sociales, de diminuer ses besoins artificiels et de se tenir au plus près de l’état naturel. Il faut l’imaginer hurlant, vitupérant, dans une sorte de ministère du bien naturel contre le mal social et l’hypocrisie. Un décroissant sous la lune, à poil au milieu des gens, mangeant ce qu’il trouve, buvant itou, moquant la faiblesse de ses contemporains, crachant sur les puissants. Un Bakounine sans prolétariat ni révolution.

Bon, voilà, pour le passé ! Mais moi qui suis beaucoup plus introverti, loin des exhibitions publiques et des exubérances verbales ou physiques, je me contente d’exercer ma liberté de penser, le nez dans mes bouquins, hors des cadres établis et dans l’illégitimité la plus assumée. Un pirate en chambre, par conséquent. Un kunique en peignoir.

Pour mieux situer le kunisme, tel que je l’entends, dans le champ de la pensée contemporaine, précisons qu’il se trouve au carrefour de quatre axes principaux. Le premier, suivant la ligne marxienne, passe par Debord et débouche sur la critique actuelle de la valeur, le deuxième parcoure les territoires de ce que Peter Sloterdijk appelle des systèmes d’exercices (les traditions spirituelles), le troisième traverse le champ freudo-lacanien et le quatrième reste fidèle à la synthèse écologique gorzienne en rejoignant l’élan artistique initial. Tout cela avec un arrière-plan grec et chinois. Grec avec les cyniques, chinois avec Tchouang Tseu (traduit par Jean-François Billeter). Marx et Debord pour l’analyse économique et idéologique de l’existant, Lacan et les systèmes d’exercices pour la valeur symbolique des activités humaines, André Gorz pour la liberté de conscience, l’art pour tout autre chose que l’art.

Que faire avec tout cela ? L’idiot peut-être, tout simplement.

Voyons, donc.


Idiot

Le terme idiot a deux origines : l’une est grecque encore (idios), et veut dire particulier, singulier ; l’autre est latine (idiota) et signifie sot, ignorant. Un simple mélange des deux nous donnera le concept kunique. Sa définition pourrait être : singularité volontairement ignorante. Ignorante de quoi ? Eh, bien des arguties auto-justificatrices du monde tel qu’il va. Je préfère être idiot avec Lao Tseu, qu’intelligent avec Milton Friedman ou Christine Lagarde, en serait la bonne expression. L’idiotie kunique n’a donc rien à voir avec le bons sens : ramassage des restes vulgaires d’un savoir prémâché servis par le péquin au comptoir des cafés. Rien à voir non plus avec l’idiotie ambiguë d’un Jean Edern-Hallier, l’idiot international au service de lui-même. Non, notre idiotie à nous se réclame du taoïsme le plus impur (le pur taoïsme n’existe pas) en ce qu’elle rejoint les concepts d’inutilité sociale, de vide et de non-agir qui distinguent celui-ci, de même qu’ils distinguaient déjà en Europe la philosophie de Diogène, l’aboyeur athénien du IVe siècle avant notre ère.

Le cynisme pragmatique de la belle époque que nous vivons, où l’exercice le plus universellement répandu consiste à socialiser les pertes privées et à privatiser les bénéfices publics, où le personnel politique est fort logiquement sélectionné sur des critères de virtuosité dans la pratique de ce bonneteau légal, et où l’utile est associé au paiement par les pauvres de la prévarication naturelle des riches, le cynisme pragmatique, donc, nous oblige aujourd’hui à revoir de fond en comble le rapport inutilité-utilité sous l’angle de l’inutilité de l’utile et de l’utilité de l’inutile. A cette fin, il pourra s’avérer utile d’en revenir aux grands spécialistes de l’inutile que furent les ermites ou les moines paysans de la Chine ancienne. Par ailleurs, de la même façon que le trop plein des objets et des mots d’aujourd’hui favorise la conversion du regard aux différentes notions du vide, qu’il soit métaphysique comme pour le Tao ou ontogénétique comme pour Lacan, le trop agir actuel, qui n’est qu’une gesticulation insensée conduisant au néant (le néant étant comme chacun sait tout autre chose que le vide), est le promoteur paradoxal du non-agir. A condition d’entendre non-agir (wu wei) au sens d’une opposition radicale à l’agir contemporain établi.

Le kunisme se définissant comme un anti-cynisme, il était originairement destiné à  promouvoir un changement de regard et d’attitude, à provoquer une conversion. Les formes présentes de la pensée et de l’action n’étant plus en cohérence avec cette image neuve du monde ébauchée à la fin du siècle dernier par un ensemble hétérogène de critiques émergentes, il fallait dépoussiérer notre espace symbolique et changer radicalement les mots de la critique, sans égard parfois pour leur âge avancé. Les actions suivraient.

Le kunisme exige un nouveau langage, une attitude nouvelle, disais-je. Il se positionne certes sur le terrain d’une critique radicale de la société marchande, mais n’en approuve pas pour autant toutes les analyses et toutes les conclusions. Il récuse l’emploi de capitalisme par exemple pour désigner de façon définitive le mode d’existence moderne. Lui préférant prolétarisme ou cynisme addictif en raison d’une acception plus générale et moins fanatiquement économiste de ces termes. Je reviendrai sur prolétarisme. Il ne croit pas davantage dans l’individualisme libéral, mais pense au contraire que le libéralisme est un collectivisme. Il procède donc au retournement de la rhétorique conventionnelle pour laquelle collectivisme est lié au projet communiste et individualisme au projet libéral. Il réfute le partage entre spirituel et matériel. Le matériel humain étant pour lui spirituel comme le spirituel est d’emblée matériel. Il n’adhère pas non plus à la dichotomie théorie action. La théorie étant une action et l’action une théorie. Il ne voit pas dans la lutte des classes un instrument fatal ou suffisant de l’émancipation, et ne sacralise pas les forces productives. Comprenant en effet que le moteur essentiel, quoique tabou, de la machine productiviste est l’inégalité sociale, l’humanité, selon lui, n’a pas de tâche plus urgente que de s’en libérer. Quitte pour cela à sacrifier sa productivité actuelle. Car, en un choix pleinement assumé fondé sur le constat d’une impossibilité axiomatique à obtenir la richesse sans créer du même coup la pauvreté, il préfère une société moins riche pour tous à une société somptuaire pour quelques uns. Replongeant très souvent, d’autre part, dans les profondeurs marxiennes de la critique, il ne considère pas les possédants, les dominants, seulement comme les promoteurs de l’hypermachine aliénante, il les regarde aussi et prioritairement comme ses victimes consentantes, au même titre que les dominés satisfaits. Enfin, et peut-être surtout, il ne dissocie pas corps individuel et corps social, et se propose même d’élaborer une théorie des trois corps (individuel, social et cosmique) qui donnerait à envisager leur harmonisation consciente comme le maître projet humain. Lequel rejoindrait volontiers ce que l’on appelle les messages de spiritualité (des systèmes d’exercices, dirait le philosophe Peter Sloterdijk), si ces derniers n’avaient pas pour fâcheuse habitude d’oublier dans leurs équations mystiques le corps social intermédiaire dont ils font un simple décor, extérieur et neutre, pour leur théâtre de l’âme. Focalisés sur l’apparence individuelle, ils découpent la personne réelle suivant des pointillés et ferment l’accès au savoir immanent d’un corps global qu’ils avaient pour mission première d’explorer.

De tout cela ressort une attitude. Pour s’opposer à l’hypermachine aliénante, il faut démonter avec précision ses rouages et dévoiler ses paradoxes. A cet effet, une grande campagne de désintoxication doit être engagée. Car l’intoxication au cynisme laisse des traces bien plus profondes dans le métabolisme général que tout autre substance psychotrope. Une mort sociale par overdose risque même de survenir après quelques années seulement d’utilisation massive de ses fétiches. L’accoutumance y est d’autant plus rapide et difficile à vaincre que des éléments de notre psychologie individuelle profonde, capter par elle, lui servent de soutien. La phase suivante consistera à s’engager dans l’élaboration d’un contre-discours, à s’armer d’un contre-symbolisme, pour dégager une contre-action, que j’appelle un non-agir, dans la mesure où elle consiste essentiellement à désigner, à porter en pleine lumière, la nature profonde de l’être social contemporain par négation en soi, puis en nous, de ses effets, et donc de ses causes.

A l’heure où j’écris ces pages, un mouvement, explorant à nouveaux frais les possibilités d’une action véritablement spontanée, se développe en Espagne : le mouvement des indignés, dont le nom fait référence au livre à succès d’un vieux résistant français toujours sur la brèche. Ces indignés souhaitent à l’évidence reprendre l’histoire à zéro. De Madrid ou d’ailleurs, ils répondent par exemple à ceux qui s’inquiètent de savoir s’ils sont ou non contre le système que c’est plutôt le système qui est contre eux. Voilà un bel exemple de retournement « kunique » d’un révolutionnairement correct devenu insupportable à force de platitude et d’auto-satisfaction puérile, et pour lequel il est valorisant (ah! le grand papa 68) de s’autoproclamer rebelle et marginal face à un système exécré, tenu pour ontologiquement extérieur à soi. Ce que comprennent instinctivement les indignés, au contraire, c’est que rien dans le système n’est véritablement extérieur et que sa forme est en chacun de nous. Que sa forme est ce « nous » même.

Sont-ils dans le non-agir, alors ? Certes oui, puisqu’ils ne font en somme que prendre leur place (tomar la plaza), comme ils disent ; démontrant ainsi, s’il en était besoin, le peu de place que réserve à l’homme ordinaire l’avènement du monstre techno-social créé par lui et qui n’est que lui-même s’effondrant sur lui-même, le corps social tombant sur le corps individuel. J’en déduis que le non-agir consiste à trouver le bon souffle et la bonne position pour s’installer devant soi-même et se faire honte (vergogne) d’avoir édifié un corps social aussi mal assorti à un corps individuel potentiellement souverain, bien planté dans l’axe du monde.

Changer les mots de la critique pour mieux saisir les maux du corps, puis changer le corps des mots pour mieux se saisir soi-même dans le vide harmonisateur de l’être, telle est donc la voie kunique, telle est donc son idiotie.

D’abord, changer les mots de la critique, disais-je. Après la requalification du libéralisme en collectivisme, tout à l’heure, prenons un exemple de remplacement kunique d’un mot courant de la contestation, prolétarisme, que j’ai employé tout à l’heure, à la place de capitalisme.

Prolétarisme

J’ai toujours pensé que capitalisme était un terme inapproprié pour désigner le projet anthropologique global, fût-il inconscient, de notre mode de production. Qu’il était réducteur et pas assez évocateur. Moins évocateur assurément que servage ou esclavage, décrivant les périodes antérieures. Je lui préfèrerais, ô combien, prolétariage par exemple, ou salariage, qui souligneraient d’emblée le devenir instrument des hommes d’aujourd’hui, le projet évident de réduction existentielle. L’un de ces termes (prolétariage aurait ma préférence) permettrait aussi d’entrevoir une sortie du clivage absurde et inopérant capitalisme-anticapitalisme. Car un simple changement de propriétaire, comme nous le confirment des expériences récentes in vivo, ne garantirait nullement une sortie de ce prolétariage ou prolétarisme.

Bien que l’économie mérite une grande attention, et que nous acceptions les grandes lignes de son analyse marxienne, quel esprit réellement scientifique aujourd’hui pourrait négliger l’hypothèse réaliste selon laquelle notre mode de production, « le monde à l’envers », « le reniement achevé de l’homme », serait, non pas l’ultime étape avant l’émergence d’un monde réconcilié, sans classes, mais la dernière avant l’autodestruction? Autrement dit, pourquoi refuser d’imaginer notre mode de création de richesses comme le dévoilement d’une pratique humaine indépassable en termes économiques ? Imaginons un petit instant que ce qui s’appelle encore capitalisme ait eu seulement pour l’humanité une valeur définitive de concientisation. Qu’il ait mis en lumière sa part maudite. Imaginons qu’un grand miroir se soit tout à coup dressé sur le monde, et qu’il nous permette enfin de sortir de notre ignorance.

Le matériau fondamental du kunisme est l’imaginaire collectif. Le kunique se voit comme un « sculpteur social » travaillant le paradoxe et l’abstrait réel de nos sociétés comme d’autres travaillent le bois ou le métal. Et dans son travail actuel, il croit donc indispensable de faire advenir prolétariage ou prolétarisme à la place de capitalisme. Il paraîtra évident à tous, après une courte introduction à la nouveauté du terme, que capitalisme dit moins que prolétariage, qui évoque immédiatement une action concrète sur les corps individuels, une situation précise et un rapport social, au même titre qu’esclavage ou servage. Car produire des esclaves, des serfs ou des salariés, des prolétaires, est l’activité principale des trois types d’organisation sociale envisagés. Cependant, le terme salarié étant associé à ceux de liberté, d’émancipation et de progrès, interdiction nous est faite à jamais de le déprécier en le mettant, par exemple, sur le même plan que les catégories antérieures de dominés. La théorie marxienne se voulait pourtant dépassement de l’Etat et du salariat. Pourquoi dit-on esclavage et pas prolétariage, esclavagisme et pas prolétarisme ? Alors même que prolétaires et esclaves partagent nombre de points communs. Sans doute parce que le prolétaire incarne, pour le libéralisme comme pour le marxisme, le sommet de l’évolution humaine. De manière honteuse, inavouée, refoulée, pour l’un, de façon enthousiaste pour l’autre. Le libéralisme fabrique des prolétaires, c’est-à-dire des dépossédés, tandis qu’il pense œuvrer pour la liberté. Le marxisme, quant à lui, se propose de les fixer, après qu’ils ont été produits, dans le marbre idéologique. D’un côté, on se ment à soi-même, de l’autre, on oublie la finalité première qui était le dépassement du prolétariat. Avec prolétarisme, on revient à la réalité d’un corps soumis et aliéné. Il ne faut pas chercher plus loin, je crois, la raison pour laquelle on lui préfère capitalisme, plus technique et plus abstrait. De même, l’expression mode d’exploitation a pour avantage de nous placer, mieux que mode de production (à la relative neutralité), dans une perspective immédiatement sensible. D’un mode de production, fût-il historique, pourquoi se dégager ? Alors que d’un mode d’exploitation, fût-il naturel, pourquoi ne pas sortir au contraire ? La première victoire de l’idéologie est de nous avoir fait accepter sans barguigner un langage de spécialiste-expert-cybernéticien-cynique véhiculé avec le plus de conviction par ceux-là même qui voudraient le combattre.

Une des leçons à tirer de l’histoire, est que chaque mode d’exploitation produit sa vision du monde, sa réflexivité. Celle du prolétariage se caractérise par un rationalisme étroit et circulaire se prouvant à lui-même sa propre supériorité dans un champ qu’il a lui-même choisi. Les Lumières marquèrent sa naissance d’une empreinte héroïque. La Raison dit alors : « que la lumière soit ! » et la lumière fut. Mais on crut à la transparence, et la transparence ne fut pas, on crut à la justice, et la justice ne vint pas. C’est le mérite de Peter Sloterdijk, encore lui, d’avoir montré dans sa « Critique de la Raison Cynique » les liens nécessaires entre Lumières et cynisme. L’objectivité supposée, sous-tendue par la démonstration scientifique, d’une conscience détachée et surplombante, conduit tout droit au cynisme, c’est-à-dire au regard froid et satisfait sur sa propre situation, surtout lorsque cette situation n’est pas trop inconfortable. Les Lumières aboutissent finalement à un gigantesque processus de naturalisation (au sens d’empaillage) de la réalité. On réduit d’abord un être à son connaissable (en le tuant par exemple), pour ensuite conclure à sa totale connaissabilité. Mais, au surplus, pour reprendre encore le Manifeste du Parti Communiste, la bourgeoisie « a noyé l’extase religieuse, l’enthousiasme chevaleresque, la sentimentalité du petit-bourgeois dans les eaux froides du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation, voilée par les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, directe, brutale, éhontée. » Comment ne pas être frappé par l’actualité de ce discours, énoncé il y a presque deux siècles. Intrinsèquement, le prolétarisme est donc une vaste entreprise de désenchantement avec pour seul critère moral l’efficacité économique. Certains, comme Adam Smith, on crut y voir la Main de Dieu. Dieu ne peut vouloir le Mal, le Marché est une création de Dieu, donc le Marché est bon. S’appuyant sur l’impénétrabilité de la volonté divine, il déclare, à la suite de Pascal, le philosophe, Pierre Nicole, le théologien, et Bernard Mandeville, l’auteur de la Fable des Abeilles (les vices privés font la vertu publique), que la cupidité et l’égoïsme sont les expressions de cette volonté. Nous assistons ici aux premières évocations d’un monstre collectif comme nouveau sujet théologique. Il se peut que certains de nos gestes individuels paraissent mauvais à première vue, mais c’est que notre situation personnelle à l’intérieur de la ruche nous rend difficile l’observation directe de cette totalité organisée par Dieu. A une certaine hauteur, la perfection devient au contraire évidente. Ne voyons-nous pas tous les jours la richesse des nations augmenter avec le déploiement des égoïsmes ? Mais, de Adam Smith au Marquis de Sade, il n’y a plus alors que l’épaisseur d’une feuille de vigne. Dany-Robert Dufour, professeur de philosophie à Paris VIII, à qui je dois cette approche, la fait tomber dans son livre « La Cité Perverse », sous-titré : Libéralisme et Pornographie, où il montre comment le Sade de la Révolution est l’aboutissement nécessaire et inéluctable de cette sorte d’économisation de la religion, ou de déification de l’économie, de moralisation de l’immoral, engagée par les jansénistes français du XVIIe siècle. Il en ressort que le Marquis de Sade serait le libéral le plus conséquent de l’histoire ? Un modèle souterrain, en tout cas, étalon d’une société de pervers polymorphes dopés à l’Adrénaline du Marché. Dieu organisant d’en haut les ébats de la ruche, la Main dans les culottes et dans les pantalons. D’où, là encore, l’infini grotesque des déplorations et offuscations puritaines modernes qui, occupant nos oreilles, nous empêchent d’ouvrir les yeux. La perversité est au cœur du système, pas dans la manière de le pratiquer. Le poète Pasolini savait bien que la pornographie n’était plus désormais sur les affiches de cinéma ou à la devanture des kiosques à journaux, mais partout au fond de nos existences les plus quotidiennes. A quoi bon dénoncer les effets d’une dérive sans en exposer la cause. Le cynisme, c’est aussi la naturalisation et la justification d’un ordre, la résignation, l’adoption du point de vue de la ruche, du point de vue de la machine, du point de vue du robot. Que l’on donne ensuite pour nom à cette machine Dieu ou Economie, c’est tout un.

Les premiers shoots au cynisme suscitent l’euphorie (on se croit supérieur et presque divin soi même), les suivants, comme pour la plupart des drogues, provoquent cette souffrance du manque dont on ne sort provisoirement qu’en augmentant les doses. J’ai donc nommé cette vision du monde, cette réflexivité propre au mode d’exploitation prolétarial : cynisme addictif. Et, pour contrecarrer ce cynisme, j’ai décidé d’en revenir au cynisme grec ancien que j’appelle, avec d’autres, kunisme. Diogène contre Sade en somme, car les deux jouent la nature contre la société. Mais l’un joue avec le désir et les besoins, l’autre avec les pulsions. Il y a donc nature et nature, et finalement rien n’est moins naturel que la nature pour l’homme. Et Sade est paradoxalement le plus proche d’une pure nature naturelle. Les pulsions représentant le fond humain le plus primitif. Diogène voulait encore se dominer lui-même. Il est donc de cette lignée de sages ascètes considérant qu’il n’est pas de plus grande liberté que la maîtrise de soi et la totale indifférence vis-à-vis des normes sociales du moment. Avec Sade au contraire, il n’est question que de la domination d’autrui et de la totale soumission aux pulsions individuelles. Or, ces pulsions individuelles devenant le fond de commerce du mode d’exploitation prolétarial à son zénith, non seulement leur expression n’est plus transgressive, mais encore, elle conforte et nourrit désormais le corps social métastasé dont la pathologie peut s’appeler capitalisme. Pour moi, il y a donc d’un côté l’individu (Diogène), ou la possibilité d’un individu, et de l’autre (avec Sade) la machine sociale pulsionnelle. Car il n’est d’individu réellement libre que maîtrisant son corps social, et c’est la raison pour laquelle je vois dans le kunisme un yoga du corps social.

Oui, mais que faire ?

Explorer les marges, toujours et encore.


In transition

Par exemple, mon attention fut attirée il y a peu sur l’idée de ville en transition, ou d’initiative de transition, développée ces dernières années dans quelques pays à travers le monde. Cette idée qui se répand à très grande vitesse nous vient d’Angleterre, et particulièrement d’une petite ville du sud appelée Totnes. Rob Hopkins, un professeur en permaculture, en fut l’initiateur. La permaculture est la méthode d’adaptation d’un écosystème à une logique efficace du long terme et du moindre effort. C’est un soin collectif en quelque sorte, une médecine, qui travaille sur l’idée de résilience, c’est-à-dire sur la capacité d’un système à retrouver l’équilibre après un choc violent. Appliquée à une communauté humaine, cette pratique revient à diagnostiquer ses fragilités systémiques, notamment en matière de consommation d’énergie, d’approvisionnement, de transport et d’échange, pour corriger son aménagement global en direction d’une plus grande autonomie, d’une relocalisation de l’économie, d’un plus grand respect des ressources, d’une diminution de l’empreinte écologique, d’une réappropriation des savoirs et des techniques et d’un mieux-être collectif. Prenant en compte les conséquences du pic pétrolier déjà atteint ou en passe de l’être et du changement climatique en cours, cette méthode, analyse puis réorganise le champ collectif global pour répondre aux nouveaux déséquilibres ou pour les anticiper. Les initiatives de transition proposent donc d’adapter un territoire entier, considéré comme un tout synthétique, un système complexe et cohérent, à la réalité cruciale des limites naturelles. Au lieu de créer des zones franches expérimentales ou de s’intéresser à des points isolés du système, elles analysent des espaces existant (des écoumènes comme dirait les géographes) pour en infléchir le mouvement en direction d’un plus grand respect des équilibres sociaux et environnementaux. Avec le souci premier de la dignité humaine.

Le taoïsme kunique, tel que défini précédemment, semble en parfait accord avec ces principes. D’une part la résilience rejoint l’idée d’unité entre cosmique et social. Elle cherche à harmoniser ou à rétablir les liens distendus entre environnement et activités humaines, le yin cosmique et le yang social se concevant comme les deux parties en conjugaison d’un tout. D’autre part, le concept de non-agir (wu-wei) s’adapte parfaitement à une forme d’action consistant à rediriger les forces sociales entropiques (se dispersant en chaleur inutile et polluante) vers le circuit néguentropique (freinant le gaspillage) des associations solidaires. Cette action ressemblerait alors à une sorte de gymnastique sociale taoïste, à un Qi-Gong politique. Ce que préconise par ailleurs la transition résiliente, c’est de faire de nécessité vertu, d’utiliser les crises environnementale, énergétique, sociale, économique et civilisationnelle comme moyen d’accélérer un processus vertueux d’adaptation des structures à une autre forme de communauté. Bonne alternative aux mouvements qui visent seulement la conquête du pouvoir étatique en donnant de si mauvais résultats. Ceux-là se retrouvent la plupart du temps dans l’obligation de gérer le connu en lui appliquant par la force des recettes de bonheur absurdes. Les gens de la transition résiliente pensent, au contraire de tous ceux qui répondent à la question des lendemains par le sempiternel « on verra après la Révolution », qu’une vision précise des lendemains est justement la condition de réussite d’un projet et que pour basculer dans le nouveau, il faut que ce nouveau ait déjà été mis en place dans le présent. Façon de voir qui était exactement celle du philosophe écologiste André Gorz. Pour moi, cette pratique a aussi l’avantage de travailler directement le corps social et de ne pas indiquer seulement la voie d’un « salut » individuel par application de consignes privées (éteindre la lumière, prendre des douches, trier ses déchets) ou de rituels domestiques. Elle se situe d’emblée dans l’inter-individuel, la relation et les modalités du social le plus étendu.

En conclusion, je dirai que le kunisme est un taoïsme grec du XXIe siècle qui avance sur les chemins de la critique radicale (critique de la racine ou à la racine) pour promouvoir la création collective de l’individu. Individu qui ne peut éclore qu’en faisant la synthèse des trois corps qui le constituent. Le corps individuel (imaginaire), le corps social (symbolique) et le corps cosmique (réel). J’appelle corps imaginaire ou individuel l’espace de la conscience et de la survie, intériorité immunitaire simple, support du désir et de l’illusion. J’appelle corps symbolique son extension spirituelle, technologique et collective, intériorité immunitaire complexe, support de la connaissance et de la technologie. Enfin, j’appelle corps réel l’enveloppe ultime (l’univers) avec sa part d’inconnu, intériorité immunitaire globale, à l’intérieur de laquelle il n’y a plus rien qui ne soit déjà elle.

Il faut sans doute ici que je précise un peu cette conception générale du corps. Et je terminerai par là.


Trinité

Abandonnez un instant l’image que vous vous faites de la naissance. Un petit d’homme arraché à son nid douillet, tombant dans un espace extérieur plein d’obstacles et de caresses. Imaginez plutôt une greffe, une bouture. Celle de deux corps en formation. L’un fragile et directement perceptible dans sa totalité, l’enfant, l’autre plus solide au premier abord, mais aussi plus insaisissable, multiple et dispersé, que j’appelle corps social. Avec son interface, la famille. Un jeune corps tout neuf et malléable, corps individuel, sur un vieux corps stratifié, mélange de travail mort et de travail vivant. Le travail mort constituant l’héritage collectif de savoirs, de savoir-faire, de technologies, de ressources disponibles, d’infrastructures, de symboles, de traditions, de langage, de culture, etc. Et le travail vivant, désignant la présente mise en œuvre de cet héritage. Naissance et développement : greffe d’un corps individuel nouvellement né sur un corps social préexistant, formant ensemble une entité nouvelle, un corps socio-individuel, dont les éléments deviennent inséparables. Un mélange de deux organismes ne faisant plus qu’un.

Ramené à son expression la plus simple, un corps vivant est une intériorité immunologique, c’est-à-dire un objet enveloppé, séparé, voué à sa pérennisation et à sa propagation. Séparé, il ne l’est cependant qu’imparfaitement, puisque son immunologie même nécessite l’interaction avec un milieu. En précisant donc la définition, nous dirons qu’un corps vivant est une intériorité immunologique en milieu (comme on dit « en situation »). Par extension, nous parlerons d’immunologie sociale, technologique ou symbolique. D’ailleurs, le corps vivant peut être vu à l’extrême comme une société de cellules, les cellules comme des sociétés de molécules, les molécules comme des sociétés d’atomes, etc... Les cellules associées forment le corps vivant et les corps vivants associés forment un corps social plus ou moins complexe et plus ou moins harmonieux. Le corps social humain ajoute à la physique, la chimie et la biologie, des dimensions psychologiques, technologiques et symboliques d’une grande complexité interagissante. Les sociétés vivantes sont donc au final une immense concaténation d’immunologies gigognes imbriqués les unes dans les autres et en interaction permanente. De l’atome à la galaxie, et de la cellule à la Communauté Européenne, des superpositions d’immunologies ayant chacune sa logique et entrant en résonance avec l’ensemble. Un corps n’est jamais seul, un corps n’est jamais séparé. Il ne l’est faussement que pour lui-même, dans une réflexivité déterminée. La conscience et le regard ayant été bâtis pour répondre aux besoins immédiats du corps individuel, ils reconnaissent en priorité les signes de distinction et les reliefs discriminants. Mais l’illusion d’autonomie, pour être naturelle, n’en devient pas moins dangereuse lorsque l’homme acquiert la capacité d’intervenir sur les structures vivantes fondamentales. A ce moment de l’évolution, il creuse sa propre tombe en renforçant la frontière organologique, et l’action qui augmentait jusqu’à présent ses chances de survie se retourne en tsunamis dévastateurs. Un feed-back négatif se met en place et chaque pas effectué sur le terrain de cette autonomie arrogante le rapproche d’une disparition définitive. Sa vision du monde, le produit de sa conscience séparée, entre en contradiction avec les nouvelles nécessitées de son être ensemble. Il doit alors changer sa vie et d’abord son regard.

La vision immunologique des choses, permet de penser la liaison des intériorités physiques, biologiques et sociales, et leur profonde unité. Elle ouvre le chemin vers un nouvel holisme. La théorie unifiée des intériorités, voilà à quoi nous travaillons.

Une première ébauche de cette théorie nous permet déjà de considérer la société humaine, non plus comme un agrégat d’individus se donnant des règles pour vivre ensemble, mais comme une sorte de milieu associé, constituant un prolongement organique, un système immunologique supérieur, capable, pour le meilleur ou pour le pire, de s’autonomiser par absorption et dilution de ses constituants vivants. Un nouvel être en gestation, en somme, dont nous serions les éléments. Pourquoi n’existerait-il pas en effet une loi universelle de la gravité immunologique pouvant aller jusqu’à la constitution d’un être techno-social autonome à la taille du monde ?

J’aurais l’air ici d’un délirant si des projections récentes ayant connus quelques succès sous le nom de posthumanisme n’apportaient du crédit à cette affirmation. Comme Teilhard de Chardin en son temps, mais pour d’autres raisons, les posthumanistes se réjouissent de la fusion prochaine de l’homme et de la machine. Mais si le paléontologue chrétien attendait de cette fusion l’avènement de l’Esprit, les posthumanistes n’en espèrent que la confirmation de leur optimisme. Pour l’un comme pour les autres, pas d’amélioration volontaire et individuelle à espérer, seulement l’amélioration mécanique et déterministe d’une mégamachine hybride. Les optimismes chrétien (la création de Dieu ne saurait être mauvaise) et scientiste (la technoscience fait le bien) se rejoignent dans une même idolâtrie cybernétique. Dans les deux cas, il s’agit de privilégier l’intériorité sociale en formation au détriment de l’intériorité individuelle, et donc d’adapter l’individu à un milieu nouveau en révolution permanente et pourtant créé par lui. On s’échine en conséquence, et paradoxalement, à jouer la naturalisation du milieu social associé, au lieu d’en assumer l’artificialité et d’imaginer de le changer en fonction d’un projet humain global. En ce sens, l’anthropotechnique actuelle, technique d’amélioration humaine, consciente ou non, rejoint celle du siècle dernier, quand il était question de créer de l’extérieur un homme nouveau. Sloterdijk a raison d’insister, dans son dernier livre traduit en français (« Tu dois changer ta vie » éditions Libela-Maren Sell) sur les systèmes d’exercices despiritualisés comme formes de dressage collectif. Nietzsche aussi avait bien identifié la question centrale pour les humains théocides de son époque et d’après, quand il forgea en son crépuscule solitaire le concept trop mal connu de surhomme. Surhomme : celui qui s’élève au-dessus de lui-même, l’acrobate, selon Sloterdijk, l’exerçant, l’artiste de la suspension.

Fort de ces connaissances, le kunisme en appelle à un changement radical, passant par une rupture de perspective d’abord, par une rupture éthique ensuite. Rupture de perspective en décrivant les choses depuis l’intériorité étendue. Rupture éthique, en s’inscrivant dans une ascèse personnelle et donc politique et sociale.

La rupture de perspective, ou rupture épistémologique (esthétique aussi), commence avec le regard sur l’intériorité immunologique, ou les intériorités immunologiques articulées (architecture). Il s’agit d’un regard intérieur qui rompt avec le surplomb réaliste-cynique. Au lieu de situer chaque être humain en observateur extérieur de la réalité, y compris celle de ses propres moyens immunologiques, elle inscrit le regard dans l’observé et ne s’éloigne jamais de la densité corporelle, de la chaleur du Soi immunitaire. Soi avec une majuscule parce qu’il dépasse l’illusion de solitude individuelle et de limite épidermique ou identitaire. Et lorsque ce regard s’exprime, il est obligé d’opérer une révolution des pronoms personnels. Dans le je, il doit saisir la nuance d’indéfini ou de multiple, et dans le il, la nuance d’implication personnelle. J’on ou j’il traduiront alors en langage courant le passage (clandestin tout d’abord) des frontières existentielles. Car pour parler de mon corps social, de l’intériorité immunologique large, enveloppe artificielle immédiatement supérieure à l’intériorité du moi restreint, je ne peux dire, dans le système des pronoms actuel, qu’un je, un on, un il ou un nous. (Je) serait plus exact mais ne dirait rien des autres, (il) ou (on) ne m’impliqueraient pas suffisamment, et (nous) oublierait le milieu associé technologique. Par souci de précision, de vérité, et de renouveau esthético-symbolique, je propose donc les pronoms « j’il », « j’on », « j’Il » et « j’elles » pour référer à un locuteur passe-murailles qui voudrait rompre avec l’illusion native du moi isolé et s’avancer fièrement vers la responsabilité immuno-logique. Ce locuteur ne serait plus, ou plus seulement, dans un espace social, politique, technologique ou cosmique, il serait aussi cet espace même. Responsabilité inouïe, scandaleuse même. Presque aussi haute que celle du Christ rachetant seul les pêchés du monde. A ceci près que tous les humains seraient Christ et plus seulement en Christ. Imitatio Christi réinterprétée ? Qui sait ? Cette généralisation, cette épidémie christique, ou cette conversion au Soi immunologique, est la seule manière en tout cas de construire un corps social nouveau sans risque d’hécatombes propitiatoires, un homme nouveau sans Goulag ou Stalag ou pogromes ou Inquisitions. Puisqu’il s’agirait toujours de moi partout et toujours, et que tous le sauraient. Puisqu’il s’agirait d’un soi, plutôt, qui contiendrait d’emblée tous les autres. 

La création de l’homme nouveau commencerait donc toujours par une autocréation, et donc par une rupture individuelle sans déni du corps social. Comme toute rupture, celle-ci se décomposerait en trois temps :

1-     Le constat,
2-     Le refus,
3-     L’adoption d’un système d’exercices. 

1 – Constat. Le système immunitaire général est atteint d’une maladie auto-immune qui menace de détruire ses éléments constitutifs, au moins de leur enlever toute substance personnelle. La méga-machine fonctionne désormais dans une logique autoréférentielle où l’individu n’a plus d’autre place que celle d’instrument à son service. J’appelais tout à l’heure ce mouvement : collectivisme libéral. Dans le nouveau langage kunique : mon Soi est malade. Cette maladie porte aussi les noms de prolétarisme ou (ex)Croissance et menace l’individu restreint avec tout son écosystème.

2 - Le refus. Il découle du diagnostique précédent. Je ne considère pas le déséquilibre comme naturel ou extérieur. Ce déséquilibre est mon déséquilibre propre. Celui que je dois résoudre pour moi-même. Je n’y vois pas non plus un avatar bénin de ce genre de déséquilibres répétitifs ou de fatalités universelles que le principe stoïco-bouddhiste d’impermanence décrit comme illusion. Je crois en un saut qualitatif du déséquilibre qui instaure un nouveau défi spirituel.

3 - L’adoption. L’adoption, ou conversion, consiste à s’investir dans une série d’exercices concrets d’élévation et de soin. Entre souci de soi, exercices thérapeutiques sociaux et spirituels, il s’agit de s’engager dans la pratique de ce que j’ai nommé plus haut un yoga social. Cette pratique, sorte de thérapie kunique, reste à élaborer. Elle pourrait prendre la forme d’une permaculture politique, d’une initiative de transition. Avec des valeurs telles que soin de la terre, soin des autres et partage équitable, on peut déjà faire un pas.

Quels en sont les principes d’application ? Traduction des principes de la permaculture selon l’un de ses théoriciens David Holmgren :

- L’observation humble et la volonté d’apprendre,
- La compréhension des structures et des systèmes,
- L’attention portée aux autorégulations naturelles ou existantes,
- L’acceptation des rétroactions,
- La volonté d’intégration plutôt que de séparation,
- La valorisation des marges ou des bordures qui font lien entre les espaces,
- La primauté donnée au renouvelable,
- La production minimum de déchets,
- La joie de la diversité,
- L’attitude créative face au changement.

Toutes choses en somme qu’un esprit kunique comme le mien ne peut qu’applaudir.

Merci de votre attention.

Adrien Royo
On a pris l"habitude de partager l'univers, particulièrement en période de crise, entre optimistes invétérés et pessimistes rabat-joie. Il y aurait ceux qui voient toujours le verre à moitié plein et ceux qui le voient toujours à moitié vide. Il ne faudrait pas oublié cependant qu'un verre peut aussi parfois se trouver parfaitement vide aux yeux d'un observateur attentif. Celui qui persisterait en cette occurrence à le voir seulement à moitié quelque chose, aurait alors à choisir entre les catégories du fou et de l'aveugle. Il y a beaucoup de gentils aveugles aujourd'hui qui ne supportent pas de voir s'écrouler la belle organisation utopique sur laquelle ils avaient construit leurs châteaux espagnols (ou grecs), et pas mal de fous également dont l'intérêt consiste à profiter le plus longtemps possible de sa décadence.

Adrien Royo

jeudi 15 décembre 2011

Il n'y a pas de richesse privée! S'il était compris, ce fait inavouable, que je ne cesse de répéter à longueur de blog, deviendrait un slogan révolutionnaire. Car tout l'édifice social actuel repose sur le mensonge de la richesse individuelle. C'est la croyance en cette richesse, ou plutôt dans la légitimité de cette richesse qui explique en grande partie l'impuissance politique actuelle.

Merci à Dany-Robert Dufour d'avoir amené dans son dernier livre: "L'individu qui vient", chez Denoël, des éléments grecs à ma rescousse. La pléonexia définissait dans la Grèce ancienne, le fait condamnable, amenant la démesure et donc le chaos, de prendre plus que sa part et de s'engager sur la voie d'une accumulation matérielle sans fin. Traduit par Hobbes (l'auteur du Leviathan) au XVIIIe siècle, cela donne le concept d'encroachment : empiètement indu sur le territoire d'autrui.

dimanche 11 décembre 2011

On aurait grand intérêt en ces temps incertains à s’occuper de la réalité. Et l’une des réalités les plus massives aujourd’hui, une des plus nécessaires à saisir pour pouvoir appréhender le monde, est celle du salariat en tant que système d’échange inégal entre acheteur et vendeur de la marchandise force de travail. Réalité qui pour être refusée avec toute la force du déni névrotique dans ses détails les plus essentiels par ses possesseurs mêmes, c’est-à-dire tout le monde, n’investit pas moins chaque recoin de notre vie de citoyens libres et égaux. Il est étrange, à y bien regarder, que l’on s’occupe tant de la sécurité des enfants et de leur apprentissage des règles de la vie, tout en négligeant de leur enseigner le plus utile : leur future qualité de proie. Comme si les mamans oiseaux ou lapin cachaient à leurs petits la situation de prédation qu’ils auront à connaître adultes sur leur territoire. Dans sa transposition humaine, cette négligence entrerait aisément dans la catégorie pénale de non assistance à personne en danger. A l’école, l’enseignement de l’ignorance dénoncée par Jean-Claude Michéa a atteint un tel degré qu’il est bien inutile d’espérer quoi que ce soit de ce côté. S’il y avait une chose à apprendre pourtant, c’est bien que cette marchandise particulière, indissociable du corps humain, peut aussi, comme toute marchandise, être un objet de spéculation. Tout comme le prix d’une céréale augmente ou baisse en fonction des ordres d’achat ou de vente passés sur son marché, ou en fonction des quantités produites ou réservées, le prix de la force de travail varie selon les situations. Par exemple, si beaucoup de vieux restent sur le marché du travail faute d’une retraite digne et méritée, la demande de travail augmentant, son prix moyen baissera. Dans une situation générale où il apparaît nécessaire à nos dirigeants d’augmenter les profits en intensifiant la pression sur les salaires, et de transférés des richesses de la poche des salariés vers celles des banquiers et des spéculateurs, ne serait-il pas tentant d’agir effectivement sur l’augmentation de leur nombre. Augmenter la production d’une marchandise permet d’en diminuer le prix, de même, augmenter le nombre de salariés, et donc la force de travail à disposition, permet de diminuer les salaires, ou du moins d’en contenir la hausse. Plus de salariés égal plus de concurrence égal moins de salaire. Cela marche aussi quand on importe massivement de la main-d’œuvre extérieure ou quand le chômage croît. Calcul cynique, me direz-vous. Oui, mais tellement à la mode en ce moment. De là à dire que les réformes récentes des retraites ne visent que ce résultat, il n’y a qu’un pas que je franchis sans hésiter. Non pas d’ailleurs que les responsables le fassent toujours consciemment et de manière délibérée, mais la logique implacable de la structure amène ces choix. La structure est plus forte que les individus. C’est pourquoi, il faut changer la structure. Paul Jorion citait récemment dans une de ses vidéos une phrase du jeune Marx : « La ferme hérite de l’aîné ». Il voulait dire exactement cela que c’est la ferme, la structure, qui décide souvent de l’héritage selon ses besoins et non l’inverse, que la structure, la machine inconnue, exprime sa logique propre par le truchement des individus. Dans ce cas, la liberté ne consiste pas à faire ce qu’on choisit, mais à connaître les mécanismes du non-choix pour infléchir le mouvement de la structure. En attendant, il est facile à ceux qui tiennent le manche, les oligarques prédateurs, de rogner sur les salaires différés : retraites, prestations sociales, ou sur les moyens de reproduction de la force de travail : loisirs, culture, etc., tout en intensifiant la concurrence entre salariés pour préserver leur rente et leur patrimoine ou pour les faire grossir. La cupidité n’ayant pas de limite.

Pléonexie, c’est ainsi d’après Dany-Robert Dufour (« L’Individu qui vient », chez Denoël) que les grecs anciens appelaient le fait d’en vouloir toujours plus, d’empiéter sur le bien d’autrui pour augmenter le sien propre. Cette pléonexie, était pour eux une malédiction qu’il fallait combattre, pour nous au contraire, homme libres du XXI siècle, elle est une valeur qu’il faut promouvoir sous le nom de concurrence. La pléonexie devient ainsi le moteur de la structure. Structure qui commande de jeter dans la misère et la destruction parfois tout être qui n’a pas eu la chance de naître propriétaire. Mais aujourd’hui, un seuil a été franchi et il se pourrait bien qu’elle préfère même s’autodétruire que de céder un pouce de son désert.

Adrien Royo

samedi 10 décembre 2011

Si futur il y a

Nous, les Kuniques Bleus, déclarons solennellement aujourd’hui, 10 décembre 2011, les principes fondamentaux pour des constitutions futures.

Déclaration universelle des principes fondateurs de tout contrat social au XXIe siècle :

Article 1 - La richesse privée est une convention collective.
Article 2 - La démocratie est le gouvernement des pauvres.
Article 3 - Toute ressource naturelle est un bien commun.


Il n’ait pas d’autre richesse que sociale. Toute appropriation privée des fruits d’un travail collectif doit faire l’objet d’un consentement collectif dûment exprimé. Ce principe interdit la concentration des richesses et doit susciter des formes nouvelles de production et d’échange.

1 - La vraie démocratie étant le gouvernement de tous, il apparaît que les pauvres, compris comme la frange des 90% de la population qui ne possèdent pas les moyens de production ou d’échange, doivent exercés le véritable pouvoir.

2 - Les ressources naturelles étant l’héritage commun des êtres humains sur cette terre, il est nécessaire de les rendre inaliénables pour assurer leur partage équitable.

3 - Nous soutenons que ces trois principes, dans leur simplicité et leur concision, suffisent à garantir une forme constitutionnelle tournant le dos à des siècles d’aveuglement, d’arrogance, de pillage et de spoliation. La crise terminale de la civilisation du cynisme et du mépris, nous offre aujourd’hui la dernière occasion de promouvoir un changement fondamental de paradigme. Le choix final ne sera pas entre gauche et droite, religieux ou laïc, ancien ou nouveau, mais entre kunisme et cynisme, individu et machine, visage et monstre.

Adrien Royo
Pour les Kuniques Bleus

mardi 6 décembre 2011

de la règle d'or à la loi d'airain

Une règle d’or pour déréguler. Si nous n’avions pas si mal à la tête ces temps-ci, il y aurait de quoi se fendre la poire. Une règle d’or qui tombe sur les doigts des 99% qui subissent pour aider les 1% qui s’amusent à la roulette mondiale, il faut être au XXIe siècle pour voir ça. C’est un peu comme si un glouton mettait au régime ses fournisseurs pour maigrir. La règle d’or de l’élite va se transformer en loi d’airain pour nous, c'est évident. Vous avez déjà perdu votre chemise ? Maintenant, baissez le pantalon! La dette, ils vous l’ont imposé, mais c’est vous seuls qui la paierez. Et ceux qui vous l’ont imposée sont également ceux qui la dénonçaient le plus fort. La cigale prenait le masque de la fourmi pour convaincre les autres fourmis. Ne croyez pas les fourmis d’aujourd’hui, qui laissent les cigales s’ébattrent à Wall Street avec l'argent qu'elles vous ont volé. Foutons les bons pères de famille à la porte! Ou bien, qu'ils nous rendent notre argent avant de nous faire la morale.

samedi 3 décembre 2011

Pour sauver l'Europe, tuons la démocratie!

L’Europe, telle que nous la connaissons aujourd’hui, cette construction artificielle sans fondements démocratiques, créature du Marché (divin Marché, comme dirait Dany-Robert Dufour), sorte d’hyper ville nouvelle imaginée par les élites pour des européens hors sol au temps de cerveau disponible vendu à Coca-Cola par TF1, fut érigée ces dernières quarante années sur du sable technocratique à grands coups de mensonges, de propagandes et d’intimidations. Elle devait apporter la paix, la croissance et le progrès, elle ne sert partout qu’à démolir les anciens terriers pour livrer les individus « libérés » aux fauves de la plaine, confortablement installés sur leurs litières dorées. Comme les faisans d’élevage à qui l’on accorde la liberté finale pour mieux les abattre, les européens sous dictature libérale sont libérés de toutes leurs protections, qu’elles soient douanières, bancaires, politiques ou sociales, pour être jetés nus à l’assaut des forteresses mondiales du commerce. Le dogme de la concurrence libre et non-faussée aboutissant à la ruine de tous et à l’asservissement de chacun.

Le Marché, entendu comme nouvelle religion mondiale, organisé en une structure cybernético-oligarchique, c’est-à-dire en une machine automatique globale servant les intérêts d’un groupe de plus en plus restreint d’individus, affiche une tendance naturelle à l’impérialisme et à l’hégémonie. Capable de distribués ses prébendes et subsides, au travers de différents lobbies, à tous ses agents d’entretien, du plus haut au plus petit de l’échelle sociale, il possède une force de frappe incommensurablement plus grande que tous les pouvoirs jamais établis sur la terre. Il manipule l’opinion par les médias qu’il rémunère, il obtient l’obéissance des peuples par le sophisme politique et les forces militaro-policières à sa botte, il forme les esprits par l’industrie culturelle de masse. Les gouvernants, pour la plupart, sont les instruments volontaires et cyniques de cette machine à déshumaniser et à déraciner.

L’un d’entre eux, parmi les plus cyniques ou stupides, propose maintenant à ses chers compatriotes, pour endiguer la crise mondiale, de faire tomber les tabous qui freinent la compétitivité française. Quels tabous ? Rien moins que l’égalité, la liberté et la fraternité républicaines. Car enfin, est tabou ce qui pour un peuple donné relève du sacré, est sacré ce qui n’est pas profane. Si bien que faire tomber les tabous revient à profaner ce qu’il y a de plus sacré. Et c’est bien ce qu’ose demander ce chef d’Etat à ses concitoyens : profaner les fondements de la République, après s’être efforcé pendant cinq ans de brûler les restes du contrat social gaullien signé pendant l’occupation par les différentes forces politiques en résistance (Charte du Conseil national de la Résistance) établissant les conditions minimales du vivre ensemble par l’instauration d’une protection sociale pour tous et d’un système de retraite pérenne. Faire tomber les tabous qui freinent la compétitivité française, cela veut dire pour nos élites s’aligner sur le moins disant social en Europe et dans le monde et répéter les prières libérales éculées: baisser les salaires et la protection sociale des plus faibles au niveau de ce que réclame la concurrence internationale déloyale. Français, encore un effort pour être chinois ! Vous êtes, sachez-le, trop payés et trop protégés pour pouvoir concurrencer les esclaves salariés des autres pays. Vous coûtez trop cher à l’Etat. Ces messieurs vous veulent à poil ou en costume rayé blanc et noir, compris ? Retroussez vos manches, bande de fainéants, sinon c’est Monsieur le Président lui-même qui vous les retroussera. On ne peut pas faire autrement, c’est Monsieur le banquier mondial qui vous le dit, et il sait de quoi il parle. Faire tomber les tabous qui freinent la compétitivité française, c’est perdre sa souveraineté, donc sa liberté, perdre les acquis de la Résistance, donc l’égalité, et perdre ses valeurs, donc la fraternité. C’est donc fouler aux pieds notre drapeau, notre devise et notre histoire. Maintenant vous savez de quoi Sarkozy est le nom. Hélas! je crains qu'il ne soit pas le seul.

Enième marchandage de notre président avec la chancelière allemande: je te vends les dernières traces d’indépendance françaises et tu me donnes les eurobonds, c’est-à-dire la mutualisation et la monétisation des dettes européennes dont l’Allemagne ne voulait sous aucun prétexte il y a deux mois. Sarkozy vient d’échanger la France contre des bonds du trésor émis par la BCE, avec l’espoir de sauver le système. Après avoir vendu l’or de la France, il vendra la France elle-même et ne sauvera rien du tout. Quant à Merkel, elle a déjà vendu l’Allemagne aux banquiers et aux spéculateurs, ne lui reste qu’à attendre comme les autres leur bon vouloir et donc la catastrophe. Catastrophe dont ce marchandage inattendu ne fait que révéler l’imminence. Merkel s’asseyant sur le non-interventionnisme de la BCE, Sarkozy s’asseyant sur le modèle français, les deux s’asseyant sur la démocratie. 

Adrien Royo