Hypothèse d'une équipe de médecins de
l'université de Cincinatti, aux Etats-Unis, dont le résultat des
recherches vient d'être publié dans la revue Neurology: plus le
médicament est cher, plus il nous donne l'impression d'être
efficace.
Les chercheurs ont donné un traitement équivalent
à deux groupes de personnes atteints de la maladie de Parkinson.
Après avoir expliqué aux deux groupes que l'objectif de la
recherche était de prouver que le prix de certains médicaments
n'avait rien à voir avec leur efficacité, ils dirent à l'un que
leur “pilule” coûtait 100 dollars, et à l'autre 1500 dollars.
Or le traitement administré aux deux groupes était
en fait un placebo, une simple solution saline.
Que croyez-vous qu'il arriva? L'amélioration des
fonctions motrices fut plus spectaculaire en moyenne pour le groupe
dont le traitement était supposément le plus cher (28% de plus).
On tire de cette étude la conclusion que le prix des médicaments a un effet inconscient très fort qui augmente leur efficacité réelle.
En allant plus loin,
on pourrait supposer que tous les médicaments ont un effet
psychologique qui décuple ou diminue leur efficience chimique. Mais
on pourrait aussi étendre cette hypothèse aux médecins eux-mêmes.
L'efficacité de leurs soins ne serait-elle pas directement
proportionnelle au prestige qu'on leur accorde? En dehors du fait que
la plupart des petites maladies pour lesquelles nous les consultons
guérissent d'elles-mêmes, et que pour quelques complications
évitées leurs thérapies provoquent généralement des ravages
dans notre système immunitaire (voir par exemple les effets d'un
usage immodéré des antibiotiques), il ne fait aucun doute pour moi
que l'image du médecin, son aura, son charisme social, intervient
pour beaucoup dans les résultats de son ordonnance.
L'opinion commune
veut que nos sociétés aient accompli une révolution en remplaçant
les anciennes croyances par la connaissance scientifique. Moi, je
dirais que la connaissance scientifique est bien plutôt notre forme
actuelle de croyance. Les médecins seraient dans ces conditions un
équivalent strict des chamans ou des sorciers, en tant qu'expression
sociale du soin, et les labos pharmaceutiques, des apothicaires ou
des camelots.
Je prolonge la
réflexion: chaque société diffuse un certain nombre de codes dans
son organisme, un peu comme le corps individuel sécrète ses
hormones. Parmi ces codes, il y a le code thérapeutique. Chaque
groupe social donne sa définition de la santé, ses recettes pour
guérir et désigne un sous-groupe de thérapeutes. A ces
thérapeutes, on attribue un certain prestige en les détachant des
autres, en les marquant, en les sacralisant en quelque sorte. On crée
la fonction de thérapeute qu'occuperont des « élus »
dépositaires d'un certain pouvoir. Je soutiens que dans toutes les
sociétés, ce pouvoir social guérit au moins autant que les
connaissances mises en œuvre. Si, pour une raison ou une autre, le
dépositaire du pouvoir perd de son prestige, il perdra aussi bien
son pouvoir lui-même. La médecine d'aujourd'hui justement perd de
son prestige et donc de son pouvoir. Lui reste le refuge de la
technologie qui jouit encore d'un peu de crédit parmi nos
contemporains. Technologie qui s'exprime dans les machines
d'exploration ou de chirurgie, dans les médicaments et les vaccins,
mais aussi dans la pratique du médecin lui-même. Je crains fort
toutefois que la confiance dans la technique faiblisse inexorablement
avec ses effets pervers en feed-back qui s'accentuent chaque jour.
Il en va ainsi de la
politique. De même qu'un code thérapeutique émerge de lui-même en
chaque société, un code politique exsude tout aussi bien. Ce
dernier code n'est pas moins magique que le premier, reposant sur les
mêmes bases psycho-sociales profondes. Dès lors, son avenir se
décide en terme de croyance et de confiance: de crédit. Et ce
crédit, c'est justement ce qui fait défaut (sans jeu de mots)
aujourd'hui. Quand on dit que nous vivons une crise
civilisationnelle, en voilà les linéaments. Le code ne correspond
plus à la réalité du corps surtout parce que le nouveau corps se
veut sans codes.
Adrien Royo