« Je »
décide
de « nous »
Adrien
Royo
Qui
je ?
Je
suis ET je pense. Je pense, donc "il" est. "Il"
est ce "je" qui pense. Mais où suis-je pour penser ce
"il-je" ou bien ce "j'il"?
Descartes
posait Dieu d'abord. Dieu pense, donc je suis. Voilà la vérité du
cartésien. La conscience hors du sujet. C'est l'identité de la
conscience et du sujet, paradoxalement, qui crée la séparation. Que
"je" soit parce que quelque chose pense à travers "je"
est hors de doute, mais de quoi ce "je" est-il le nom ?
"Je"
n'était pas si clair pour moi. Dès l'origine ce "je" posa
question. "Je" faisait un "nous" en plus. A moins
que "nous" ait produit ce "je". "Ils"
avaient fait "je", ça c'était sûr. Mes parents, qui
formaient la base du "nous". Mais faisaient-ils "je"
égal ?
Le
"tu" me faisait mal. Il ne jouait pas le "je". Il
tuait le "je". Après "tu", "je"
l'avait bien cherché. "Il" désert, "je"
Robinson. Vendre! dit "il".
"Je-nous"
bloqué. Il fallait avancer quand même.
Poïesis :
le corps en scansion
Il
s'agit du corps, du corps, du corps, du corps... agi.
Corps
texte.
Corps
à faire/ à défaire.
Corps
épris
Corps
esprit.
Corps
d’état.
Corps
machine.
Corps
obstacle/ élément/ paradoxe/ étalon.
Corps
miroir disposé/ exposé.
Corps
mystère.
Corps
temple/ éperdu/ effacé.
Corps
espace.
Corps
temps.
Corps
abîme/ dépensé/ dispensé.
Corps
simple/ ex-pensé/ digressé/ digressant.
Corps
aveugle.
Corps
à naître/ évanoui/ existant/ simulé/ constitué/ exagéré/
dissimulé/
Symbolique/
évènement/ diabolique.
Corps
à voir/ à savoir.
Corps
pur/ impur/ souillé.
Corps
fait/ imaginé.
Corps
sage/ langage/ bagage/ individuel/ sans individu.
Corps
coulé/ écoulé/ avalé/ juridique/ évadé/ égaré/ transmué.
Corps
saisi/ dessaisi.
Corpus
ex machina.
Il
s’agit du corps, du corps, du corps, du corps... agi.
Corps
marché/ marchant/ démarchant.
Corps
technique/ hypothétique/ prothétique.
Corps
social/ monstrueux/ cybernétique.
Corps
système/ logiciel.
Corps
diffus/ éclaté/ dilaté.
Corps
obscur/ négatif/ matériel/ immatériel/ atomique/ subatomique.
Corps
sans fil/ relatif/ réifié.
Corps
réseau/ du réseau.
Corps
échantillon/ mondialisé.
Corps
copié/ copié collé/ échantillonné/ téléchargé.
Corps
avatar.
Corps
mémoire/ mémorisé/ intériorisé/ sublimé.
Corps
outil/ instrument/ émergent.
Corpus
ex machina.
«Je»
n'était pas à l'aise en «nous». Il voulait comprendre.
Il
s’agit du corps, du corps, du corps, du corps... agi.
Corps
bulle.
Corps
promis.
Corps
promesse.
Corps
projet.
Corps
kunique.
Corps
cynique.
Corps
cimetière.
Corps
monnaie.
Corps
échange.
Corps
valeur.
Corps
action.
Corps
croissance.
Corps
fossile.
Corps
interdit/ sans interdits.
Corps
pulsion/ affection/ désaffection.
Corps
affecté/ désaffecté/ sans affection.
Corps
donné/ repris/ volé.
Corps
humain/ inhumain/ extra-humain.
Corps
virtuel/ inorganique/ électronique.
Corps
libéral/ collectif/ libéré/ délibéré/ shivaïque/ extatique/
chimérique/
à
venir/ à finir.
Corps
à deux.
Corps
à trois.
Corps
à quatre.
Corps
à mille.
Corps
à tous.
Corps
à moi.
Corpus
ex machina.
Il
s’agit du corps, du corps, du corps, du corps... agi.
Corps
abeille.
Corps
des cimes/ décimal.
Corps
du mal.
Corps
sans corps.
Corps
empreinte/ exutoire.
Corps
sans trace.
Corps
écho/ symphonie
Corps
létal.
Corps
pour soi.
Corps
passion.
Corps
en soi.
Corps
émoi.
Corps
banal.
Corps
total.
Corps
totalisant.
Corps
totalitaire/ asocial/ associé.
Corps
inné/ inéluctable.
Corps
acquis.
Corps
à toi.
Corps
à moi.
Corps
à nous.
Corps
à corps.
Corpus
ex machina.
Le
je de la marchandise
Mais
ce qu'il faut garder à l'esprit, cependant, c'est que l'«il» du
«je» est un «je» d'«il» aussi, un jeu de séparation pour
explorer la vie, et que le «nous» et le «tu» est un «je» qui
revient.
Dans
ce jeu de la vie et de la mort, l'extérieur n'est qu'un jouet du
moi. Le moi se projette et joue avec lui-même sans le savoir. Il
joue à se faire peur, il joue à se faire plaisir, il joue à se
faire souffrir, il joue et ne le sait. Il analyse et pense les
éléments de son propre jeu, de sa construction. «Il» se cogne à
«elle» car «elle» est ré-elle, c'est-à-dire qu'elle est le
res(chose) qui revient, dur, centripète. Elle est le temps et
l'espace, dans la séparation, du soi immobile et calme qui observe
les mouvements du «je» dans le manifesté.
«Je»
ne peut pas intervenir dans son propre jeu sans être conscient qu'il
joue. S'il croit en son rêve, il y évolue en autre, il nourrit ses
avatars comme autres, et perpétue le rêve ou le cauchemar. Il se
trouve aliéné, autre en lui, et ne se rejoint pas. Le rêve se
durcit en réel. Jamais la chose ne se repose et c'est lui, le «je»,
qui s'envole en effluves de songe.
L'extérieur
se joue de son ori«je»ne. L'origine du «je» quant à elle reste
introuvable.
Connais-toi
toi-même... Double toi sur le toit du monde. Toi double aussi quand
il sort du «je». Jeu avec toi sans discrétion.
Plonge
à l'intérieur de toi, tu connaîtras le monde, et tu sauras que le
monde est toi. Il te suffira alors de regarder le monde pour
connaître «toi». «Je» apparaîtra comme «toi» et «nous» sera
comme moi.
Auparavant,
j'aimais observer le nous sans moi. Je l'observais du dehors comme un
autre lointain. Je le sentais violent, agressif, assidument sournois,
pinailleur, incohérent, désinvolte, inconscient, stupide, méchant
et lourd. Je voulais le comprendre pour m'en préserver, le
transformer pour le mettre en conformité avec son propre idéal. Il
était tout sauf moi. Je savais pourtant déjà que j'étais lui.
J'étais lui, pensais-je, mais il n'était pas moi. Il m'avait fait
ce que j'étais mais je ne l'alimentais pas. Il me domestiquait, mais
je n'avais aucune prise sur lui. Il n'y avait pas de moi sans nous,
je croyais qu'il pouvait exister un nous sans moi. Comme si le moi
pouvait flotter au-dessus du nous longtemps...
Je
retombais bientôt du plus haut de ces cîmes brumeuses.
Si
le nous était moi, c'était au moi qu'il me fallait revenir. Ou
plutôt à ce «je» de dupe dans le grand jeu.
Tant
que je laissais le petit «je» se regarder lui-même et observer cet
«eux» qui l'entourait selon ses limites, la vie se présentait
comme une durée s'étendant sur un axe unique, d'un début vers une
fin, avec des entités ontologiquement séparées en interaction,
dans un foisonnement vibrionnaire plus ou moins organisé, chacune de
ces entités vivantes voyant l'ensemble et soi-même dans un rapport
extérieur-intérieur d'intentionnalité. La conscience naît du
cerveau, qui lui-même naît par accumulation de cellules en une
évolution matérielle à partir de deux cellules originelles réunies
par le hasard des rencontres, et cette conscience, qui est toujours
conscience de quelque chose, toujours extérieure donc à ce qu'elle
est, conscience du temps, de l'espace, des évènements, des autres
et de soi-même, mourra avec les cellules qui en sont à l'origine,
disparaîtra, tandis qu'une conscience nouvelle la remplacera jusqu'à
ce que toute conscience disparaisse enfin et s'éteigne et laisse la
place à cette matière universelle, issue d'elle-même, qui la créa
par hasard et très momentanément.
La
conscience intentionnelle ainsi créée, créant à son tour son
histoire, sa réalité, son futur et son être, son devenir sans être
plutôt, puisqu'aussi bien rien ne justifie, dans les limites qu'elle
s'est elle-même fixées a posteriori, c'est-à-dire après naissance
dans le monde qui la crée le créant, une sortie quelconque du
périmètre de cette fiction qu'elle appelle réalité. Réalité qui
n'est au final que la fiction dernière sur laquelle s'accordent les
consciences créantes réunies par création fortuite créée.
Où
l'on aboutit à une circularité existentielle créant elle-même les
conditions de sa vérité selon des a priori reposant sur la base
conditionnelle de sa naissance telle qu'elle se l'imagine. Les outils
limités reçus d'emblée devenant mécaniquement notre unique
horizon d'outils. Comme un androïde programmé ne sort pas du
rapport programmé avec son environnement et lui-même, les humains
socialement programmés éprouvent bien des difficultés à
s'affranchir d'un rapport programmé avec eux-mêmes, et vivent le
récit de leur
invention
plutôt que leur réalité profonde.
Et
si, par hypothèse, les choses étaient inversées ? Si la
conscience créante de son monde était elle-même déjà créée
avant sa naissance ? Si la conscience existait avant le cerveau
et le corps qui la limitent, qui ne feraient alors que créer une
histoire de corps et de cerveaux à la convenance des corps et des
cerveaux ? Une sorte d'illusion à l'usage des corps et des cerveaux
ayant pour but de conserver corps et cerveaux.
Faudrait-il
alors réécrire les Méditations Métaphysiques de Descartes ?
Peut-être pas si le Dieu exclu était remis à sa place et compris
comme Conscience. Il faudrait juste rétablir le cogito comme suit :
« Elle (la Conscience) pense, donc je suis ».
Et
alors, bien entendu, il ne s'agirait plus de transformer l'illusion
pour la mettre en conformité avec la volonté de l'illusionniste,
mais de transformer l'illusionniste lui-même en créateur pour qu'il
se crée lui-même à partir de la conscience d'illusionniste se
connaissant comme telle.
L'illusionniste
que je suis fabrique son monde et se fabrique lui-même dans son
monde. Mais il ne peut le faire que parce que la Conscience vivante
et créatrice le précède. C'est donc la Conscience qui fabrique à
travers moi. Elle se joue d'elle-même et se propose un spectacle de
sa création. Comme si elle avait besoin de mes yeux pour se voir.
Sauf que mes yeux ne la voient pas directement et qu'ils se perdent
d'abord dans l'illusion nécessaire, dans le spectacle qu'ils
projettent. Car les yeux ne reçoivent pas d'images, ils les
projettent. Comme l'image n'est pas dans le projecteur mais dans la
pellicule ou le disque dur, l'image n'est pas dans les yeux mais dans
le cerveau qui la sculpte. Et encore ne s'agit-il peut-être même
pas d'une image, mais d'un amas d'informations lumineuses ressaisies
par la Conscience qui les organise à l'aide d'un cerveau. Quel
abîme !
Quoi
qu'il en soit, le monde est comme il est parce que je me le
représente ainsi. Et je me le représente ainsi parce que je le
veux. Ou plutôt parce que je ne veux pas vouloir autrement qu'en
«je». Ce n'est qu'en me replaçant dans le grand jeu du soi que
«je» peut vouloir autre chose que sa peur et choisir qu'il en soit
selon Sa volonté et non la sienne. Si je renonce à «je», je gagne
le créateur du «je» et du «nous», qui est moi-même non-limité
par mes peurs. «je» alors n'est plus impuissant face à l'autre qui
n'était pas lui, il peut créer de nouveaux rapports, sur la base
d'un rapport premier intrinsèque, où la peur diminue et l'amour
augmente.
Le
simple nécessaire, dans cette aventure nouvelle ou plus rien d'une
certaine manière n'est autre absolument, s'appelle acceptation et
gratitude.
Les
choses sont ainsi parce que je les veux telles. Ce qui signifie
qu'elles peuvent prendre une autre forme si je le décide en moi.
Ce
qui aboutit à une série de paradoxes :
1-
L'extérieur ne change que si je l'accepte d'abord comme il est.
2-
Je ne suis totalement créateur et puissant que lorsque j'abandonne
mes velléités créatrices particulières.
3-
Je ne suis pleinement libre que lorsque je me soumets à la
Conscience.
4-
Je ne suis révolutionnaire que lorsque j'opère cette révolution
intérieure qui consiste à me soumettre.
5-
Je ne gagne que lorsque j'accepte de tout abandonner.
C'est
en ce sens que les premiers sont déjà les derniers.
Il
y a quelques siècles, la Marchandise a allumé la mèche du monde
(de son monde, construction mentale en forme de machine globale, de
système intégré). Puis Elle a prospéré, créant un monde à Son
image. Elle nous a offert le confort matériel et l'illusion
d'échapper aux lois naturelles de la maladie, de la souffrance et de
la mort. Elle était la matérialisation, l'actualisation, de notre
désir de survie et donc la forme extériorisée de nos peurs. Le
techno-logos nous aiderait à surmonter notre faiblesse native et les
prothèses technologiques remplaceraient avantageusement nos moyens
biologiques. Aujourd'hui, la Marchandise est arrivée au faîte de
son monde, Elle n'a plus besoin de l'homme, de l'homme total du
moins. Elle n'a plus besoin, pour piloter Son monde, que d'un ersatz
d'individu limité à son rôle de consommateur et de pilote adjoint
de la machine. Elle n'a plus besoin que d'hommes-instruments, de
moyens pour sa fin. Pour nous protéger de la vie, nous avons choisi
de créer, projeter, un monstre collectif dévorant ses enfants
créateurs. Nous avons donc choisi de nous dévorer nous-mêmes. Mais
là encore il ne s'agit que d'une cascade de représentations
individuelles formant un égrégore. S'il en était autrement, aucun
espoir ne serait plus permis pour quiconque aurait vu le monstre de
trop près. Son fonctionnement de machine auto-alimentée, et sa
finalité d'accumulation impossible, ne laissant pas de doute sur la
profondeur de l'abîme auquel elle conduit.
Pour
catastrophique qu'il soit, le film n'en reste pas moins un film, une
projection du moi apeuré. Paradoxalement plus apeuré encore depuis
qu'il connaît les moyens mécaniques de l'apaisement. Sachant bien,
au fond, que tous ces moyens ne sont qu'un leurre.
Esclave
de lui-même et de ses limites supposées, esclave de ses croyances,
il ne reste à l'homme technique que la surenchère technicienne
d'auto-coercition. Mais s'en libérer est facile, il suffit de ne
plus croire.
Dans
le mouvement général d'automutilation, l'oeil de la conscience se
pose encore sur nous.
L'oeil était dans la
tombe
Le
poème d'Hugo résonne encore dans notre caverne d'images.
Caïn,
personnage de la Bible, fils d'Adam et Eve, tue son frère Abel et se
voit exilé par Dieu. L'oeil du remord le poursuit en tout lieu. Il
ne peut échapper à sa conscience.
« Lorsque
avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Echevelé, livide au
milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme
le soir tombait, l'homme sombre arriva
Au bas d'une montagne en
une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors
d'haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons.
»
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant
levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un oeil, tout
grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l'ombre
fixement.
« Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
Il
réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir
sinistre dans l'espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente
nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif,
sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans
sommeil; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut
depuis Assur.
« Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est
sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
Et,
comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
L'oeil à la
même place au fond de l'horizon.
Alors il tressaillit en proie au
noir frisson.
« Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la
bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l'aïeul farouche.
Caïn
dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans
le désert profond :
« Etends de ce côté la toile de la tente.
»
Et l'on développa la muraille flottante ;
Et, quand on
l'eut fixée avec des poids de plomb :
« Vous ne voyez plus rien
? » dit Tsilla, l'enfant blond,
La fille de ses Fils, douce comme
l'aurore ;
Et Caïn répondit : « je vois cet oeil encore !
»
Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant
dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : « je saurai
bien construire une barrière. »
Il fit un mur de bronze et mit
Caïn derrière.
Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours!
»
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
Si
terrible, que rien ne puisse approcher d'elle.
Bâtissons une
ville avec sa citadelle,
Bâtissons une ville, et nous la
fermerons. »
Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
Construisit
une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu'il travaillait, ses
frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d'Enos et les enfants
de Seth ;
Et l'on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et,
le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça
la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des noeuds de
fer,
Et la ville semblait une ville d'enfer ;
L'ombre des tours
faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs
l'épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « Défense à
Dieu d'entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On
mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait
lugubre et hagard. « Ô mon père !
L'oeil a-t-il disparu ? »
dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : " Non, il est
toujours là. »
Alors il dit: « je veux habiter sous la
terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me
verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et
Caïn dit « C'est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette
voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et
qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
L'oeil était dans
la tombe et regardait Caïn. »
Nous
sommes tous, symboliquement, descendants de Caïn. Mais saurons-nous
rester dans la lumière pour affronter l'aurore ?
« Connais-toi
toi-même... »
Connais
cet œil qui te regarde sans te juger, connais-le vraiment, sens-le
en toi, sur toi, par toi. Toi en moi par lui, et moi en toi aussi.
Oeil qui te confirme que tu n'es pas seul, que tu ne le seras jamais,
quoi que tu fasses. Oeil que tu vois comme œil et qui est aussi
oreille et bouche et mains et tout toi en lui. Et pas que...
Parce
que...
Par
ce que...
Par
cela qui est...
Par
ce La qui est...
Part !
cela qui hait...
Et
que revienne celui qui est Me...
Qui
est moi...
Qui
aime...
par...
Dis...
Le...
La...
Qui
aime...
Par...
Ce...
Cœur.
...et
tu connaîtras l'univers et les dieux. »
Et le corps du je
Frères
humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous
endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura
plutôt de vous merciz.
Vous
nous voyez ci attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons
nourrie,
Elle est pieça dévorée
et
pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et poudre.
De notre
mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous veuille
absoudre!
Naissance
in-mercatus.
Rétro-naissance.
Rétroversion.
Vivre
et laisser naître.
Mouvement
imaginaire.
Sens
interdit.
Nous
invisible et pourtant hégémonique.
Je
partout, et moi nulle part.
Ou
bien l’inverse.
Obscur
en moi sans nous.
Mobilisation
générale.
L’espace
de la marchandise est courbe.
La
marchandise me pense donc je suis la marchandise.
Après
ta dernière mort, tu renaîtras machine.
Peaux
liées par la peau invisible.
Je-tu-il-nous.
Inconscients
collectivisés.
Souterrain
mythologique sans mythologie.
Crypto-mythologie.
Mythologie
ex-machina.
Dévotion
de chaque instant, sans croyance.
Ou
bien croyance en l’absence de croyance.
Religion
de pratiquants sans foi.
Naissance
d’un nouveau soleil.
Trou
noir déjà.
La
lumière cessant à sa frontière gravitationnelle, tout près de son
sol.
Le
ciel s’abattit sans bruit sur la terre. Resta le feu dernier de ses
étoiles mortes.
Et
la machine s’émancipa.
Son
règne parmi nous.
Et
la forme du nous était la machine même.
Corps
social-maison.
Économie.
Liberté,
égalité, fraternité, progrès.
Corps
magnifique se détachant sur l’horizon.
Corps
sur un cheval, galopant vers l’ouest.
Débris
du corps dans la tranchée.
Travail,
famille, patrie.
Esprit
dans sa coquille.
Suspendu
à l’abîme sans fond.
Regardant
le monde par hublot.
Connaissez-vous
vous-mêmes!
Et
l’esprit-corps se heurtant à la pierre de son inconcevable.
En
son [fort] intérieur, sa mesure.
Vrai,
beau, bon.
Et
le corps du je danse au théâtre.
Exhibition.
Seul
face à Elle.
Cérémonie
du libre-échange.
Au
rendez-vous des solitudes.
Et
l’autre, aux mille bras, coincé dans ses interactions.
Fasciné
par l’écran qu’il prend pour son miroir.
Ne
voyant que lui toujours en lui.
N’ayant
appris que lui jamais.
Pas
autrement.
Son
ego satisfait de se voir si entier.
Photographiable.
À
l’image du père.
Père-Projecteur.
Marchandise-Père.
Op[è]rable.
LE
Marchandise.
Pourquoi
pas ?
Les
images peuplant les rues.
Image
de soi devenue soi.
Et
la chair n’est plus triste puisqu’elle n’est plus.
Et
la chair n’est plus rien.
Et
moins elle existe comme séparée, plus elle doit se revendiquer
comme solitude.
Intensification
du fantôme.
Collectivisme
libéral par réduction du champ d’individu.
Sous
microscope idéologique, un isolat.
Égalité
devant le monstre.
Fraternité
à son service.
Liberté
dans sa mesure à lui.
Croissance
pour la croissance.
Marchandise
pour elle-même.
Toute
énergie sociale dirigée vers son centre.
Big
bang économique.
L’individu
s’éloignant de lui-même à la vitesse de la lumière.
Au
commencement même de sa création.
Intervalle
entropique.
La
masse par la vitesse des échanges au carré.
Silence.
Capit[u]lisme.
Adaptation.
Tempo
des choses.
En
rangs serrés.
Plus
de bourgeois.
La
prolétarisation du monde est accomplie.
Le
bourgeois, en tant qu’être-pour-la-marchandise, était prédestiné
au sacrifice.
Être-pour-la-marchandise
s’appelle maintenant tout individu.
Dictature
du prolétariat.
Société
sans classes.
Involution.
Réinvolution
finale.
Bourgeois
prolétaire.
Prolétaire
bourgeois.
Serviteur.
Exilé
volontaire dans sa propre maison.
Quasi-individu.
Quasi-néant.
Dans
la fraternité obligatoire des richesses misérables.
Crevant
à lui-même dans le confort de son image.
Et
le riche plus que le pauvre.
Le
premier, déjà le dernier.
Ici
et maintenant.
Tous
les derniers, main dans la main.
Ronde
sévère.
Le
libéralisme est un collectivisme,
Et
le mouvement du capital un nihilisme.
Pratique
de la machine aveugle au destin de machine.
Monstre
gravitationnel au carrefour des chemins.
Serrant
les dents sur l’ombre.
Étourdissant
tapage.
Volière
en émoi.
Et
[moi] qui panique.
Homme
de peu.
À
genoux, fidèles!
De
peu de foi.
Liturgie
des valeurs.
Prières
jetables.
À
quoi sert le dimanche de hanter les églises?
Puisque
tout le monde sait que la messe est ailleurs.
Partout
ailleurs.
Là
où elle n’est pas.
Frères
humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous
endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura
plutôt de vous merciz.
Vous nous voyez ci attachez cinq,
six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça
dévorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et
poudre.
De notre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que
tous nous veuille absoudre!
Novembre 2020