vendredi 10 février 2012

Vive la crise!

Un fainéant riche est un héritier, un fainéant pauvre est juste un fainéant. Quant au chômeur, c’est un pauvre fainéant. D’abord on le licencie, ensuite on le soupçonne de se la couler douce. La crise n’existe pas, ce sont les gens qui ne veulent plus travailler.

Je répète que le chômage n’est pas une cause et un problème mais une conséquence et une solution. La conséquence d’une augmentation de la productivité par automatisation galopante ou de la concurrence internationale effrénée, la solution pour faire baisser les salaires. Nos élites le savent parfaitement bien et manipulent l’opinion depuis toujours pour éviter qu’elle ne s’en aperçoive. Les moyens de cette manipulation sont de trois ordres : la stigmatisation de l’immigré, la stigmatisation du chômeur, l’exaltation de la valeur travail pour faire accepter ce paquet et permettre l’augmentation du temps de travail quotidien, annuel ou existentiel (recul de l’âge de la retraite) sans hausse de salaire. Pendant que les pauvres qui travaillent jalousent les plus pauvres qu’eux, les très riches peuvent continuer de se gaver à leur dépens. Cette tactique reste payante malgré sa grossièreté parce que la vision superficielle que nous avons de la société, depuis le bout de notre nez individuel, ne nous permet pas de prendre conscience de son fonctionnement réel. Mais aussi parce que les Hommes sont portés au déni et à la lâcheté. Il faut reconnaître également que les stratégies de domination globale et de classe ne sont jamais aussi directement lisibles que les stratégies individuelles de survie.

De tous les crimes sociaux, cherchons donc les commanditaires, avant de nous jeter bêtement sur la dernière victime expiatoire désignée par les puissants à notre vindicte aveugle.

En 2008, Sarkozy disait vouloir réformer le capitalisme, ou même le refonder. Mais comme il devait pour cela couper l’herbe sous ses pieds en tapant sur ses amis et créditeurs du Fouquet’s, il s’est choisi un autre adversaire, plus à la mesure de son courage, le chômeur qu’il a lui-même créé. Vive la crise ! 

Adrien Royo

mercredi 8 février 2012

Compétitivité, qu'ils disaient!

Accords compétitivité-emploi. Traduction : flexibilité-chômage.

Travailler plus pour gagner moins, et souvent ne pas travailler du tout pour gagner le droit de se taire. Belle perspective, non? Et tout ça, remarquez-le bien, on nous le sert depuis des lustres. La crise ne fait qu’accentuer le phénomène. Quand on vous dit que c’est une bénédiction, cette crise ! Compétitivité ! Comprenez-vous, tas de fainéants ? Ah ! vous vous prélassiez au soleil sans rien foutre ! Eh, bien, c’est fini ! Vous pensiez peut-être que les voyous (les vrais, pas les loulous de banlieue qu’on nettoie au Kärcher (tient, encore un allemand)) allaient ramasser. Oui, ils ramassent la monnaie, comme toujours. Et vous, vous ramasserez leurs poubelles, comme d’habitude. Non, si on en est là, c’est parce que vous ne travaillez pas assez et que vous êtes trop payés. Regardez les allemands ! Voilà, un peuple de travailleurs ! On dirait des japonais. Manquerait plus qu’ils se prennent un tsunami. Ils bossent pour presque rien et ne la ramènent pas, eux. Pas comme ces faignassent de grecs, par exemple. Ou ces râleurs de français. Là-bas, on laisse les escrocs travailler. On n’a qu’à faire pareil. On leur prend leur Kärcher, s’ils nous prennent nos parasols. Donnant, donnant. Mais un pauvre allemand ressemble drôlement à un pauvre français, de loin. Pas sûr qu’il puisse acheter nos parasols. Pas sûr non plus qu’on puisse encore longtemps acheter leurs Kärcher. Tant pis, il y a encore les chinois. Voilà, un peuple de travailleurs ! On dirait des japonais. Manquerait plus qu’ils se prennent un tsunami.

Adrien Royo

mardi 7 février 2012

Ah! le modèle allemand!

Souvenez-vous du modèle japonais, du modèle anglais, du modèle irlandais, du modèle espagnol, du modèle argentin, coréen, martien, etc.

Je lui donne deux ans, à ce modèle-là. Ne nous pressons pas, nous autres petits français de devenir les modèles économiques du monde. Le premier de la classe libéral n'est jamais qu'une petite tête de con en instance d'évaporation. Quant au modèle démocratique états-uniens, demandez donc aux afros (les vrais, pas les domestiques à la Obama), aux latinos, ou aux 47 millions de citoyens ivres de bonheur qui mangent grâce à des bons d'alimentation, ce qu'ils en pensent.

Cultivons notre gouaille de cancre, plutôt, et notre différence.

lundi 6 février 2012

Véhicules de profits

Une phrase clé de l’article précédent : « Les États doivent montrer leur capacité à absorber par le budget les pertes rachetées aux banques pour que les banques puissent allouer l’épargne au financement de la dette publique. »

Cette formule rend excellemment compte du jeu à double bande que jouent les élites mondiales aujourd’hui : les États sauvent les banques pour que les banques sauvent les États. Qui donc peut bien sortir gagnant d’une telle insanité, d’une circularité si diabolique ? Certes pas les peuples qui devront payer en dernière instance. Même pas les banques ou les États, d'ailleurs, simples pompes à fric, ou véhicules de profit, en cette occurrence, et dont on se débarrasse après usage, comme on se débarrasse d’une vieille voiture volée après un hold-up. Ces coquilles vides sont faites pour échouer un jour, comme des épaves, sur les côtes du rêve libéral de liberté individuelle, incarné désormais par un tout petit nombre de prédateurs apatrides. Rien de plus logique d’ailleurs pour une idéologie visant dès l’origine à la seule émancipation des élus, des prédestinés, et donc des très riches, en faisant croire à une volonté de libération humaine générale. Non, les seuls gagnants seront les intermédiaires, ceux qui n’appartenant ni aux unes ni aux autres, utilisent les organismes financiers ou étatiques, étatico-financiers maintenant, à leur seul bénéfice égoïste et irresponsable. Et ceux-là forment désormais un continent invisible, indépendant, isolé dans une tour de verre mondiale, et manipulant les États, comme les peuples et les entreprises, à seule fin de puissance. La formule qu’on prête à un membre de la dynastie Rothschild résume bien cela : « donnez-moi le pouvoir de créer la monnaie, peu importe alors qui écrira les lois. »

Les vautours qui se penchent actuellement avec avidité sur la Grèce sanguinolente, illustrent à merveille le propos. Réduisez votre peuple à l’esclavage, disent-ils à ses dirigeants incapables, ou bien nous vous retirerons le pain de la bouche ! Mais ce pain est également le poison. Ce sont bien des charognards qui attendent la mort de l’animal antique affaibli pour se jeter sur son cadavre et le dépecer.

Adrien Royo
 

Un article piqué chez Jorion aujourd'hui

Dans la crise des dettes publiques en euro, les États tombent les uns derrière les autres dans l’illiquidité. L’illiquidité financière exprime la perte de la logique du prix dans l’ordre de la démocratie et des causes du prix dans l’ordre de l’économie. La crise des subprimes avait produit ses effets sur les banques à partir de 2007 ; elle les produit aussi sur l’ensemble des États du monde depuis l’été 2011.

La démocratie abolie par la finance

L’illiquidité signifie que des délais de paiement exceptionnels sont demandés aux créanciers, c’est à dire à tous les titulaires de droit assortis d’un prix fixé dans le passé. Pour éviter que ces délais soient assimilables à des défauts de crédit, les banques centrales accordent depuis 2007 des prêts exceptionnels aux banques. Ce faisant, la relation logique entre les prix et le droit se distord. Les faits apparaissent contradictoires dans l’ordre juridique et dans l’ordre économique : la réalité financière n’est plus compatible avec la réalité non financière.

En 2012, les délais de paiement accordés aux banques sont allongés et amplifiés pour qu’à leur tour elles en accordent aux États en souscrivant des bons du trésor. Entre 2007 et 2012, l’illiquidité des banques s’est généralisée aux États ; lesquels se sont endettés pour secourir les banques après la faillite de Lehman en 2008. La réalité financière absorbe les États qui perdent pied avec la réalité économique de la production et des revenus.

Contrairement aux apparences, les avances de liquidité des banques centrales ne sont pas gratuites. Les banques centrales pas plus que les banques ne créent de la monnaie « ex nihilo ». Les banques ne sont pas des divinités. Elles ne créent rien ; elles transforment des réalités immatérielles. En temps normal, les banques centrales émettent de la liquidité à proportion de leur estimation de la richesse réelle qui sera produite et vendue sur la durée de ses allocations de crédit aux banques.

Une allocation de liquidité centrale est une estimation de la liquidité du crédit effectivement remboursable par l’économie réelle. En temps normal, les banques centrales transforment leur estimation de l’équilibre à court terme du droit des prix à l’économie en crédit nominal aux banques ; lesquelles distribuent le crédit dans la limite de leurs propres estimations du risque juridique et économique de non-remboursement du crédit.

Les banques cessent de faire crédit quand elles calculent qu’elles peuvent perdre en moyenne auprès de leurs débiteurs plus que les intérêts perçus. Ce phénomène se développe dans le monde entier depuis la fin de 2011. Les banques comme les acteurs de l’économie réelle anticipent des pertes de crédit supérieures aux taux d’intérêt proposés. Il n’y a plus d’intérêt ni à prêter ni à emprunter sauf pour les emprunteurs systémiques qui peuvent imposer de ne pas prouver leur capacité à rembourser leurs dettes.

Captation financière de la réalité humaine

Dans le contexte actuel d’illiquidité des banques et des États, les acteurs de l’économie réelle n’ont plus de certitude quant à la réalité sous la mesure financière de leurs droits. Ils ne sont plus sûrs de la production réelle qui fera la contrepartie des dépôts, de l’épargne et des primes d’assurance. L’économie financière manipule des concepts et des prix dont l’économie réelle ne peut plus croire à la réalisation concrète dans le futur. La production ralentit par anticipation de l’insolvabilité des consommateurs et des investisseurs.

Au lieu d’être exclusivement l’anticipation d’une production vraisemblable qui sera vraiment achetée, la liquidité des banques centrales se substitue à des pertes de crédit sur une production qui n’existera jamais. Les banques centrales masquent le décrochage de l’économie réelle par l’anticipation incantatoire d’une croissance que les acteurs économiques jugent impossible par l’accumulation-même de pertes de crédit non mesurées et non avouées.

Dans la zone euro, le pouvoir politique morcelé et divisé face au système financier ne peut pas réclamer, comme les banques, d’avances quasi gratuites de la BCE. Les États doivent montrer leur capacité à absorber par le budget les pertes rachetées aux banques pour que les banques puissent allouer l’épargne au financement de la dette publique. Les droits sociaux et les droits du travail sont renégociés à la baisse afin de réduire les dépenses publiques et les garanties publiques.

Les États de la zone euro imputent directement sur les citoyens et les contribuables les pertes d’un système financier international échappant à tout contrôle de légalité. La liquidité émise par la BCE sort de la zone euro pour faire acheter les dettes publiques par des non-résidents non fiscalisables et non tenus par le droit européen. La monnaie continue de circuler mais pour des transactions nominales sans réalité vérifiable.

La mesure en monnaie des prix de la richesse accumulée et produite donne l’illusion d’une croissance. Mais les prix perdent leur sens ; les gens réels ne savent plus comment investir ou travailler avec une monnaie qui ne traduit plus leurs droits réels. A un certain degré d’appauvrissement général, le crédit du droit disparaitra totalement. La loi formelle ne sera plus respectable ; la propriété disparaitra de fait entrainant l’impossibilité du crédit, de la monnaie et de toute finance.

Résurrection européenne par la monnaie commune

La finance réalise la transformation réciproque des prix calculés dans la démocratie en économie. Si la démocratie disparaît, l’économie disparaît et la finance aussi. Si les acteurs politiques et techniques de la finance veulent éviter de disparaître avec les sociétés et les États qu’ils détruisent, il faut rétablir la monnaie comme lien matériel logique universel de souveraineté du droit humain sur l’économie.

Concrètement, l’émission de la monnaie doit revenir sous une double conditionnalité de la liquidité du crédit : les prix sont vérifiables par la réalité visible et les droits des sujets humains sont mis en équivalence préalablement à toute transaction de prix. La restauration de la liberté civile des individus implique qu’aucune monnaie ne soit émise sur le prix d’un actif non vérifié en droit.

Le marché financier du capital, du crédit et de la monnaie peut être remis sous le contrôle public de la démocratie. Si les citoyens de la communauté politique de l’euro demandent dans leurs prochaines élections l’application de la loi de la démocratie à la finance, ils imposeront aux États, aux banques et à tout emprunteur les conditions de la réalité du crédit : l’obligation d’assurer son crédit par la loi commune de l’euro muté en étalon de crédit.

Le prix des systèmes juridiques et politiques nationaux de la zone euro est alors assuré par des monnaies nationales mesurant le crédit des souverainetés par la parité en euro. Tout mouvement financier est juridiquement contrôlé et fiscalisé par l’autorité publique commune de marché. Et les Européens retrouvent ensemble leur liberté de financer leur production de richesses.

Pierre Sarton du Jonchay

dimanche 5 février 2012

De la liberté (suite)

La liberté individuelle est en général conçue comme éloignement du corps social. Pour les libertariens, par exemple, moins il y a de social, mieux c’est. Le rêve de ces rousseauistes modernes : une constitution minimale, et pour le reste, un laisser-faire maximum. La nature, ou Dieu, s’occupant de tout. Pas de corps social pour eux, seulement des individus libres par nature et bons par décret divin. Il suffit de supprimer la gangue sociale qui nous enferme pour retrouver l’Age d’Or. On procède par élimination, par élagage, par dégraissage de mammouths collectifs. En langage kunique, nous dirions qu’ils partent du corps individuel comme essence pour arriver à l’origine comme finalité.

Presque toutes les théories d’émancipation empruntent le même chemin. L’individu étant identifié à son corps individuel, c’est-à-dire, pour nous, limité à son enveloppe la plus évidente, la plus intuitivement perceptible, mais aussi, la plus illusoire.

L’originalité du kunisme, qui n’a encore trouvé aucun écho ni aucun prolongement, c’est qu’il considère l’individu dans ses trois états à la fois : corps individuel, corps social, corps cosmique, et qu’il ne voit aucune libération possible sans harmonisation de ces états.

Le corps individuel n’est pas plongé dans un corps social, il est ce corps social même. Tout comme il est d’emblée corps cosmique. Bien sûr, la relation qu’il entretient avec lui-même dans son corps social est complexe. Il s’agit de la relation avec ses prothèses, qu’elles soient symboliques ou matérielles. L’Homme, pour nous, est intrinsèquement cette relation même. Ce qui veut dire qu’aucun être humain ne peut s’envisager constitutivement comme séparé de son corps social, qui inclue le langage et les connaissances, même les plus rudimentaires. Ce qu’il a dans la tête dès avant sa première naissance, sa chute maternelle, appartenant déjà à la sphère sociale. Ce que j’appelle aussi son immunologie sociale. Si bien que lorsque l’on voit un Homme se promener dans les bois, on perçoit toujours plus qu’un corps individuel. Car voilà un individu qui emmène avec lui toute une société, ou une société qui emmène avec elle tout un individu. Et pas seulement la société vivante tout autour, mais aussi la société morte des ancêtres. Et plus encore, voilà un individu qui marche avec son corps cosmique accroché aux basques.

Comment, alors, un Homme pourrait-il être libre au dépend d’une partie de lui-même ? Comme pourrait-il être libre « dans » un corps social enchaîné ? Ou encore, comment un corps social pourrait-il être sain en asservissant les corps individuels ?

Les corps individuels ne font pas l’individu. L’individu, c’est l’ensemble des trois corps réunis dans une conscience individuelle. C’est pourquoi, la liberté sera conçue par nous comme projet de deuxième naissance, d’élévation individuelle, non entravé. La liberté est donc essentiellement pour nous une liberté de naissance et non d’essence. Ce qu’il faut protéger, c’est la potentialité d’émancipation d’un corps individuel concret, et non un individu abstrait (puisque séparé de lui-même) déjà né. Dans cette perspective, les Droits de l’homme ne sont qu’une blague permettant au corps social de s’émanciper au dépend des corps individuels. Ce n’est pas la même chose de dire que tous les Hommes naissent libres et égaux en droit, et de dire que le corps social, à travers le droit, doit permettre et favoriser leur naissance. Dans le premier cas, il faut garantir à un individu abstrait certains droits (ces droits étant énoncés, et assurés formellement, le corps politique n’a plus d’autre responsabilité et peut agir à sa guise), dans l’autre, il faut garantir et accompagner la naissance d’un individu concret (et là le corps politique reçoit une mission qu’il ne peut éluder). Liberté formelle ici, liberté concrète là.

Je ne développe pas ici des arguties fuligineuses pour le plaisir de la complexité ou pour noyer les problèmes dans une viscosité artificielle. Je développe l’argumentaire d’une nouvelle constitution humaine, au croisement de la mystique et de la politique, sur un fond purement matérialiste et rationnel.

Je propose une analyse, une vision anthropologique globale et un projet d’émancipation sur des bases toutes différentes de ce qui existe jusqu’ici.

Le problème n’est pas de libérer un individu mais de l’inventer. Chacun doit se faire l’inventeur de lui-même en disciplinant son corps social. C’est pourquoi, la politique pour moi s’apparente à un yoga du corps social. Tous ceux qui nient le corps social ou le méprisent, ne font que soumettre l’individu à son inconsistance première. Nier ou mépriser le corps social, c’est nier ou mépriser l’individu même. Mais nier le corps individuel ou le corps cosmique, c’est lâcher la bride et donner libre cours à la Bête, c’est-à-dire au corps social pathologique.

Tout ceci mériterait un livre, je le sais.

Adrien Royo

samedi 4 février 2012

Lumpen-cyborg

Il paraît qu’à la fin de sa vie, Pasteur, désabusé, donna finalement raison à Claude Bernard, son rival de toujours : le microbe n’est rien, le milieu est tout. Manière de dire que c’est l’adaptation immunologique à un milieu qui fait la santé.

Ceci nous aide à mieux comprendre la relation kunique primordiale entre un corps individuel et un corps social. Si le corps social (artificiel) ne compose pas convenablement avec les corps individuels qui le constituent, et dont l’adaptation immunologique (génético-organique) demande un temps incomparablement plus long que le temps électronique du premier, alors la maladie sous toutes ses formes deviendra leur destin. La médecine d’urgence actuelle, avec les instruments du corps social électro-technique, s’engagera alors dans une fuite en avant désespérée pour combler un fossé qui ne cessera de s’élargir du fait même de ces instruments, et il n’y aura plus d’autre alternative pour elle que d’adapter artificiellement les corps individuels au corps prothétique. Les corps individuels, ce que nous appelons les individus, devenant ainsi progressivement les prothèses de leurs machines.

Mais souvenons-nous que le prolétariage, notre forme civilisationnelle actuelle, que d’autres appellent de façon moins heureuse capitalisme, contient depuis toujours cet élément de négation individuelle, caché seulement par la prodigieuse faculté d’illusion que le système entretient comme sa principale ressource. Le Capital abstrait s’auto-réalisant dans un processus toujours plus massif et universel au dépend des Hommes concrets, ce que j’appelle développement hégémonique du corps social pathologique, il tend inexorablement à faire des individus ses parasites. Or, les parasites, ou bien on les domestique ou bien on les extermine. Il s’ensuit qu’une ingénierie génétique au service du Capital, ne pourra jamais avoir d’autre objectif que de transformer les prolétaires que nous sommes tous devenus en lumpen-parasites ou en lumpen-cyborgs. Des cyborgs, hybrides humains-machines, parfaitement adaptés à leur milieu par déshumanisation radicale. Le corps social en parfaite santé aura muté en absorbant ses constituants humains et fonctionnera désormais sans accrocs. A moins que ce bel ordonnancement ne provoque au contraire une magnifique implosion. Car le corps social doit aussi composer avec le corps cosmique ou naturel, et sa première enveloppe terrestre. Or là, c’est le mystère. Ou bien fusion avec l’esprit de la terre à la manière teilhardienne ou post-humaniste, ou bien l'auto-destruction.

Adrien Royo