lundi 6 février 2012

Un article piqué chez Jorion aujourd'hui

Dans la crise des dettes publiques en euro, les États tombent les uns derrière les autres dans l’illiquidité. L’illiquidité financière exprime la perte de la logique du prix dans l’ordre de la démocratie et des causes du prix dans l’ordre de l’économie. La crise des subprimes avait produit ses effets sur les banques à partir de 2007 ; elle les produit aussi sur l’ensemble des États du monde depuis l’été 2011.

La démocratie abolie par la finance

L’illiquidité signifie que des délais de paiement exceptionnels sont demandés aux créanciers, c’est à dire à tous les titulaires de droit assortis d’un prix fixé dans le passé. Pour éviter que ces délais soient assimilables à des défauts de crédit, les banques centrales accordent depuis 2007 des prêts exceptionnels aux banques. Ce faisant, la relation logique entre les prix et le droit se distord. Les faits apparaissent contradictoires dans l’ordre juridique et dans l’ordre économique : la réalité financière n’est plus compatible avec la réalité non financière.

En 2012, les délais de paiement accordés aux banques sont allongés et amplifiés pour qu’à leur tour elles en accordent aux États en souscrivant des bons du trésor. Entre 2007 et 2012, l’illiquidité des banques s’est généralisée aux États ; lesquels se sont endettés pour secourir les banques après la faillite de Lehman en 2008. La réalité financière absorbe les États qui perdent pied avec la réalité économique de la production et des revenus.

Contrairement aux apparences, les avances de liquidité des banques centrales ne sont pas gratuites. Les banques centrales pas plus que les banques ne créent de la monnaie « ex nihilo ». Les banques ne sont pas des divinités. Elles ne créent rien ; elles transforment des réalités immatérielles. En temps normal, les banques centrales émettent de la liquidité à proportion de leur estimation de la richesse réelle qui sera produite et vendue sur la durée de ses allocations de crédit aux banques.

Une allocation de liquidité centrale est une estimation de la liquidité du crédit effectivement remboursable par l’économie réelle. En temps normal, les banques centrales transforment leur estimation de l’équilibre à court terme du droit des prix à l’économie en crédit nominal aux banques ; lesquelles distribuent le crédit dans la limite de leurs propres estimations du risque juridique et économique de non-remboursement du crédit.

Les banques cessent de faire crédit quand elles calculent qu’elles peuvent perdre en moyenne auprès de leurs débiteurs plus que les intérêts perçus. Ce phénomène se développe dans le monde entier depuis la fin de 2011. Les banques comme les acteurs de l’économie réelle anticipent des pertes de crédit supérieures aux taux d’intérêt proposés. Il n’y a plus d’intérêt ni à prêter ni à emprunter sauf pour les emprunteurs systémiques qui peuvent imposer de ne pas prouver leur capacité à rembourser leurs dettes.

Captation financière de la réalité humaine

Dans le contexte actuel d’illiquidité des banques et des États, les acteurs de l’économie réelle n’ont plus de certitude quant à la réalité sous la mesure financière de leurs droits. Ils ne sont plus sûrs de la production réelle qui fera la contrepartie des dépôts, de l’épargne et des primes d’assurance. L’économie financière manipule des concepts et des prix dont l’économie réelle ne peut plus croire à la réalisation concrète dans le futur. La production ralentit par anticipation de l’insolvabilité des consommateurs et des investisseurs.

Au lieu d’être exclusivement l’anticipation d’une production vraisemblable qui sera vraiment achetée, la liquidité des banques centrales se substitue à des pertes de crédit sur une production qui n’existera jamais. Les banques centrales masquent le décrochage de l’économie réelle par l’anticipation incantatoire d’une croissance que les acteurs économiques jugent impossible par l’accumulation-même de pertes de crédit non mesurées et non avouées.

Dans la zone euro, le pouvoir politique morcelé et divisé face au système financier ne peut pas réclamer, comme les banques, d’avances quasi gratuites de la BCE. Les États doivent montrer leur capacité à absorber par le budget les pertes rachetées aux banques pour que les banques puissent allouer l’épargne au financement de la dette publique. Les droits sociaux et les droits du travail sont renégociés à la baisse afin de réduire les dépenses publiques et les garanties publiques.

Les États de la zone euro imputent directement sur les citoyens et les contribuables les pertes d’un système financier international échappant à tout contrôle de légalité. La liquidité émise par la BCE sort de la zone euro pour faire acheter les dettes publiques par des non-résidents non fiscalisables et non tenus par le droit européen. La monnaie continue de circuler mais pour des transactions nominales sans réalité vérifiable.

La mesure en monnaie des prix de la richesse accumulée et produite donne l’illusion d’une croissance. Mais les prix perdent leur sens ; les gens réels ne savent plus comment investir ou travailler avec une monnaie qui ne traduit plus leurs droits réels. A un certain degré d’appauvrissement général, le crédit du droit disparaitra totalement. La loi formelle ne sera plus respectable ; la propriété disparaitra de fait entrainant l’impossibilité du crédit, de la monnaie et de toute finance.

Résurrection européenne par la monnaie commune

La finance réalise la transformation réciproque des prix calculés dans la démocratie en économie. Si la démocratie disparaît, l’économie disparaît et la finance aussi. Si les acteurs politiques et techniques de la finance veulent éviter de disparaître avec les sociétés et les États qu’ils détruisent, il faut rétablir la monnaie comme lien matériel logique universel de souveraineté du droit humain sur l’économie.

Concrètement, l’émission de la monnaie doit revenir sous une double conditionnalité de la liquidité du crédit : les prix sont vérifiables par la réalité visible et les droits des sujets humains sont mis en équivalence préalablement à toute transaction de prix. La restauration de la liberté civile des individus implique qu’aucune monnaie ne soit émise sur le prix d’un actif non vérifié en droit.

Le marché financier du capital, du crédit et de la monnaie peut être remis sous le contrôle public de la démocratie. Si les citoyens de la communauté politique de l’euro demandent dans leurs prochaines élections l’application de la loi de la démocratie à la finance, ils imposeront aux États, aux banques et à tout emprunteur les conditions de la réalité du crédit : l’obligation d’assurer son crédit par la loi commune de l’euro muté en étalon de crédit.

Le prix des systèmes juridiques et politiques nationaux de la zone euro est alors assuré par des monnaies nationales mesurant le crédit des souverainetés par la parité en euro. Tout mouvement financier est juridiquement contrôlé et fiscalisé par l’autorité publique commune de marché. Et les Européens retrouvent ensemble leur liberté de financer leur production de richesses.

Pierre Sarton du Jonchay

Aucun commentaire: