mercredi 23 décembre 2015

prolétarisme nouménal

Au-delà des absurdités énoncées chaque jour par les uns et par les autres concernant le Front National et l'extrême-droite en général, je voudrais préciser les choses encore une fois.

Ce que nous devons avoir constamment à l'esprit tout d'abord, si nous voulons comprendre quelque chose à ce qui se passe dans la vraie vie, et si nous voulons réellement échapper au déterminisme prolétariste, c'est que l'extrême-droite, qui se subdivise en diverses variantes allant du vrai fascisme au conservatisme traditionaliste, n'est qu'un des produits de la recherche désespérée d'une troisième voie entre libéralisme et communisme. Troisième voie recherchée fort légitimement après les expérimentations de tous ordres menées tout au long du XXe siècle, mais qui malheureusement n'existe pas. Non pas que les deux pôles antagonistes soient indépassables, mais tout simplement le terrain de réflexion, l'étage du millefeuille sur lequel nous nous situons généralement pour penser la société, n'est pas le bon. Au niveau du prolétarisme protéiforme où nous nous agitons, tout n'est que piège à conscience et miroir aux alouettes.

Pour mieux faire comprendre ce que je veux dire, je soumets à la sagacité de chacun une nouvelle grille d'analyse et un nouveau répertoire des forces politiques en présence.

Selon la nomenclature politique classique française, il est convenu de diviser le champ politique entre légitimistes, orléanistes et bonapartistes. Selon la classification moderne, il se partagerait entre révolutionnaires, sociaux-démocrates, libéraux, conservateurs et autoritaires traditionalistes. Selon la mienne, étant entendu que le vrai clivage, comme je ne cesse de le répéter, oppose les prolétaristes (fort nombreux) et les anti-prolétaristes (quasi inexistants pour le moment), et sachant que tous les éléments des précédentes nomenclatures sont dans le camp prolétariste sans aucune exception, le terrain politique se divise plutôt en deux branches uniques mettant aux prises prolétaristes conséquents d'un côté et prolétaristes inconséquents de l'autre. Prolétaristes conséquents, libéraux et socio-démocrates, acceptant dans les grandes lignes les conséquences du mode de civilisation actuel, prolétaristes inconséquents, révolutionnaires ou fascistes invétérés, refusant ces mêmes conséquences sans rien comprendre toutefois au processus global qui les provoque. Prolétaristes contre prolétaristes de toute manière. Et donc rien qui puisse dessiner une perspective réelle d'émancipation.

Tout se passe comme s'il existait deux mondes parallèles et superposés, dont le premier, le plus perceptible intuitivement, n'aurait aucun effet sur le deuxième, tandis que le deuxième, le plus invisible et contre-intuitif, déterminerait l'ensemble.

Ce qui arrive dans le premier, le monde social qu'on pourrait appelé phénoménal, reste enfermé dans le jeu des faux-semblants et de l'illusion, tandis que ce qui arrive dans le second : le social nouménal, produit le véritable enchaînement des causes et des effets. Dans le phénoménal : le superficiel, la guerre, les oppositions factices, les antagonismes de façade ; dans le nouménal : le vrai clivage et les déterminations essentielles. Dans le phénoménal, la lutte des classes, la guerre entre fas et antifas, les débats picrocholins et les apories idéologiques ; dans le nouménal, le choix de civilisation avec son partage entre humains à naître et non-humains. Le phénoménal, tout le monde s'en occupe. Le nouménal, personne ne s'y intéresse.

Le terrain politique spectaculaire et quotidien (phénoménal social), à partir duquel on nous demande de nous déterminer, ne représente que l'aménagement décoratif du prolétarisme, ses multiples choix cosmétiques, rouge, bleu, noir, avec ses luttes à mort parfois entre les différents architectes d'intérieur. Choix insignifiants en vérité, même s'ils peuvent avoir des conséquences dramatiques sur le moment pour ceux qui les subissent.

Comprenons, à partir de ces considérations nouvelles, que les oppositions actuelles à l'extrême-droite ne font que la nourrir en alimentant le creuset paradoxal où elle prend ses racines. Telle un Phénix renaissant de ses cendres, elle rejaillit partout où sont niées les causes véritables de sa vitalité, à savoir les violences symboliques du prolétarisme incompris, dégradées par la pensée de gauche en simples rapports économiques ou sociaux, et résumées dans le vocable fourre-tout : capitalisme.

Ce n'est pas à partir des Droits de l'homme ou d'une quelconque morale républicaine qu'il faut raisonner, mais à partir des considérants prolétaristes profonds, sous peine de voir se reproduire sans fin les mêmes oppositions factices permettant au système profond de se maintenir.

Notre civilisation est profondément la civilisation du leurre et du mensonge. Accepter ses clivages superficiels revient à perpétuer le mensonge. L'opposition la plus utile à la machine socio-économique autonome, est celle qui provoque le plus de bruit et de fureur : l'opposition extrême-droite/extrême-gauche. C'est pourquoi je propose de la refuser en bloc et de chercher un autre point de vue. Ce qui veut dire : ne pas entrer dans le jeu, ne pas alimenter la guerre, à partir de l'un ou l'autre camp, et se concentrer sur l'essentiel, à savoir l'analyse du prolétarisme lui-même dans toute sa complexité souterraine.

Adrien Royo 

mercredi 16 décembre 2015

Le millefeuille ventriloque

Par-delà les conjonctures particulières, la société prolétariste considère sa créature humaine comme une mine à ciel ouvert, une mine à survaleur, qui ne mérite de vivre que pour autant qu'elle est en capacité de fournir son minerai. C'est l'erreur de tous les contestataires de croire qu'il existe des catégories d'humains qui échappent ou pourraient échapper à cette logique.

Bien sûr, la lutte des classes est un fait social incontestable. Mais c'est un fait de surface. Dans l'épaisseur réelle du monde de la marchandise, au niveau le plus radical, au niveau anthropologique, le riche est logé à la même enseigne que le pauvre. Lui aussi n'est qu'une pompe à valeur, placée à un niveau supérieur de confort, à un degré de l'échelle prolétariste globale lui permettant seulement de nier sa condition d'esclave. Il est l'esclave direct de la machine, les autres sont ses esclaves, les esclaves d'esclaves. Cela étant précisé, je ne dis pas que la force ne soit jamais nécessaire pour imposer au riche une nouvelle loi générale qui ne soit pas basée sur l'extraction minière de la survaleur. Je ne suis pas pacifiste au point de nier les rapports de force. II y a simplement plusieurs niveaux de lecture qu'il faut apprendre à considérer en même temps.

La vérité sociale est essentiellement composite et stratifiée. A ne considérer qu'un ou plusieurs strates sans les insérer dans une vision d'ensemble claire et cohérente, on prend le risque de la répétition inconsciente, du bégaiement dialectique. Le négatif profond n'ayant pas été découvert, le négatif superficiel : le prolétariat par exemple, se présente comme la rayure d'un microsillon, un bug de retour, qui, au lieu du dépassement, instaure la répétition du même sous une forme différente. Le disque rayé du prolétarisme hyper-industriel revient ainsi périodiquement, après la crise, à son dernier point de lecture. A la façon d'un logiciel caché, il restaure continuellement le système.

La lutte ne se mène pas au bon niveau, c'est ce qui donne cet effet de boucle infinie, d'éternel retour du même sous les dehors du plus grand changement. On ne dépasse rien si l'on n'est pas situé au point central de la rencontre dialectique entre les deux pôles de la contradiction fondamentale. Celle qui détermine tout le reste.

Le pauvre qui combat uniquement le riche conforte le mensonge de la richesse. Il doit se combattre lui-même d'abord, en tant qu'outil et serviteur volontaire de la machine. Alors seulement il ne se contentera pas de prendre la place du riche, mais créera une nouvelle place pour tous.

Jusqu'ici on n'a fait que théoriser les différents types d'aménagement du prolétarisme. Ce qu'il faut maintenant, c'est le théoriser lui-même pour fournir le cadre général d'une alternative réelle. Il s'agit de se débarrasser du logiciel pirate pour intervenir directement sur le système.

Au niveau très superficiel de lecture, il y a l'autosatisfaction, le cynisme, l'inquiétude inexplicable, ou la croyance sans fondements en un avenir prometteur. Au niveau juste en-dessous, il y a la lutte des classes, avec des propriétaires et des non-propriétaires de l'outil de production. Au niveau encore inférieur, il y a l'homme en face de cette créature sociale qui lui a échappé. La résolution du problème posé à un seul niveau, ou aux deux premiers seulement, ne règle rien. C'est le dernier niveau, le plus profond, qui détermine le reste. C'est par la solution au problème de la création collective d'un monstre (le Frankenstein global invisible), et des raisons profondes qui l'ont rendu nécessaire à un certain moment de l'histoire humaine, que passe le salut. A ce niveau-là, les considérations politiques, économiques et sociétales ne suffisent pas. Il faut surtout plonger au cœur des invariants humains en matière de construction existentielle, au centre des conditions mêmes de la naissance à l'autre, et de l'autre, du petit d'homme en formation, des relais institutionnels et collectifs nécessaires au bon développement psychique de l'individu doué de parole. Et dans cette zone de la pratique humaine, il n'y a pas de différence profonde entre le riche et le pauvre, entre le propriétaire et le non-propriétaire. Seul compte ici la conscience d'une aliénation fondamentale humaine et la manière de la contrôler. Faute de cette conscience, il sera vain de changer quoi que ce soit à la forme actuelle de civilisation. Un changement partiel ne ferait que déplacer le problème sans le résoudre, nous laisserait prisonnier d'une répétition, d'un éternel retour des produits collectifs de cette aliénation individuelle non-comprise. La démonstration en a été faite durant tout le XXe siècle avec les révolutions rouges, brunes ou noires.

Pour entrer résolument dans le nouveau millénaire, nous devons accepter d'abandonner les vieilles lumières, les pièges prolétaristes, pour nous diriger dans l'obscurité vers les soubassements du monde, là où règne la peur des monstres, mais où gît aussi la possibilité de leur échapper. Nous devons muer au lieu de muter. Le monstre prolétariste voudrait justement nous faire muter, c'est tout le projet transhumaniste. Muons pour ne pas avoir à muter en devenant muet. Ne laissons pas le monstre parler et agir pour nous. Saisissons-nous de nous-mêmes avant qu'il ne soit trop tard, avant que la Machine ne nous broie de l'intérieur et ne nous ventriloque.

Adrien Royo

lundi 14 décembre 2015

oh! les beaux jours!

Les électeurs de gauche, hier, ont fait leur devoir : redonner de la légitimité à la gauche. Les preux chevaliers républicains ont bouté les nationalistes hors des régions. Quelle victoire éclatante ! Ils ont élu Estrosi et Bertrand au nom de la morale et de la République. J'en pleurerais.

La preuve que l'abstention est inefficace en plus d'être anti-démocratique, presque criminelle même, c'est que, avec le vote, la gauche devient la vraie gauche, c'est-à-dire la droite.

L'abstention ne choisit rien dit-on, elle est le fait d'irresponsables. Si j'en crois la propagande acharnée de ces derniers jours, et les manœuvres auxquelles se sont livrés les états majors ploutocrates, elle serait tout de même assez efficace pour décider du sort d'un gouvernement. Si les électeurs ne s'étaient pas déplacés en masse au second tour de ces Régionales pour protéger de toute la vigueur de leurs votes la démocratie en danger, le bonheur et l'avenir de leurs enfants, la gauche était mourrue et la droite agonisante. Tandis que l'accomplissement du « devoir citoyen » aura permis un sauvetage inespéré des soldat Valls et consorts, leur permettant de préparer tranquillement les prochaines trahisons. Entre l'état d'urgence et Marine Le Pen, c'est vrai qu'il n'y a pas photo. Aujourd'hui, la culture, c'est la gauche au pouvoir qui la détruit, la liberté, c'est la gauche au pouvoir qui la réduit, la fraternité, c'est la gauche au pouvoir qui la méprise. Le FN aurait sans doute fait mieux, mais dans la même direction. Ceux qui n'ont pas l'impression aujourd'hui d'être les dindons de la farce, il n'y a pas grand chose à faire pour eux.

Ils auront quand même réussi cet exploit de donner la possibilité au Front National de se renforcer encore un peu plus, en restant à l'abri dans l'opposition, et de conforter sa position de seul recours face à tous les autres. Si Jean-Marie Le Pen avait été élu en 2002, je suis convaincu que son pouvoir aurait été de très courte durée, tellement à cette époque le FN était inapte à gouverner. Plus la situation deviendra critique, plus les frustrations s’exacerberont, et plus il aura de temps pour se préparer, plus il sera dangereux. Mais il est vrai que ces considérations ne valent rien devant les calculs politiciens de court terme qui ne visent qu'à sauver les meubles en manipulant l'électeur, et en criant chaque jour un peu plus fort au loup. Jusqu'à ce que ce loup ne fasse plus peur à personne et qu'on finisse par le préférer même au renard dans le poulailler.

En 2017, vous aurez encore à choisir entre la haine, la violence, et la République, et, puisque vous en avez pris l'habitude, vous voterez pour la République, la belle, la vraie, celle qui ne laisse personne sur le bord du chemin, celle qui s'occupe de tous à égalité, dans la fraternité.

Quelle époque bénie que celle qui voit des millions d'électeurs se précipiter comme un seul homme dans les tranchées de la démocratie apaisée. Sus à l'ennemi ! No pasaran !

Le scrutin d'hier apporte une nouvelle preuve de l'absolue nécessité pour la gauche d'avoir un Front National le plus haut possible. Sans lui, elle n'existerait plus. L'abstention lui donnait une énorme claque, le vote la revigore.

A ceux qui pensent avoir sauvé la République en allant voter, je dis qu'ils ne font que nourrir davantage les frustrations. En se déplaçant aux urnes hier, en répondant à l'appel des bonimenteurs du prolétarisme paroxystique, ils ont fait un pas de plus vers la Guerre Civile. Que croient-ils ? Que les électeurs du Front National vont disparaître, que les causes qui les ont jetées dans ses filets vont s'évanouir, que la politique de la gauche va s'infléchir, que la droite qu'ils ont élu les remerciera autrement que devant les caméras de télévision d'un dimanche soir d'élection, que la situation va s'éclairer, que ce qui rend en somme la politique actuelle obsolète apportera la lumière ?

Je crains fort que la victoire d'hier soit une fois encore une victoire à la Pyrrhus, qu'elle ait fait plus de morts qu'elle ne méritait. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la politique du sauve-qui-peut, de la course en avant délirante ne pouvant qu'échouer, et le mépris de la demande symbolique allant de paire avec le rejet de l'offre politique qui l'exprime, le résultat ne peut être que catastrophique et l'avenir s'annoncer bien sombre.

Vous ne voulez toujours pas vous résoudre à l'abstention, vous aurez ce que vous avez choisi et qui se fera en votre nom. Vous avez une nouvelle fois, malgré tous les avertissements, signés un chèque en blanc ? Ne vous inquiétez pas, on en fera bon usage.

Objectivement, ce qui permet à ce personnel politique de ce maintenir au pouvoir, c'est d'un côté DAESH, de l'autre le Front National, avec au milieu le réchauffement climatique. Les attentats ont redorés le blason rouillé de Hollande, le Front National redresse le menton de Valls et le réchauffement climatique sort Fabius de son catafalque. Vive la catastrophe, alors !

Quand vous en aurez marre de vous faire les Charlies de tous les profiteurs de guerre, faites-moi signe !

Adrien Royo

mardi 8 décembre 2015

Aux pleureuses de la République et autres curés de la belle-pensée.

Amis de gauche ou de droite, pères-la-pudeur ou vierges effarouchées, moralistes de tout poil, démocrates de supermarché, je vous refuse le droit au monopole de la félonie. Outre les traîtres et les hypocrites, les xénophobes eux aussi ont droit à la pâtée.

Le chœur des pleureuses entame sa ritournelle : Oh ! Comme les électeurs ont mal voté ! Comme ils sont bêtes ! Qu'allez-vous faire ? Interner six millions d'électeurs avec vingt millions d’abstentionnistes pour crime de lèse-majesté, de mal-vote ou de non-vote? Il est vrai que les terroristes avait déjà réussi à la mettre entre parenthèse votre belle démocratie. Reste à l'abolir et à appeler les États-Unis au secours. Car seuls ont droit au label les traîtres de toujours, les cooptés, ceux qui font le travail des transnationales et des financiers depuis des lustres en prétendant défendre les intérêts des plus démunis, ceux qui ne peuvent que décevoir et ne doivent leur pouvoir qu'à la peur du diable. De là à prétendre que s'il n'existait pas il faudrait l'inventer, il n'y a qu'un pas de complotiste.

Vous êtes les nouveaux aristocrates, pleureuses républicaines de gauche ou de droite. Même les aristos pur jus vous dépassent aujourd'hui en honnêteté et en logique.

Le parti au pouvoir aujourd'hui est celui qui a fait monter le Front National. Et il n'est pas exclu qu'il trouve encore en son meilleur ennemi un allié objectif pour la prochaine présidentielle, comme il a trouvé en Daesh récemment un appui inespéré pour remonter du fond des enfers de la popularité sondagière. La diabolisation du FN constitue le seul programme de la gauche. Il est vital pour elle de le maintenir à un très haut niveau, tout en le conspuant pour la galerie. En vérité, le FN est l'assurance vie d'une gauche à l'agonie qui ne peut que foncièrement décevoir. Pourquoi ? Mais parce qu'elle est intrinsèquement, comme je ne cesse de l'expliquer dans ce blog, prolétariste, et donc constitutivement liée à la forme sociale de l'esclavage moderne. Elle a une plus grande responsabilité dans le malheur du temps parce qu'elle se réclame du changement, voire de la révolution, alors que la droite ne veut que gérer un état de chose qu'elle juge par ailleurs fort bon. La gauche ne peut que décevoir parce qu'elle représente le grand capital sous le masque de Che Guevara. L'hypocrisie de droite est puérile, mais la mauvaise foi de gauche est criminelle. On a lâchement abandonné Billancourt et c'est Billancourt qui serait ingrat. On a poussé les pauvres au désespoir et à la déréliction et on voudrait qu'ils se comportent comme les bobos dans leurs bibliothèques Rive-Gauche. C'est toujours le mépris du peuple qui se manifeste ainsi sous les dehors de la morale républicaine. Le peuple est populiste, voyez-vous Monseigneur ! Le peuple est sale et il vote mal, voyez-vous Monseigneur ! On pousse les gens dans les bras du FN en ne leur laissant que cet espoir et on les stigmatise ensuite pour ne pas avoir la décence d'attendre leur déchéance avec patience et sérénité. Toujours la même histoire finalement ! Le pauvre ne se comporte jamais comme les riches voudraient qu'il le fasse : avec respect et soumission. Ou bien au contraire, à un autre niveau de lecture, car la réalité est stratifiée, il se comporte exactement comme il est prévu, en déviant sa colère et la manipulant. Quoiqu'il en soit, ce n'est pas le pauvre qui est responsable, ce sont ses manipulateurs.

Belles-âmes de gauche, vous n'avez pas entendu le silence assourdissant des abstentionnistes, il vous faudra écouter le bruit des urnes pleines de vos déjections.

Je ne me réjouis pas de ce résultat. Je le trouve seulement logique dans le contexte que vous avez fabriqué.

L'espoir ne réside ni à gauche ni à droite, il réside dans la pensée des profondeurs et la capacité de faire entendre des voix nouvelles. Encore faut-il qu'on les laisse s'exprimer au lieu de hurler au scandale pour mieux les étouffer par la culpabilité, la peur ou le brouhaha médiatique entretenu autour de thématiques insignifiantes.

Vive le kunisme!

Adrien Royo 

Abstention


vendredi 20 novembre 2015

Reniement achevé de l'homme

Comme je l'ai déjà écrit ici, une valeur est ce qui guide une action, et donc ce qui se manifeste au travers d'une action. Ce qui signifie que les valeurs d'une civilisation ne se lisent pas dans ses déclarations, mais dans ses actes les plus quotidiens.

De ceci, on peut déjà déduire avec assurance que les valeurs déclarées par notre civilisation ne sont pas celles qu'elle met en pratique réellement. Ses valeurs sont celles de la concurrence, de la rivalité, de l'hégémonie, du mensonge et du lucre, et non pas celles qui s'inscrivent en lettres majuscules sur les bâtiments publics pour rassurer les foules. Les foules d'ailleurs ne demandant qu'à se faire duper, tant sont insupportables pour elles les vérités publiques, la réal-politik ou la raison d’État.

De ceci, on peut induire aussi que ce ne sont pas les fausses valeurs de fraternité, de liberté et d'égalité que les terroristes attaquent réellement. Ils savent parfaitement qu'elles n'existent pas. Pour la plupart, ils sont français. En enfonçant l'illusion étatique à coups de fusils dans le crâne affolé des spectateurs, ils ne font que sortir pour un instant ces fausses valeurs du fonds de rêve collectif dont elles viennent, les exhumant le temps d'un deuil collectif. Ce qu'ils attaquent, c'est leur propre déréliction, et la nôtre par la même occasion.

En provoquant de la part des États une réponse sécuritaire liberticide et anti-démocratique, ils se font par ailleurs les supplétifs objectifs de cet État, dont ils renforcent les tendances totalitaires et paranoïaques. A l'inverse, pour ce même État, le terrorisme servira de justification à toutes les mesures d'autoprotection contre ses citoyens et de renforcement de ses pouvoirs autonomes. A chaque attentat un peu plus de surveillance et un peu moins de liberté, ce qui veut dire un peu plus de terrorisme dans l’État et un peu plus d’État dans le terrorisme. La dictature ou la guerre civile étant la conclusion logique de cette surenchère.

Pour atteindre à la vérité en ces matières, il faut dépasser intellectuellement la binarité imposée, et décaler le regard. On découvre alors que dans une structure telle que la nôtre : spectaculaire marchande, fétichiste, prolétariste, le terrorisme et l’État se donnent la réplique dans un va-et-vient parfaitement huilé. Les terroristes protègent l’État (sauf quand un autre État s'en mêle) et l’État nourrit le terrorisme.

Je ne veux pas dire que les agents de l’État créent consciemment et façonnent de toute pièce les acteurs du terrorisme (quoique !...) je veux simplement dire qu'une force immanente à la machine étatico-économique suscite nécessairement des situations comme celle que nous connaissons aujourd'hui.

Ce n'est pas en excluant les terroristes de la communauté humaine que nous nous en protégerons. Ce n'est pas en nous drapant de l'étendard du Bien et de la Civilisation que nous ferons disparaître ce que cette civilisation construit elle-même. Le terroriste n'est jamais que l'ombre portée de ce que nous sommes véritablement. Il nous offre un miroir où nous pouvons nous voir nous-même dans la lumière crue de la réalité. Nous ne sommes pas encore civilisés, c'est pourquoi il est si facile de nous transformer en animal bêlant ou féroce. Nous ne sommes pas encore nés à nous-mêmes, voilà notre problème. Et ce n'est pas la machine sociale que nous admirons chaque jour davantage pour la magnificence de ses mirages qui nous accouchera. Quant à l'art, la culture, ou la musique produits par cette machine, ils ne sauraient représenter autre chose qu'un relais machinal du néant prolétariste. La guerre est notre réalité fondamentale, il est donc logique qu'elle provoque des morts. Lorsqu'ils sont loin de chez nous, ils n'existent pas, et la guerre non plus ; lorsqu'ils tombent dans nos rues, nous sommes confrontés à la réalité du monde tel que nous l'édifions à notre insu. Nous voulons nous aveugler sur les conséquences d'un système que nous soutenons chaque jour, et c'est ainsi que nous pouvons nous sentir innocents et même exemplaires. Le terrorisme, c'est nous qui le suscitons. Il n'est donc pas plus inhumain que le régime mondial que nous avons élaboré ensemble.

Ce n'est pas le fondamentalisme religieux que nos autorités combattent ; ils commenceraient dans ce cas par déstabiliser des pays comme l'Arabie Saoudite. Ce ne sont pas davantage les dictatures qui exaspèrent les « démocraties » occidentales ; certains États africains par exemple auraient alors cessé d'exister. De grâce, cessez de répéter les slogans que l'on vous glisse gentiment à l'oreille et que vous croyez inventer pour votre propre compte ! Cessez de vous comporter comme si vous n'étiez pas des robots téléguidés ! Cessez de croire la version officielle de tous les événements, ce qui consiste à croire, selon Simone Weil, les criminels sur parole ! Regardez-vous dans une glace et voyez si vous êtes réellement humains comme vous le prétendez, avant de donner des leçons de morale au monde entier ! L'humilité est sans conteste ce qui manque le plus en ce monde.

Vous ne voulez plus d'attentats ? Alors, cessez de nourrir, au moins par vos paroles, ce monde du reniement achevé de l'homme que vous admirez tant !

Je n'ai aucun respect pour les terroristes, mais je n'en ai pas non plus pour les donneurs de leçon soi-disant démocrates. J'ai plus de respect pour le militaire qui risque sa vie et défend un territoire physique et culturel réel, que pour le bavard bien-pensant qui croit dur comme fer à sa liberté et à sa bonté, alors qu'il cautionne par son simple vote toutes les exactions commises au loin en son nom. D'ailleurs la culture, sous la forme des chansonnettes et des amusements grotesques d'aujourd'hui, a démontré sa parfaite inanité.

Le soldat et le policier sont les instruments de la violence d’État. Mais c'est l’État qu'ils servent qui est violent, pas eux. Et cette violence ne cesse pas d'exister parce qu'ils sont dans leurs casernes. Celle-ci prend une autre forme, c'est tout. Au moins, ils ne participent pas à la mascarade générale qui fait croire à chacun qu'il vit dans un pays libre et en paix.

Il faudrait résister en chantant et en dansant, dit-on. Quelle rigolade ! Il faut résister en cessant d'être les dupes de nos propres terreurs, et d'abord de notre terreur de la liberté. Qui se croit à l'abri aujourd'hui est un imbécile. On ne peut vouloir la guerre de tous contre tous dans l'intérêt de quelques uns, ce qui est la strict réalité de nos sociétés démocratiques, et s'étonner que cette guerre vous éclabousse parfois du sang de vos frères. Dansez et chantez tant que vous voudrez, vous n'éviterez pas le surgissement brutal et aléatoire de la vérité de l'époque sous une forme ou sous une autre. Sous la forme par exemple d'une explosion meurtrière à quelque endroit du territoire paradisiaque de la marchandise, entre deux spots de publicité pour le nouveau gadget chargé de faire votre bonheur.

Quelle est notre politique extérieure ? Quels sont nos intérêts au Moyen-Orient? Nos gouvernants les préservent-ils vraiment ? Qu'allons-nous faire réellement sur les théâtres extérieurs ? Quelle est l'histoire de notre participation à ces conflits ? Quels liens peut-il y avoir entre notre politique extérieure et les actes terroristes ? Qui arme, soutient et manipule les groupes fondamentalistes ? Quelle est leur généalogie ? Comment ont-ils pu voir le jour ? Qui les a financé ? Car rien sur cette planète ne peut exister à une certaine échelle sans que l'argent l'ait permis d'une façon ou d'une autre. Pourquoi nos enfants rejoignent-ils les rangs salafistes ou takfiris ? Et puis aussi, qu'est-ce que la France et ses valeurs? Voilà les seules questions qui vaillent. Le reste, c'est du bavardage de cour de récréation.

Adrien Royo