mercredi 23 décembre 2015

prolétarisme nouménal

Au-delà des absurdités énoncées chaque jour par les uns et par les autres concernant le Front National et l'extrême-droite en général, je voudrais préciser les choses encore une fois.

Ce que nous devons avoir constamment à l'esprit tout d'abord, si nous voulons comprendre quelque chose à ce qui se passe dans la vraie vie, et si nous voulons réellement échapper au déterminisme prolétariste, c'est que l'extrême-droite, qui se subdivise en diverses variantes allant du vrai fascisme au conservatisme traditionaliste, n'est qu'un des produits de la recherche désespérée d'une troisième voie entre libéralisme et communisme. Troisième voie recherchée fort légitimement après les expérimentations de tous ordres menées tout au long du XXe siècle, mais qui malheureusement n'existe pas. Non pas que les deux pôles antagonistes soient indépassables, mais tout simplement le terrain de réflexion, l'étage du millefeuille sur lequel nous nous situons généralement pour penser la société, n'est pas le bon. Au niveau du prolétarisme protéiforme où nous nous agitons, tout n'est que piège à conscience et miroir aux alouettes.

Pour mieux faire comprendre ce que je veux dire, je soumets à la sagacité de chacun une nouvelle grille d'analyse et un nouveau répertoire des forces politiques en présence.

Selon la nomenclature politique classique française, il est convenu de diviser le champ politique entre légitimistes, orléanistes et bonapartistes. Selon la classification moderne, il se partagerait entre révolutionnaires, sociaux-démocrates, libéraux, conservateurs et autoritaires traditionalistes. Selon la mienne, étant entendu que le vrai clivage, comme je ne cesse de le répéter, oppose les prolétaristes (fort nombreux) et les anti-prolétaristes (quasi inexistants pour le moment), et sachant que tous les éléments des précédentes nomenclatures sont dans le camp prolétariste sans aucune exception, le terrain politique se divise plutôt en deux branches uniques mettant aux prises prolétaristes conséquents d'un côté et prolétaristes inconséquents de l'autre. Prolétaristes conséquents, libéraux et socio-démocrates, acceptant dans les grandes lignes les conséquences du mode de civilisation actuel, prolétaristes inconséquents, révolutionnaires ou fascistes invétérés, refusant ces mêmes conséquences sans rien comprendre toutefois au processus global qui les provoque. Prolétaristes contre prolétaristes de toute manière. Et donc rien qui puisse dessiner une perspective réelle d'émancipation.

Tout se passe comme s'il existait deux mondes parallèles et superposés, dont le premier, le plus perceptible intuitivement, n'aurait aucun effet sur le deuxième, tandis que le deuxième, le plus invisible et contre-intuitif, déterminerait l'ensemble.

Ce qui arrive dans le premier, le monde social qu'on pourrait appelé phénoménal, reste enfermé dans le jeu des faux-semblants et de l'illusion, tandis que ce qui arrive dans le second : le social nouménal, produit le véritable enchaînement des causes et des effets. Dans le phénoménal : le superficiel, la guerre, les oppositions factices, les antagonismes de façade ; dans le nouménal : le vrai clivage et les déterminations essentielles. Dans le phénoménal, la lutte des classes, la guerre entre fas et antifas, les débats picrocholins et les apories idéologiques ; dans le nouménal, le choix de civilisation avec son partage entre humains à naître et non-humains. Le phénoménal, tout le monde s'en occupe. Le nouménal, personne ne s'y intéresse.

Le terrain politique spectaculaire et quotidien (phénoménal social), à partir duquel on nous demande de nous déterminer, ne représente que l'aménagement décoratif du prolétarisme, ses multiples choix cosmétiques, rouge, bleu, noir, avec ses luttes à mort parfois entre les différents architectes d'intérieur. Choix insignifiants en vérité, même s'ils peuvent avoir des conséquences dramatiques sur le moment pour ceux qui les subissent.

Comprenons, à partir de ces considérations nouvelles, que les oppositions actuelles à l'extrême-droite ne font que la nourrir en alimentant le creuset paradoxal où elle prend ses racines. Telle un Phénix renaissant de ses cendres, elle rejaillit partout où sont niées les causes véritables de sa vitalité, à savoir les violences symboliques du prolétarisme incompris, dégradées par la pensée de gauche en simples rapports économiques ou sociaux, et résumées dans le vocable fourre-tout : capitalisme.

Ce n'est pas à partir des Droits de l'homme ou d'une quelconque morale républicaine qu'il faut raisonner, mais à partir des considérants prolétaristes profonds, sous peine de voir se reproduire sans fin les mêmes oppositions factices permettant au système profond de se maintenir.

Notre civilisation est profondément la civilisation du leurre et du mensonge. Accepter ses clivages superficiels revient à perpétuer le mensonge. L'opposition la plus utile à la machine socio-économique autonome, est celle qui provoque le plus de bruit et de fureur : l'opposition extrême-droite/extrême-gauche. C'est pourquoi je propose de la refuser en bloc et de chercher un autre point de vue. Ce qui veut dire : ne pas entrer dans le jeu, ne pas alimenter la guerre, à partir de l'un ou l'autre camp, et se concentrer sur l'essentiel, à savoir l'analyse du prolétarisme lui-même dans toute sa complexité souterraine.

Adrien Royo 

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