samedi 24 janvier 2009

Musique kunique

http://fr.youtube.com/watch?v=Dpces0PI6zM
(...) La liberté, c’est la possibilité pour la sphère pensante individuelle d’avancer vers l’individuation, c’est-à-dire la réalisation complète de son individu ou de son humanité. Cette conquête ne peut se faire que dans et par le corps social.

Le corps individuel souffre. Souffrant, il s’interroge. S’interrogeant, il découvre qu’il n’est pas libre. Découvrant qu’il n’est pas libre, il cherche l’origine de sa soumission. Cherchant l’origine de sa soumission, il découvre son corps social. Découvrant son corps social, il aperçoit le chemin vers sa totalité. Apercevant le chemin vers sa totalité, il considère les obstacles. Considérant les obstacles, il voit l’aliénation. Voyant l’aliénation, il lui reste à changer son corps social. Changeant son corps social, il se rejoint lui-même. Se rejoignant lui-même, il réalise sa totalité. Réalisant sa totalité, il découvre la liberté (...)


Manifeste pré-kunique (extrait)
(...) Ne jouons pas sur les mots : l’individu comme unité singulière, « corps organisé vivant », existe, certes, nous le voyons tous les jours. Il existe comme entité juridique, économique, politique, morale, biologique, psychique, etc. ; pour autant, cette existence paraît incomplète, il semblerait qu’elle déborde de tout côté. Serait-ce la partie émergée d’un tout plus profond et plus indiscernable au premier regard ? Et si l’individuation inachevée dont nous parlions plus haut, aboutissait à une contraction abusive ? Si le processus de personnalisation, arrivé au terme que nous connaissons, amenait à confondre une étape nécessaire avec un horizon ? Il s’agirait de s’interroger sur la pertinence de cette focalisation.

La science moderne a montré les limites d’une vision trop atomiste des choses, d’une appréhension trop attachée aux règles de la perception commune. Les rapports masse-énergie, ondes-corpuscules, temps-espace, ont été considérablement chamboulés au siècle dernier. Je regarde un objet posé devant moi. J’en perçois la forme singulière découpée dans l’espace. Cela ne m’empêche pas de savoir qu’il existe aussi, et principalement, comme un grouillement d’énergie en échange permanent avec son environnement immédiat. Mon regard l’isole, mais une de ses réalités le précipite dans un maelström infini. De même l’individu semble se détaché sur un fond précis : volume, silhouette, enveloppe singulière, cohérence unique, liberté en mouvement, corps séparé ; mais il est aussi englué dans la matière mousseuse du temps. Mousse lui-même, il ressemble à l’écume d’un océan sans limite ; bave d’éternité. Une forme se crée au milieu d’un espace homogène, condensation provisoire, puis disparaît. Ainsi une goutte de pluie se forme dans un nuage, et s’évapore. A une certaine échelle, l’épiderme est une limite, à une autre, il sert de passerelle aux échanges incessants. La perception est un système de sélection d’informations qui prélève dans le réel les éléments organisables selon des modalités préétablies pouvant servir au système directeur vivant. Toute limite s’avère donc relative et subjective, ce qui n’enlève rien à son poids de réel, puisque même relayée par des instruments artificiels ou par la projection d’une hypothèse théorique, la perception conserve son caractère sélectif et arbitraire. Toute connaissance est une invention. La création artistique, loin de représenter une partie seulement du champ pratico-intellectuel, en est, bien plutôt, la substance même. L’œil crée le monde dès l’origine(...)

(...) Mais l’individu humain a ceci encore de particulier qu’il s’est construit un deuxième espace, un espace collectif, avec lequel il entretient des relations étranges, comme un père avec son fils prodigue, ou le docteur du roman d’épouvante avec sa créature. L’univers qui l’a créé lui devient étranger, l’être qu’il invente lui revient monstrueux. Et si les limites n’existent pas entre lui et le cosmos, elles existent encore moins entre lui et sa création permanente. L’être humain est corps individuel et corps social à la fois. C’est en ce sens qu’il peut subir une aliénation telle que définie plus haut. Imaginons un homme dans l’espace interstellaire. Peut-il vivre sans une partie de son corps social : le vaisseau qu’il habite ? Et un homme dans un état de solitude volontaire, livré aux seules ressources individuelles, ne se retire-t-il pas au moins avec les connaissances sociales nécessaires à sa survie ? Le cas du spationaute est particulièrement intéressant, car il préfigure l’état de dépendance quasi absolu que nous pourrions tous connaître incessamment. L’illusion de la séparation n’a rien de préoccupant tant que le corps social garde des proportions raisonnables, elle devient mortifère lorsque celui-ci grandit au point d’obscurcir l’horizon.

Nous voici donc avec deux individus réels : le premier, le plus visible, correspond à la désignation courante ; le deuxième, plus insaisissable, doit être défini comme corps socio-individuel. Mais les deux, bien entendu, ne font qu’un : toutes les caractéristiques du premier étant conservée dans le deuxième. Celui-ci n’étant que la vérité élargie de celui-là. Tout se passe comme si l’individu, émergeant d’un magma indifférencié, puis se condensant de plus en plus, avait à se dilater derechef pour tenter de découvrir un nouvel accès vers sa création. La nature enfante l’homme qui crée la nature qui enfante l’individu qui doit créer L’homme. La nature in-pulse l’homme en son sein. Des petits d’homme naissent et s’individualisent en fabricant du social. Le social participe de cette individualisation, et l’individualisation participe du social. En ne voyant pas l’étroite imbrication, en bloquant le processus d’individualisation, L’homme se trouve à côté de son projet. En assumant son corps social, en l’incorporant, littéralement, en en faisant un nouvel instrument d’évolution, il recouvrerait, au contraire, la possibilité de son épanouissement. Hors du corps social, point de salut, mais hors du corps individuel, point de conscience.

Au cours de son histoire, l’être humain a donc forgé un corps social qui a permis au presque-individu d’éclore. Mais, l’Individu, le vrai, étant un projet, notre devoir est de veiller à ce qu’aucune malformation ou pathologie du corps social n’en paralyse l’évolution. On voit bien là comment un tel programme dépasse les habituels clivages sociaux, culturels ou religieux.

Rien de ce qu’invente le corps social ne peut être déclaré bon ou mauvais en soi. Mais, tout ce qu’invente le corps social est l’instrument du corps social. Si le corps social est tyrannique, l’instrument le sera aussi. Et, plus puissant et universel sera cet instrument, plus grande sera la tyrannie. Les réquisitoires intempestifs contre telle ou telle nouveauté spectaculaire, isolément considérée, sont aussi stupides que les plaidoyers admiratifs. L’écume aux lèvres ou la langue pendante, sont, face aux nouvelles technologies, deux attitudes pareillement grotesques. L’on s’étripe, en cette occurrence, à propos de ce qui n’existe pas. Cela nourrit les inutiles débat médiatiques, qui eux-mêmes participent de la mauvaise foi générale, et alimente l’Aliénation en la cachant. Nous le savions déjà, le corps social colporte, avec sa pacotille marchande, une vision du monde et une morale. Parler ou pratiquer le monde sans connaître sa réalité, c’est donc parler la langue de l’Aliénation et pratiquer son art. Ce n’est pas autrement que la culture mondiale finit par composer la chanson de geste du corps social tyrannique. Le corps social tyrannique parle et les hommes se taisent. D’aucun appellent cela : entrer dans l’ère de la communication.

Pour le moment, la production est production de l’Aliénation, le progrès est progrès de l’Aliénation, la propriété privée ou sociale des moyens de production est propriété des moyens de production de l’Aliénation (...)

Manifeste pré-kunique (extrait)

Collectivisme

(...) Chacun esclave de tous, l’individu asservi et presque heureux de l’être : cela ne ressemble-t-il pas à ces enfers paradisiaques des récits antiques, mettant en scène un voyageur imprudent s’égarant au milieu des tentations, et oubliant le sens de son voyage ?

Le collectivisme socialiste proposait un sacrifice à l’Etat, le collectivisme libéral propose un sacrifice à la Marchandise. Dans les deux cas, l’individu est fixé une fois pour toute dans sa forme actuelle, prisonnier de lui-même, au sein d’un monde décréationnisé, ayant pour seul horizon, jusqu’à l’absurde, une simple gestion de la survie. Encore le « communisme d’Etat » avançait-il un projet lointain, s’appuyait-il sur une pensée ; notre libéralisme, lui, se contente de laisser libre cours à la grande empoignade réputée naturelle ; la résignation et la passivité lui tenant lieu de projet global ; la question du sens est renvoyée à la sphère privée, abusivement isolée, et chacun est tenu de se faire sa petite religion personnelle, si possible unique dans sa ressemblance avec les autres, et quoi qu’il en soit vouée à la comédie, puisque la totalité du sacré, c’est-à-dire de la création, de la poiêsis, sera de toute façon assumée par la seule divinité restant : la Marchandise.

Avec une grande lucidité, Debord, encore lui, avait deviné ce qui réunissait clandestinement les deux blocs (frères) ennemis de la Guerre Froide sous les dehors d’une lutte implacable entre deux modalités incompatibles. Il appelait la version orientale de ce nouveau paysage universel, spectaculaire concentré ; la version occidentale, spectaculaire diffus ; et la version finale, mélange des deux, spectaculaire intégré. Le paraphrasant, nous pourrions également parler de collectivisme concentré, diffus et intégré, pour définir cette étrange uniformisation qui est la vérité méconnue de l’univers contemporain. Dans la concentration, l’individu est expressément nié : seule l’incarnation du pouvoir conserve un statut relatif d’autonomie, et l’avenir absorbe le principal du contenu existentiel sous la forme pseudo-scientifique de la nécessité historique ; dans la diffusion, l’individu est magnifié, flatté dans ses aspects les plus superficiels, amené à créer les conditions de sa propre disparition par infusion dans l’acide social. Collectivisme assumé d’un côté, collectivisme honteux ou caché de l’autre, l’individu s’abolissant, ou l’individu s’évaporant, c’est toujours, quoiqu’il en soit, l’histoire du corps social inféodant le corps individuel, l’histoire du corps socio-individuel ne se connaissant pas lui-même, l’histoire de l’homme organisant sa propre négation.

Pour infléchir le cours des choses, il apparaît que nous aurons à promouvoir un nouvel individualisme, prenant en considération la globalité socio-individuelle consciente d’elle-même, et marchant à l’infini vers l’individuation.

Plongé à nouveau dans le fleuve du temps, celui qui crée pour vivre et vit pour créer, l’éternel inachevé, l’auto-sculpteur, reprendra le fil, alors, de sa naissance interrompue (...)


Manifeste pré-kunique (extrait)

Projet et individu

(...) Mais l’individu, pour nous, ne se résume pas aux gesticulations de cet ersatz imbu de lui-même, roi sans couronne, pesante métaphore du vide, marionnette qui s’agite sous les fils de l’économie, ébauche démissionnaire, congélation stupide d’un mouvement créateur, soumission aux fantômes de son corps inexploré. Ce n’est pas qu’il faille le mépriser, il se méprise assez lui-même, fuyant sa réalité. L’individu, pour nous, est aussi un futur éternel, un être en cours de réalisation, un projet ; à la fois un corps individuel et un corps social, à la fois un corps humain et un corps cosmique, à la fois une conscience séparée et un éclat d’univers. Il ne tient qu’à lui, s’il le veut, de changer ou guérir son corps social. Ce n’est pas sa forme réalisée qu’il faut respecter, mais son état de naissance perpétuelle. Son présent ne doit pas être sacrifié à l’avenir, ni au passé, ni au présent lui-même. L’individu réel ne doit pas être sacrifié à son projet, ni le projet à l’individu réel, mais, ici et maintenant, l’individu réel doit trouver les moyens de son projet. Le réseau, c’est lui ; la prison, c’est lui ; la Marchandise et l’Aliénation, c’est encore lui. Voici donc notre individualisme : une primauté de l’auto-création sur l’obscurantisme moderne et satisfait, une recherche de l’individu intégral conscient et fier de son corps (social et individuel), un anti-collectivisme, un refus de la séparation, un individualisme libérateur tourné vers les chemins de la désaliénation qui passent par une réappropriation de toute la sphère sociale.

Si l’on souhaite véritablement assumer son statut d’être humain, il faut consentir à chevaucher son devenir sans souci des lendemains programmés ou des présents naturalisés. Il faut d’abord et surtout, ressaisir l’Individu à travers son corps social (...)


Manifeste pré-kunique (extrait)

Matérialisme

(...) Nous avons parlé de Croissance et de Marchandise. Nous aurions pu parler d’exploitation. Mais nous tenons à considérer, encore une fois, la réalité sous un angle général, et la condition humaine sous la lumière la plus concrète. D’aucuns pourraient être surpris par cette profession de foi matérialiste qui semble détachée des relations sociales les plus brutales et visibles, par conséquent de ce qu’ils croient être le propre du matérialisme. C’est qu’ils se trompent sur le concept. Un matérialisme de l’extériorité exclusive est aussi vain qu’un idéalisme solipsiste. Toute analyse, dans son principe même, est une abstraction. La réalité échappera toujours à toutes les tentatives de réduction théorique. Un matérialisme qui oublie la conscience dans son dispositif, qui regarde les objets se frotter les uns aux autres comme s’ils étaient purs de toute interprétation humaine, nous intéresse autant que le spiritualisme contraire enfermé dans l’idéale solitude. D’autre part, nous savons qu’il est difficile, dans nos traditions logiques occidentales, de concevoir deux ou plusieurs réalités contradictoires ne s’excluant pas mutuellement, et n’en formant qu’une. Pourtant, là aussi, la science moderne rejoint quelques intuitions orientales moins dualistes. Il est fort possible, dans ce qui nous occupe, qu’un fait social, bien que patent, cache une réalité plus profonde et moins directement visible. Le matérialisme ne doit pas être confondu avec le sens commun et la banalité, l’opinion courante ou l’évidence première, et moins encore avec l’ensemble exhaustif des éléments extérieurs du monde connu. C’est la folie d’une objectivité absolue qui discrédite le matérialisme en lui ôtant son poids de tragique. Le matérialisme doit être conçu comme philosophie de l’immanence, et non comme doctrine de la Matière. La matière est toujours pour l’Homme, et non pas l’Homme pour la matière. La conscience se jette sur l’objet, et lui donne une forme en rapport avec la consistance, l’énergie, l’être de la rencontre, du choc. L’objet ne dit pas ce qu’il est, il résiste seulement, il oppose sa matérialité incertaine à la conscience humaine qui le définit pour elle, et se transforme ainsi dans la relation. Le frottement de la conscience et de l’objet fonde la structure humaine, et si la conscience peut devenir son propre objet, elle n’arrivera jamais, cependant, au détachement absolu. C’est toujours d’une relation dont il sera question, d’un mouvement, d’une respiration, jamais d’un ballet extérieur d’objets purs. Et s’il est vrai que les rapports sociaux, d’un premier abord, revêtent la forme d’un conflit de classes, d’une immense lutte d’intérêts divergents, il n’en reste pas moins vrai que le point fondamental se trouve ailleurs, dans la relation de l’être humain avec lui-même, quelle que soit sa position sociale. Ce qui n’implique pas que tous aient la même responsabilité, ni que la résignation à l’injustice ne se présente comme conclusion nécessaire de notre discours. Répétons que notre objectif est de pénétrer au plus loin dans la structure spéculaire et glissante de notre existence, en refusant de nous laisser fasciner par le tourbillon des vérités toutes faites, des évidences imposées.

Il est somme toute assez naturel de vouloir autre chose, s’agissant de l’émancipation humaine, que le miroir aux alouettes des systèmes de remplacement « clés en mains », qui, jusqu’ici, ont fait la preuve de leur insuffisance. La promesse d’un avenir meilleur ne doit pas se changer, une nouvelle fois, en espoir d’un retour au passé. Prenons à bras-le-corps les conflits de classes, les douloureux frottements sociaux immédiats, mais n’imaginons pas que la question de l’Aliénation se résume à cela. Malheureusement, peut-être, la complexité grandissante du champ d’exploration, ajoutée aux discrédits récents jeté par l’histoire, nous éloigne quelque peu de ces croyances rassurantes, de cette religiosité naïve, de cette illusion du matérialisme industriel. Une situation d’oppression ne peut-elle prendre place au cœur d’un système plus général de domination ? Un oppresseur ne peut-il être lui-même dominé ? N’existe-t-il pas des dominations en cascade, des oppressions gigognes ? Et, ne nous faudrait-il pas, si tel était le cas, avant d’envisager une action de libération quelconque, essayer de découvrir le plus petit dénominateur commun, atteindre la clef de voûte de l’édifice global, pour espérer anéantir la chaîne des esclavages ? C’est effectivement ce que nous avons entrepris.

Le prolétaire est celui à qui le corps social pathologique, ce monstre qu’il a lui-même forgé de ses mains, laisse la contemplation artificielle de son propre néant pour le consoler d’avoir tout perdu, et notamment les moyens et le désir de son accomplissement humain. Et le bourgeois ? (...)


Manifeste pré-kunique (extrait)

Rationalité

(...) Derrière la rationalité, il n’y a pas l’irrationalité, mais l’a-rationalité. L’irrationnel est le contraire du rationnel, tandis que l’a-rationnel ou méta-rationnel est l’espace du rationnel comme le psychisme peut être l’espace de la conscience. La rationalité est un sous-ensemble de l’a-rationalité. Rationalité et a-rationalité ne sont pas antinomiques mais complémentaires. L’a-rationnel est tout ce qui n’est pas rationnel sans être pour autant irrationnel. Le méta-rationnel englobe le rationnel. De sorte que tout ce qui est rationnel est aussi méta-rationnel, alors que tout ce qui est méta-rationnel n’est pas forcément rationnel, sans être non plus contraire à la raison. Ceci est d’une extrême importance pour imaginer les rapports du mythe et de la conscience(...)

Manifeste pré-kunique (extrait)