samedi 24 janvier 2009

Collectivisme

(...) Chacun esclave de tous, l’individu asservi et presque heureux de l’être : cela ne ressemble-t-il pas à ces enfers paradisiaques des récits antiques, mettant en scène un voyageur imprudent s’égarant au milieu des tentations, et oubliant le sens de son voyage ?

Le collectivisme socialiste proposait un sacrifice à l’Etat, le collectivisme libéral propose un sacrifice à la Marchandise. Dans les deux cas, l’individu est fixé une fois pour toute dans sa forme actuelle, prisonnier de lui-même, au sein d’un monde décréationnisé, ayant pour seul horizon, jusqu’à l’absurde, une simple gestion de la survie. Encore le « communisme d’Etat » avançait-il un projet lointain, s’appuyait-il sur une pensée ; notre libéralisme, lui, se contente de laisser libre cours à la grande empoignade réputée naturelle ; la résignation et la passivité lui tenant lieu de projet global ; la question du sens est renvoyée à la sphère privée, abusivement isolée, et chacun est tenu de se faire sa petite religion personnelle, si possible unique dans sa ressemblance avec les autres, et quoi qu’il en soit vouée à la comédie, puisque la totalité du sacré, c’est-à-dire de la création, de la poiêsis, sera de toute façon assumée par la seule divinité restant : la Marchandise.

Avec une grande lucidité, Debord, encore lui, avait deviné ce qui réunissait clandestinement les deux blocs (frères) ennemis de la Guerre Froide sous les dehors d’une lutte implacable entre deux modalités incompatibles. Il appelait la version orientale de ce nouveau paysage universel, spectaculaire concentré ; la version occidentale, spectaculaire diffus ; et la version finale, mélange des deux, spectaculaire intégré. Le paraphrasant, nous pourrions également parler de collectivisme concentré, diffus et intégré, pour définir cette étrange uniformisation qui est la vérité méconnue de l’univers contemporain. Dans la concentration, l’individu est expressément nié : seule l’incarnation du pouvoir conserve un statut relatif d’autonomie, et l’avenir absorbe le principal du contenu existentiel sous la forme pseudo-scientifique de la nécessité historique ; dans la diffusion, l’individu est magnifié, flatté dans ses aspects les plus superficiels, amené à créer les conditions de sa propre disparition par infusion dans l’acide social. Collectivisme assumé d’un côté, collectivisme honteux ou caché de l’autre, l’individu s’abolissant, ou l’individu s’évaporant, c’est toujours, quoiqu’il en soit, l’histoire du corps social inféodant le corps individuel, l’histoire du corps socio-individuel ne se connaissant pas lui-même, l’histoire de l’homme organisant sa propre négation.

Pour infléchir le cours des choses, il apparaît que nous aurons à promouvoir un nouvel individualisme, prenant en considération la globalité socio-individuelle consciente d’elle-même, et marchant à l’infini vers l’individuation.

Plongé à nouveau dans le fleuve du temps, celui qui crée pour vivre et vit pour créer, l’éternel inachevé, l’auto-sculpteur, reprendra le fil, alors, de sa naissance interrompue (...)


Manifeste pré-kunique (extrait)

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