vendredi 7 août 2015
samedi 1 août 2015
Trousse de secours intellectuelle en période de guerre
Entendre toujours les
mêmes absurdités dans la bouche des gens les plus reconnus dans
leur domaine de compétence sans que personne jamais ne réprouve ou
s'insurge, devient de plus en plus lassant.
Voici quelques mises au
point rapides (contenu de ma trousse intellectuelle de secours pour
période confuse):
1- Comme la pauvreté, la
richesse individuelle n'existe pas. Elle est une fiction à usage de
justification. Seule existe la richesse sociale avec permis social
d'appropriation privée. Aussi doué, travailleur, génial, que soit
une personne, son activité et ses fruits sont le produit d'une
communauté. Cette personne a été éduquée, instruite, formée,
par la communauté toute entière, et elle exerce son action dans un
milieu techno-symbolique entièrement fabriqué par l'ensemble des
membres vivant ou morts de la collectivité en question. Aucun fruit
matériel ne peut lui appartenir autrement que par une convention
socialement établie. Cela ne remet nullement en question l'être
individuel. Il ne s'agit ici que de son avoir. Son avoir ne définit
pas son être, contrairement à ce que l'on nous fait croire. La
propriété privée, pourquoi pas; mais pas sans limite et pas à
n'importe quel prix. Car, au final elle est toujours une
expropriation commune, c'est-à-dire une confiscation à des fins
privée de la richesse collective.
2- L'État et l'économie
ne font qu'un. Il n'y a pas de discussion plus inepte que celle qui
oppose ces deux instances complémentaires. La communauté ne se
réduit pas à l'État, elle est même son antithèse. Il n'y aura de
communauté véritable que débarrassée de la politique, de
l'économie et de l'État. Le vrai Marx est là.
3- La « guerre
totale industrielle », pour reprendre une expression de Pierre
Legendre, ne saurait susciter de paix locale. La paix, ou ce qui est
considéré comme telle, n'est, dans les conditions actuelles, que la
poursuite de la guerre par d'autres moyens. La guerre est la réalité
du monde de la marchandise globale. Qui parle tous les jours de
concurrence mondiale, de conquête de marché et d'adaptation aux
règles de la compétition, ne peut prétendre à la promotion d'une
société pacifiée. Rien n'est plus faux que de croire à la
consistance pacifique de la valeur s'autovalorisant. La Machine fait
la guerre partout et toujours. Que cette guerre prenne la forme d'un
avion de combat ou d'un traité européen. Il est donc parfaitement
stupide et tendancieux de vouloir une Europe pacifique et en même
temps la croissance et la compétitivité. L'affaire grecque de ces
derniers mois est là pour nous le confirmer. Que fait d'autre
l'Allemagne, en cette occasion, qu'une guerre de marché? Comme la
France du reste, quoique avec moins d'efficacité. Et que font les
États-Unis depuis la fin de la seconde guerre mondiale? sinon une
guerre totale.
4- La dette est presque
seule créatrice de valeur aujourd'hui. Valeur fictive en tant que
gagée sur un avenir de plus en plus lointain et incertain. Lorsque
la bulle de cette dette (aujourd'hui essentiellement publique, depuis
le transfert mondial post 2008) explosera, ce qui ne saurait tarder,
l'économie mondiale s'effondrera. A l'heure actuelle, il n'y a pas
d'alternative. Car la dette est du capital fictif compensant la
baisse tendancielle et inexorable du profit et donc de la quantité
globale de valeur valorisable. Baisse qui s'est considérablement
accentuée avec la révolution numérique. Car technologie égal
toujours productivité accrue, donc pression sur le travail productif
et les salaires, concurrence aggravée entre les producteurs de
valeur, surproduction de capital en mal de valorisation, exutoire
financier, bulle de crédit et dette. Vouloir une croissance sans
dette aujourd'hui revient à vouloir un beau champ de maïs sans
lumière et sans eau. La technologie en milieu industriel est
l'instrument de la guerre totale de la marchandise contre l'homme. Sa
finalité est inscrite dans son mouvement. Les scénaristes
d'Hollywood le sentent bien qui multiplient les récits
apocalyptiques. Ses effets bénéfiques sont des nécessités
accidentelles et provisoires, des alibis et rien d'autre. Il ne
s'agit pas d'être pour ou contre la technologie, mais pour ou contre
la destruction de l'homme par l'hypertrophie de son corps social
(obésité pathologique) et la régression féodale de son économie
sous couvert de progrès.
5- Face à la contestation
spontanée et vitale, la gauche, quelle qu'elle soit, est le premier
rempart de la marchandise. Rien ne sera jamais plus pensable dans son
environnement. Le deuxième rempart est l'extrême-droite. Ce sont
des leurres. Le champ politique est obsolète. De même, la critique
de la gauche au nom de la gauche est une aberration. On ne se libère
de la marchandise, si cela est possible, qu'en se libérant de la
politique et de l'État. Mais pas à la manière des libertariens
qui veulent se libérer de l'État en s'agenouillant devant l'or. Ou
à la manière de la plupart des anarchistes qui veulent se libérer
de l'État et de la marchandise en s'agenouillant devant le corps
social abstrait qui a déjà donné une fois la marchandise. Il faut
critiquer la gauche comme tout le reste au nom du vrai, du beau et du
bien, c'est-à-dire au nom des concepts les plus réactionnaires.
Tellement réactionnaires, qu'ils font rire les réactionnaires
eux-mêmes. Le progressisme est un produit du prolétarisme. Cessons
d'être progressistes ou réactionnaires. Soyons seulement
archaïques, c'est-à-dire vivants.
6- Le marxisme cache la
vérité de Marx. La vérité de Marx, le Marx indispensable
aujourd'hui, est ce que les « critiques de la valeur »
(Kurz, Jappe, Postone) appellent le Marx ésotérique, le Marx caché
derrière la lutte des classes et le matérialisme historique, le
Marx analyste désabusé de la société de la valeur, fétichiste et
autodestructrice.
7- Alors que faire? Rien!
Ne pas vouloir faire le bonheur des autres déjà. Ne faites pas le
mien en tout cas! Ne me sauvez pas! Soyez seulement dans le vrai, le
bon et le bien, pour vous-mêmes, seulement pour vous mêmes. Dire le
vrai, simplement. Que cela soit désespérant? Eh bien quoi? Le
pessimisme ou l'optimisme sont des considérations inutiles. Le vrai,
seul importe. Juger des choses à partir du vrai, du beau, du bien.
Comme Simone Weil. Archaïsme, toujours. Ce qui reste au-delà de
l'histoire et dans l'histoire. Nul ne sait ce qu'est le vrai, le
beau, le bien? C'est vrai. Certains néanmoins le ressentent. Le
vrai-beau-bien est une expérience spirituelle, pas une connaissance.
Mais certaines connaissances s'en approchent, des connaissances
cachées dans la poussière des siècles.
Adrien Royo
mardi 14 juillet 2015
Honte à l'Europe!
Donc, il y
eut accord cette nuit entre le gouvernement grec et les autres
gouvernements de la zone euro. Accord à l'unanimité qui plus est.
Un bon accord nous dit même François Hollande, relayé ce matin sur
la radio nationale par son premier ministre. Un accord qui permet à
la Grèce de rester dans la zone euro. A quel prix? Oh! Pas grand
chose: la perte complète de sa souveraineté, le démantèlement du
pays, l'humiliation, la pauvreté, la colère prochaine, le
nationalisme revigoré (seul exutoire désormais), la dette (car les
mesures proposées ne font que prolonger, en les amplifiant, celles
qui avaient déjà échoué précédemment), la tutelle et
l'esclavage.
Ces
négociations post-référendum, qui ressemblent fort à une demande
de reddition, auront appris à ceux qui l'ignoraient les règles du
Monopoly européiste: la loi de la jungle déguisée en démocratie
d'opinion. Chacun poursuit ses intérêts propres au nom des intérêts
supérieurs de l'Europe en présentant l'inverse aux électeurs
crédules: la poursuite des intérêts européens au nom des intérêts
supérieurs de la nation. Il n'y a plus en réalité ni Europe ni
nations, mais un no man's land où seul règne l'intérêt supérieur
de la Valeur s'autovalorisant, c'est-à-dire, en cette époque
terminale du prolétarisme, l'intérêt supérieur du capital fictif
sous forme de monnaie scripturale, autrement dit la Banque. De
souverain ici, il n'y a plus que la dette.
Va-t-on
enfin comprendre que la construction européenne n'est qu'une vaste
entreprise de destruction de ce qui bon an mal an servait de cadre
légal et démocratique à une communauté de valeurs et d'intérêts:
les États? Qu'elle sert à désarmer les peuples face à la
puissance des Attilas technologico-marchands. Que les États en
question aient eu leurs heures noires, qu'ils ne soient pas la
panacée, ne doit pas empêcher de regarder cette nouvelle vérité
en face. D'ailleurs il ne s'agit pas de supprimer les États, mais
d'en créer un plus grand, un méga-État sans nation, par fusion des
États historiques réputés dépassés. Seulement les États ne se
managent pas comme des entreprises, du moins le peuple d'une nation,
dans sa diversité, ne peut se gérer comme les ressources humaines
d'une multinationales. On peut effectivement fusionner des
technologies, des infrastructures, des banques, des portefeuilles
d'actions, des sites industriels; il est beaucoup plus difficile de
fusionner des monnaies, et plus encore des communautés, avec leurs
codes forgés au cours des siècles, leurs langues, leurs valeurs,
leurs coutumes et leurs mythologies. Et dans ces peuples divers, il y
a une catégorie de citoyens moins prêts que les autres à
fusionner: ce sont les pauvres, les plus nombreux, ceux qui n'ont de
protection dans ce monde que les lois mal fagotées de leur État. Si
vous avez un patrimoine, peut vous importe qu'il se loge sous la
bannière bleue ou rouge, du moment que cette bannière garantit la
propriété privée et protège les biens. Mais si vous n'avez rien,
qui d'autre peut encore s'interposer entre le marché sauvage et
vous, sinon l'État ? Fausse protection bien sûr, mais l'imaginaire
collectif est ainsi fait. C'est ce qui explique le succès actuel des
différents nationalismes, et la réponse préventive des fossoyeurs
intéressés des nations qui brandissent les mots populisme ou
fascisme comme des armes. Le fascisme, s'il n'est pas déjà là, ce
sont eux qui le réinventent. Quand la pression augmente sur les
épaules des petits et des fragiles, un seul recours: la protection
de leur État, celui qu'ils pensent avoir construit à la force de
leur poignets et à la sueur de leurs fronts. Et si l'État les
trahit, ne reste que le super État, parfois résumé en une seule
personne en laquelle ils placent leur confiance. Et si l'affaire
tourne au cauchemar, ce seront eux, les petits, les sans-grades qui
seront cloués au pilori pour avoir mal voté. Personne ne se
souviendra qu'on leur avait seulement proposé de choisir entre la
peste et le choléra en les harcelant de toute part. Et ce « on »,
qui est-il donc? Les puissants irresponsables jamais poursuivis.
La Grèce
aujourd'hui sert de laboratoire. Elle permet aux maîtres du monde de
la valeur de calculer à petite échelle le degré de soumission et
de résistance des populations. Il s'agit d'un crash-test grandeur
nature. On menace, on fait chanter, et quand le petit se révolte, on
tire plus fort sur la laisse. Mais c'est toujours pour son bien, un
bien qu'il ne semble pas connaître lui-même puisqu'il regimbe. Ou
bien on fait diversion grâce à elle. On s'attaque à la Grèce pour
faire oublier le véritable objectif qui est ailleurs. Lequel?
L'ancien ministre Varoufakis semble en avoir une idée lorsqu'il dit
que le médecin allemand: l'infaillible, l'incorruptible,
l'exemplaire, voulait faire peur à la France en sortant la Grèce de
la zone euro (Schaüble lui-même lui aurait glisser à l'oreille).
Comment
aller plus loin dans le mépris que lors de cette pitoyable
comédie de la semaine dernière et du faux épilogue de cette nuit?
Solidaires dites-vous? Qui est solidaire? L'Allemagne? Certes non! La
France? Encore moins! Au bénéfice de qui l'Europe existe-t-elle? De
tous, vraiment? Ne serait-elle pas plutôt le faux-né d'une sorte de
néo-impérialisme? La guerre continuée avec d'autres moyens. Aujourd'hui, l'arme financière, avec la dette en
particulier, vous écrase un pays mieux que les Panzers allemands ou
les bombardiers US de Nagasaki. Avec l'avantage qu'elle passe pour
humanitaire et démocratique. C'est la guerre propre par excellence.
Pas de bruit autre que les manifestations qu'on organise contre elle.
Des morts en pagaille, mais silencieux et isolés. Et les coups les
plus rudes venant toujours de son propre camp.
L'Europe
unie? Laissez-moi rire. On s'entre-espionne, on se fait la guerre
commerciale par procuration ou directement, on se dumpingise, on
s'endettise, etc. On pourrait se dire alors que ce sont justement les
vestiges des différents nationalismes qui gênent le bel ordonnancement
artificiel. C'est la tarte à la crème de nos médiatiques. On
n'entend que ça. Ce n'est pas vrai. Cette belle architecture
chaotique et branlante est la forme même de l'avenir tel que voulu
par la machine globale, la matrice prolétariste. Il n'y a pas
d'autre mieux à attendre que celui qui se lit dans les plans sur la
comète des docteurs Folamour qui nous gouvernent; sur les livres
d'images sonores pour enfants attardés qu'ils nous servent à toute
heure, et notamment à l'heure des informations à la télé ou
ailleurs.
La bulle de
la dette souveraine gonfle de jour en jour partout dans le monde et
de cette bulle à la croissance exponentielle naîtrait le bonheur et
la prospérité? Allons donc! A quel imbécile veut-on faire croire
une chose aussi absurde? Nous sommes des post-galiléens tout de
même, des post newtoniens, descartiens, voltairiens; nous sommes des
positivistes, réalistes, lumièristes, pragmatistes, on nous ne la
fait plus. Nous avons appris à penser par nous-mêmes, nous avons
vaincu les églises, les idéologies et les obscurantismes. Nous
sommes la science! Comment croirions-nous que d'une bulle
hyperbolique puisse sortir le vrai, le beau et le bien? Et pourtant
tout le discours économico-politique de nos experts en néant repose
sur cette absurde prémisse. Retirez la prémisse et le discours de
l'expert, dont la cravate seule garantit son savoir, s'écroule comme
un château de carte. Il n'est plus rien, il est nu et plus ignorant
qu'à son premier jour sur la terre.
La Grèce ne
sort pas de la zone euro! La belle affaire! Sa dette croîtra
cependant et son esclavage avec. Que cherche-t-on à sauver
réellement? Pas la Grèce en tout cas. Ni les européens. Du moins
pas tous. On cherche à sauver les restes calcinés de l'idée
européenne abstraite. On cherche à escamoter les résultats
désastreux d'une expérience de laboratoire à l'échelle d'un
continent, menée par des apprentis sorciers croyant eux aussi à
l'homme nouveau fabriqué en série sur les chaînes de montages de
la république universelle. Pour notre bien, toujours!
Qu'ils ne
s'impatientent pas ces expérimentateurs philanthropes, les renforts
arrivent, montés sur les chars transhumanistes. Ne vous inquiétez
pas, on les fabriquera ces humains idéals! Et l'Europe deviendra
inutile. Nous aurons affaire à des humains (ou des cyborgs)
universels. International sera alors vraiment le genre humain. Les
blouses blanches auront gagné. Sauf si la bulle éclate avant que
leurs recherches n'aboutissent. Auquel cas, il faudra penser à
reconstruire... Sans les blouses blanches aux commandes.
Adrien Royo
lundi 6 juillet 2015
Pour ceux qui douterait encore du Marx ésotérique
Le Marx ésotérique, c'est le Marx non-marxiste. Ce qui ne veut pas dire non-révolutionnaire. Un marxiste, depuis le début, c'est quelqu'un qui ne comprend rien à Marx. C'est pourquoi un libéral sincère dit plus sur le système qu'un marxiste. Il faut écouter le Capital parler de lui-même. Marx ne faisait rien d'autre.
vendredi 3 juillet 2015
jeudi 2 juillet 2015
Podemos o no?
L'histoire
n'apprend rien à la plupart de ceux qui nous abreuvent
quotidiennement de leur savoir académique, estampillé Grandes
Écoles ou Université. Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne
veut pas voir. Ils ont même inventé un mot pour désigner n'importe
quel adversaire de leur fumeuses théories: populisme. Dès que
quelque chose les gêne, ils sortent la pancarte populisme et la
discussion s'arrête. Pourquoi perdre son temps avec des ignorants
puisque eux seuls détiennent les droits sur la vérité éternelle?
Cooptés une fois pour toute après avoir fait de vagues études sur
le vide, ils peuvent désormais pérorer à longueur d'antennes et de
papiers sur le même vide dont ils se plaisent à décrire les plus
fines anfractuosités. Comme interdiction est faite aux autres de
parler, ils héritent d'une rente éternelle sur le savoir et sa
diffusion. Non pas que toute contestation soit absolument bannie,
mais cette contestation qui pourrait encore exister sera tellement
maquillée avant de passer devant les caméras de surveillance, ou
tellement isolée lorsqu'elle se présentera devant le monde, qu'elle
paraîtra, aux regards pressés du grand public, insignifiante ou
inepte en comparaison avec la grande pensée unique, bruyante et
superbe.
Un exemple
d'élément historique récurrent et sous-interprété: l'émergence
régulière de marionnettes gauchistes ou droitistes pour drainer le
poison contestataire vers les zones politiques acceptables.
Podemos et
Ciudadanos en Espagne, Syriza en Grèce, Front de Gauche en France,
autant de créations spontanées du système, du dispositif
prolétariste, pour capter l'énergie négative en crue au profit de
l'ordre national ou international. Le NPA et Lutte Ouvrière, dans
notre pays, étant les arrière-arrière-gardes de l'armée
trotskyste lancée dans les pattes du Parti communiste en son temps
pour le désactiver, comme le Front National fut l'outil de division
des droites entre les mains du PS. Mais au-delà de l'instrumentation
politicienne, il y a l'échappatoire machinique.
Je ne parle
pas ici des militants, et ne remets pas en cause leur sincérité. Je
décris une situation objective qui se répète par delà leur
volonté particulière. Je fais allusion à une conjoncture qui se
met en place mécaniquement à partir d'un certain seuil de
négativité accumulée.
A une
certaine température, les éléments de la surface sociale se
mettent à vibrionner. Un ras-le-bol, une lassitude, une
incompréhension, une défiance, un dégoût, une envie diffuse de
tout bouleverser, un sentiment de frustration, qui n'ont pas
d'expression politique, au sens politicien du terme, s'accumulent
dans les tuyaux comme un gaz en expansion. Retour du concret refoulé.
Le désordre grandit, les mouvements s'accélèrent. Le système
menace de perdre le contrôle. Automatiquement, selon une procédure
dont l'efficacité n'est plus à démontrer, des partis apparaissent,
qui reprennent à leur compte quelques revendications exprimées
spontanément, les plus inoffensives, et se présentent en recours,
en structures providentielles. Ces partis arrivent tout neufs dans
l'arène médiatique, et au bout de quelques mois ou de quelques
années, disparaissent ou se fondent dans le paysage à force de
compromis, d'alliances contre-natures, de luttes intestines pour le
pouvoir, de communication. En attendant, la pression redescend, les
mouvements se ralentissent, le système se refroidit et échappe au
collapsus annoncé. Reste quelques têtes brûlées par-ci par-là,
mais le gros des troupes a été capturé et le bloc de contestation
divisé. La grande digestion est achevée, tout peut repartir comme
avant avec quelques changements de façade parfois.
Ce processus
est quasiment organique. Il ne s'agit pas de dénoncer un
organisateur global conscient. Je veux seulement mettre en lumière
le fonctionnement naturel de la mécanique sociale fétichiste ou
spectaculaire, pour parler comme Debord, qui organise la paix des
structures pour mieux alimenter la guerre mondiale du commerce et de
l'argent.
Podemos veut
protéger les pauvres sans sortir de l'Union européenne, ou même de
l'Euro. Tout comme Syriza, au demeurant. C'est-à-dire qu'il veut le
beurre et l'argent du beurre, sans se salir la langue. Il veut la
puissance américaine sans le libéralisme que cette puissance a pour
vocation d'exporter. Il veut l'impuissance de l'Europe et l'argent de
la croissance, l'extension du commerce sans la concurrence, bref, il
veut tout et son contraire. C'est pourquoi ce parti n'a pas d'autre
avenir que celui d'un sous parti socialiste ayant trouvé une seconde
jeunesse dans le rappel des cendres de la Guerre Civile et la braise
du sociétal à la mode. Et s'il parvenait quand même à planter
quelques mesures autres que symboliques, à imposer un semblant de
partage des richesses, ce serait pour donner immédiatement naissance
à un contre-mouvement nationaliste, manipulé par les puissances
d'argent contre lui; puissances d'argent que par ailleurs il
s'interdit de remettre en cause en profondeur, car accepter l'Europe
telle qu'elle se construit, c'est accepter le libéralisme
mondialisé. Et vouloir qu'elle se transforme de l'intérieur, c'est
aussi stupide que de croire aux vertus cachées de la jungle
économique. Il n'y a, et il n'y aura jamais d'État européen. Du
moins pacifiquement. On ne pourrait l'imposer que par la force, à la
manière dont la République française s'est imposé en Bretagne ou
en Vendée. Et cette force ne pourrait être qu'américaine. C'est un
déni de l'histoire de penser le contraire, ou un aveuglement
intéressé. La légitimité démocratique n'existe qu'au niveau des
États, qui se sont créés sur des centaines d'années, avec une
langue commune, une religion commune, des mœurs communes, etc, au prix d'épouvantables guerres. On
peut toujours s'essayer à l'expérimentation sociale et faire de
l'Europe un laboratoire historique. Encore faut-il avouer que l'on
part à l'aveugle sur la base d'une hypothèse arbitraire. La messe
qu'on nous chante tous les jours pour nous faire avaler la feuille de
route décidée en haut lieu, n'est rien d'autre que l'incantation
tragique d'une élite expérimentatrice désireuse d'amener les
manants à croire comme elle en la transsubstantiation magique des
peuples. D'où le succès du mot populisme, qui désigne en vérité
la réaction spontanée de la bête soumise à vivisection. Le rat de
laboratoire que nous sommes tous devenus ne se comporte pas comme
prévu par la théorie, c'est donc, en toute logique folamourienne,
le rat qu'il faut changer.
L'histoire
n'apprend rien à ceux qui pensent avoir tout compris. J'ai déjà
dit que la conjoncture actuelle ressemblait fort à celle des années
trente, mais qu'il ne fallait pas tirer de ce constat banal les
conclusions communes.
Que dit-on
en général? Qu'il faut utiliser les mêmes recettes pour lutter
contre l'extrémisme et éviter la guerre; à savoir promouvoir le
combat de chaque instant contre l'un des deux camps (celui qui fut
déjà vaincu), le camp nationaliste, ce qui revient à choisir
l'autre et donc à pérenniser la guerre. Pour moi, aussi scandaleux
que cela paraisse, il n'y a pas de meilleur camp, il n'y a de part et
d'autre que des guerriers stupides prêts à en découdre au profit
de la machine qui domine l'ensemble et attend le massacre et la
destruction comme une composantes nécessaires de son fonctionnement.
Les deux camps répondent aussi bien l'un que l'autre à ses
exigences. Peu importe d'ailleurs qui vaincra. Dans les années
trente, il y avait une diversité incroyable dans la pensée
politique, mais la simplification a prévalue et a posteriori seuls
les représentants des deux camps officiels eurent droit de cité, à
l'exclusion d'un grand nombre d'indépendants qui voulaient conserver
leur liberté de penser et dont quelques uns ont été rangé depuis
sous le nom de non-conformistes des années trente.
Je ne veux
pas dire ici qu'ils avaient raison contre les autres. Je veux
simplement attirer l'attention sur la vraie répétition, qui est à
mon sens la répétition de l'absurde. La première victime de cette
répétition, c'est la liberté d'expression. Combien de vrais
chercheurs parmi nous? Je parle de gens capables de partir à
l'aventure en prenant le risque d'errer, pas des individus qui s'en
vont explorer les clôtures de leur parc à bestiaux en s'imaginant
qu'ils découvrent les limites naturelles de leur liberté, et qui
s'empressent de les renforcer contre les ennemis de l'intérieur.
L'exercice de la liberté est des plus malaisés et dangereux, c'est
pourquoi si peu s'y essayent réellement. La plupart ne faisant que
la mimer maladroitement, lançant des anathèmes sur tous ceux qui
avancent un pied dans une autre direction.
La
surveillance des camps de la pensée, voilà ce qu'on appelle
aujourd'hui la lutte contre le mal. A ce tarif là, nul doute que la
claustrophobie naissante poussera nos contemporains vers les théories
les plus éculées et les plus violentes. Justement ce qu'était
censée éviter l'organisation de ces camps.
Pour sortir
du piège, pas d'autre solution que de s'élever un peu au-dessus de
la mêlée et d'essayer d'analyser à nouveaux frais l'ensemble du
dispositif. En prenant le risque de l'inconnu, ou du négligé.
On ne peut
pas vouloir l'indépendance et la marchandise, le partage des
richesses et la croissance, le divin et le spectacle, la justice et
le fétichisme marchand, l'égalité et la Valeur, la liberté et le
prolétarisme, la fraternité et la concurrence, les droits de
l'homme et l'homme des machines. Ces contradictions si évidentes et
rédhibitoires sont cependant portées avec la plus parfaite
inconscience par nos élites propagandistes, et elles n'émeuvent
personne parce que personne ne les voit et que ceux qui les voient
sont ou bien inaudibles ou bien muets.
Adrien Royo
Salauds de pauvres!
Ah! ces
grecs, qui ne comprennent pas qu'il faut s'appauvrir périodiquement
pour devenir riches! Ce n'est pas faute de leur avoir répété. Les
espagnols comprennent, ils sont gentils, eux. Les portugais
comprennent. Les irlandais comprennent. Est-ce que ça ne va pas déjà
mieux en Espagne, grâce aux efforts de tous. Le chômage diminue
(rien à voir avec l'exode des jeunes qui sont partis chercher
fortune ailleurs) et la croissance revient. Quand le peuple obéit,
on appelle ça la démocratie. Quand il n'obéit pas, on change de
nom: c'est du populisme. Par exemple Syriza est populiste. Pourtant
il obéit, mais pas assez. Alors que le PP espagnol est démocrate,
comme le PS en France. Gentils, on vous dit. La dette privée est
devenue publique parce que les grandes banques étaient
« systémiques »; les peuples, pris en otages, doivent de
l'argent qu'ils n'avaient pas empruntés; conclusion: serrage de
ceinture pour tout le monde sauf pour les vrais responsables.
Juncker est
désolé. Pauvre chou! Il a tout essayé, rien n'y a fait. Des
ingrats, ces grecs! Lui, l'expert en paradis fiscal et magouille
internationale, leur avait pourtant expliqué que faute de rigueur,
de sérieux et de probité, ils ne pourraient rien obtenir. On ne
fait pas d'omelette européenne sans casser des œufs grecs! Pour le
bien de tous, et des grecs eux-mêmes, il faut qu'ils acceptent de
crever dignement, en bons soldats de la croissance et de la
concurrence mondiale. Verdun, c'est beau, non?
Mais voilà
qu'ils organisent un référendum! Au secours! Sus au populisme! Le
vote, soit, c'est la démocratie; mais le référendum, c'est du
populisme. On vous a pas appris ça à l'école de la République ou
quoi? Relisez Sieyès. Le peuple, d'accord! Mais pas n'importe lequel. Le peuple
idéal, c'est le domestique fidèle, corvéable à merci et plein de
gratitude pour ses maîtres. Un esclave? Non! Un salarié. Le
salarié, contrairement à l'esclave est libre de crever de faim,
s'il refuse la soumission.
Adrien Royo
Inscription à :
Commentaires (Atom)