jeudi 2 juillet 2015

Podemos o no?

L'histoire n'apprend rien à la plupart de ceux qui nous abreuvent quotidiennement de leur savoir académique, estampillé Grandes Écoles ou Université. Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Ils ont même inventé un mot pour désigner n'importe quel adversaire de leur fumeuses théories: populisme. Dès que quelque chose les gêne, ils sortent la pancarte populisme et la discussion s'arrête. Pourquoi perdre son temps avec des ignorants puisque eux seuls détiennent les droits sur la vérité éternelle? Cooptés une fois pour toute après avoir fait de vagues études sur le vide, ils peuvent désormais pérorer à longueur d'antennes et de papiers sur le même vide dont ils se plaisent à décrire les plus fines anfractuosités. Comme interdiction est faite aux autres de parler, ils héritent d'une rente éternelle sur le savoir et sa diffusion. Non pas que toute contestation soit absolument bannie, mais cette contestation qui pourrait encore exister sera tellement maquillée avant de passer devant les caméras de surveillance, ou tellement isolée lorsqu'elle se présentera devant le monde, qu'elle paraîtra, aux regards pressés du grand public, insignifiante ou inepte en comparaison avec la grande pensée unique, bruyante et superbe.

Un exemple d'élément historique récurrent et sous-interprété: l'émergence régulière de marionnettes gauchistes ou droitistes pour drainer le poison contestataire vers les zones politiques acceptables.

Podemos et Ciudadanos en Espagne, Syriza en Grèce, Front de Gauche en France, autant de créations spontanées du système, du dispositif prolétariste, pour capter l'énergie négative en crue au profit de l'ordre national ou international. Le NPA et Lutte Ouvrière, dans notre pays, étant les arrière-arrière-gardes de l'armée trotskyste lancée dans les pattes du Parti communiste en son temps pour le désactiver, comme le Front National fut l'outil de division des droites entre les mains du PS. Mais au-delà de l'instrumentation politicienne, il y a l'échappatoire machinique.

Je ne parle pas ici des militants, et ne remets pas en cause leur sincérité. Je décris une situation objective qui se répète par delà leur volonté particulière. Je fais allusion à une conjoncture qui se met en place mécaniquement à partir d'un certain seuil de négativité accumulée.

A une certaine température, les éléments de la surface sociale se mettent à vibrionner. Un ras-le-bol, une lassitude, une incompréhension, une défiance, un dégoût, une envie diffuse de tout bouleverser, un sentiment de frustration, qui n'ont pas d'expression politique, au sens politicien du terme, s'accumulent dans les tuyaux comme un gaz en expansion. Retour du concret refoulé. Le désordre grandit, les mouvements s'accélèrent. Le système menace de perdre le contrôle. Automatiquement, selon une procédure dont l'efficacité n'est plus à démontrer, des partis apparaissent, qui reprennent à leur compte quelques revendications exprimées spontanément, les plus inoffensives, et se présentent en recours, en structures providentielles. Ces partis arrivent tout neufs dans l'arène médiatique, et au bout de quelques mois ou de quelques années, disparaissent ou se fondent dans le paysage à force de compromis, d'alliances contre-natures, de luttes intestines pour le pouvoir, de communication. En attendant, la pression redescend, les mouvements se ralentissent, le système se refroidit et échappe au collapsus annoncé. Reste quelques têtes brûlées par-ci par-là, mais le gros des troupes a été capturé et le bloc de contestation divisé. La grande digestion est achevée, tout peut repartir comme avant avec quelques changements de façade parfois.

Ce processus est quasiment organique. Il ne s'agit pas de dénoncer un organisateur global conscient. Je veux seulement mettre en lumière le fonctionnement naturel de la mécanique sociale fétichiste ou spectaculaire, pour parler comme Debord, qui organise la paix des structures pour mieux alimenter la guerre mondiale du commerce et de l'argent.

Podemos veut protéger les pauvres sans sortir de l'Union européenne, ou même de l'Euro. Tout comme Syriza, au demeurant. C'est-à-dire qu'il veut le beurre et l'argent du beurre, sans se salir la langue. Il veut la puissance américaine sans le libéralisme que cette puissance a pour vocation d'exporter. Il veut l'impuissance de l'Europe et l'argent de la croissance, l'extension du commerce sans la concurrence, bref, il veut tout et son contraire. C'est pourquoi ce parti n'a pas d'autre avenir que celui d'un sous parti socialiste ayant trouvé une seconde jeunesse dans le rappel des cendres de la Guerre Civile et la braise du sociétal à la mode. Et s'il parvenait quand même à planter quelques mesures autres que symboliques, à imposer un semblant de partage des richesses, ce serait pour donner immédiatement naissance à un contre-mouvement nationaliste, manipulé par les puissances d'argent contre lui; puissances d'argent que par ailleurs il s'interdit de remettre en cause en profondeur, car accepter l'Europe telle qu'elle se construit, c'est accepter le libéralisme mondialisé. Et vouloir qu'elle se transforme de l'intérieur, c'est aussi stupide que de croire aux vertus cachées de la jungle économique. Il n'y a, et il n'y aura jamais d'État européen. Du moins pacifiquement. On ne pourrait l'imposer que par la force, à la manière dont la République française s'est imposé en Bretagne ou en Vendée. Et cette force ne pourrait être qu'américaine. C'est un déni de l'histoire de penser le contraire, ou un aveuglement intéressé. La légitimité démocratique n'existe qu'au niveau des États, qui se sont créés sur des centaines d'années, avec une langue commune, une religion commune, des mœurs communes, etc, au prix d'épouvantables guerres. On peut toujours s'essayer à l'expérimentation sociale et faire de l'Europe un laboratoire historique. Encore faut-il avouer que l'on part à l'aveugle sur la base d'une hypothèse arbitraire. La messe qu'on nous chante tous les jours pour nous faire avaler la feuille de route décidée en haut lieu, n'est rien d'autre que l'incantation tragique d'une élite expérimentatrice désireuse d'amener les manants à croire comme elle en la transsubstantiation magique des peuples. D'où le succès du mot populisme, qui désigne en vérité la réaction spontanée de la bête soumise à vivisection. Le rat de laboratoire que nous sommes tous devenus ne se comporte pas comme prévu par la théorie, c'est donc, en toute logique folamourienne, le rat qu'il faut changer.

L'histoire n'apprend rien à ceux qui pensent avoir tout compris. J'ai déjà dit que la conjoncture actuelle ressemblait fort à celle des années trente, mais qu'il ne fallait pas tirer de ce constat banal les conclusions communes.

Que dit-on en général? Qu'il faut utiliser les mêmes recettes pour lutter contre l'extrémisme et éviter la guerre; à savoir promouvoir le combat de chaque instant contre l'un des deux camps (celui qui fut déjà vaincu), le camp nationaliste, ce qui revient à choisir l'autre et donc à pérenniser la guerre. Pour moi, aussi scandaleux que cela paraisse, il n'y a pas de meilleur camp, il n'y a de part et d'autre que des guerriers stupides prêts à en découdre au profit de la machine qui domine l'ensemble et attend le massacre et la destruction comme une composantes nécessaires de son fonctionnement. Les deux camps répondent aussi bien l'un que l'autre à ses exigences. Peu importe d'ailleurs qui vaincra. Dans les années trente, il y avait une diversité incroyable dans la pensée politique, mais la simplification a prévalue et a posteriori seuls les représentants des deux camps officiels eurent droit de cité, à l'exclusion d'un grand nombre d'indépendants qui voulaient conserver leur liberté de penser et dont quelques uns ont été rangé depuis sous le nom de non-conformistes des années trente.

Je ne veux pas dire ici qu'ils avaient raison contre les autres. Je veux simplement attirer l'attention sur la vraie répétition, qui est à mon sens la répétition de l'absurde. La première victime de cette répétition, c'est la liberté d'expression. Combien de vrais chercheurs parmi nous? Je parle de gens capables de partir à l'aventure en prenant le risque d'errer, pas des individus qui s'en vont explorer les clôtures de leur parc à bestiaux en s'imaginant qu'ils découvrent les limites naturelles de leur liberté, et qui s'empressent de les renforcer contre les ennemis de l'intérieur. L'exercice de la liberté est des plus malaisés et dangereux, c'est pourquoi si peu s'y essayent réellement. La plupart ne faisant que la mimer maladroitement, lançant des anathèmes sur tous ceux qui avancent un pied dans une autre direction.

La surveillance des camps de la pensée, voilà ce qu'on appelle aujourd'hui la lutte contre le mal. A ce tarif là, nul doute que la claustrophobie naissante poussera nos contemporains vers les théories les plus éculées et les plus violentes. Justement ce qu'était censée éviter l'organisation de ces camps.

Pour sortir du piège, pas d'autre solution que de s'élever un peu au-dessus de la mêlée et d'essayer d'analyser à nouveaux frais l'ensemble du dispositif. En prenant le risque de l'inconnu, ou du négligé.

On ne peut pas vouloir l'indépendance et la marchandise, le partage des richesses et la croissance, le divin et le spectacle, la justice et le fétichisme marchand, l'égalité et la Valeur, la liberté et le prolétarisme, la fraternité et la concurrence, les droits de l'homme et l'homme des machines. Ces contradictions si évidentes et rédhibitoires sont cependant portées avec la plus parfaite inconscience par nos élites propagandistes, et elles n'émeuvent personne parce que personne ne les voit et que ceux qui les voient sont ou bien inaudibles ou bien muets.

Adrien Royo

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