samedi 1 août 2015

Trousse de secours intellectuelle en période de guerre

Entendre toujours les mêmes absurdités dans la bouche des gens les plus reconnus dans leur domaine de compétence sans que personne jamais ne réprouve ou s'insurge, devient de plus en plus lassant.

Voici quelques mises au point rapides (contenu de ma trousse intellectuelle de secours pour période confuse):

1- Comme la pauvreté, la richesse individuelle n'existe pas. Elle est une fiction à usage de justification. Seule existe la richesse sociale avec permis social d'appropriation privée. Aussi doué, travailleur, génial, que soit une personne, son activité et ses fruits sont le produit d'une communauté. Cette personne a été éduquée, instruite, formée, par la communauté toute entière, et elle exerce son action dans un milieu techno-symbolique entièrement fabriqué par l'ensemble des membres vivant ou morts de la collectivité en question. Aucun fruit matériel ne peut lui appartenir autrement que par une convention socialement établie. Cela ne remet nullement en question l'être individuel. Il ne s'agit ici que de son avoir. Son avoir ne définit pas son être, contrairement à ce que l'on nous fait croire. La propriété privée, pourquoi pas; mais pas sans limite et pas à n'importe quel prix. Car, au final elle est toujours une expropriation commune, c'est-à-dire une confiscation à des fins privée de la richesse collective.

2- L'État et l'économie ne font qu'un. Il n'y a pas de discussion plus inepte que celle qui oppose ces deux instances complémentaires. La communauté ne se réduit pas à l'État, elle est même son antithèse. Il n'y aura de communauté véritable que débarrassée de la politique, de l'économie et de l'État. Le vrai Marx est là.

3- La « guerre totale industrielle », pour reprendre une expression de Pierre Legendre, ne saurait susciter de paix locale. La paix, ou ce qui est considéré comme telle, n'est, dans les conditions actuelles, que la poursuite de la guerre par d'autres moyens. La guerre est la réalité du monde de la marchandise globale. Qui parle tous les jours de concurrence mondiale, de conquête de marché et d'adaptation aux règles de la compétition, ne peut prétendre à la promotion d'une société pacifiée. Rien n'est plus faux que de croire à la consistance pacifique de la valeur s'autovalorisant. La Machine fait la guerre partout et toujours. Que cette guerre prenne la forme d'un avion de combat ou d'un traité européen. Il est donc parfaitement stupide et tendancieux de vouloir une Europe pacifique et en même temps la croissance et la compétitivité. L'affaire grecque de ces derniers mois est là pour nous le confirmer. Que fait d'autre l'Allemagne, en cette occasion, qu'une guerre de marché? Comme la France du reste, quoique avec moins d'efficacité. Et que font les États-Unis depuis la fin de la seconde guerre mondiale? sinon une guerre totale.

4- La dette est presque seule créatrice de valeur aujourd'hui. Valeur fictive en tant que gagée sur un avenir de plus en plus lointain et incertain. Lorsque la bulle de cette dette (aujourd'hui essentiellement publique, depuis le transfert mondial post 2008) explosera, ce qui ne saurait tarder, l'économie mondiale s'effondrera. A l'heure actuelle, il n'y a pas d'alternative. Car la dette est du capital fictif compensant la baisse tendancielle et inexorable du profit et donc de la quantité globale de valeur valorisable. Baisse qui s'est considérablement accentuée avec la révolution numérique. Car technologie égal toujours productivité accrue, donc pression sur le travail productif et les salaires, concurrence aggravée entre les producteurs de valeur, surproduction de capital en mal de valorisation, exutoire financier, bulle de crédit et dette. Vouloir une croissance sans dette aujourd'hui revient à vouloir un beau champ de maïs sans lumière et sans eau. La technologie en milieu industriel est l'instrument de la guerre totale de la marchandise contre l'homme. Sa finalité est inscrite dans son mouvement. Les scénaristes d'Hollywood le sentent bien qui multiplient les récits apocalyptiques. Ses effets bénéfiques sont des nécessités accidentelles et provisoires, des alibis et rien d'autre. Il ne s'agit pas d'être pour ou contre la technologie, mais pour ou contre la destruction de l'homme par l'hypertrophie de son corps social (obésité pathologique) et la régression féodale de son économie sous couvert de progrès.

5- Face à la contestation spontanée et vitale, la gauche, quelle qu'elle soit, est le premier rempart de la marchandise. Rien ne sera jamais plus pensable dans son environnement. Le deuxième rempart est l'extrême-droite. Ce sont des leurres. Le champ politique est obsolète. De même, la critique de la gauche au nom de la gauche est une aberration. On ne se libère de la marchandise, si cela est possible, qu'en se libérant de la politique et de l'État. Mais pas à la manière des libertariens qui veulent se libérer de l'État en s'agenouillant devant l'or. Ou à la manière de la plupart des anarchistes qui veulent se libérer de l'État et de la marchandise en s'agenouillant devant le corps social abstrait qui a déjà donné une fois la marchandise. Il faut critiquer la gauche comme tout le reste au nom du vrai, du beau et du bien, c'est-à-dire au nom des concepts les plus réactionnaires. Tellement réactionnaires, qu'ils font rire les réactionnaires eux-mêmes. Le progressisme est un produit du prolétarisme. Cessons d'être progressistes ou réactionnaires. Soyons seulement archaïques, c'est-à-dire vivants.

6- Le marxisme cache la vérité de Marx. La vérité de Marx, le Marx indispensable aujourd'hui, est ce que les « critiques de la valeur » (Kurz, Jappe, Postone) appellent le Marx ésotérique, le Marx caché derrière la lutte des classes et le matérialisme historique, le Marx analyste désabusé de la société de la valeur, fétichiste et autodestructrice.

7- Alors que faire? Rien! Ne pas vouloir faire le bonheur des autres déjà. Ne faites pas le mien en tout cas! Ne me sauvez pas! Soyez seulement dans le vrai, le bon et le bien, pour vous-mêmes, seulement pour vous mêmes. Dire le vrai, simplement. Que cela soit désespérant? Eh bien quoi? Le pessimisme ou l'optimisme sont des considérations inutiles. Le vrai, seul importe. Juger des choses à partir du vrai, du beau, du bien. Comme Simone Weil. Archaïsme, toujours. Ce qui reste au-delà de l'histoire et dans l'histoire. Nul ne sait ce qu'est le vrai, le beau, le bien? C'est vrai. Certains néanmoins le ressentent. Le vrai-beau-bien est une expérience spirituelle, pas une connaissance. Mais certaines connaissances s'en approchent, des connaissances cachées dans la poussière des siècles.

Adrien Royo








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