Entendre toujours les
mêmes absurdités dans la bouche des gens les plus reconnus dans
leur domaine de compétence sans que personne jamais ne réprouve ou
s'insurge, devient de plus en plus lassant.
Voici quelques mises au
point rapides (contenu de ma trousse intellectuelle de secours pour
période confuse):
1- Comme la pauvreté, la
richesse individuelle n'existe pas. Elle est une fiction à usage de
justification. Seule existe la richesse sociale avec permis social
d'appropriation privée. Aussi doué, travailleur, génial, que soit
une personne, son activité et ses fruits sont le produit d'une
communauté. Cette personne a été éduquée, instruite, formée,
par la communauté toute entière, et elle exerce son action dans un
milieu techno-symbolique entièrement fabriqué par l'ensemble des
membres vivant ou morts de la collectivité en question. Aucun fruit
matériel ne peut lui appartenir autrement que par une convention
socialement établie. Cela ne remet nullement en question l'être
individuel. Il ne s'agit ici que de son avoir. Son avoir ne définit
pas son être, contrairement à ce que l'on nous fait croire. La
propriété privée, pourquoi pas; mais pas sans limite et pas à
n'importe quel prix. Car, au final elle est toujours une
expropriation commune, c'est-à-dire une confiscation à des fins
privée de la richesse collective.
2- L'État et l'économie
ne font qu'un. Il n'y a pas de discussion plus inepte que celle qui
oppose ces deux instances complémentaires. La communauté ne se
réduit pas à l'État, elle est même son antithèse. Il n'y aura de
communauté véritable que débarrassée de la politique, de
l'économie et de l'État. Le vrai Marx est là.
3- La « guerre
totale industrielle », pour reprendre une expression de Pierre
Legendre, ne saurait susciter de paix locale. La paix, ou ce qui est
considéré comme telle, n'est, dans les conditions actuelles, que la
poursuite de la guerre par d'autres moyens. La guerre est la réalité
du monde de la marchandise globale. Qui parle tous les jours de
concurrence mondiale, de conquête de marché et d'adaptation aux
règles de la compétition, ne peut prétendre à la promotion d'une
société pacifiée. Rien n'est plus faux que de croire à la
consistance pacifique de la valeur s'autovalorisant. La Machine fait
la guerre partout et toujours. Que cette guerre prenne la forme d'un
avion de combat ou d'un traité européen. Il est donc parfaitement
stupide et tendancieux de vouloir une Europe pacifique et en même
temps la croissance et la compétitivité. L'affaire grecque de ces
derniers mois est là pour nous le confirmer. Que fait d'autre
l'Allemagne, en cette occasion, qu'une guerre de marché? Comme la
France du reste, quoique avec moins d'efficacité. Et que font les
États-Unis depuis la fin de la seconde guerre mondiale? sinon une
guerre totale.
4- La dette est presque
seule créatrice de valeur aujourd'hui. Valeur fictive en tant que
gagée sur un avenir de plus en plus lointain et incertain. Lorsque
la bulle de cette dette (aujourd'hui essentiellement publique, depuis
le transfert mondial post 2008) explosera, ce qui ne saurait tarder,
l'économie mondiale s'effondrera. A l'heure actuelle, il n'y a pas
d'alternative. Car la dette est du capital fictif compensant la
baisse tendancielle et inexorable du profit et donc de la quantité
globale de valeur valorisable. Baisse qui s'est considérablement
accentuée avec la révolution numérique. Car technologie égal
toujours productivité accrue, donc pression sur le travail productif
et les salaires, concurrence aggravée entre les producteurs de
valeur, surproduction de capital en mal de valorisation, exutoire
financier, bulle de crédit et dette. Vouloir une croissance sans
dette aujourd'hui revient à vouloir un beau champ de maïs sans
lumière et sans eau. La technologie en milieu industriel est
l'instrument de la guerre totale de la marchandise contre l'homme. Sa
finalité est inscrite dans son mouvement. Les scénaristes
d'Hollywood le sentent bien qui multiplient les récits
apocalyptiques. Ses effets bénéfiques sont des nécessités
accidentelles et provisoires, des alibis et rien d'autre. Il ne
s'agit pas d'être pour ou contre la technologie, mais pour ou contre
la destruction de l'homme par l'hypertrophie de son corps social
(obésité pathologique) et la régression féodale de son économie
sous couvert de progrès.
5- Face à la contestation
spontanée et vitale, la gauche, quelle qu'elle soit, est le premier
rempart de la marchandise. Rien ne sera jamais plus pensable dans son
environnement. Le deuxième rempart est l'extrême-droite. Ce sont
des leurres. Le champ politique est obsolète. De même, la critique
de la gauche au nom de la gauche est une aberration. On ne se libère
de la marchandise, si cela est possible, qu'en se libérant de la
politique et de l'État. Mais pas à la manière des libertariens
qui veulent se libérer de l'État en s'agenouillant devant l'or. Ou
à la manière de la plupart des anarchistes qui veulent se libérer
de l'État et de la marchandise en s'agenouillant devant le corps
social abstrait qui a déjà donné une fois la marchandise. Il faut
critiquer la gauche comme tout le reste au nom du vrai, du beau et du
bien, c'est-à-dire au nom des concepts les plus réactionnaires.
Tellement réactionnaires, qu'ils font rire les réactionnaires
eux-mêmes. Le progressisme est un produit du prolétarisme. Cessons
d'être progressistes ou réactionnaires. Soyons seulement
archaïques, c'est-à-dire vivants.
6- Le marxisme cache la
vérité de Marx. La vérité de Marx, le Marx indispensable
aujourd'hui, est ce que les « critiques de la valeur »
(Kurz, Jappe, Postone) appellent le Marx ésotérique, le Marx caché
derrière la lutte des classes et le matérialisme historique, le
Marx analyste désabusé de la société de la valeur, fétichiste et
autodestructrice.
7- Alors que faire? Rien!
Ne pas vouloir faire le bonheur des autres déjà. Ne faites pas le
mien en tout cas! Ne me sauvez pas! Soyez seulement dans le vrai, le
bon et le bien, pour vous-mêmes, seulement pour vous mêmes. Dire le
vrai, simplement. Que cela soit désespérant? Eh bien quoi? Le
pessimisme ou l'optimisme sont des considérations inutiles. Le vrai,
seul importe. Juger des choses à partir du vrai, du beau, du bien.
Comme Simone Weil. Archaïsme, toujours. Ce qui reste au-delà de
l'histoire et dans l'histoire. Nul ne sait ce qu'est le vrai, le
beau, le bien? C'est vrai. Certains néanmoins le ressentent. Le
vrai-beau-bien est une expérience spirituelle, pas une connaissance.
Mais certaines connaissances s'en approchent, des connaissances
cachées dans la poussière des siècles.
Adrien Royo
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