vendredi 17 février 2012

Logiciel oligarchique ou sociélisme kunique

La démocratie est une chose trop sérieuse pour la laisser au peuple. Voilà ce que nos élites pensent tout bas depuis le début des temps pseudo-démocratiques. C’est pourquoi ils s’efforcent de la confisquer par tous les moyens. Naguère encore, l’évidence pouvait être masquée. Aujourd’hui, les coutures du déguisement craquent de partout.

Comment nier par exemple que, depuis deux ans, la Grèce abandonne chaque jour un peu plus de sa souveraineté au profit d’un comité d’experts internationaux non élus qui se mettent à son chevet comme des médecins au chevet d’un malade ou des mécaniciens au chevet d’un moteur déficient. Comme des spécialistes en tout cas, possédant tout le savoir-faire. Ces métaphores techniques rendant compte d’un véritable vécu techno-cratique de nos sociétés, au sein desquelles les interactions entre les personnes ou les groupes se perçoivent comme des impulsions électro-symboliques à l’intérieur d’une grande machine informationnelle, d’un grand réseau complexe de calculateurs programmés.

Or, cette pratique a un nom : la cybernétique.

Le mot vient du grec kubernêtikê (utilisé chez Platon), qui désigne le pilotage d’un navire. De cette racine sortirait gouvernail, gouvernement et gouverneur. Norbert Wiener, éminent mathématicien américain, le reprit à son compte juste après la deuxième guerre mondiale pour nommer sa nouvelle science, supposer unifier toutes les autres, la science des systèmes autorégulés, vivants ou non-vivants. Il s’agissait pour lui comme pour John Von Neumann, autre génie des mathématiques, ayant participé à la création des premiers ordinateurs, d’élaborer, plus ou moins explicitement, un hypersystème décisionnel destiné à assister les êtres humains dans des choix stratégiques et sociaux de plus en plus complexes. Le choc de la guerre l’ayant poussé à chercher dans la technologie, et notamment dans la technologie informationnelle naissante, le moyen de compenser la faiblesse humaine et la volonté de puissance des dirigeants. Il lui apparaissait que le choix démocratique simple, sans le truchement supposé neutre de la machine, et le gouvernement des hommes par les hommes, aboutissait toujours aux pires catastrophes. La solution, et cela partait d’un bon sentiment, se trouvait peut-être alors dans la techno-science de l’information.

Je crois pour ma part que ce principe marquait simplement une étape, à l’insu des principaux intéressés, du développement inéluctable d’un corps social techno-prothétique en phase finale d’émancipation. Et que les scientifiques, sincèrement préoccupés de l’amélioration des processus décisionnels, se firent malgré eux les auxiliaires d’une hégémonie nouvelle dont nous voyons en ce moment même les plus beaux effets. Car le système général qu’il s’agit de piloter avec le maximum d’expertise, contrairement à la croyance commune, n’est pas neutre. Sa direction était déjà contenue dans ses principes, et son pilotage ne consiste jamais qu’à s’assurer du maintien de ce cap. De sorte qu’on peut dire que le pilote lui-même est piloté. Bien malin, celui qui, plongé corps et âme dans la Machine, saura démêler l’inextricable lien qui unit les rétroactions enchaînées. Qui, du pilote ou des exécutants rassemblés (sous-systèmes humains et machines), détient le véritable contrôle dans cette merdosphère? En réalité, tout est hors contrôle depuis longtemps et les profiteurs du désordre cybernétique se feront un jour manger comme les autres. Tant il est vrai qu’aujourd’hui comme hier tout se joue entre l’individu et son corps social, c’est-à-dire entre l’individu projet et le corps social avorteur. Le Saturne dévorant ses enfants restant l’image la plus juste de cette antinomie.

Remarquons au passage que le mot cyborg (cybernetic organism), inventé comme par hasard au début des années 60, c’est-à-dire au moment où le monde basculait dans l’immonde notoire (espace non-humain), ne désigne pas seulement le robot de science-fiction, mais d’abord et surtout cet hybride que nous sommes tous en train de devenir, à notre « corps » défendant, ce mutant du 21e siècle dont Mary Shelley, racontant l’histoire du docteur Frankenstein, avait eu l’intuition. Bien sûr que le corps social est par nature hybride. Car la technologie ne se limite pas à la machine, elle comprend aussi toute la sphère symbolico-culturelle. Mais à la fin du 20e siècle, les prothèses prenaient une dimension hégémonique inconnue jusqu’alors, et à travers la cybernétique, une dimension politique même, ou anti-politique, pour parler arendtien, ce qui changea complètement la situation.

La gestion techno-cratique de la crise actuelle, en Europe et ailleurs, offre un magnifique exemple de ce qui a lieu partout désormais. Des représentants (de commerce) du système global auto-régulé, conçu idéologiquement comme naturel et indépassable, prennent la place des représentants du peuple pour décider de ce qui est bon pour lui. Simples émanations « naturelles » d’essence cybernétique, ils sont seuls capables de bien gouverner l’économie comme la nature.

La cybernétique, née sous les auspices de la peur d’une guerre ultime, montre aujourd’hui son vrai visage totalitaire : organe principal de la domination de l’Homme par l’Homme, de l’Homme naissance par l’Homme prothétique. Le résultat de cet antagonisme métaphysique décidera seul de l’avenir du genre humain. Tous les autres antagonismes, soyez-en certains, n’étant en dernière instance que des expressions particulières de ce dernier.

Nous cherchions l’antagonisme des antagonismes, la cause des causes, les voici. La lutte des corps. La lutte du corps social contre le corps individuel à l’intérieur d’un même organisme général constitué de trois parties distinctes et néanmoins coextensives : individuelle, sociale et cosmique. La lutte des classes n’étant qu’une lutte inférieure parmi d’autres en cette « polémie » fondamentale. Que des corps individuels ne comprennent pas dans quel im-monde ils vivent, et qu’ils participent à leur propre aliénation sans le savoir, n’infirme pas l’hypothèse selon laquelle une malformation congénitale non traitée, ou une pathologie nouvelle incomprise, gangrène un corps social égocentré et auto-mobilisé. Cela ne contredit pas non plus cette autre hypothèse complémentaire qui fait du corps social un incubateur d’individus dont la fonction est pathologiquement détournée pour phagocyter les pré-individus que nous sommes, les individus en gestation. L’individu sociel ou kunique étant comme j’ai eu l’occasion de le dire souvent un pré-individu émancipé, ayant dominé son corps social. L’inverse de ce que l’on conçoit communément comme liberté. Elle n’est pas détachement du corps social, mais au contraire intégration du corps social en un corps sociel, individuel et social réunis.

Oui, je sais, cela paraît fou. Je n’y peux rien. En cette occurrence comme en d’autres, c’est la vérité qui est folle.

Adrien Royo
 

mardi 14 février 2012

Immunologies concurrentes

Magnifique illustration des effets d'un corps social pathologique sur le corps cosmique (ou naturel) et sur le corps individuel. Voir les autres articles sur le sujet dans ce blog.

lundi 13 février 2012

Sociélisme

L’apparition du SIDA à la fin du 20e siècle, marque et accompagne un tournant décisif dans l’effondrement morphologique de l’humanité. Le corps pluriel kunique, le pluricorps cosmo-sociel (pour corps social et individuel à la fois), dévoile maintenant ses symptômes de désordre. L’immunologie sociale, à savoir la fonction du système général humain à visage prolétariste, qui assure la protection et le développement de son intériorité propre, exhibe de plus en plus éhontément sa parfaite incompatibilité avec les nécessités immunologiques individuelles.

Pour ne prendre qu’un exemple : le temps électronique, la nano-temporalité de la Machine, s'oppose à la durée humaine qui se compte en années, voire en générations.

De l’ère de la nanoseconde, l’Homme se voit donc automatiquement exclu en tant que maître de ses prothèses. Par Machine, j’entends l’ensemble des machines cybernétiques fonctionnant en réseau.

Le SIDA étant une maladie de l’immunité, un effondrement du système immunitaire individuel, maladie de l’aliénation et non de l’amour, agit en révélateur de ce qui se joue désormais entre l’Homme et ses prothèses. Au lieu d’élever l’individu, d’en favoriser l’émancipation, ces dernières réduisent peu à peu sa liberté et sa conscience. Le corps social déclare la guerre aux individus. Le SIDA est une des traductions physiologiques de cette guerre. La plus spectaculaire, et donc la plus facile à décrypter. Encore qu’à ma connaissance, personne jusqu’ici ne l’ait jamais fait (peut-être un peu Michel Bounan, dans le Temps du Sida (1990)).

Pour sauvegarder les principes vitaux de son métabolisme artificiel, le corps social agit en contradiction avec les besoins vitaux du corps individuel, et fragilise son système immunitaire.

Je prétends que toute nouvelle maladie, ou tout retour de maladie ancienne, revêt aujourd’hui un caractère d’immunodéficience. L’inadaptabilité du corps individuel au corps social monstrueux expliquant en grande partie leur émergence. En sorte qu’aucun traitement individuel ne pourra plus en venir à bout. Il faudra inventer une nouvelle clinique. Le médecin du 21e siècle sera donc révolutionnaire ou ne sera pas, dans la mesure où il devra s’occuper du corps social autant que du corps individuel, soigner le corps « sociel », devenir « sociéliste ». C’est-à-dire au final devenir médecin holiste.

La médecine actuelle ne fait que réparer ce que le corps social pathologique, qu’elle soutient en tant que technocratie, détruit. En ce sens, elle n’a pas de fondements véritables. Voir Ivan Illich : Némésis Médicale.

Par ailleurs, le succès des pratiques de bien-être ou de développement personnel, entre dans la catégorie des diversions stratégiques du système, qui tente ainsi d’échapper à la conscience individuelle, toujours dangereuse. De même pour certaines formes de religiosité. Un certain bouddhisme, par exemple, favorise magnifiquement le déni en matière de corps social. Rien de tel qu’un bouddhiste écolo occupé de son bien-être pour jouer les utilités. Mais, il y en a d’autres.

Le kunisme en appelle donc à une conscience sociel.

Adrien Royo

vendredi 10 février 2012

Vive la crise!

Un fainéant riche est un héritier, un fainéant pauvre est juste un fainéant. Quant au chômeur, c’est un pauvre fainéant. D’abord on le licencie, ensuite on le soupçonne de se la couler douce. La crise n’existe pas, ce sont les gens qui ne veulent plus travailler.

Je répète que le chômage n’est pas une cause et un problème mais une conséquence et une solution. La conséquence d’une augmentation de la productivité par automatisation galopante ou de la concurrence internationale effrénée, la solution pour faire baisser les salaires. Nos élites le savent parfaitement bien et manipulent l’opinion depuis toujours pour éviter qu’elle ne s’en aperçoive. Les moyens de cette manipulation sont de trois ordres : la stigmatisation de l’immigré, la stigmatisation du chômeur, l’exaltation de la valeur travail pour faire accepter ce paquet et permettre l’augmentation du temps de travail quotidien, annuel ou existentiel (recul de l’âge de la retraite) sans hausse de salaire. Pendant que les pauvres qui travaillent jalousent les plus pauvres qu’eux, les très riches peuvent continuer de se gaver à leur dépens. Cette tactique reste payante malgré sa grossièreté parce que la vision superficielle que nous avons de la société, depuis le bout de notre nez individuel, ne nous permet pas de prendre conscience de son fonctionnement réel. Mais aussi parce que les Hommes sont portés au déni et à la lâcheté. Il faut reconnaître également que les stratégies de domination globale et de classe ne sont jamais aussi directement lisibles que les stratégies individuelles de survie.

De tous les crimes sociaux, cherchons donc les commanditaires, avant de nous jeter bêtement sur la dernière victime expiatoire désignée par les puissants à notre vindicte aveugle.

En 2008, Sarkozy disait vouloir réformer le capitalisme, ou même le refonder. Mais comme il devait pour cela couper l’herbe sous ses pieds en tapant sur ses amis et créditeurs du Fouquet’s, il s’est choisi un autre adversaire, plus à la mesure de son courage, le chômeur qu’il a lui-même créé. Vive la crise ! 

Adrien Royo

mercredi 8 février 2012

Compétitivité, qu'ils disaient!

Accords compétitivité-emploi. Traduction : flexibilité-chômage.

Travailler plus pour gagner moins, et souvent ne pas travailler du tout pour gagner le droit de se taire. Belle perspective, non? Et tout ça, remarquez-le bien, on nous le sert depuis des lustres. La crise ne fait qu’accentuer le phénomène. Quand on vous dit que c’est une bénédiction, cette crise ! Compétitivité ! Comprenez-vous, tas de fainéants ? Ah ! vous vous prélassiez au soleil sans rien foutre ! Eh, bien, c’est fini ! Vous pensiez peut-être que les voyous (les vrais, pas les loulous de banlieue qu’on nettoie au Kärcher (tient, encore un allemand)) allaient ramasser. Oui, ils ramassent la monnaie, comme toujours. Et vous, vous ramasserez leurs poubelles, comme d’habitude. Non, si on en est là, c’est parce que vous ne travaillez pas assez et que vous êtes trop payés. Regardez les allemands ! Voilà, un peuple de travailleurs ! On dirait des japonais. Manquerait plus qu’ils se prennent un tsunami. Ils bossent pour presque rien et ne la ramènent pas, eux. Pas comme ces faignassent de grecs, par exemple. Ou ces râleurs de français. Là-bas, on laisse les escrocs travailler. On n’a qu’à faire pareil. On leur prend leur Kärcher, s’ils nous prennent nos parasols. Donnant, donnant. Mais un pauvre allemand ressemble drôlement à un pauvre français, de loin. Pas sûr qu’il puisse acheter nos parasols. Pas sûr non plus qu’on puisse encore longtemps acheter leurs Kärcher. Tant pis, il y a encore les chinois. Voilà, un peuple de travailleurs ! On dirait des japonais. Manquerait plus qu’ils se prennent un tsunami.

Adrien Royo

mardi 7 février 2012

Ah! le modèle allemand!

Souvenez-vous du modèle japonais, du modèle anglais, du modèle irlandais, du modèle espagnol, du modèle argentin, coréen, martien, etc.

Je lui donne deux ans, à ce modèle-là. Ne nous pressons pas, nous autres petits français de devenir les modèles économiques du monde. Le premier de la classe libéral n'est jamais qu'une petite tête de con en instance d'évaporation. Quant au modèle démocratique états-uniens, demandez donc aux afros (les vrais, pas les domestiques à la Obama), aux latinos, ou aux 47 millions de citoyens ivres de bonheur qui mangent grâce à des bons d'alimentation, ce qu'ils en pensent.

Cultivons notre gouaille de cancre, plutôt, et notre différence.

lundi 6 février 2012

Véhicules de profits

Une phrase clé de l’article précédent : « Les États doivent montrer leur capacité à absorber par le budget les pertes rachetées aux banques pour que les banques puissent allouer l’épargne au financement de la dette publique. »

Cette formule rend excellemment compte du jeu à double bande que jouent les élites mondiales aujourd’hui : les États sauvent les banques pour que les banques sauvent les États. Qui donc peut bien sortir gagnant d’une telle insanité, d’une circularité si diabolique ? Certes pas les peuples qui devront payer en dernière instance. Même pas les banques ou les États, d'ailleurs, simples pompes à fric, ou véhicules de profit, en cette occurrence, et dont on se débarrasse après usage, comme on se débarrasse d’une vieille voiture volée après un hold-up. Ces coquilles vides sont faites pour échouer un jour, comme des épaves, sur les côtes du rêve libéral de liberté individuelle, incarné désormais par un tout petit nombre de prédateurs apatrides. Rien de plus logique d’ailleurs pour une idéologie visant dès l’origine à la seule émancipation des élus, des prédestinés, et donc des très riches, en faisant croire à une volonté de libération humaine générale. Non, les seuls gagnants seront les intermédiaires, ceux qui n’appartenant ni aux unes ni aux autres, utilisent les organismes financiers ou étatiques, étatico-financiers maintenant, à leur seul bénéfice égoïste et irresponsable. Et ceux-là forment désormais un continent invisible, indépendant, isolé dans une tour de verre mondiale, et manipulant les États, comme les peuples et les entreprises, à seule fin de puissance. La formule qu’on prête à un membre de la dynastie Rothschild résume bien cela : « donnez-moi le pouvoir de créer la monnaie, peu importe alors qui écrira les lois. »

Les vautours qui se penchent actuellement avec avidité sur la Grèce sanguinolente, illustrent à merveille le propos. Réduisez votre peuple à l’esclavage, disent-ils à ses dirigeants incapables, ou bien nous vous retirerons le pain de la bouche ! Mais ce pain est également le poison. Ce sont bien des charognards qui attendent la mort de l’animal antique affaibli pour se jeter sur son cadavre et le dépecer.

Adrien Royo