lundi 19 janvier 2015

Au pas, citoyens!

Nous, objecteurs de conscience dans cette guerre du bien contre le mal, car je veux ici m'associer à tous les réfractaires, à tous ceux qui refusent un enrôlement forcé dans l'armée de la liberté et de la paix, nous souviendrons de ces quatre millions de personnes soudées en ce 11 janvier 2015 pour la défense des valeurs républicaines, marchant contre l'obscurantisme aux côtés de Cameron, Merkel, Hollande, Netanyahou et consorts, capitaines valeureux de la démocratie outragée. Nous nous souviendrons de l'exigence de liberté exprimée de vive voix par tout ce que la planète compte de héros pacifiques. Nous nous souviendrons de l'hommage unanime rendu par l'establishment à la subversion. Nous nous souviendrons de cet appel à la guerre sainte contre la barbarie. Nous nous souviendrons de ces brevets d'impertinence distribués par l'État, de cet anticonformisme d'élevage dressé contre la pensée unique, sous l'autorité des quatre pouvoirs rassemblés. Nous nous souviendrons de cette allégeance au système déguisée en fière révolte. Nous nous souviendrons de l'esprit de vengeance élevé au rang de vertu. Nous nous souviendrons de ces rodomontades de cour de récréation. Nous nous souviendrons de ces caricatures subversives achetées par millions et transformées en armes de guerre. Nous nous souviendrons du feu attisé consciencieusement. Nous nous souviendrons de la peur. Nous nous souviendrons de ce besoin d'identification au pouvoir. Nous nous souviendrons de la célébration obligatoire d'un racisme ordinaire et mondain sous couvert d'antiracisme. Nous nous souviendrons de l'injonction d'identification à une feuille de comptoir muée en étendard de la liberté menacée. Si un jour, à Dieu ne plaise, venait à sévir en France une dictature, nous le devrions d'abord à cette confusion des valeurs, à ces renversements sémantiques, et à ces manipulations conceptuelles. Quand une fausse liberté s'érige en modèle sublime et définitif de l'organisation sociale, il faut s'attendre à ce qu'une vraie tyrannie la remplace inexorablement.

Le 11 janvier, des masques sont tombés, rendez-vous dans le monde réel. « Subversion ou propagande, il faut choisir! », disait un marcheur, mettant la subversion au crédit de Charlie Hebdo. Voilà bien le paradoxe: qu'est-ce qu'une subversion qui s'exhibe dans tous les médias, dans tous les cabinets ministériels unanimes, et à laquelle le plus rétrograde des socialistes acquiesce sans barguigner ? Récupération! S'indignent quelques uns. Je ne crois pas : seulement des masques qui tombent à la faveur d'un massacre.

Je suis peut-être Cabu, ou n'importe laquelle des victimes du 11 janvier, mais assurément pas Charlie. La liberté d'expression n'avait pas besoin d'être assassinée pour la raison qu'elle était déjà mourante. Quant à la liberté tout court, elle disparaît un peu plus chaque jour avec les mesures prises pour assurer la sécurité du monde « libre »; l'État et les terroristes, ici comme ailleurs, et aujourd'hui comme hier, sont alliés objectifs dans une guerre universelle contre l'individu potentiel. En ce qui concerne les deux autres termes de la triade républicaine: égalité-fraternité, inutile d'insister, chacun peut voir leur application quotidienne, surtout parmi les classes dangereuses (dangereuses, oui, il faut le croire, puisque les pauvres se retrouvent beaucoup plus souvent en prison que les riches). Reste la laïcité! La belle affaire! Quand elle entre en croisade, cette laïcité, on le voit bien, ne vaut pas mieux que les autres intégrismes. Ne serait-elle pas le faux-nez et l'alibi d'un impérialisme coupable et honteux? Si elle est le cadre légal de la tolérance, très bien, si elle devient religion elle-même, il faut que les citoyens observent attentivement où elle se place: à la fin de l'histoire, pour regarder toutes les autres en arrière avec la suffisance des nouveaux convertis.

Certains naïfs pensent que la France n'est pas en guerre. Que font alors nos militaires partout sur la planète? Ils chassent le renard? A moins que certains de nos compatriotes pensent que ces militaires ne sont pas français, qu'ils ne sont pas ces bras armés pour lesquels ils ont indirectement voté aux dernières présidentielles.

Adrien Royo 

Aucun commentaire: