Nous, objecteurs de
conscience dans cette guerre du bien contre le mal, car je veux ici
m'associer à tous les réfractaires, à tous ceux qui refusent un
enrôlement forcé dans l'armée de la liberté et de la paix, nous
souviendrons de ces quatre millions de personnes soudées en ce 11
janvier 2015 pour la défense des valeurs républicaines, marchant
contre l'obscurantisme aux côtés de Cameron, Merkel, Hollande,
Netanyahou et consorts, capitaines valeureux de la démocratie
outragée. Nous nous souviendrons de l'exigence de liberté exprimée
de vive voix par tout ce que la planète compte de héros pacifiques.
Nous nous souviendrons de l'hommage unanime rendu par l'establishment
à la subversion. Nous nous souviendrons de cet appel à la guerre
sainte contre la barbarie. Nous nous souviendrons de ces brevets
d'impertinence distribués par l'État, de cet anticonformisme
d'élevage dressé contre la pensée unique, sous l'autorité des
quatre pouvoirs rassemblés. Nous nous souviendrons de cette
allégeance au système déguisée en fière révolte. Nous nous
souviendrons de l'esprit de vengeance élevé au rang de vertu. Nous
nous souviendrons de ces rodomontades de cour de récréation. Nous
nous souviendrons de ces caricatures subversives achetées par
millions et transformées en armes de guerre. Nous nous souviendrons
du feu attisé consciencieusement. Nous nous souviendrons de la peur.
Nous nous souviendrons de ce besoin d'identification au pouvoir. Nous
nous souviendrons de la célébration obligatoire d'un racisme
ordinaire et mondain sous couvert d'antiracisme. Nous nous
souviendrons de l'injonction d'identification à une feuille de
comptoir muée en étendard de la liberté menacée. Si un jour, à
Dieu ne plaise, venait à sévir en France une dictature, nous le
devrions d'abord à cette confusion des valeurs, à ces renversements
sémantiques, et à ces manipulations conceptuelles. Quand une fausse
liberté s'érige en modèle sublime et définitif de l'organisation
sociale, il faut s'attendre à ce qu'une vraie tyrannie la remplace
inexorablement.
Le 11 janvier, des
masques sont tombés, rendez-vous dans le monde réel. « Subversion
ou propagande, il faut choisir! », disait un marcheur, mettant
la subversion au crédit de Charlie Hebdo. Voilà bien le paradoxe:
qu'est-ce qu'une subversion qui s'exhibe dans tous les médias, dans
tous les cabinets ministériels unanimes, et à laquelle le plus
rétrograde des socialistes acquiesce sans barguigner ? Récupération!
S'indignent quelques uns. Je ne crois pas : seulement des masques qui
tombent à la faveur d'un massacre.
Je suis peut-être
Cabu, ou n'importe laquelle des victimes du 11 janvier, mais
assurément pas Charlie. La liberté d'expression n'avait pas besoin
d'être assassinée pour la raison qu'elle était déjà mourante.
Quant à la liberté tout court, elle disparaît un peu plus chaque
jour avec les mesures prises pour assurer la sécurité du monde
« libre »; l'État et les terroristes, ici comme
ailleurs, et aujourd'hui comme hier, sont alliés objectifs dans une
guerre universelle contre l'individu potentiel. En ce qui concerne
les deux autres termes de la triade républicaine:
égalité-fraternité, inutile d'insister, chacun peut voir leur
application quotidienne, surtout parmi les classes dangereuses
(dangereuses, oui, il faut le croire, puisque les pauvres se
retrouvent beaucoup plus souvent en prison que les riches). Reste la
laïcité! La belle affaire! Quand elle entre en croisade, cette
laïcité, on le voit bien, ne vaut pas mieux que les autres
intégrismes. Ne serait-elle pas le faux-nez et l'alibi d'un
impérialisme coupable et honteux? Si elle est le cadre légal de la
tolérance, très bien, si elle devient religion elle-même, il faut
que les citoyens observent attentivement où elle se place: à la fin
de l'histoire, pour regarder toutes les autres en arrière avec la
suffisance des nouveaux convertis.
Certains naïfs
pensent que la France n'est pas en guerre. Que font alors nos
militaires partout sur la planète? Ils chassent le renard? A moins
que certains de nos compatriotes pensent que ces militaires ne sont
pas français, qu'ils ne sont pas ces bras armés pour
lesquels ils ont indirectement voté aux dernières présidentielles.
Adrien Royo
Adrien Royo
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