samedi 3 décembre 2011

Pour sauver l'Europe, tuons la démocratie!

L’Europe, telle que nous la connaissons aujourd’hui, cette construction artificielle sans fondements démocratiques, créature du Marché (divin Marché, comme dirait Dany-Robert Dufour), sorte d’hyper ville nouvelle imaginée par les élites pour des européens hors sol au temps de cerveau disponible vendu à Coca-Cola par TF1, fut érigée ces dernières quarante années sur du sable technocratique à grands coups de mensonges, de propagandes et d’intimidations. Elle devait apporter la paix, la croissance et le progrès, elle ne sert partout qu’à démolir les anciens terriers pour livrer les individus « libérés » aux fauves de la plaine, confortablement installés sur leurs litières dorées. Comme les faisans d’élevage à qui l’on accorde la liberté finale pour mieux les abattre, les européens sous dictature libérale sont libérés de toutes leurs protections, qu’elles soient douanières, bancaires, politiques ou sociales, pour être jetés nus à l’assaut des forteresses mondiales du commerce. Le dogme de la concurrence libre et non-faussée aboutissant à la ruine de tous et à l’asservissement de chacun.

Le Marché, entendu comme nouvelle religion mondiale, organisé en une structure cybernético-oligarchique, c’est-à-dire en une machine automatique globale servant les intérêts d’un groupe de plus en plus restreint d’individus, affiche une tendance naturelle à l’impérialisme et à l’hégémonie. Capable de distribués ses prébendes et subsides, au travers de différents lobbies, à tous ses agents d’entretien, du plus haut au plus petit de l’échelle sociale, il possède une force de frappe incommensurablement plus grande que tous les pouvoirs jamais établis sur la terre. Il manipule l’opinion par les médias qu’il rémunère, il obtient l’obéissance des peuples par le sophisme politique et les forces militaro-policières à sa botte, il forme les esprits par l’industrie culturelle de masse. Les gouvernants, pour la plupart, sont les instruments volontaires et cyniques de cette machine à déshumaniser et à déraciner.

L’un d’entre eux, parmi les plus cyniques ou stupides, propose maintenant à ses chers compatriotes, pour endiguer la crise mondiale, de faire tomber les tabous qui freinent la compétitivité française. Quels tabous ? Rien moins que l’égalité, la liberté et la fraternité républicaines. Car enfin, est tabou ce qui pour un peuple donné relève du sacré, est sacré ce qui n’est pas profane. Si bien que faire tomber les tabous revient à profaner ce qu’il y a de plus sacré. Et c’est bien ce qu’ose demander ce chef d’Etat à ses concitoyens : profaner les fondements de la République, après s’être efforcé pendant cinq ans de brûler les restes du contrat social gaullien signé pendant l’occupation par les différentes forces politiques en résistance (Charte du Conseil national de la Résistance) établissant les conditions minimales du vivre ensemble par l’instauration d’une protection sociale pour tous et d’un système de retraite pérenne. Faire tomber les tabous qui freinent la compétitivité française, cela veut dire pour nos élites s’aligner sur le moins disant social en Europe et dans le monde et répéter les prières libérales éculées: baisser les salaires et la protection sociale des plus faibles au niveau de ce que réclame la concurrence internationale déloyale. Français, encore un effort pour être chinois ! Vous êtes, sachez-le, trop payés et trop protégés pour pouvoir concurrencer les esclaves salariés des autres pays. Vous coûtez trop cher à l’Etat. Ces messieurs vous veulent à poil ou en costume rayé blanc et noir, compris ? Retroussez vos manches, bande de fainéants, sinon c’est Monsieur le Président lui-même qui vous les retroussera. On ne peut pas faire autrement, c’est Monsieur le banquier mondial qui vous le dit, et il sait de quoi il parle. Faire tomber les tabous qui freinent la compétitivité française, c’est perdre sa souveraineté, donc sa liberté, perdre les acquis de la Résistance, donc l’égalité, et perdre ses valeurs, donc la fraternité. C’est donc fouler aux pieds notre drapeau, notre devise et notre histoire. Maintenant vous savez de quoi Sarkozy est le nom. Hélas! je crains qu'il ne soit pas le seul.

Enième marchandage de notre président avec la chancelière allemande: je te vends les dernières traces d’indépendance françaises et tu me donnes les eurobonds, c’est-à-dire la mutualisation et la monétisation des dettes européennes dont l’Allemagne ne voulait sous aucun prétexte il y a deux mois. Sarkozy vient d’échanger la France contre des bonds du trésor émis par la BCE, avec l’espoir de sauver le système. Après avoir vendu l’or de la France, il vendra la France elle-même et ne sauvera rien du tout. Quant à Merkel, elle a déjà vendu l’Allemagne aux banquiers et aux spéculateurs, ne lui reste qu’à attendre comme les autres leur bon vouloir et donc la catastrophe. Catastrophe dont ce marchandage inattendu ne fait que révéler l’imminence. Merkel s’asseyant sur le non-interventionnisme de la BCE, Sarkozy s’asseyant sur le modèle français, les deux s’asseyant sur la démocratie. 

Adrien Royo
 

Aucun commentaire: