Donc, il y
eut accord cette nuit entre le gouvernement grec et les autres
gouvernements de la zone euro. Accord à l'unanimité qui plus est.
Un bon accord nous dit même François Hollande, relayé ce matin sur
la radio nationale par son premier ministre. Un accord qui permet à
la Grèce de rester dans la zone euro. A quel prix? Oh! Pas grand
chose: la perte complète de sa souveraineté, le démantèlement du
pays, l'humiliation, la pauvreté, la colère prochaine, le
nationalisme revigoré (seul exutoire désormais), la dette (car les
mesures proposées ne font que prolonger, en les amplifiant, celles
qui avaient déjà échoué précédemment), la tutelle et
l'esclavage.
Ces
négociations post-référendum, qui ressemblent fort à une demande
de reddition, auront appris à ceux qui l'ignoraient les règles du
Monopoly européiste: la loi de la jungle déguisée en démocratie
d'opinion. Chacun poursuit ses intérêts propres au nom des intérêts
supérieurs de l'Europe en présentant l'inverse aux électeurs
crédules: la poursuite des intérêts européens au nom des intérêts
supérieurs de la nation. Il n'y a plus en réalité ni Europe ni
nations, mais un no man's land où seul règne l'intérêt supérieur
de la Valeur s'autovalorisant, c'est-à-dire, en cette époque
terminale du prolétarisme, l'intérêt supérieur du capital fictif
sous forme de monnaie scripturale, autrement dit la Banque. De
souverain ici, il n'y a plus que la dette.
Va-t-on
enfin comprendre que la construction européenne n'est qu'une vaste
entreprise de destruction de ce qui bon an mal an servait de cadre
légal et démocratique à une communauté de valeurs et d'intérêts:
les États? Qu'elle sert à désarmer les peuples face à la
puissance des Attilas technologico-marchands. Que les États en
question aient eu leurs heures noires, qu'ils ne soient pas la
panacée, ne doit pas empêcher de regarder cette nouvelle vérité
en face. D'ailleurs il ne s'agit pas de supprimer les États, mais
d'en créer un plus grand, un méga-État sans nation, par fusion des
États historiques réputés dépassés. Seulement les États ne se
managent pas comme des entreprises, du moins le peuple d'une nation,
dans sa diversité, ne peut se gérer comme les ressources humaines
d'une multinationales. On peut effectivement fusionner des
technologies, des infrastructures, des banques, des portefeuilles
d'actions, des sites industriels; il est beaucoup plus difficile de
fusionner des monnaies, et plus encore des communautés, avec leurs
codes forgés au cours des siècles, leurs langues, leurs valeurs,
leurs coutumes et leurs mythologies. Et dans ces peuples divers, il y
a une catégorie de citoyens moins prêts que les autres à
fusionner: ce sont les pauvres, les plus nombreux, ceux qui n'ont de
protection dans ce monde que les lois mal fagotées de leur État. Si
vous avez un patrimoine, peut vous importe qu'il se loge sous la
bannière bleue ou rouge, du moment que cette bannière garantit la
propriété privée et protège les biens. Mais si vous n'avez rien,
qui d'autre peut encore s'interposer entre le marché sauvage et
vous, sinon l'État ? Fausse protection bien sûr, mais l'imaginaire
collectif est ainsi fait. C'est ce qui explique le succès actuel des
différents nationalismes, et la réponse préventive des fossoyeurs
intéressés des nations qui brandissent les mots populisme ou
fascisme comme des armes. Le fascisme, s'il n'est pas déjà là, ce
sont eux qui le réinventent. Quand la pression augmente sur les
épaules des petits et des fragiles, un seul recours: la protection
de leur État, celui qu'ils pensent avoir construit à la force de
leur poignets et à la sueur de leurs fronts. Et si l'État les
trahit, ne reste que le super État, parfois résumé en une seule
personne en laquelle ils placent leur confiance. Et si l'affaire
tourne au cauchemar, ce seront eux, les petits, les sans-grades qui
seront cloués au pilori pour avoir mal voté. Personne ne se
souviendra qu'on leur avait seulement proposé de choisir entre la
peste et le choléra en les harcelant de toute part. Et ce « on »,
qui est-il donc? Les puissants irresponsables jamais poursuivis.
La Grèce
aujourd'hui sert de laboratoire. Elle permet aux maîtres du monde de
la valeur de calculer à petite échelle le degré de soumission et
de résistance des populations. Il s'agit d'un crash-test grandeur
nature. On menace, on fait chanter, et quand le petit se révolte, on
tire plus fort sur la laisse. Mais c'est toujours pour son bien, un
bien qu'il ne semble pas connaître lui-même puisqu'il regimbe. Ou
bien on fait diversion grâce à elle. On s'attaque à la Grèce pour
faire oublier le véritable objectif qui est ailleurs. Lequel?
L'ancien ministre Varoufakis semble en avoir une idée lorsqu'il dit
que le médecin allemand: l'infaillible, l'incorruptible,
l'exemplaire, voulait faire peur à la France en sortant la Grèce de
la zone euro (Schaüble lui-même lui aurait glisser à l'oreille).
Comment
aller plus loin dans le mépris que lors de cette pitoyable
comédie de la semaine dernière et du faux épilogue de cette nuit?
Solidaires dites-vous? Qui est solidaire? L'Allemagne? Certes non! La
France? Encore moins! Au bénéfice de qui l'Europe existe-t-elle? De
tous, vraiment? Ne serait-elle pas plutôt le faux-né d'une sorte de
néo-impérialisme? La guerre continuée avec d'autres moyens. Aujourd'hui, l'arme financière, avec la dette en
particulier, vous écrase un pays mieux que les Panzers allemands ou
les bombardiers US de Nagasaki. Avec l'avantage qu'elle passe pour
humanitaire et démocratique. C'est la guerre propre par excellence.
Pas de bruit autre que les manifestations qu'on organise contre elle.
Des morts en pagaille, mais silencieux et isolés. Et les coups les
plus rudes venant toujours de son propre camp.
L'Europe
unie? Laissez-moi rire. On s'entre-espionne, on se fait la guerre
commerciale par procuration ou directement, on se dumpingise, on
s'endettise, etc. On pourrait se dire alors que ce sont justement les
vestiges des différents nationalismes qui gênent le bel ordonnancement
artificiel. C'est la tarte à la crème de nos médiatiques. On
n'entend que ça. Ce n'est pas vrai. Cette belle architecture
chaotique et branlante est la forme même de l'avenir tel que voulu
par la machine globale, la matrice prolétariste. Il n'y a pas
d'autre mieux à attendre que celui qui se lit dans les plans sur la
comète des docteurs Folamour qui nous gouvernent; sur les livres
d'images sonores pour enfants attardés qu'ils nous servent à toute
heure, et notamment à l'heure des informations à la télé ou
ailleurs.
La bulle de
la dette souveraine gonfle de jour en jour partout dans le monde et
de cette bulle à la croissance exponentielle naîtrait le bonheur et
la prospérité? Allons donc! A quel imbécile veut-on faire croire
une chose aussi absurde? Nous sommes des post-galiléens tout de
même, des post newtoniens, descartiens, voltairiens; nous sommes des
positivistes, réalistes, lumièristes, pragmatistes, on nous ne la
fait plus. Nous avons appris à penser par nous-mêmes, nous avons
vaincu les églises, les idéologies et les obscurantismes. Nous
sommes la science! Comment croirions-nous que d'une bulle
hyperbolique puisse sortir le vrai, le beau et le bien? Et pourtant
tout le discours économico-politique de nos experts en néant repose
sur cette absurde prémisse. Retirez la prémisse et le discours de
l'expert, dont la cravate seule garantit son savoir, s'écroule comme
un château de carte. Il n'est plus rien, il est nu et plus ignorant
qu'à son premier jour sur la terre.
La Grèce ne
sort pas de la zone euro! La belle affaire! Sa dette croîtra
cependant et son esclavage avec. Que cherche-t-on à sauver
réellement? Pas la Grèce en tout cas. Ni les européens. Du moins
pas tous. On cherche à sauver les restes calcinés de l'idée
européenne abstraite. On cherche à escamoter les résultats
désastreux d'une expérience de laboratoire à l'échelle d'un
continent, menée par des apprentis sorciers croyant eux aussi à
l'homme nouveau fabriqué en série sur les chaînes de montages de
la république universelle. Pour notre bien, toujours!
Qu'ils ne
s'impatientent pas ces expérimentateurs philanthropes, les renforts
arrivent, montés sur les chars transhumanistes. Ne vous inquiétez
pas, on les fabriquera ces humains idéals! Et l'Europe deviendra
inutile. Nous aurons affaire à des humains (ou des cyborgs)
universels. International sera alors vraiment le genre humain. Les
blouses blanches auront gagné. Sauf si la bulle éclate avant que
leurs recherches n'aboutissent. Auquel cas, il faudra penser à
reconstruire... Sans les blouses blanches aux commandes.
Adrien Royo