jeudi 11 août 2011

La politique à la corbeille


La politique de la France ne se fait pas à la Corbeille, disait De Gaulle.

C'était avant la libéralisation mondiale.

Désormais, il n'y a plus de politique du tout. A quand un Président de la République élu par les gros actionnaires au suffrage censitaire? Ce serait certainement moins hypocrite que le suffrage universel soumis au chantage des marchés.

Après la corbeille, il était inévitable que la politique, c'est-à-dire la direction démocratique d'un Etat, et non le management d'une hyper-entreprise, attérisse à la poubelle.

les vrais assistés d'aujourd'hui sont les rentiers qui spéculent sur l'effondrement des Etats en leur savonnant la planche à billets. Ils parient sur la chute d'un pays en le poussant très fort dans les orties. Cela revient à parier qu'ils seront toujours les maîtres du jeu. Il suffirait, pour qu'ils déchantent, de se retourner et de leur mettre une gifle. Des rentiers opulents seraient ruinés? La belle affaire! Attendons plutôt de l'être tous, en effet. Il vaut mieux un pays dans la misère, qu'un seul rentier mécontent. Il vaut mieux 60 millions de pauvres que dix spéculateurs ruinés. Surtout, encore une fois, que cet argent qu'ils placent n'est pas à eux.

Adrien Royo


J’aurais sans doute plus de mal à convaincre de l’inexistence de la richesse privée si les circonstances actuelles liées à la crise économique n’apportaient de l’eau à mon moulin social.

Le scorpion demande à la grenouille de l’aider à traverser la rivière. La grenouille refuse, elle a peur de lui. Tu es dangereux, tu me piquerais. Comment ! répond le scorpion, quel intérêt aurais-je à te piquer ? Si tu meurs, je meurs avec toi. La grenouille, convaincue, accepte le scorpion sur son dos. Mais, au milieu du guet, le scorpion pique la grenouille. Pourquoi ? a-t-elle le temps de demander avant de mourir. Parce que c’est dans ma nature, répond le scorpion.

Nous sommes en 2007, à la veille de l’élection présidentielle française. La dette publique est insupportable. Les générations futures paieront notre incurie, notre laxisme, notre égoïsme, nos prodigalités luxueuses (notamment en direction des plus pauvres). Réduire les dépenses publiques et les recettes, voilà le credo. Baisser les impôts, qui découragent l’activité, et diminuer les charges de l’Etat. La France n’en peut plus. Nous sommes le pays le plus endetté. Regardons autour de nous. Tous les autres font des efforts, travaillent sans rechigner, acceptent de sacrifier un peu de leur confort. Et nous, nous nous arc-boutons sur nos acquis. On connaît les remèdes. Que voulez-vous, les français sont d’incurables rêveurs. Heureusement, Sarkozy est élu. Ouf !!!

2008, la crise !!! Et l’obligation de venir au secours des banques privées. Les déficits se creusent. Les experts nous disent que c’est inévitable. La dépense publique augmente et les recettes baissent. La dette est vertueuse. Elle permet la stabilisation du système. Partout, elle enfle. On ne peut pas faire autrement. On connaît le remède.

2010. Grâce aux efforts consentis collectivement, les banques privées sont sauvées, elles recommencent à faire des bénéfices. Mais la dette enfle encore, c’est la septième plaie d’Egypte. Elle redevient insupportable. La France est mal placée. Pas assez d’efforts collectifs. Nos enfants nous maudirons jusqu’à la septième génération de leur avoir transmis un héritage si douloureux. Nos libéralités nous perdrons. Nous dépensons trop. Nous vivons au-dessus de nos moyens. On connaît le remède.

La dette publique a permis d’éponger les dettes privées, la collectivité est venue au secours des marchés, et les marchés, cependant, punissent les Etats de les avoir sauvés. Pourquoi? demandent les citoyens. Parce que c’est dans notre nature, répondent les marchés.

La liberté des marchés, l’expression des avidités individuelles, forme des bulles incontrôlables. Lorsque celles-ci explosent on en appelle à la solidarité collective. Lorsque celle-ci a porté ses fruits, on s’empresse de la glisser sous le tapis pour ne plus avoir à la considérer. Nous laissons libres les marchés de prendre des risques, mais, en bonne mère, nous les secourons quand ils se trompent. En bref, nous les assistons. Les fils prodigues engagent des paris qu’ils ne perdront jamais complètement. J’en déduis que les dettes privées n’existent pas. Il n’y a que des dettes publiques momentanément accaparées. Les mots employés hier par le premier ministre britannique pour qualifier les émeutes londoniennes, auraient fort bien pu être énoncés pour désigner en 2008 les assassins de la City. Ils causèrent avec leurs ordinateurs et leurs complets vestons infiniment plus de dégâts que leurs imitateurs de banlieue avec leurs casquettes et leurs marteaux. Si les dettes privées menacent la pérennité d’un collectif, c’est qu’elles sont liées à ce collectif de telle manière qu’on ne puisse distinguer ce qui est de l’un et ce qui est de l’autre. C’est si vrai que certaines banques anglaises furent nationalisées à la hâte en 2008. Quand la responsabilité ne prolonge pas la liberté, c’est qu’il n’y a pas de liberté. Qu’est-ce que la liberté, si elle n’est pas assumée ? Et si le risque est trop important de laisser libre des banques et des institutions financières, c’est qu’elles sont des biens collectifs devant être soumis au contrôle collectif. On les laisserait mourir de leur belle mort, autrement, en cas de problème. Où l’on voit que la richesse privée est une convention, une fiction collective. S’il n’y a pas de dettes privées, c’est qu’il n’y a que de l’argent public et de la richesse collective. 

Adrien Royo

mercredi 27 juillet 2011

La richesse privée n'existe pas


J’ai souvent dit que la richesse privée n’existait pas en soi, qu’il n’y avait de richesse que sociale, c’est-à-dire créée par tous, les vivants et les morts, et que les modalités de son partage devait faire l’objet d’une décision démocratique. A un moment où il est beaucoup question de plafonnement des revenus ou des salaires, peut-être n’est-il pas superflu de reprendre l’argumentaire.

Toute personne qui devient riche aujourd’hui le doit, pour une très grande part, une part grandissante, du fait de l’interdépendance toujours plus grande des humains, au travail collectif vivant et mort dont il ne peut s’abstraire. Routes, voies ferrées, avions, moyens de communication en tout genre, extraction minière, énergie, police, armée, éducation, savoirs, etc., toutes choses dont il bénéficie avant même de naître et qu’il n’a jamais payées lui-même. Qu’il reçoit donc en héritage, et dont sa situation propre, plus ou moins confortable au départ, lui permet de profiter de manière inégale. Par travail vivant, j’entends bien sûr le travail collectif présent, et par travail mort, le travail accumulé des ancêtres. Tout ceci constitue ce que j’appelle un corps social, prolongement d’un corps individuel qui seul ne peut exister.

Tout corps individuel nouveau se greffe donc d’emblée sur un corps social déjà existant avec lequel il forme une entité globale cohérente et insécable.

Mais la greffe avec ce corps social partagé par tous, je veux dire par tous les humains, car un pays n’est qu’une partie du corps social monde, ne prend pas la même forme pour chaque individu. Si le corps social global est ce qui existe pour tous préalablement à l’existence de chacun, le visage qu’il présente est changeant. En tant qu’espace transitionnel, le filtre familial opérera, selon sa condition, des transferts inégaux d’un corps à l’autre. Les uns profiteront peu, les autres beaucoup, d’un même héritage. Et ceux qui, par chance, en auront beaucoup profité seront évidemment mieux placés ensuite pour s’en approprier, par leur travail ou leurs rentes, des parts plus généreuses. Cette boucle d’inégalité, l’inégalité au départ augmentant l’inégalité à l’arrivée, devient inacceptable lorsqu’elle passe un certain seuil. C’est pourquoi il est essentiel de procéder sans cesse à des ajustements, des rééquilibrages, en redistribuant de façon juste, c’est-à-dire démocratique.

D’autre part, quel que soit son travail, son intelligence, sa créativité, sa compétence et son énergie, aucun homme ne peut valoir infiniment plus que son prochain. Ou alors sa valeur n’est plus mesurable en argent. Les journées, même poussées à l’extrême ne font jamais que vingt-quatre heures, et l’énergie que déploie un mineur de fond, un ouvrier du bâtiment ou un paysan, ne me semble pas moins grande que celle d’un trader de Wall Street. Je sais bien que la force de travail est un marché comme un autre et qu’il obéit avant tout à la loi de l’offre et de la demande, qu’un patron aux grandes capacités sera plus demandé et donc mieux payé qu’un autre. Mais la question de droit reste ouverte : les limites de l’appropriation privée doivent-elles être, oui ou non, posées ? Oui, sans hésitation. Car il n’y a pas d’autre légitimité possible pour la richesse personnelle qu’une décision commune et démocratique. Si chacun pouvait décider par lui-même et pour lui-même de ce qu’il peut se permettre en société, où s’arrêterait le crime ? Il n’y aurait pas de crime. Et un ordre inégalitaire maintenu seulement par la force, qu’elle soit symbolique, réelle ou institutionnelle, tombera par la force. De quel droit arrêter un pauvre qui voudrait s’approprier une part supplémentaire de la richesse collective en volant le riche, si la richesse de ce dernier n’était pas auparavant socialement légitimée. L’est-elle actuellement ? Oui de fait, mais non en droit. Ce n’est pas parce que la plupart prend pour acquis le droit à l’appropriation illimitée, et pense même qu’il n’y a pas d’appropriation, mais seulement la juste récompense d’un travail honnête, que ce droit est légitime. On pensait aussi, avant l’abolition de l’esclavage, qu’il était juste de pouvoir acheter et vendre des hommes. On connaît la suite. Récompenser les talents et les initiatives, certes, mais comment et dans quelles limites ? C’est ce que nous devons tous décidés parce nous sommes tous concernés à part égale.

Payer des impôts semble injuste surtout à ceux qui ont beaucoup d’argent. Comme si cet argent était à eux. Il faut changer de modèle.

L’héritage collectif dont je parlais plus haut est le même pour tous à la naissance mais son accès est inégal. Si nous voulons réellement œuvrer pour l'émancipation, il nous faudra mettre le corps social en libre accès. Plus de péages, plus de privilèges. Redistribution massive et réhabilitation des entrées. Et revenu d'existence, bien sûr.

Adrien Royo

mardi 26 juillet 2011

samedi 2 juillet 2011


L'humanité souveraine a inventé ces derniers temps de magnifiques outils. Sa grandeur, aujourd'hui, serait d'apprendre à s'en passer.


dimanche 26 juin 2011

vandalisme légal

On focalise l’attention, en matière d’écologie des transports, sur les émissions de gaz à effet de serre. Mais, en réalité, la pression écologique exercée par une simple automobile est très loin de se résumer à ce qu’elle dépense et à ce qu’elle émet lors de son fonctionnement. Ce qui caractérise une voiture personnelle dans son rapport avec l’économie terrestre, c’est avant tout la masse énorme de ressources et de matières premières qu’elle représente d’emblée en tant qu’objet. Que l’on pense aux 4x4 par exemple. Ils ont beau avoir le label Ecoplus et je ne sais quel autre marquage écologiquement correct, il n’en reste pas moins que leurs propriétaires urbains accaparent pour leur agrément personnel des kilos de matières premières communes. Ce procédé a beau recevoir l’aval, et même la bénédiction, d’une société tout entière prise dans une logique aberrante de rentabilité, il entre très exactement dans la catégorie du vandalisme. De sorte que, même s’ils émettaient zéro gramme de CO2, il ne serait pas moins absurde et irresponsable de continuer à produire et à acheter en masse des objets en eux-mêmes si scandaleux.

Le vandalisme de banlieue n’est rien comparé au vandalisme légal à grande échelle que nous cautionnons chaque jour sous le nom de croissance. Ceux qui se persuadent de son irrévocabilité, ne peuvent pas nier pour autant le saccage afférent. Et s’ils sont prêts, en connaissance de cause, à en payer le prix pour eux-mêmes et pour leurs descendants, encore faudrait-il qu’ils s’assurent, s’agissant de dommages possiblement irréversibles et concernant chacun, de l’adhésion de tous.

En langage kunique, on résumerait de la manière suivante: Certains corps individuels accaparent une partie démesurément grande de leur corps social partagé, sans que jamais le droit en cette matière n'ait été démocratiquement discuté. De la liberté d'entreprendre, découle-t-il nécessairement, en droit public, la liberté de spolier?

Adrien Royo

Sans intention

«Il (l’être humain) n’a pour intention que son propre gain et il est, en cela comme dans de nombreux autres domaines, mené par une main invisible à promouvoir une fin qui ne faisait pas partie de ses intentions.» Voilà comment Adam Smith résume l’action aveugle d’une société créant sa richesse. Un siècle plus tard, Charles Darwin ne décrira pas autrement le rôle des vers de terre dans la fertilisation des sols. Eux aussi sont menés par une main invisible à promouvoir une fin (le renouvellement des sols dévolus à la production humaine de nourriture) qui ne faisait pas partie de leur intention initiale (se nourrir).

Imitant la nature, l’homme en société devrait donc se laisser aller à ses premiers élans d’égoïsme pour favoriser cette organisation spontanée du bien commun. Nous pourrions appeler cette pratique une permaculture sociale libérale. Tout y est : moindre interventionnisme, respect des cycles économiques, confiance, etc. Oui, mais…

Il existe dans cette belle harmonie supposée deux éléments discordants. D’abord, la pratique sociale du laisser faire s’inscrit en contradiction, voire en opposition avec les cycles naturels extérieurs, comme on le constate dans les différents dérèglements qu’elle engendre (climatique, énergétique, environnementaux, etc.). Ce qui signifie que la main sociale contredit la main naturelle, que l’une ne se confond pas avec l’autre. Qu’il y a, ô hérésie ! deux mains, par conséquent, au lieu d’une. Ou alors, il faudrait d’ores et déjà renoncer aux deux en même temps. D’autre part, les crises internes ne cessent de se multiplier, creusant les inégalités et les injustices et provoquant une gabegie sans pareil dans l’histoire. Ce qui veut dire que la main sociale, non seulement ne s’accorde pas avec la main naturelle, mais ne parvient même pas à assurer le minimum d’équilibre qu’on attend d’elle. Pourquoi, dès lors qu’elle n’accomplit rien de ce qui était prévu, hormis l’accumulation stupide de biens inutiles, ne pas la laisser choir comme synthèse révocable. Ceux qui en maintiennent l’idée en dépit du bon sens, et en dépit de l’expérience quotidienne de son inefficience, ne font ainsi que prouver son aspect dogmatique.

L’homme est naturel, je ne m’écarte pas de là, mais sa nature rend paradoxalement possible une action anti-naturelle. C’est là sa singularité, ce qui le place dans une position marginale par rapport au ver de terre. Une main invisible a peut-être bien organisé les interactions de tous les êtres naturels, mais de toute évidence à l’exception de l’homme. La chute originelle de l’homme dans la connaissance l’aurait donc arraché à la circonscription de la main naturelle. Mais alors, sa rédemption ne serait-elle pas d’incarner lui-même cette main, dans l’espace qui lui est dévolu ? Sans pour cela s’y substituer, bien sûr.

Adrien Royo