vendredi 17 avril 2015

Du prolétarisme

Voilà déjà belle lurette que j'ai remplacé dans ce blog capitalisme par prolétarisme pour parler de la société actuelle. J'y reviens.

Contrairement à capitalisme, prolétarisme désigne immédiatement un projet social, pas seulement un ordre économique. Alors que le mot capitalisme, quoi qu'on en ait, reste sur le mode gestionnaire et participe en définitive de ce que Marx appelait le fétichisme, c'est-à-dire l'illusionisme fondamental de notre mode de production, sa manière de cacher l'essentiel, l'anthropologique et l'existentiel, derrière le masque de la marchandise, de l'objet artificiel; je parle ici du mot tel que couramment employé, pas du concept marxien lui-même que comprennent réellement quelques rares intellectuels; alors que capitalisme égare, disais-je, prolétarisme embrasse d'emblée le projet anthropologique réel de nos sociétés modernes, à savoir la création de prolétaires.

Faire de tout homme un prolétaire, voilà en effet l'alpha et l'oméga du monde tel qui va. Et un prolétaire n'est rien d'autre qu'un esclave amélioré. Amélioré du point de vue du management, cette idéologie (ou religion) de notre temps. Les différents progrès dans la manipulation des masses ayant obtenu que cet esclavage moderne soit librement consenti et même souhaité. C'est le génie de cette civilisation d'avoir su escamoter si bien l'oppression qu'elle apparaisse à celui qui la subit, à savoir presque tout le monde, comme la mesure même de la liberté.

La condition de prolétaire est moralement, pour tous ceux qui ont su garder un minimum de lucidité au milieu du carnaval ambiant, l'une des conditions les plus misérables et méprisables qu'il se puisse imaginer. Si cette vérité n'est pas plus massivement acceptée, c'est que les moyens de l'illusionnisme, du spectacle dirait Debord, ont augmenté encore plus vite que la masse des nouveaux esclaves.

J'utilise prolétarisme justement pour des raisons d'exigence morale. On peut sortir du capitalisme, tel qu'entendu généralement, sans pour cela se libérer du prolétarisme.

Lorsqu'un mot commence à sonner tellement creux que de valise il passe à container, n'hésitons-pas à le remplacer! Ainsi, rendons la baudruche capitalisme aux césars de l'économie, et reprenons possession de son contenu sous une autre appellation, moins manipulable.

Capitalisme évoque des rapports de production; prolétarisme, des rapports sociaux. Je suis surpris que des gens qui prétendent avoir compris le concept de fétichisme chez Marx, persistent à conserver néanmoins, en dépit de tout bon sens historique, une terminologie si désuète et contreproductive pour parler du système global, qui n'est pas seulement un système économique, mais aussi un système moral (dans son amoralité même) et dogmatique, au sens legendrien. Rester prisonnier de cette terminologie, c'est renoncer à comprendre jamais la complexité du système, c'est au moins se priver des moyens d'en parler avec un peu de pertinence et de force.

Les prolétaires sont des esclaves, disais-je.

Nouveaux propriétaires de leurs corps, par la grâce de la Marchandise, de la Révolution, des Droits de l'homme et des Lumières, ils ne peuvent cependant que le louer au prix du marché (au plus bas aujourd'hui) pour survivre, ayant été dépossédés par ailleurs de tout le reste. Le monde de la marchandise a fait d'eux, de nous tous, comme il est naturel, une marchandise. Le processus n'est peut-être pas totalement achevé, mais il est en bonne voie. Le monde des choses, nous chosifie. Comment pourrait-il en être autrement?

Mais aussi, dans ce monde d'ersatz, à mesure que le volume des choses, des marchandises, des pacotilles produites, augmente (justice immanente, sans doute), la quantité de valeur globale diminue, proportionnellement au travail global nécessaire à leur production. Moins de travail productif réel, à cause des gains de productivité, du progrès technologique incessant, signifie moins de survaleur, et donc moins de valeur sociale, de capital en procès d'autovalorisation. La marchandise produit donc elle-même, mécaniquement, les conditions de sa disparition. Elle voue ses suppléants humains à l'état de marchandise, ou de simple rebut de la machine, de déchet économique, mais crée par-là même les conditions de son propre anéantissement. Anéantissement qui pourrait bien être par la même occasion celui de l'humanité toute entière. L'homme, voulant se libérer, fabrique le moyen de son autodestruction.

Le prolétaire est profondément cet homme là, engagé dans une action hétéronome et suicidaire, croyant jusqu'au bout œuvrer en toute indépendance pour son émancipation.

Au stade actuel du développement de cet outil exterminateur: la fin de la valeur réelle, la fin de la croissance, il ne reste plus à la machine d'autre alternative que de jeter dans la bataille ses dernières forces, en multipliant les signes monétaires dématérialisés, propices à la spéculation et à la production d'une valeur fictive, gagée sur du travail hypothétique futur, autrement appelée dette. La dette massive et universelle, n'étant rien d'autre que la recherche désespérée du carburant valeur, devenu si rare, dans les gisements anticipées du futur, un futur imaginé, un rêve. Car la dette, c'est du futur entrant dans le présent sous forme de créance. La machine du capital réel, désormais presque entièrement nourrie par du capital fictif, gagé sur un avenir de plus en plus lointain et imaginaire, s'enfle de fiction. La fiction était déjà au cœur du système, elle prend désormais toute la place, comme le vent dans une bulle. Mais cette bulle, comme toute les bulles, ne peut manquer d'éclater avec le rêve qui la maintenait.

La bonne nouvelle: la marchandise s'autodétruit. La mauvaise: elle aura produit avant de disparaître l'homme le moins fait pour relever le défi de son dépassement: le prolétaire, cette fiction d'homme libre. Si bien qu'à supposer que la destruction générale épargne un certain nombre d'entre nous, il y a des chances pour que ces survivants reprennent joyeusement, et en toute naïveté, le chemin qui conduira derechef à cette apothéose.

C'est pourquoi il me semble si important d'insister sur la conversion spirituelle qui permet seule de sortir de l'impasse prolétarienne. En finir avec le capitalisme? La marchandise s'en charge ! La seule question qui vaille, c'est quelle société, et donc quel homme, voulons-nous construire après. Et cet homme ne peut pas être le simple produit du monde actuel, comme si la machine pouvait produire autre chose qu'une machine. Cet homme ne peut être qu'un converti, un éveillé. Converti à quoi? A la loi de l'espèce, à la soumission spirituelle (voir Simone Weil), au pouvoir de création et à l'amour de soi et des autres.

Adrien Royo

vendredi 3 avril 2015

Pour bien comprendre

Pourquoi suis-je si favorable à ce qu'il est convenu d'appeler la dissidence, avec tout ce que ce mouvement, effectivement hétéroclite, compte de paranoïaques et d'approximation, pour d'aucuns repère de fascistes?

Remarquons tout d'abord que la dissidence n'a pas le monopole des errements qu'on lui prête. Dans mon parcours existentiel, il m'est arrivé de croiser des demi-fous ou même des fous furieux dans tous les milieux et dans tous les partis. La concentration d'insanités la plus forte se trouve même aujourd'hui d'après moi dans les cercles les plus proches de la bien-pensance et du politiquement correct. Ensuite, et plus fondamentalement, je dirais que cette dissidence, divine surprise de ce point de vue, procède à un grand nettoyage idéologique nécessaire et attendu (par moi du moins). Malgré ses outrances, grâce à elles peut-être, la dissidence détruit radicalement un consensus, naguère qualifié de mou, qui bloquait toute avancée. La pensée politique paraissait congelée au cœur d'un hiver des organisations, plus ou moins institutionnelles, chargées de la faire vivre. Grand courant d'air, les doigts dans la prise, et les fusibles sautent. Quel soulagement! Comme lorsque l'orage éclate enfin après une longue attente anxieuse.

La fin de la grande illusion du socialisme réel semblait avoir paralysé les cerveaux au point de laisser libre court au cynisme le plus échevelé: « there is no alternative! ».

Enfin, donc, nous allons pouvoir nous remettre à penser! Sauf si les agents de la Valeur, qui pullulent derrière les masques de rebelles, n'obtiennent pas une reddition trop rapide. Mais je crois que trop de personnes sont désormais désinhibées, débranchées, dématrixées.

Il y a grand danger dans cet éveil des consciences? Peut-être ! Mais le danger serait plus grand encore de continuer à sommeiller la tête dans le sable.

Et puis, je répèterai une fois encore ce que j'ai déjà dit dans ce blog à de multiples reprises : la gauche institutionnelle, et quelle gauche ne l'est pas aujourd'hui?, représente pour moi le principal obstacle à toute remise en question de ce que j'appelle le prolétarisme, ou le système de la Valeur. De la droite, il n'y a rien à attendre pour cela, elle n'a pas fondé son existence sur la critique de ce système et ne prétend pas à l'alternative, en tout cas pas en son fonds, comme je peux le constater tous les jours dans la dissidence, même si celle-ci, paradoxalement, peut aller beaucoup plus loin sur certains plans que la pseudo-gauche. Le mensonge le plus insupportable est toujours du côté des agents du changement ou de la révolution, des progressistes, pas du côté des conservateurs qui eux ne désirent que ce qui est. Ces derniers peuvent être cyniques, profiteurs, tout ce qu'on voudra, il n'empêchent rien en terme d'analyse, ne créent pas de faux espoirs, n'ouvrent pas de fausses pistes d'émancipation. Se donner à voir comme incarnation de l'avenir, du bien ou du mieux, lorsque l'on est fondamentalement un des avatars du système d'oppression, voilà la faute majeure contre l'esprit commise par le gauchiste convaincu, pour ne rien dire du social-démocrate, ni chair ni poisson.

Notre civilisation a cette particularité d'être fondée sur l'idée de progrès, d'accumulation dans tous les domaines, de technicisation (au sens que donne Jacques Ellul à ce terme). La droite ne comprend pas ce mouvement en profondeur mais elle s'identifie quand même à lui tout en refusant certaines de ses conséquences nécessaires. Cette contradiction la rend maniaco-dépressive, parfois agressive, et remplie de mauvaise conscience. La gauche, quant à elle, s'identifie avec zèle au principe même de ce mouvement, sans le savoir,  idiote utile, et promeut la civilisation qu'elle rejette en croyant l'amender. Voilà son mensonge fondamental et consubstantiel. Tout le volet sociétal de son action, et il ne lui reste que cela, ayant abandonné toute idée de remise en question économique et spirituelle, est fait de ce bois là, c'est-à-dire qu'il fait le jeu de la Valeur bien mieux que l'adversaire supposé. Quand donc, nos intellectuels, nos clercs, comprendront-ils cela? Quand accepteront-ils enfin de sortir de cette illusion mortelle? Jamais sans doute, étant trop formatés.

La question est: comment déraciner l'individu pour en faire l'instrument idéal de la valorisation du capital? La réponse: en lui faisant adopter le comportement de l'automate, cet objet artificiel non-né, exempt de toute naturalité, qu'on fabrique, qu'on transforme, qu'on répare, qu'on détruit. La gauche poursuit ce but mieux que la droite. Elle n'a donc, par rapport à cette civilisation, rien de révolutionnaire, quoi qu'elle en dise, et contrairement à une partie de la droite qui, paradoxalement, en refuse catégoriquement les principes pour des raisons de traditionalisme. Ruse de l'histoire! Celui qui ne voit pas cela aujourd'hui, ne comprend strictement rien à son propre monde et se berce d'illusions. La gauche, faute d'appréhender cette civilisation selon des critères spirituels et anthropologiques, est bel et bien depuis toujours son soutien le plus efficace. Les dehors superficiellement économiques du système lui ayant fait manquer l'essentiel. Le progressisme est donc le problème, il n'est pas la solution. Le petit peuple le ressent très intuitivement désormais. Il n'y a plus que la couche la plus dégénérée de la gauche boboïsée, alliée à ce que la droite connait de plus cynique, pour refuser de se rendre à l'évidence. Il n'est pas facile, bien sûr, de renoncer à un si beau rôle dans cette fiction généralisée.

En bref, quiconque prétend vouloir échapper à cette oppression nouvelle, doit d'abord abandonner les interprétations fallacieuses venant de la gauche, pour ensuite seulement affronter la fausse conscience de droite. C'est à ça que peut servir la dissidence si elle n'en reste pas à une critique trop convenue, renvoyant à tout ce qui s'est déjà fait dans le courant du siècle dernier et qui a donné des résultats si mauvais.

Toute la gauche au placard, donc? Oui, certes, c'est la condition du renouveau. Et toute la droite, ensuite. La dissidence a cette fonction historique. Que cela fasse grincer des dents ne doit pas nous étonner. Mais, il faut bien faire le boulot.

Mes boussoles en ces temps déboussolés: Simone Weil, Karl Marx (ésotérique) et Pierre Legendre.
Qu'on se le dise!

Adrien Royo

mardi 31 mars 2015

La conjuration des imbéciles

A la faveur des évènements récents, se développe une double hystérie bien propre à rappeler les moments les plus tragiques de l'histoire européenne. Tout le monde semble vouloir se ranger bien hystériquement dans l'une des cases toutes prêtes à l'accueillir: fascisme, antifascisme, socialisme reconfiguré, libéralisme pseudo-neutre.

Remontons le temps de façon un peu provocatrice. De la variété possible de l'offre politique des années vingt du 20e siècle, on est vite passé, une décennie plus tard, à une réduction drastique avec radicalisation, et affrontement direct de deux camps irréconciliables. L'Espagne offre un excellent exemple de cette réduction avec l'histoire du mouvement phalangiste. Fondée par Jose-Antonio Primo de Rivera, la première Phalange, deux ou trois ans avant la guerre, cherchait ses repères entre la révolution sociale et le nationalisme autoritaire. Elle élabora à la va-vite une plateforme idéologique un peu floue mais qui voulait s'appuyer sur le petit peuple et amener à résipiscence les classes privilégiées et l'Église. A la toute veille du soulèvement militaire toutefois, pressée de toute part et financièrement à l'agonie, peu soutenue par les riches, elle s'associa aux militaires et soutint le coup de force. Un peu plus tard, Franco n'hésita pas à la récupérer, à la renverser idéologiquement, pour en faire le socle de son pouvoir dictatorial, el jefe (le chef) Jose-Antonio, comme l'appelait ses sympathisants, ayant été exécuté dans sa prison de Valence dès le début de la guerre civile. Des gens qui réfléchissaient en toute sincérité, même s'ils se trompaient, à une quatrième voie entre le marxisme, la droite traditionaliste et le libéralisme, avec tout ce que cela suppose d'errements et d'ambigüités, ont été purement et simplement éliminés pour former un bloc bien carré et bien simpliste propre à s'insérer dans l'espace binaire et sans nuances de la guerre totale. La même chose s'est d'ailleurs produite dans l'autre camp, où les anarchistes ont laissé la place à de bons staliniens dociles et cyniques. C'est un petit fils de républicain espagnol qui vous parle.

Je soutiens que nous préparons aujourd'hui la même sauce pour le même genre d'agapes, avec cette différence notable et paradoxale que tout se remet en place par la volonté même de ne pas reproduire le passé. Les gens de gauche interdisent de chercher du nouveau en écrasant leurs amis sous le poids d'une histoire mal digérée, et les gens de droite, piégés dans le même cercle, servent des plats réchauffés. De tous côtés, on ferme les voies de l'analyse sereine, de la synthèse et du dialogue en se repliant frileusement sur des positions jugées sûres parce que déjà enlevées au moins une fois. Quiconque se pique de liberté prend le risque de se voir lyncher par les uns ou par les autres, et mêmes par les uns et par les autres. Interdiction de penser librement! est le mot d'ordre général. Il ne se dit jamais ouvertement, mais il s'inter-dit constamment.

Le système aujourd'hui est étouffant. Tout le monde sent bien qu'aucune proposition existante n'offre de vraies perspectives, et tout le monde vibrionne cependant en pure perte autour des mêmes idoles. On ne sait plus à quel saint se vouer, mais on se voue corps et âmes, et on s'accroche désespérément à l'épave la plus vermoulue qui s'enfonce déjà et promet la noyade. Et accepter le statu quo revient à accepter la glissade inéluctable vers l'abîme. De quelle manière la chute aura-t-elle lieu? Guerre de civilisation, prenant la forme de guerres civiles par endroits; débandade économique ou environnementale; totalitarisme techno-mondialiste ou techno-nationaliste, ou tout cela à la fois? Nul ne le sait, mais qu'il y ait chute, tout le monde le sent confusément.

Dans une telle ambiance, comment s'étonner que certains prennent un malin plaisir à faire exploser le consensus, quitte à devenir les têtes de turc de tous les autres, trop contents de pouvoir se coaliser enfin autour d'une même proie. C'est le rôle qu'a choisi de jouer Alain Soral par exemple. Soral, qui par bien des côtés rappelle ce Primo de Rivera dont je parlais précédemment, plus proche d'un Poutine ou d'un Chavez, que d'un Hitler, qui rentre néanmoins dans la case prévue du nationalisme autoritaire et de l'interprétation communautariste de l'histoire. Soral est antisémite, dit-on. C'est possible! Mais qu'il le soit ou pas, certains chasseurs d'antisémites, arc-boutés sur la mémoire du génocide préparent malgré tout comme les autres, par leur maladresse et leur hystérie, le terrain d'un beau chaos à l'ancienne. Qu'il y ait des antisémites, je ne le nie pas, mais qu'il faille, pour lutter contre eux, employer des moyens que l'on dénonce chez les autres: mensonges, rumeurs, dénigrement systématique, condamnation sans procès, lynchage médiatique et mêmes agressions physiques, me semble tout à fait contre-productif et bien propre même à créer de l'antisémitisme là où il n'y en avait pas.

Prenons l'exemple de Dieudonné, puisqu'il est associé à Soral dans la même réprobation universelle. Voilà quelqu'un qui, sauf à l'accuser gratuitement d'antisémitisme latent depuis sa naissance, avait tout, avant son sketch chez Fogiel, pour devenir l'emblème de l'antiracisme authentique. Or, voilà qu'un beau jour l'ensemble de l'establishment lui tombe dessus pour avoir fait exactement ce que Charlie Hebdo faisait toutes les semaines, et qui suscite aujourd'hui tant d'admiration rétrospective, à savoir une caricature d'extrémiste. La disproportion entre la peine immédiate qui lui a été infligée: ostracisme généralisé, interdiction de se produire, lynchage médiatique, et la nature de la transgression, était bien faite pour attirer le soupçon. Et le soupçon s'est effectivement généralisé quand la victime, loin de s'agenouiller devant ses bourreaux, se mit à en rajouter sous le costume du méchant absolu qu'on lui avait mis sur les épaules. Dieudonné joua ce jour-là malgré lui le rôle de l'agent chimique plongé dans une solution stable et qui précipite involontairement des réactions moléculaires en chaîne qui font tout exploser, révélant par l'explosion elle-même les incohérences du milieu initial. Les censeurs en cette occasion, pensant démasquer un crypto-antisémite, dévoilaient en réalité à la fois leur pouvoir et leur stupidité. Ils créèrent donc, par leur réaction disproportionnée un pseudo-antisémitisme massif, né d'un étonnement agacé ou d'une révolte étonnée. Des milliers de personnes se découvraient en effet du jour au lendemain antisémites. Le niveau s'étant abaissé si brutalement que tous ceux qui émettaient une simple critique de l'État d'Israël ou évoquaient le racisme hébreu, recevaient immédiatement leur diplôme avec félicitation du jury. Sans compter les gens que tout cela rendait curieux et qui commencèrent à chercher des réponses à des questions qu'ils ne s'étaient jamais posés. Dans ce cas précis, j'affirme que des organisations communautaires ont créé de toute pièce et de manière irresponsable ce qu'elles prétendaient combattre. Un peu comme ces obsessionnels qui finissent par réaliser le fantasme contre lequel ils avaient fondé leur existence, par peur que celui-ci leur échappe. Ce qui ne justifie en rien, bien entendu, le vrai antisémitisme qui aurait pu se développer parallèlement. Mais aussi, n'y aurait-il pas là un calcul bassement politicien consistant à créer un monstre de toute pièce pour se concilier les faveurs d'une partie du peuple encore prête à croire toutes les balivernes du pouvoir en matière de lutte contre l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le complotisme. Quoi de mieux, pour se donner des allures de gauche, lorsque la gauche réelle a disparu, que de s'inventer un extrémisme de droite? Comme naguère on s'inventa à droite un extrémisme « ultragauchiste ».

Résultat des courses, chacun enfile son petit uniforme et se précipite dans les tranchées anciennes numérotées pour rejouer la der des ders et le « plus jamais ça » en y ajoutant les variantes du jour.

J'entends bien que les victimes, ou les descendants de victimes, soient inquiets de voir que la discussion autour de l'antisémitisme recommence, mais de grâce, ne tombons pas dans le piège de la séparation et du repli. C'est en nous-mêmes toujours que le monstre doit être poursuivi, sans quoi il renaîtra inévitablement, la victime d'hier se transformant en bourreau, comme cela arrive depuis le commencement de l'histoire humaine. Si une petite flamme de vérité et d'amour subsiste, au contraire, tout n'est pas perdu. C'est de cette flamme dont il est question ici, de rien d'autre.

Le racisme est dangereux, mais certaines façons de l'affronter le sont tout autant.

L'époque réclamerait la recherche urgente d'une alternative spirituelle et idéologique, un rêve alternatif propre à désamorcer la crise ou du moins à laisser imaginer un avenir humain réellement pacifique, mais personne ne pense pour cela à renoncer aux codes préétablis, au psittacisme, au savoir pré mâché, ou aux réflexes grégaires. Il faudrait une vraie liberté de pensée, quand des barrières se dressent de partout, y compris, et plus encore qu'ailleurs, dans les espaces prévus pour elle. Cette liberté est dangereuse, oui, mais moins que le conformisme étriqué d'aujourd'hui. Cette liberté est risquée, oui, mais moins que le statuquo. Cette liberté est inquiétante, oui, mais moins que ce qui nous attend de toute manière. Des jeunes deviennent antisémites en allant sur certains sites? Eh bien, je gage que ce n'est pas en s'acharnant contre eux et en appliquant des méthodes fascistes qu'on luttera efficacement contre le totalitarisme qui vient, qui lui n'a rien d'antisémite ni de particulièrement sémite d'ailleurs, et qui s'insinue entre les rangs de l'imbécilité éternelle en ordre de bataille.

Et puis, il y a une suffisance des gens au pouvoir aujourd'hui qui dépasse l'entendement. Tout le monde prétend parler au nom du peuple et tout le monde le méprise. On le voit encore avec l'attitude de l'Europe face à la Grèce. On s'arrange soit pour discréditer sa parole, soit pour en nier la pertinence, soit pour le réduire au silence. Un des vocables inventés pour obtenir ce magnifique résultat est « populisme ». Est populiste tout ce qui n'arrange pas les élites. On dit que le peuple est bête et on s'en méfie, mais on oublie que la responsabilité de toutes les saletés de l'histoire pèsent sur la tête des dirigeants et des intelligents, pas sur le peuple qui n'élit ses représentants que parmi ceux qu'on veut bien lui présenter. La peur du peuple est sans doute aujourd'hui la peur la mieux partagée. Aujourd'hui, cette peur se manifeste par l'habitude de lui cacher l'essentiel afin qu'il ne remette pas en question le bel ordonnancement élitaire censé assurer, si ce n'est le bonheur, du moins l'avenir. Et quand par hasard il découvre tout de même quelques bribes de vérité, on l'accuse de complotisme. D'ailleurs, on se dirige tout droit, et pas seulement en Europe, vers un techno-bio-pouvoir dont le bras armé sera fait d'une minuscule élite technocratique triée sur le volet, avec une majorité d' « ignorants » faisant là où on leur dira de faire. C'est ce qui s'appelle aller vers des lendemains meilleurs. L'idée est toujours la suivante: si on laisse le peuple faire, on obtient Hitler. CQFD! Mais votez quand même! Il faut bien sauver les apparences. Bien sûr que la vérité est un jeu de miroirs, et qu'elle nous fuit toujours, mais la recherche est le propre de l'homme, et parce que certains se font piéger sur la route, on n'arrête pas le voyage.

Internet, même surveillé continuellement, est en libre accès. Tout peu se dire, y compris le n'importe quoi. Mais quand le n'importe quoi et le mépris envahissent les médias traditionnels réputés porteurs de vérités, pourquoi devrait-on le bouder. Depuis que je suis en âge de comprendre, on ne cesse de me mentir, non seulement en toute impunité, mais encore avec un cynisme hyperbolique. J'ai vu le pays de la liberté soutenir des dictatures et des groupes terroristes, la gauche devenir la droite, la démocratie se passer des citoyens, la justice s'incliner devant le pouvoir et faire preuve d'intransigeance envers les petits, l'argent aller à l'argent, des descendants de victimes devenir des bourreaux donneurs de leçon, la raison d'État s'ériger en morale, le racisme envahir l'espace public, des guerres sans morts à la télévision, des robots remplacer des hommes, des médicaments tuer, de la nourriture empoisonner, des travailleurs mourir à cause de leur travail, etc; J'ai vu tout cela et malgré tout je reste confiant. Confiant en l'homme du quotidien, le petit, le sans-grade, le tâcheron, pas le puissant, le tout-sachant, le brillant.

Je veux pouvoir penser sans avoir un censeur au-dessus de mon épaule pour me dire ce qu'il faut que je voie, que je sente, que je rêve. Je veux pouvoir me tromper. Mes références sont claires: Marx, Debord, Kurz, Postone, Lacan, Weil, Legendre, Jésus, Lao Tseu et Diogène.

Dans sa note n°11 intitulée « Conspirationnisme: un état des lieux », la Fondation Jean Jaurès, Think tank socialiste dont le premier article des statuts dit vouloir: « favoriser l’étude du mouvement ouvrier et du socialisme international, promouvoir les idéaux démocratiques et humanistes par le débat d’idées et la recherche, contribuer à la connaissance de l’homme et de son environnement, mener des actions de coopération économique, culturelle et politique concourant à l’essor du pluralisme et de la démocratie dans le monde », on trouve, à la page 8, le paragraphe suivant:
 
« Thierry Meyssan est probablement l’une des personnalités qui, avec Dieudonné M’Bala M’Bala et Alain Soral (Égalité & Réconciliation), incarnent le mieux le noyau dur de cette mouvance hétéroclite (le conspirationnisme), fortement intriquée avec la mouvance négationniste, et où se côtoient admirateurs d’Hugo Chavez et inconditionnels de Vladimir Poutine. Un milieu interlope que composent anciens militants de gauche ou d’extrême gauche, ex-«Indignés», souverainistes, nationaux-révolutionnaires, ultra-nationalistes, nostalgiques du IIIème Reich, militants anti-vaccination, partisans du tirage au sort, révisionnistes du 11 Septembre, antisionistes, afrocentristes, survivalistes, adeptes des «médecines alternatives», agents d’influence du régime iranien, bacharistes, intégristes catholiques ou islamistes.”

En effet, ce que le pouvoir appelle les complotistes ou les conspirationnistes, et que d'autres appellent les débranchés, vient de tous ces horizons. C'est déjà intéressant en soi d'abattre les frontières mentales à ce point. Qu'est-ce qui unit ces individus? Entre autre, la défiance. La défiance vis-à-vis de tout ce qui vient de la sphère médiatico-politico-culturelle officielle. Cette défiance peut conduire à des dérapages et à des élucubrations, c'est un fait. Mais des dérapages et des élucubrations beaucoup moins graves que ceux des puissants que soutient cette Fondation. Qui a attaqué l'Irak sur un prétexte fallacieux? Qui manipule l'opinion tous les jours? Qui dirige des services secrets échappant par définition à la surveillance des citoyens? Qui déstabilise des États souverains pour les soumettre? Qui fomente des troubles partout sur la planète pour préserver ses intérêts? Qui propage des thèses absurdes pour discréditer les adversaires? Qui écrit des faux rapports pour diffuser telle ou telle marchandise délétère? Qui utilise des terroristes pour lutter contre des adversaires communs? Qui dresse des populations contre les autres? Qui ment? Qui vend? Qui gagne? A qui profite les crimes de toute sorte commis chaque jour? Aux complotistes ou à ceux qui les dénoncent? Qui est le plus dangereux? Le petit conspirationniste d'Internet ou le conspirationniste d’État qui le persécute? Derrière tout complotisme supposé, on veut toujours trouver le futur nazi. On agite le chiffon rouge ou noir du fascisme ou de l'antisémitisme dès que quelqu'un se pique de penser par lui-même. Ce que l'on nie ainsi en le confirmant implicitement, c'est le visage profondément fasciste de l'époque. Que veulent ces démocrates autoproclamés? La pluralité progressisto-libérale, c'est-à-dire la pensée unique sans contradicteurs.

“Dans le monde à l'envers, le vrai est un moment du faux.” (Guy Debord in “Commentaires sur la Société du Spectacle”). “Croire en l'histoire officielle, c'est croire des criminels sur parole.” (Simone Weil in “L'Enracinement”).

Pour ma part, je n'ai aucune confiance dans la parole des médias officiels, comme je n'ai aucune confiance dans tout ce qui vient de l'agro-industrie, de l'industrie pharmaceutique, de l'industrie militaire, de la culture mondaine, de la propagande étatique, de la publicité, ou de la politique partisane . Si cela fait de moi un complotiste, tant pis. J'ai entendu trop de mensonges venant de ces porteurs de lumières.

Pour avoir une chance aujourd'hui de percevoir un peu de vérité vraie, il faut s'émanciper de tout cela.

1- Changer son alimentation pour s'émanciper de l'agro-industrie;
2- Changer sa façon d'envisager la santé pour s'émanciper des professionnels de la maladie et du médicaments;
3- Changer sa façon de voir le monde pour s'émanciper des médias et de la culture de masse;
4- Changer son regard sur la politique pour s'émanciper des marionnettes du prolétarisme mondialisé;
5- Changer de logiciel philosophico-spirituel pour s'émanciper des intellectuels d'élevage.

Avec ça, que l'on me classe où l'on voudra. Peu me chaut!

Adrien Royo