vendredi 3 avril 2015

Pour bien comprendre

Pourquoi suis-je si favorable à ce qu'il est convenu d'appeler la dissidence, avec tout ce que ce mouvement, effectivement hétéroclite, compte de paranoïaques et d'approximation, pour d'aucuns repère de fascistes?

Remarquons tout d'abord que la dissidence n'a pas le monopole des errements qu'on lui prête. Dans mon parcours existentiel, il m'est arrivé de croiser des demi-fous ou même des fous furieux dans tous les milieux et dans tous les partis. La concentration d'insanités la plus forte se trouve même aujourd'hui d'après moi dans les cercles les plus proches de la bien-pensance et du politiquement correct. Ensuite, et plus fondamentalement, je dirais que cette dissidence, divine surprise de ce point de vue, procède à un grand nettoyage idéologique nécessaire et attendu (par moi du moins). Malgré ses outrances, grâce à elles peut-être, la dissidence détruit radicalement un consensus, naguère qualifié de mou, qui bloquait toute avancée. La pensée politique paraissait congelée au cœur d'un hiver des organisations, plus ou moins institutionnelles, chargées de la faire vivre. Grand courant d'air, les doigts dans la prise, et les fusibles sautent. Quel soulagement! Comme lorsque l'orage éclate enfin après une longue attente anxieuse.

La fin de la grande illusion du socialisme réel semblait avoir paralysé les cerveaux au point de laisser libre court au cynisme le plus échevelé: « there is no alternative! ».

Enfin, donc, nous allons pouvoir nous remettre à penser! Sauf si les agents de la Valeur, qui pullulent derrière les masques de rebelles, n'obtiennent pas une reddition trop rapide. Mais je crois que trop de personnes sont désormais désinhibées, débranchées, dématrixées.

Il y a grand danger dans cet éveil des consciences? Peut-être ! Mais le danger serait plus grand encore de continuer à sommeiller la tête dans le sable.

Et puis, je répèterai une fois encore ce que j'ai déjà dit dans ce blog à de multiples reprises : la gauche institutionnelle, et quelle gauche ne l'est pas aujourd'hui?, représente pour moi le principal obstacle à toute remise en question de ce que j'appelle le prolétarisme, ou le système de la Valeur. De la droite, il n'y a rien à attendre pour cela, elle n'a pas fondé son existence sur la critique de ce système et ne prétend pas à l'alternative, en tout cas pas en son fonds, comme je peux le constater tous les jours dans la dissidence, même si celle-ci, paradoxalement, peut aller beaucoup plus loin sur certains plans que la pseudo-gauche. Le mensonge le plus insupportable est toujours du côté des agents du changement ou de la révolution, des progressistes, pas du côté des conservateurs qui eux ne désirent que ce qui est. Ces derniers peuvent être cyniques, profiteurs, tout ce qu'on voudra, il n'empêchent rien en terme d'analyse, ne créent pas de faux espoirs, n'ouvrent pas de fausses pistes d'émancipation. Se donner à voir comme incarnation de l'avenir, du bien ou du mieux, lorsque l'on est fondamentalement un des avatars du système d'oppression, voilà la faute majeure contre l'esprit commise par le gauchiste convaincu, pour ne rien dire du social-démocrate, ni chair ni poisson.

Notre civilisation a cette particularité d'être fondée sur l'idée de progrès, d'accumulation dans tous les domaines, de technicisation (au sens que donne Jacques Ellul à ce terme). La droite ne comprend pas ce mouvement en profondeur mais elle s'identifie quand même à lui tout en refusant certaines de ses conséquences nécessaires. Cette contradiction la rend maniaco-dépressive, parfois agressive, et remplie de mauvaise conscience. La gauche, quant à elle, s'identifie avec zèle au principe même de ce mouvement, sans le savoir,  idiote utile, et promeut la civilisation qu'elle rejette en croyant l'amender. Voilà son mensonge fondamental et consubstantiel. Tout le volet sociétal de son action, et il ne lui reste que cela, ayant abandonné toute idée de remise en question économique et spirituelle, est fait de ce bois là, c'est-à-dire qu'il fait le jeu de la Valeur bien mieux que l'adversaire supposé. Quand donc, nos intellectuels, nos clercs, comprendront-ils cela? Quand accepteront-ils enfin de sortir de cette illusion mortelle? Jamais sans doute, étant trop formatés.

La question est: comment déraciner l'individu pour en faire l'instrument idéal de la valorisation du capital? La réponse: en lui faisant adopter le comportement de l'automate, cet objet artificiel non-né, exempt de toute naturalité, qu'on fabrique, qu'on transforme, qu'on répare, qu'on détruit. La gauche poursuit ce but mieux que la droite. Elle n'a donc, par rapport à cette civilisation, rien de révolutionnaire, quoi qu'elle en dise, et contrairement à une partie de la droite qui, paradoxalement, en refuse catégoriquement les principes pour des raisons de traditionalisme. Ruse de l'histoire! Celui qui ne voit pas cela aujourd'hui, ne comprend strictement rien à son propre monde et se berce d'illusions. La gauche, faute d'appréhender cette civilisation selon des critères spirituels et anthropologiques, est bel et bien depuis toujours son soutien le plus efficace. Les dehors superficiellement économiques du système lui ayant fait manquer l'essentiel. Le progressisme est donc le problème, il n'est pas la solution. Le petit peuple le ressent très intuitivement désormais. Il n'y a plus que la couche la plus dégénérée de la gauche boboïsée, alliée à ce que la droite connait de plus cynique, pour refuser de se rendre à l'évidence. Il n'est pas facile, bien sûr, de renoncer à un si beau rôle dans cette fiction généralisée.

En bref, quiconque prétend vouloir échapper à cette oppression nouvelle, doit d'abord abandonner les interprétations fallacieuses venant de la gauche, pour ensuite seulement affronter la fausse conscience de droite. C'est à ça que peut servir la dissidence si elle n'en reste pas à une critique trop convenue, renvoyant à tout ce qui s'est déjà fait dans le courant du siècle dernier et qui a donné des résultats si mauvais.

Toute la gauche au placard, donc? Oui, certes, c'est la condition du renouveau. Et toute la droite, ensuite. La dissidence a cette fonction historique. Que cela fasse grincer des dents ne doit pas nous étonner. Mais, il faut bien faire le boulot.

Mes boussoles en ces temps déboussolés: Simone Weil, Karl Marx (ésotérique) et Pierre Legendre.
Qu'on se le dise!

Adrien Royo

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