Pourquoi suis-je si
favorable à ce qu'il est convenu d'appeler la dissidence, avec tout
ce que ce mouvement, effectivement hétéroclite, compte de
paranoïaques et d'approximation, pour d'aucuns repère de
fascistes?
Remarquons tout
d'abord que la dissidence n'a pas le monopole des errements qu'on lui
prête. Dans mon parcours existentiel, il m'est arrivé de croiser
des demi-fous ou même des fous furieux dans tous les milieux et dans
tous les partis. La concentration d'insanités la plus forte se
trouve même aujourd'hui d'après moi dans les cercles les plus
proches de la bien-pensance et du politiquement correct. Ensuite, et
plus fondamentalement, je dirais que cette dissidence, divine
surprise de ce point de vue, procède à un grand nettoyage
idéologique nécessaire et attendu (par moi du moins). Malgré ses
outrances, grâce à elles peut-être, la dissidence détruit
radicalement un consensus, naguère qualifié de mou,
qui bloquait toute avancée. La pensée politique paraissait congelée
au cœur d'un hiver des organisations, plus ou moins
institutionnelles, chargées de la faire vivre. Grand courant d'air, les
doigts dans la prise, et les fusibles sautent. Quel soulagement!
Comme lorsque l'orage éclate enfin après une longue attente
anxieuse.
La fin de la grande
illusion du socialisme réel semblait avoir paralysé les cerveaux au
point de laisser libre court au cynisme le plus échevelé: « there
is no alternative! ».
Enfin, donc, nous
allons pouvoir nous remettre à penser! Sauf si les agents de la Valeur, qui pullulent derrière les masques de rebelles, n'obtiennent pas une reddition trop
rapide. Mais je crois que trop de
personnes sont désormais désinhibées, débranchées, dématrixées.
Il y a grand danger dans cet éveil des consciences? Peut-être ! Mais le danger serait plus grand encore de continuer à sommeiller la tête dans le sable.
Et puis, je
répèterai une fois encore ce que j'ai déjà dit dans ce blog à de
multiples reprises : la
gauche institutionnelle, et quelle gauche ne l'est pas aujourd'hui?,
représente pour moi le principal obstacle à toute remise en
question de ce que j'appelle le prolétarisme, ou le système de la
Valeur. De la droite, il n'y a rien à attendre pour cela,
elle n'a pas fondé son existence sur la critique de ce système et
ne prétend pas à l'alternative, en tout cas pas en son fonds, comme
je peux le constater tous les jours dans la dissidence, même si
celle-ci, paradoxalement, peut aller beaucoup plus loin sur certains
plans que la pseudo-gauche. Le mensonge le plus insupportable est
toujours du côté des agents du changement ou de la
révolution, des progressistes, pas du côté des conservateurs qui
eux ne désirent que ce qui est. Ces derniers peuvent être cyniques,
profiteurs, tout ce qu'on voudra, il n'empêchent rien en terme
d'analyse, ne créent pas de faux espoirs, n'ouvrent pas de fausses
pistes d'émancipation. Se donner à voir comme incarnation de
l'avenir, du bien ou du mieux, lorsque l'on est fondamentalement un
des avatars du système d'oppression, voilà la faute majeure contre l'esprit
commise par le gauchiste convaincu, pour ne rien dire du
social-démocrate, ni chair ni poisson.
Notre civilisation a
cette particularité d'être fondée sur l'idée de progrès,
d'accumulation dans tous les domaines, de technicisation (au sens que
donne Jacques Ellul à ce terme). La droite ne comprend pas ce
mouvement en profondeur mais elle s'identifie quand même à lui tout en refusant
certaines de ses conséquences nécessaires. Cette contradiction la
rend maniaco-dépressive, parfois agressive, et remplie de mauvaise
conscience. La gauche, quant à elle, s'identifie avec zèle au principe même de ce mouvement, sans le savoir, idiote utile, et promeut la civilisation qu'elle rejette en croyant
l'amender. Voilà son mensonge fondamental et consubstantiel. Tout le
volet sociétal de son action, et il ne lui reste que cela, ayant
abandonné toute idée de remise en question économique et
spirituelle, est fait de ce bois là, c'est-à-dire qu'il fait le jeu
de la Valeur bien mieux que l'adversaire supposé. Quand donc, nos
intellectuels, nos clercs, comprendront-ils cela? Quand
accepteront-ils enfin de sortir de cette illusion mortelle? Jamais
sans doute, étant trop formatés.
La question est:
comment déraciner l'individu pour en faire l'instrument idéal de la
valorisation du capital? La réponse: en lui faisant adopter le
comportement de l'automate, cet objet artificiel non-né, exempt de
toute naturalité, qu'on fabrique, qu'on transforme, qu'on répare,
qu'on détruit. La gauche poursuit ce but mieux que la droite. Elle
n'a donc, par rapport à cette civilisation, rien de révolutionnaire,
quoi qu'elle en dise, et contrairement à une partie de la droite
qui, paradoxalement, en refuse catégoriquement les principes pour
des raisons de traditionalisme. Ruse de l'histoire! Celui qui ne voit pas
cela aujourd'hui, ne comprend strictement rien à son propre monde et
se berce d'illusions. La gauche, faute d'appréhender cette
civilisation selon des critères spirituels et anthropologiques, est
bel et bien depuis toujours son soutien le plus efficace. Les dehors
superficiellement économiques du système lui ayant fait manquer
l'essentiel. Le progressisme est donc le problème, il n'est pas la
solution. Le petit peuple le ressent très intuitivement désormais.
Il n'y a plus que la couche la plus dégénérée de la gauche
boboïsée, alliée à ce que la droite connait de plus cynique, pour
refuser de se rendre à l'évidence. Il n'est pas facile, bien sûr,
de renoncer à un si beau rôle dans cette fiction généralisée.
En bref, quiconque
prétend vouloir échapper à cette oppression nouvelle, doit d'abord
abandonner les interprétations fallacieuses venant de la gauche, pour ensuite seulement affronter la fausse conscience de droite.
C'est à ça que peut servir la dissidence si elle n'en reste pas à
une critique trop convenue, renvoyant à tout ce qui s'est déjà
fait dans le courant du siècle dernier et qui a donné des résultats
si mauvais.
Toute la gauche au
placard, donc? Oui, certes, c'est la condition du renouveau. Et toute
la droite, ensuite. La dissidence a cette fonction historique. Que
cela fasse grincer des dents ne doit pas nous étonner. Mais, il faut bien faire le boulot.
Mes boussoles en ces
temps déboussolés: Simone Weil, Karl Marx (ésotérique) et Pierre
Legendre.
Qu'on se le dise!
Adrien Royo
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