dimanche 7 juin 2015

Réglage du thermomètre

Il est amusant de constater la prodigieuse faculté d'aveuglement de la plupart des commentateurs économiques, complaisamment relayés par nos politiques et nos médias mainstream. Aveuglement qui repose sur des présupposés absurdes et cachés. Exemple: le chômage en France concerne très majoritairement les jeunes et les «vieux » non-diplômés et non-qualifiés, vérité statistique. Solution: la formation et le diplôme. Présupposé jamais énoncé et jamais soulevé: il y a suffisamment d'emplois qualifiés pour tout le monde, et s'ils n'existent pas encore, ils se créeront. Comment? Par la grâce du marché qui, comme la nature, a horreur du vide. Du sophisme de la plus belle espèce, non? Il s'agit, dans le premier cas, d'un pur fantasme dont on fait une évidence tellement aveuglante qu'il n'est pas permis une seconde d'en douter; et dans le deuxième d'une prière magique à peu près du même ordre que la danse de la pluie pour faire tonner le ciel. Encore que j'aie personnellement beaucoup plus de respect pour la danse que pour la rhétorique pseudo-scientifique des experts en chômage qui disent tous la même chose depuis deux siècles, et qui étant contredits par les faits depuis si longtemps, en tirent une force supplémentaire, inaltérable et paradoxale, inaltérable parce que paradoxale, de conviction.

Autre exemple: la dette publique vient d'une dépense inconsidérée de l'État. Solution: l'austérité. Présupposé: la réduction des dépenses de l'État augmente sa richesse comme le paiement de vos dettes garnit votre porte-monnaie. Autre évidence d'une aveuglante banalité. Problème: aujourd'hui, c'est la dette qui crée la richesse et pas l'inverse.

Les présupposés cachés ou jugés trop évidents pour qu'on les rediscute permettent au discours de tourner en boucle sur lui-même dans une auto-justification dont la force auto-suggestive s'amplifie un peu plus à chaque nouvelle rotation. Il ne s'agit de rien d'autre que d'arguments d'autorité répétés avec l'aplomb indestructible de ceux qui ont été placés en position de transmettre un savoir précisément parce qu'ils n'y connaissent rien globalement, mais s'aveuglent beaucoup dans leur minuscule spécialité. N'ayant pas commencé à gravir la montagne du haut de laquelle ils pourraient profiter d'une vision générale des choses de ce monde, ils remuent avec gourmandise la boue de leur pauvre mangeoire étriquée.

C'est ainsi qu'on en arrive à déduire du chômage de masse français, dont la spécificité supposée est plus que discutable, chaque région du monde ayant sa propre règle de calcul pour apprécier les conséquences de sa politique fraternelle, une série de mesures d'éradication toutes plus définitives les unes que les autres, allant de la baisse de salaire au contrat zéro heure, en passant par la réduction des indemnités, le flicage des chômeurs, le travail obligatoire et la suppression des freins aux licenciements, pudiquement rebaptisés freins à l'embauche, propres à transformer le chômeur soit en travailleur misérable, soit en misérable tout court. Tant il est vrai qu'un chômeur non-inscrit, un pauvre à l'ancienne donc, ne comptant plus pour rien dans nos communautés libres et fraternelles, ne saurait conserver le droit aux statistiques officielles. Ce qui compte, c'est que le si joli graphique Powerpoint sur les écrans de nos cravatés redevienne présentable, avec de belles courbes « inversées », pour que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Car si vous avez de la fièvre, n'écoutez pas votre instinct qui vous dit bêtement que vous êtes malades. Persuadez-vous plutôt que le thermomètre est mal réglé. Relevez de quelques crans le point zéro et la fièvre disparaîtra en même temps que votre maladie imaginaire.

Adrien Royo

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