Il est amusant de constater
la prodigieuse faculté d'aveuglement de la plupart des commentateurs
économiques, complaisamment relayés par nos politiques et nos
médias mainstream. Aveuglement qui repose sur des présupposés
absurdes et cachés. Exemple: le chômage en France concerne très
majoritairement les jeunes et les «vieux » non-diplômés et
non-qualifiés, vérité statistique. Solution: la formation et le
diplôme. Présupposé jamais énoncé et jamais soulevé: il y a
suffisamment d'emplois qualifiés pour tout le monde, et s'ils
n'existent pas encore, ils se créeront. Comment? Par la grâce du
marché qui, comme la nature, a horreur du vide. Du
sophisme de la plus belle espèce, non? Il s'agit, dans le premier cas,
d'un pur fantasme dont on fait une évidence tellement aveuglante
qu'il n'est pas permis une seconde d'en douter; et dans le deuxième
d'une prière magique à peu près du même ordre que la danse de la
pluie pour faire tonner le ciel. Encore que j'aie personnellement
beaucoup plus de respect pour la danse que pour la rhétorique
pseudo-scientifique des experts en chômage qui disent tous la même
chose depuis deux siècles, et qui étant contredits par les faits
depuis si longtemps, en tirent une force supplémentaire, inaltérable
et paradoxale, inaltérable parce que paradoxale, de conviction.
Autre exemple: la dette
publique vient d'une dépense inconsidérée de l'État. Solution:
l'austérité. Présupposé: la réduction des dépenses de l'État
augmente sa richesse comme le paiement de vos dettes garnit votre
porte-monnaie. Autre évidence d'une aveuglante banalité. Problème:
aujourd'hui, c'est la dette qui crée la richesse et pas l'inverse.
Les présupposés cachés
ou jugés trop évidents pour qu'on les rediscute permettent au
discours de tourner en boucle sur lui-même dans une
auto-justification dont la force auto-suggestive s'amplifie un peu plus à chaque nouvelle
rotation. Il ne s'agit de rien d'autre que d'arguments d'autorité
répétés avec l'aplomb indestructible de ceux qui ont été placés
en position de transmettre un savoir précisément parce qu'ils n'y
connaissent rien globalement, mais s'aveuglent beaucoup dans leur minuscule
spécialité. N'ayant pas commencé à gravir la montagne du haut de
laquelle ils pourraient profiter d'une vision générale des choses de
ce monde, ils remuent avec gourmandise la boue de leur pauvre
mangeoire étriquée.
C'est ainsi qu'on en arrive
à déduire du chômage de masse français, dont la spécificité
supposée est plus que discutable, chaque région du monde ayant sa
propre règle de calcul pour apprécier les conséquences de sa politique fraternelle, une série de mesures d'éradication toutes plus définitives les unes que les autres, allant
de la baisse de salaire au contrat zéro heure, en passant par la
réduction des indemnités, le flicage des chômeurs, le
travail obligatoire et la suppression des freins aux licenciements,
pudiquement rebaptisés freins à l'embauche, propres à transformer le chômeur soit en travailleur misérable, soit en misérable tout court. Tant il est vrai qu'un
chômeur non-inscrit, un pauvre à l'ancienne donc, ne comptant plus
pour rien dans nos communautés libres et fraternelles, ne saurait
conserver le droit aux statistiques officielles. Ce qui compte, c'est que le si joli
graphique Powerpoint sur les écrans de nos cravatés redevienne
présentable, avec de belles courbes « inversées », pour que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Car si
vous avez de la fièvre, n'écoutez pas votre instinct qui vous dit bêtement que vous êtes malades. Persuadez-vous plutôt que le
thermomètre est mal réglé. Relevez de quelques crans le point zéro
et la fièvre disparaîtra en même temps que votre
maladie imaginaire.
Adrien Royo
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