mercredi 11 février 2015

Le code sans code

Hypothèse d'une équipe de médecins de l'université de Cincinatti, aux Etats-Unis, dont le résultat des recherches vient d'être publié dans la revue Neurology: plus le médicament est cher, plus il nous donne l'impression d'être efficace.

Les chercheurs ont donné un traitement équivalent à deux groupes de personnes atteints de la maladie de Parkinson. Après avoir expliqué aux deux groupes que l'objectif de la recherche était de prouver que le prix de certains médicaments n'avait rien à voir avec leur efficacité, ils dirent à l'un que leur “pilule” coûtait 100 dollars, et à l'autre 1500 dollars.

Or le traitement administré aux deux groupes était en fait un placebo, une simple solution saline.

Que croyez-vous qu'il arriva? L'amélioration des fonctions motrices fut plus spectaculaire en moyenne pour le groupe dont le traitement était supposément le plus cher (28% de plus).

On tire de cette étude la conclusion que le prix des médicaments a un effet inconscient très fort qui augmente leur efficacité réelle.

En allant plus loin, on pourrait supposer que tous les médicaments ont un effet psychologique qui décuple ou diminue leur efficience chimique. Mais on pourrait aussi étendre cette hypothèse aux médecins eux-mêmes. L'efficacité de leurs soins ne serait-elle pas directement proportionnelle au prestige qu'on leur accorde? En dehors du fait que la plupart des petites maladies pour lesquelles nous les consultons guérissent d'elles-mêmes, et que pour quelques complications évitées leurs thérapies provoquent généralement des ravages dans notre système immunitaire (voir par exemple les effets d'un usage immodéré des antibiotiques), il ne fait aucun doute pour moi que l'image du médecin, son aura, son charisme social, intervient pour beaucoup dans les résultats de son ordonnance.

L'opinion commune veut que nos sociétés aient accompli une révolution en remplaçant les anciennes croyances par la connaissance scientifique. Moi, je dirais que la connaissance scientifique est bien plutôt notre forme actuelle de croyance. Les médecins seraient dans ces conditions un équivalent strict des chamans ou des sorciers, en tant qu'expression sociale du soin, et les labos pharmaceutiques, des apothicaires ou des camelots.

Je prolonge la réflexion: chaque société diffuse un certain nombre de codes dans son organisme, un peu comme le corps individuel sécrète ses hormones. Parmi ces codes, il y a le code thérapeutique. Chaque groupe social donne sa définition de la santé, ses recettes pour guérir et désigne un sous-groupe de thérapeutes. A ces thérapeutes, on attribue un certain prestige en les détachant des autres, en les marquant, en les sacralisant en quelque sorte. On crée la fonction de thérapeute qu'occuperont des « élus » dépositaires d'un certain pouvoir. Je soutiens que dans toutes les sociétés, ce pouvoir social guérit au moins autant que les connaissances mises en œuvre. Si, pour une raison ou une autre, le dépositaire du pouvoir perd de son prestige, il perdra aussi bien son pouvoir lui-même. La médecine d'aujourd'hui justement perd de son prestige et donc de son pouvoir. Lui reste le refuge de la technologie qui jouit encore d'un peu de crédit parmi nos contemporains. Technologie qui s'exprime dans les machines d'exploration ou de chirurgie, dans les médicaments et les vaccins, mais aussi dans la pratique du médecin lui-même. Je crains fort toutefois que la confiance dans la technique faiblisse inexorablement avec ses effets pervers en feed-back qui s'accentuent chaque jour.

Il en va ainsi de la politique. De même qu'un code thérapeutique émerge de lui-même en chaque société, un code politique exsude tout aussi bien. Ce dernier code n'est pas moins magique que le premier, reposant sur les mêmes bases psycho-sociales profondes. Dès lors, son avenir se décide en terme de croyance et de confiance: de crédit. Et ce crédit, c'est justement ce qui fait défaut (sans jeu de mots) aujourd'hui. Quand on dit que nous vivons une crise civilisationnelle, en voilà les linéaments. Le code ne correspond plus à la réalité du corps surtout parce que le nouveau corps se veut sans codes.

Adrien Royo 

Aucun commentaire: