samedi 21 mai 2011

Les vices privés font le bien public et l’affrontement des égoïsmes particuliers fonde l’harmonie sociale. Voici les deux piliers du credo libéral sur lesquels nous bâtissons l’avenir de nos sociétés. Fort de ce constat, je demande solennellement au ministre de l’éducation nationale d’intégrer au plus vite les éléments de ce credo dans les programmes scolaires et d’en finir ainsi avec l’injustice et l’inefficacité. Il est gravement attentatoire à l’égalité des chances et à l’intégrité psychique des enfants, de cacher à l’école la vérité des fondements sociaux. Dommageable par surcroît de les placer devant un dilemme insurmontable à leur âge consistant à choisir entre les injonctions contradictoires d’une morale ancienne désuète et d’une morale économique seule en vigueur. Ne vaut-il pas mieux donner à nos enfants le plus tôt possible les outils dont ils auront besoin dans leur pratique sociale réelle, au lieu de les endormir avec de belles phrases dont ils seront bien en peine de vérifier plus tard le bien fondé ? Sauf à vouloir faire des victimes de ceux qui se laisseraient bercer par ces dernières, il paraît urgent de corriger les programmes d’éducation civique dans le sens d’une plus grande adéquation avec les vertus, ou les vices, réellement exigés. De même qu’il faudrait développer très tôt, chez ceux qui en manqueraient trop cruellement, les capacités d’égoïsme et de compétition. Une détection en bas âge pourrait s’avérer nécessaire. Avec des tests d’évaluation dès la première année de maternelle. Dans un contexte de concurrence internationale toujours plus dur, des adultes bien formés aux exigences et aux rigueurs de la morale économique seraient un atout considérable pour la France. Il faudrait seulement éviter que l’égoïsme des salariés pauvres ne s’exprimât avec trop de force en cette occasion. S’ils s’avisaient tout à coup d’exiger de leurs employeurs ce que demandent poliment les gros actionnaires à leurs dirigeants d’entreprise, cela aurait un effet déplorable sur le partage des richesses, et, au final, sur la compétitivité française. Mais je fais confiance aux services de police et à l’armée pour parer à cet inconvénient.

Après des siècles de rabâchages chrétiens ou humanistes, et malgré les efforts de la publicité, il ne sera bien sûr pas évident de développer chez nos enfants des qualités si décriées. L‘irresponsabilité de la plupart des parents en ces matières ne fera qu’ajouter à nos difficultés. Mais je ne veux pas désespérer par avance de l’anti-vertu française innée. Cultivons les vices dès le plus jeune âge avec toute la force que nous avions mise auparavant à les supprimer, stimulons les égoïsmes avec cette opiniâtreté qui distingue nos professeurs, et je ne doute pas de l’émergence rapide de générations d’adultes enfin adaptées aux réalités mondiales.


Certaines mesures récentes en matière de sélection et d’évaluation précoce vont dans le bon sens. Mais tout ceci reste insuffisant dans un contexte d’urgence économique. Le progrès n’attend pas. J’en appelle donc au sens des responsabilités, au réalisme et à l’intégrité de nos dirigeants actuels pour qu’ils aient le courage d’entreprendre les réformes nécessaires. Ne laissons pas nos enfants se noyer lentement dans des considérations morales d’un autre âge. J’en appelle aussi aux différentes institutions religieuses, et notamment à l’institution catholique, habituellement garantes de la plus haute exigence morale, pour adapter leurs discours théologiques au défi séculier contemporain. Qu’ils résolvent enfin leur contradiction fondamentale en alignant le curseur de la moralité sur celui de leur soumission multiséculaire au principe de réalité économique et aux pouvoirs en place. Puisque cette réalité est l’œuvre de Dieu, ses conséquences ne le sont pas moins. Et si Dieu se sert effectivement des vices de ses créatures imparfaites pour créer une harmonie générale, alors sachons aimer nos vices plus que nous-mêmes pour célébrer Son œuvre. Que ceux, parmi les chrétiens (et ils sont nombreux), qui n’acceptent pas sa logique avec tous ses effets, qui refusent de voir la perfection dans ses injustices mêmes, sachent bien qu’ils compromettent ainsi gravement leur salut par un défaut de confiance, et donc d’espérance. Qu’ils comprennent aussi que les vertus sur lesquelles s’appuyaient nos aïeux, représentent, pour nous qui sommes mieux pénétrés des intentions divines, le principal obstacle à l’avènement d’une société parfaite.


Je finirai par des extraits évocateurs de la « Fable des Abeilles » (1714), encore trop méconnue, de Bernard de Mandeville :


«Cessez donc de vous plaindre: seuls les fous veulent rendre honnête une grande ruche. Jouir des commodités du monde, être illustres à la guerre, mais vivre dans le confort sans de grands vices, c’est une vaine utopie installée dans la cervelle. Il faut qu’existe la malhonnêteté, le luxe et l’orgueil, pour en retirer les fruits.»


Ou encore : « Le vice est aussi nécessaire à l’Etat que la faim pour le faire manger. »


Et enfin : « C’est ainsi que, chaque partie étant pleine de vices, le tout était cependant un paradis. »


On ne peut mieux dire. Alors, je vous le demande : ne faudrait-il pas enseigner aux enfants cette Fable des Abeilles plutôt que celles, lénifiantes, de Monsieur de La Fontaine ?

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