jeudi 14 avril 2016

Exercice de lucidité par l'association Pièce et Main d'oeuvre. Nous sommes encore trop peu nombreux.

Postures et impostures : au Grand Guignol de la Gauche (Leur « antifascisme » et le nôtre)

mercredi 20 mars 2013 par Lucien


LUCIDE, un collectif de 17 organisations iséroises, vient de nous lancer un appel à la "lutte contre les idées d’extrême-droite". Lucien lui répond ci-dessous.

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La gauche dans toute sa décomposition vient de pousser un appel à la « lutte contre les idées d’extrême-droite » (Voir http://grenoble.indymedia.org/2013-03-14-Lancement-LUCIDE-LUtte-Contre-les). Il n’y manque ni la gauche d’Etat, ni la « gauche de gauche », ni la caution soi-disant « libertaire », ni les satellites syndicaux et associatifs, en attendant les autres signatures sollicitées.

D’un point de vue historique, toujours un peu risible pour les fanatiques du présentisme, de l’amnésie et de la mémoire courte, les partis à la manœuvre (PCF, PG, NPA, PRCF), sont les héritiers résiduels des bolcheviques des années vingt, trotskystes ou staliniens, mais tous également fusilleurs d’ouvriers, de paysans et d’intellectuels rebelles à leur dictature. Ils sont, même s’ils feignent de l’oublier et tâchent de le faire oublier, ce qui reste de l’une des deux grandes monstruosités terroristes et totalitaires du XXe siècle. Les similitudes et les complicités de ce communisme avec son frère ennemi fasciste – y compris en France -, sont trop nombreuses et trop connues pour qu’on les détaille ici. Voyez les historiens.

Du point de vue actuel et local, cet appel rassemble platement, sempiternellement, tout le panier de crabes et de pensionnaires de la Maison des Associations, des plus encroûtés aux plus godelureaux, toujours prêts à outrer leur propre caricature. Dans un langage kitch qui ne lésine ni sur le ventre fécond de la Bête immonde, ni sur les heures les plus sombres de notre Histoire, ces farceurs nous rejouent, une fois de plus – mais sur le mode burlesque - la tragédie des années trente, avec chantage et parodie de Front Populaire « sans faille, pour juguler les forces mortifères des droites extrêmes » etc.

Et parce qu’ils n’en font jamais trop, c’est « le jour anniversaire de l’adoption du programme du Conseil national de la Résistance (15 mars 1944) » et « au square des Fusillés, symbole de la Résistance iséroise », que ces néo-résistants lancent leur « appel ». Et de poser en rang d’oignons pour Le Dauphiné libéré (16 mars 2013). Le Daubé, issu comme eux de la Résistance. C’est normal, entre « résistants », on s’entraide.

Cette bouffonnerie de diversion vise à occulter :

1) Que la gauche progressiste, dans son ensemble, au gouvernement ou ailleurs, est incapable d’appeler un chat un chat ; ni de nommer l’effondrement écologique et social de la société industrielle à l’ère du techno-capitalisme mondialisé.

2) Qu’elle n’a d’autre programme que la poursuite du désastre par « l’innovation », la fuite en avant technologique, et « la planification écologique », l’instauration d’un « capitalisme vert » - et fascisant celui-ci -, sous dictature technocratique, afin « d’optimiser la gestion des ressources  » (cf. Ecologie et Liberté, André Gorz, 1977 et Le Feu vert, Bernard Charbonneau, 1980).

3) Qu’en attendant cette douteuse issue de secours et « le retour à la croissance » qui en devrait découler, c’est au peuple que la gauche progressiste et ses branquignols « antifascistes » extorquent le prix de leurs délires économistes. Le « retour à la croissance » - et à la consommation - ne ferait que précipiter la vraie crise, la crise écologique, humaine et anthropologique, où nous sombrons de décennie en décennie. Sur cette terre finie que l’industrie et « l’économie réelle » ont dévoré en 200 ans et où les scientifiques s’efforcent maintenant de produire toutes sortes d’ersatz de matières premières.

4 ) Que les éléments d’un « fascisme » contemporain ne résultent pas des menées d’un parti nationaliste, légaliste et électoraliste, fut-il agité de courants conservateurs en matière de mœurs, et autoritaire au plan politique, mais bien de ce que la presse et le tout-venant nomment « Big Brother ».
En clair, il est vain de s’horrifier de tout ce que le Front National pourrait faire des technologies de contrôle, de surveillance et de contrainte développées depuis la Deuxième guerre mondiale par la rationalité technocratique et le progressisme scientifique et politique. L’effet de ces technologies est précisément de périmer le Front National (ou tout parti « fasciste »), en tant qu’instrument de maintien ou de retour à l’ordre. La technologie est la poursuite de la politique par d’autres moyens. Et tous les partis – mais surtout les socialistes, les verts, les communistes - représentent la technocratie, classe dominante du capitalisme à l’ère technologique, et rivalisent pour la représenter. L’horreur, c’est l’omnipotence et la banalisation de ces technologies de contrôle, de surveillance et de contrainte ; la vélocité de leur invasion depuis un demi-siècle ; et la soumission qu’elles ont, dans l’ensemble, rencontrée. Et pourtant, comme le bégayent nos « résistant-e-s », « aucun-e citoyen-ne ne pourra plus dire « je ne savais pas », ne pourra plus rester en dehors de la lutte déterminée contre l’extrême-droite. » Avec de tels « antifascistes », le techno-capitalisme n’a que faire de « fascistes » dont quelques traits arriérés pourraient, au contraire, freiner la ruée triomphale du Progrès.

A Grenoble et en Isère, quel « citoyen » peut dire « qu’il ne savait pas » le maître-rôle joué par les appareils de gauche, leurs scientifiques, ingénieurs, techniciens, cadres, leurs chefs et militants dans l’essor du nucléaire, de l’informatique et des nécrotechnologies en général ? Lequel peut dire « qu’il ne savait pas » le nombre de communistes infestant EDF et le CEA ? Le nombre de « gens de gauche » dans les laboratoires et centres de recherche ? Le nombre « d’entrepreneurs de gauche » ou « citoyens » issus de ces laboratoires, fondant leur start-up sur leurs brevets de recherche et leurs partenariats avec l’armée ? Mais qui ignore que cette technocratie militante, qui a fait le plein du mouvement corporatiste « Sauvons la recherche », il y a quelques années, est le front de gauche, le front marchant du capitalisme contemporain et de « l’économie de la connaissance » ? Qui ignore ses performances en matière de « création de valeur », d’extorsion de plus-value, de « pôles de compétitivité », de robotisation et de déshumanisation ?

A Grenoble et en Isère, qui a vu cette « gauche antifasciste » combattre l’identification et la traçabilité universelle, la biométrie, les fichiers et la vidéosurveillance (optimisés grâce aux chercheurs des labos et boîtes iséroises), les puces RFID fabriquées notamment chez STMicroelectrics à Crolles, la géolocalisation, les implants neuro-électroniques de Clinatec ? Personne, et pour cause : les concepteurs et les opérateurs de ces innovations mortifères sont les suiveurs et les meneurs de cette « gauche antifasciste ». La semaine, ils produisent le techno-flicage, le samedi, ils manifestent contre « les idées de l’extrême-droite ».

C’est à Fontaine, Echirolles, Grenoble, municipalités communistes et « gauche plurielle », qu’on implante la vidéosurveillance de la population. C’est dans toute l’Isère qu’on suit à la trace ses déplacements – via ses cartes Ourà et Avantag, équipées de mouchards électroniques. C’est à Grenoble, ville « résistante », qu’on teste le compteur électrique « intelligent » Linky, qui surveille nos activités domestiques minute par minute. Mais combattre la tyrannie technologique dans la ville qui la produit, est politiquement et électoralement moins rentable que de pourfendre « le spectre national-socialiste » (dont on ne saurait mieux dire qu’il s’agit d’un fantôme).
« Citoyens » et « résistants », encore un effort pour être lucides.

Lucien (Lutte contre l’ineptie et les nuisances)

mercredi 23 décembre 2015

prolétarisme nouménal

Au-delà des absurdités énoncées chaque jour par les uns et par les autres concernant le Front National et l'extrême-droite en général, je voudrais préciser les choses encore une fois.

Ce que nous devons avoir constamment à l'esprit tout d'abord, si nous voulons comprendre quelque chose à ce qui se passe dans la vraie vie, et si nous voulons réellement échapper au déterminisme prolétariste, c'est que l'extrême-droite, qui se subdivise en diverses variantes allant du vrai fascisme au conservatisme traditionaliste, n'est qu'un des produits de la recherche désespérée d'une troisième voie entre libéralisme et communisme. Troisième voie recherchée fort légitimement après les expérimentations de tous ordres menées tout au long du XXe siècle, mais qui malheureusement n'existe pas. Non pas que les deux pôles antagonistes soient indépassables, mais tout simplement le terrain de réflexion, l'étage du millefeuille sur lequel nous nous situons généralement pour penser la société, n'est pas le bon. Au niveau du prolétarisme protéiforme où nous nous agitons, tout n'est que piège à conscience et miroir aux alouettes.

Pour mieux faire comprendre ce que je veux dire, je soumets à la sagacité de chacun une nouvelle grille d'analyse et un nouveau répertoire des forces politiques en présence.

Selon la nomenclature politique classique française, il est convenu de diviser le champ politique entre légitimistes, orléanistes et bonapartistes. Selon la classification moderne, il se partagerait entre révolutionnaires, sociaux-démocrates, libéraux, conservateurs et autoritaires traditionalistes. Selon la mienne, étant entendu que le vrai clivage, comme je ne cesse de le répéter, oppose les prolétaristes (fort nombreux) et les anti-prolétaristes (quasi inexistants pour le moment), et sachant que tous les éléments des précédentes nomenclatures sont dans le camp prolétariste sans aucune exception, le terrain politique se divise plutôt en deux branches uniques mettant aux prises prolétaristes conséquents d'un côté et prolétaristes inconséquents de l'autre. Prolétaristes conséquents, libéraux et socio-démocrates, acceptant dans les grandes lignes les conséquences du mode de civilisation actuel, prolétaristes inconséquents, révolutionnaires ou fascistes invétérés, refusant ces mêmes conséquences sans rien comprendre toutefois au processus global qui les provoque. Prolétaristes contre prolétaristes de toute manière. Et donc rien qui puisse dessiner une perspective réelle d'émancipation.

Tout se passe comme s'il existait deux mondes parallèles et superposés, dont le premier, le plus perceptible intuitivement, n'aurait aucun effet sur le deuxième, tandis que le deuxième, le plus invisible et contre-intuitif, déterminerait l'ensemble.

Ce qui arrive dans le premier, le monde social qu'on pourrait appelé phénoménal, reste enfermé dans le jeu des faux-semblants et de l'illusion, tandis que ce qui arrive dans le second : le social nouménal, produit le véritable enchaînement des causes et des effets. Dans le phénoménal : le superficiel, la guerre, les oppositions factices, les antagonismes de façade ; dans le nouménal : le vrai clivage et les déterminations essentielles. Dans le phénoménal, la lutte des classes, la guerre entre fas et antifas, les débats picrocholins et les apories idéologiques ; dans le nouménal, le choix de civilisation avec son partage entre humains à naître et non-humains. Le phénoménal, tout le monde s'en occupe. Le nouménal, personne ne s'y intéresse.

Le terrain politique spectaculaire et quotidien (phénoménal social), à partir duquel on nous demande de nous déterminer, ne représente que l'aménagement décoratif du prolétarisme, ses multiples choix cosmétiques, rouge, bleu, noir, avec ses luttes à mort parfois entre les différents architectes d'intérieur. Choix insignifiants en vérité, même s'ils peuvent avoir des conséquences dramatiques sur le moment pour ceux qui les subissent.

Comprenons, à partir de ces considérations nouvelles, que les oppositions actuelles à l'extrême-droite ne font que la nourrir en alimentant le creuset paradoxal où elle prend ses racines. Telle un Phénix renaissant de ses cendres, elle rejaillit partout où sont niées les causes véritables de sa vitalité, à savoir les violences symboliques du prolétarisme incompris, dégradées par la pensée de gauche en simples rapports économiques ou sociaux, et résumées dans le vocable fourre-tout : capitalisme.

Ce n'est pas à partir des Droits de l'homme ou d'une quelconque morale républicaine qu'il faut raisonner, mais à partir des considérants prolétaristes profonds, sous peine de voir se reproduire sans fin les mêmes oppositions factices permettant au système profond de se maintenir.

Notre civilisation est profondément la civilisation du leurre et du mensonge. Accepter ses clivages superficiels revient à perpétuer le mensonge. L'opposition la plus utile à la machine socio-économique autonome, est celle qui provoque le plus de bruit et de fureur : l'opposition extrême-droite/extrême-gauche. C'est pourquoi je propose de la refuser en bloc et de chercher un autre point de vue. Ce qui veut dire : ne pas entrer dans le jeu, ne pas alimenter la guerre, à partir de l'un ou l'autre camp, et se concentrer sur l'essentiel, à savoir l'analyse du prolétarisme lui-même dans toute sa complexité souterraine.

Adrien Royo