lundi 1 septembre 2014

Corpus ex machina



Corpus ex Machina
Concertférence

Adrien Royo
(Kunique System Incorporated)




Introduction



Il y a plusieurs manières d’appréhender l’adresse individuelle à un public. J'ai choisi pour ma part le chœur à chœur. Chœur avec un h. Une sorte d’auto-spectacle.

Considérant que je suis moi-même le spectacle, non pas parce que je me présente ici devant vous, mais parce que je participe comme vous tous d’un monde qui est intégralement spectacle, je ne peux que me laisser glisser dans vos regards pour essayer de me connaître, tandis que vous vous connaîtrez peut-être vous-mêmes en vous glissant dans le mien.

Car ce n’est pas, contrairement à ce qu’il croit, de l’intérieur de lui-même que l’individu s’exprime, du moins sous la forme que l’on donne généralement à cet intérieur, mais depuis la matrice invisible d’un corps social (et aussi plus que social) dont il n’est qu’un moment. Son discours ressemblera donc toujours davantage à l’écume verbale d’un océan supra individuel, qu’à une élaboration consciente à partir d’un simple héritage culturel.

Ce que je veux dire, c’est que je me fais, ici et maintenant, le porte-voix d’un chœur d’objets avant de me vouloir explorateur d’un corps objet. Et je me fais porte-voix parce que je crois qu’il n’y pas d’autre choix pour un être humain réellement conscient que de laisser parler ce qui le traverse de part en part.

Ce n’est pas de la modestie, c’est la simple expression d’un réalisme conséquent. Je suis toujours parlé en même temps que je parle. Nous sommes les enfants d’un texte, dirait Pierre Legendre. Nous sommes les enfants de la Technique, dirait Jacques Ellul. Nous sommes les enfants de la Valeur, dirait Karl Marx.

Le monde n’est pas seulement hors de moi, il est moi aussi. Pour en exprimer la forme possible, je n’ai donc pas à chercher plus loin qu’au bout de mon nez, au bout de ma langue, au bout de mes doigts, dans mon activité réelle et celle de mes voisins immédiats. Un regard sincère sur nos actes quotidiens devrait suffire à en éclairer l’architecture.

Alors, commençons par un portrait, le portrait de l’homme moderne, de l'homme industriel, mon portrait et le vôtre par la même occasion, dessiné par un artiste de la révolte au milieu du XXe siècle: Guy Debord. Celui-là même qui fit paraître en 1967 « La Société du Spectacle ».


Plaçons-nous dans la situation. Nous voici dans une salle de cinéma. Un film commence, les lumières s’éteignent. Le titre apparaît : In girum imus nocte et consumimur igni. C’est un palindrome : une phrase qui se lit à l’endroit et à l’envers de la même manière, lettre après lettre. Une phrase circulaire, une phrase qui tourne en rond. Traduite en français, cela donne d'ailleurs : nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu… Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu…


Voix off  :


[« Je ne ferai dans ce film aucune concession au public. Plusieurs excellentes raisons justifient, à mes yeux, une telle conduite ; et je vais les dire. Tout d’abord, il est assez notoire que je n’ai nulle part fait de concession aux idées dominantes de mon époque, ni à aucun des pouvoirs existants. Par ailleurs, quelle que soit l’époque, rien d’important ne s’est communiqué en ménageant un public, fût-il composé des contemporains de Périclès ; et, dans le miroir glacé de l’écran, les spectateurs ne voient présentement rien qui évoque les citoyens respectables d’une démocratie. Voilà bien l’essentiel : ce public, si parfaitement privé de liberté, et qui a tout supporté, mérite moins que tout autre d’être ménagé. Les manipulateurs de la publicité, avec le cynisme traditionnel de ceux qui savent que les gens sont portés à justifier les affronts dont ils ne vengent pas, lui annoncent aujourd’hui tranquillement que « quand on aime la vie, on va au cinéma ». Mais cette vie et ce cinéma sont également peu de chose ; et c’est par là qu’ils sont effectivement échangeables avec indifférence. Le public du cinéma, qui n’a jamais été très bourgeois et qui n’est presque plus populaire, est désormais presque entièrement recruté dans une seule couche sociale, du reste devenue large : celle des petits agents spécialisés dans les divers emplois de ces « services » dont le système a si impérieusement besoin : gestion, contrôle, entretien, recherche, enseignement, propagande, amusement, et pseudo-critique. C’est là suffisamment dire ce qu’ils sont. Il faut compter aussi, bien sûr, dans ce public qui va encore au cinéma, la même espèce quand, plus jeune, elle n’en est qu’au stade d’un apprentissage sommaire de ces diverses tâches d’encadrement. Au réalisme et aux accomplissements de ce fameux système, on peut déjà connaître les capacités personnelles des exécutants qu’il a formés. Et, en effet, ceux-ci se trompent sur tout, et ne peuvent que déraisonner sur des mensonges. Ce sont des salariés pauvres qui se croient des propriétaires, des ignorants mystifiés qui se croient instruits, et des morts qui croient voter. »]  


[« De progrès en promotion, ils ont perdu le peu qu’ils avaient, et gagné ce dont personne ne voulait.

Ils collectionnent les misères et les humiliations de tous les systèmes d’exploitation du passé. Ils n’en ignorent que la révolte.

Ils ressemblent beaucoup aux esclaves, parce qu’ils sont parqués en masse, et à l’étroit, dans de mauvaises bâtisses malsaines et lugubres.

Mal nourris d’une alimentation polluée et sans goût.

Mal soignés dans leurs maladies toujours renouvelées.

Continuellement et mesquinement surveillés.

Entretenus dans l’analphabétisme modernisé et les superstitions spectaculaires qui correspondent aux intérêts de leurs maîtres.

Ils sont transplantés loin de leurs provinces ou de leurs quartiers, dans un paysage nouveau et hostile, suivant les convenances concentrationnaires de l’industrie présente.

Ils ne sont que des chiffres dans des graphiques que dressent des imbéciles. Ils meurent par série sur les routes.

A chaque épidémie de grippe…

A chaque vague de chaleur…
A chaque erreur de ceux qui falsifient leurs aliments…

A chaque innovation technique profitable aux multiples entrepreneurs d’un décor dont ils essuient les plâtres.

Leurs éprouvantes conditions d’existence entraînent leur dégénérescence physique, intellectuelle, mentale.

On leur parle toujours comme à des enfants obéissants, à qui il suffit de dire : « il faut … »

Et ils veulent bien le croire.

Mais surtout, on les traite comme des enfants stupides, devant qui bafouillent et délirent des dizaines de spécialisations paternalistes…

Improvisées de la veille.

Leur faisant admettre n’importe quoi en le leur disant n’importe comment…

Et aussi bien le contraire le lendemain.

Séparés entre eux par la perte générale de tout langage adéquat aux faits…

Perte qui leur interdit le moindre dialogue…

Séparés par leur incessante concurrence…

Toujours pressés par le fouet…

Dans la consommation ostentatoire du néant…

Et donc séparés par l’envie la moins fondée et la moins capable de trouver quelque satisfaction…

On leur enlève, en bas âge, le contrôle de ces enfants…

Déjà leurs rivaux…

Qui n’écoutent plus du tout les opinions informes de leurs parents…

Et sourient de leur échec flagrant…

Méprisent, non sans raisons, leur origine, et se sentent bien davantage les fils du spectacle régnant que ceux de ses domestiques qui les ont par hasard engendrés.

Ils se rêvent les métis de ces nègres là. Derrière la façade du ravissement simulé, dans ces couples comme entre eux et leur progéniture, on n’échange que des regards de haine.

Cependant, ces travailleurs privilégiés de la société marchande accomplie ne ressemblent pas aux esclaves en ce sens qu’ils doivent pourvoir eux-mêmes à leur entretien. Leur statut peut être plutôt comparé au servage, parce qu’ils sont exclusivement attachés à une entreprise et à sa bonne marche, quoique sans réciprocité en leur faveur ; et surtout parce qu’ils sont étroitement astreints à résider dans un espace unique : le même circuit des domiciles, bureaux, autoroutes, vacances et aéroports toujours identiques.

Mais ils ressemblent aussi aux prolétaires modernes par l’insécurité de leurs ressources, qui est en contradiction avec la routine programmée de leurs dépenses. Il leur faut acheter des marchandises, et l’on a fait en sorte qu’ils ne puissent garder de contact avec rien qui ne soit une marchandise.

Où pourtant, leur situation économique s’apparente plus précisément au système particulier du « péonage », c’est en ceci que, cet argent autour duquel tourne toute leur activité, on ne leur en laisse même pas le maniement momentané. Ils ne peuvent que le dépenser, le recevant en trop petite quantité pour l’accumuler. Ils se voient obligés de consommer à crédit ; et l’on retient sur leur salaire le crédit qui leur est consenti, dont ils auront à se libérer en travaillant encore. Comme toute l’organisation de la distribution des biens est liée à celle de la production et de l’Etat, on rogne sans gêne sur leurs rations, de nourriture comme d’espace, en quantité et en qualité. Quoique restant formellement des travailleurs et des consommateurs libres, ils ne peuvent s’adresser ailleurs, car c’est partout que l’on se moque d’eux. Ceux qui n’ont jamais eu de proie, l’on lâchée pour l’ombre.

Le caractère illusoire des richesses que prétend distribuer la société actuelle, s’il n’avait pas été reconnu en toutes les autres matières, serait suffisamment démontré par cette seule observation que c’est la première fois qu’un système de tyrannie entretient aussi mal ses familiers, ses experts, ses bouffons. Serviteurs surmenés du vide, le vide les gratifie en monnaie à son effigie.

Autrement dit, c’est la première fois que des pauvres croient faire partie d’une élite économique, malgré l’évidence contraire. Non seulement ils travaillent, ces malheureux spectateurs, mais personne ne travaille pour eux…

Et moins que personne les gens qu’ils payent : car leurs fournisseurs mêmes se considèrent plutôt comme leurs contremaîtres, jugeant s’ils sont venus assez vaillamment au ramassage des ersatz qu’ils ont le devoir d’acheter. Rien ne saurait cacher l’usure véloce qui est intégrée, dès la source, non seulement pour chaque objet matériel, mais jusque sur le plan juridique, dans leurs rares propriétés. De même qu’ils n’ont pas reçu d’héritages, ils n’en laisseront pas. »]


Fin de la voix off.


(Réf. musicales en passant): Missa brevis – J.S.Bach (BWV 233) ; Different trains - Steve Reich; Bugge Wesselstof, Red Snaper, Magma.



I



« Eternels passagers de nous-mêmes, il n’est pas d’autre paysage que ce que nous sommes. Nous ne possédons rien, car nous ne nous possédons pas nous-mêmes. Nous n’avons rien parce que nous ne sommes rien. Quelles mains pourrais-je tendre, et vers quel univers ? Car l’univers n’est pas à moi : c’est moi qui suis l’univers. »


Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s'agit du corps... agi.


Corps texte.
Corps à faire/ à défaire.
Corps épris
Corps esprit.
Corps d’état.
Corps machine.
Corps obstacle/ élément/ paradoxe/ étalon.
Corps miroir/ disposé/ exposé.
Corps mystère.
Corps temple/ éperdu/ effacé.
Corps espace.
Corps temps.
Corps abîme/ dépensé/ dispensé.
Corps simple/ ex-pensé/ digressé/ digressant.
Corps aveugle.

Corps à naître/ évanoui/ existant/ simulé/ constitué/ exagéré/ dissimulé/
Symbolique/ évènement/ diabolique.
Corps à voir/ à savoir.
Corps pur/ impur/ souillé.
Corps fait/ imaginé.
Corps sage/ langage/ bagage/ individuel/ sans individu.
Corps coulé/ écoulé/ avalé/ juridique/ évadé/ égaré/ transmué.
Corps saisi/ dessaisi.

Corpus ex machina.

Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s'agit du corps... agi.

Corps marché/ marchant/ démarchant.
Corps technique/ hypothétique/ prothétique.
Corps social/ monstrueux/ cybernétique.
Corps système/ logiciel.
Corps diffus/ éclaté/ dilaté.
Corps obscur/ négatif/ matériel/ immatériel/ atomique/ subatomique.
Corps sans fil/ relatif/ réifié.
Corps réseau/ du réseau.
Corps échantillon/ mondialisé.
Corps copié/ copié collé/ échantillonné/ téléchargé.
Corps avatar.
Corps mémoire/ mémorisé/ intériorisé/ sublimé.
Corps outil/ instrument/ émergent.

Corpus ex machina.

Corps bulle.
Corps promis.
Corps promesse.
Corps projet.
Corps kunique.
Corps cynique.
Corps cimetière.
Corps monnaie.
Corps échange.
Corps valeur.
Corps action.
Corps croissance.
Corps fossile.
Corps interdit/ sans interdits.
Corps pulsion/ affection/ désaffection.
Corps affecté/ désaffecté/ sans affection.
Corps donné/ repris/ volé.
Corps humain/ inhumain/ extra-humain.
Corps virtuel/ inorganique/ électronique.
Corps libéral/ collectif/ libéré/ délibéré/ shivaïque/ extatique/ chimérique/
à venir/ à finir.
Corps à deux.
Corps à trois.
Corps à quatre.
Corps à mille.
Corps à tous.
Corps à moi.
Corps peste.

Corpus ex machina.

Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s’agit du corps, du corps, du corps, du corps agi.
Il s'agit du corps... agi.

Corps abeille.
Corps des cimes/ décimal.
Corps du mal.
Corps sans corps.
Corps empreinte/ exutoire.
Corps sans trace.
Corps écho/ symphonie
Corps létal.
Corps pour soi.
Corps passion.
Corps en soi.
Corps émoi.
Corps banal.
Corps total.
Corps totalisant.
Corps totalitaire/ asocial/ associé.
Corps inné/ inéluctable.
Corps acquis.
Corps à toi.
Corps à moi.
Corps à nous.
Corps à corps.
Corps peste.

Corpus ex machina.



II



L’extension prothétique de l’homme, ce que j’appelle son corps social : l’ensemble des machines collectives, symboliques ou réelles, interconnectées en une hypermachine autosuffisante, hypertrophiée désormais, déstabilise aujourd'hui le soma primordial constitué d’un corps individuel, d’un corps social et d’un corps cosmique; trois corps séparés ne faisant qu’un. L’immunologie sociale gagnant sur l’individuelle au fil de l’évolution, un équilibre fragile est rompu et la naissance de l’individu, qui n’a encore jamais existé en tant que conscience trinitaire, se trouve entravée. Or, cette naissance identifiant le projet humain, c’est l’humanité elle-même, comme promesse, qui disparaît devant cet obstacle.

Il paraît qu’à la fin de sa vie, Pasteur, désabusé, donna finalement raison à Claude Bernard, son rival de toujours : le microbe n’est rien, dit-il, le milieu est tout. Manière de dire que c’est l’adaptation immunologique à un milieu qui fait la santé.

Ceci nous aide à mieux comprendre la relation nécessaire entre corps individuel et corps social. Si le corps social ne compose pas correctement avec les corps individuels dont il est fait, et dont l’adaptation immunologique demande un temps incomparablement plus long que son évolution technologique à lui, alors ce que nous pourrions appeler l'hypermaladie survient, et la médecine industrielle, avec les instruments du corps social, s’engage dans une fuite en avant désespérée pour combler un fossé qui ne cesse de s’élargir du fait même de ces instruments. Il n’y a déjà plus pour elle d’autre alternative que d'adapter toujours mieux les individus au corps prothétique en expansion. Les corps individuels devenant ainsi progressivement les prothèses de leurs machines.

Mais souvenons-nous que le prolétariage, notre forme de civilisation actuelle, que d’autres appellent de façon moins heureuse capitalisme, contient depuis toujours cet élément de négation individuelle au profit du collectif, caché seulement par la prodigieuse faculté d’illusion que le système entretient comme sa principale ressource. Le Capital abstrait s’auto-valorisant en un processus toujours plus massif et universel au dépens des hommes concrets, ce que j’appelle développement du corps social pathologique, transforme les individus en prolétaires d'abord, puis en parasites. Et, les parasites, soit on les domestique, soit on les détruit.



«Toujours le mystère du fond aussi évident que le sommeil du mystère de la surface ...»


Des gestes abandonnés nous traversent qu’il faut se réapproprier.



Maîtriser son corps individuel ne suffit pas. Il faudrait inventer un yoga du corps social.







III





Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous
merciz.
Vous nous voyez ci attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons
nourrie,
Elle est pieça
dévorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et
poudre.
De notre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!


Naissance in-mercatus.
Rétro-naissance.
Rétroversion.
Vivre et laisser naître.
Mouvement imaginaire.
Sens interdit.
Nous invisible et pourtant hégémonique.
Je partout, et moi nulle part.
Ou bien l’inverse.
Obscur en moi sans nous.
Mobilisation générale.
L’espace de la marchandise est courbe.
La marchandise me pense donc je suis la marchandise.
Après ta dernière mort, tu renaîtras machine.
Peaux liées par la peau invisible.
Je-tu-il-nous.
Inconscients collectivisés.
Souterrain mythologique sans mythologie.
Crypto-mythologie.
Mythologie ex-machina.
Dévotion de chaque instant, sans croyance.
Ou bien croyance en l’absence de croyance.
Religion de pratiquants sans foi.
Naissance d’un nouveau soleil.
Trou noir déjà.
La lumière cessant à sa frontière gravitationnelle, tout près de son sol.
Le ciel s’abattit sans bruit sur la terre. Resta le feu dernier de ses étoiles mortes.


Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous
merciz.
Et la machine s’émancipa.
Son règne parmi nous.
Et la forme du nous était la machine même.
Corps social-maison.
Économie.
Liberté, égalité, fraternité, progrès.
Corps magnifique se détachant sur l’horizon.
Corps sur un cheval, galopant vers l’ouest.
Débris du corps dans la tranchée.
Travail, famille, patrie.
Esprit dans sa coquille.
Suspendu à l’abîme sans fond.
Regardant le monde par hublot.
Connaissez-vous vous-mêmes!
Et l’esprit-corps se heurtant à la pierre de son inconcevable.
En son [fort] intérieur, sa mesure.
Vrai, beau, bon.
Et le corps du je danse au théâtre.
Exhibition.
Seul face à Elle.
Cérémonie du libre-échange.
Au rendez-vous des solitudes.


Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous
merciz.

Et l’autre, aux mille bras, coincé dans ses interactions.
Fasciné par l’écran qu’il prend pour son miroir.
Ne voyant que lui toujours en lui.
N’ayant appris que lui jamais.
Pas autrement.
Son ego satisfait de se voir si entier.
Photographiable.
À l’image du père.
Père-Projecteur.
Marchandise-Père.
Op[è]rable.
LE Marchandise.
Pourquoi pas ?
Les images peuplent les rues.
Image de soi devenue soi.
Et la chair n’est plus triste puisqu’elle n’est plus.
Et la chair n’est plus rien.
Et moins elle existe comme séparée, plus elle doit se revendiquer comme solitude.
Intensification du fantôme.
Collectivisme libéral par réduction du champ d’individu.
Sous microscope idéologique, un isolat.
Égalité devant le monstre.
Fraternité à son service.
Liberté dans sa mesure à lui.
Croissance pour la croissance.
Marchandise pour elle-même.
Toute énergie sociale dirigée vers son centre.
Big bang économique.
L’individu s’éloignant de lui-même à la vitesse de la lumière.
Au commencement même de sa création.
Intervalle entropique.
La masse par la vitesse des échanges au carré.
Silence.
Capit[u]lisme.
Adaptation.
Tempo des choses.
En rangs serrés.
Plus de bourgeois.
La prolétarisation du monde est accomplie.
Le bourgeois, en tant qu’être-pour-la-marchandise, était prédestiné au sacrifice.
Être-pour-la-marchandise s’appelle maintenant tout individu.
Dictature du prolétariat.
Société sans classes.
Involution.
Réinvolution finale.
Bourgeois prolétaire.
Prolétaire bourgeois.
Serviteur.
Exilé volontaire dans sa propre maison.
Quasi-individu.
Quasi-néant.
Dans la fraternité obligatoire des richesses misérables.
Crevant à lui-même dans le confort de son image.
Et le riche plus que le pauvre.
Le premier, déjà le dernier.
Ici et maintenant.
Tous les derniers, main dans la main.
Ronde sévère.


Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous
merciz.


Le libéralisme est un collectivisme,
Et le mouvement du capital un nihilisme.
Pratique de la machine aveugle au destin de machine.
Monstre gravitationnel au carrefour des chemins.
Serrant les dents sur l’ombre.
Étourdissant tapage.
Volière en émoi.
Et [moi] qui panique.
Homme de peu.
À genoux, fidèles!
De peu de foi.
Liturgie des valeurs.
Prières jetables.
À quoi sert le dimanche de hanter les églises?
Puisque tout le monde sait que la messe est ailleurs.
Partout ailleurs.
Là où elle n’est pas.


Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous
merciz.
Vous nous voyez ci attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons
nourrie,
Elle est pieça
dévorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et
poudre.
De notre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!



Il faut encore avoir du chaos en soi pour mettre au monde une étoile dansante.”

samedi 19 juillet 2014

Il faut encore avoir du chaos en soi...

"Il faut encore avoir du chaos en soi pour accoucher d'une étoile dansante."

L'anarchie pour moi, en tant qu'élan, projection de soi vers soi et vers l'autre, répond exactement à cette phrase de Nietzsche. L'anarchie, telle que je la comprends, loin du folklore habituel, a pour fonction de créer du chaos dans un ordre sclérosé (et tout ordre tant à la sclérose) en soi et hors de soi. Elle met en mouvement, elle déstabilise et interroge, pour faire brèche, pour ouvrir un chemin social ou individuel. Alors seulement, dans la clairière nouvelle ainsi ouverte peut naître une étoile dansante.



samedi 28 juin 2014

Soumission par la révolte

On dit beaucoup de bêtises au sujet de la marginalité, et nombre de sociopathes ou de pervers narcissiques se donnent à eux-mêmes des brevets de contestation en exhibant des apparences rebelles qui impressionnent les adolescents plus ou moins attardés que nous sommes tous devenus.

Observons d'abord que les marges se trouvent sur la feuille elle-même, pas à côté d'elle. Ceci devrait déjà nous mettre en garde contre toute velléité d'expression à partir d'un dehors. Il n'y a pas de dehors. Il n'y a que de l'intérieur. Et justement « on ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l'on admet pas d'abord qu'elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure » (Bernanos – « La France contre les Robots »)

Il y a deux sortes de soumission à un ordre établi quel qu'il soit: une première, classique banale, visible, pratiquée par la plupart d'entre nous quotidiennement, que je qualifierais de satisfaite ou résignée; et une deuxième, le plus souvent ignorée au contraire, parce que paradoxale, se donnant pour ce qu'elle n'est pas, que j'appellerais la soumission par la révolte, une certaine révolte induite par le système lui-même pour se maintenir, qui procède à la manière de ces soupapes de sécurité permettant au gaz, ou aux énergies négatives en surcharge, de s'évacuer. Car un ordre, pour se pérenniser, certes à besoin de soumission, mais aussi d'un certain degré de révolte contrôlée, partie intégrante de son être, et qui prend les apparences de l'extériorité pour mieux intégrer, soit par effet de répulsion, soit au contraire de fascination. La répulsion provoque une soumission plus grande, et la fascination permet d'augmenter encore l'effet de répulsion au moyen de la peur suscitée et manipulée. La fascination rend fanatique, et les fanatiques sont des auxiliaires parfaits de l'ordre, manipulables à souhait.

Or, il est tout à fait clair pour moi qu'à peu près tous les mouvements révolutionnaires, et a fortiori réformistes de ces 150 dernières années, entrent dans cette catégorie de la révolte soumise. Soit qu'ils renforcent l'État, l'instrument de la Valeur fonctionnant pour elle-même, au détriment des individus, soit qu'ils renforcent le pseudo individu, l'individu abstrait tel qu'inventé par la marchandise, au dépend de la communauté et de l'individu réel lui-même qui est trinitaire (individuel, social et cosmique ou divin).

C'est pourquoi, je n'en appelle pas à la marginalité, mais à l'idiotie, c'est-à-dire à la singularité. Car idiotie vient du grec idiotès qui signifie quelque chose comme particulier, singulier, original. Est donc idiot pour moi, celui qui s'avère incapable de circuler sur les autoroutes de la pensée moderne, et qui explore son intimité singulière, avec tout ce qu'elle a de trinitaire et donc d'anti individuel au sens d'individuel de marché.

Adrien Royo

mercredi 2 avril 2014

En haut à gauche

Quelle utilité peut bien avoir aujourd’hui la sempiternelle critique du Front National sur le terrain du racisme, de la xénophobie, de l’intolérance et de l’anti-républicanisme, lorsque ce parti, après 30 ans de ce bavardage, accroît chaque jour son influence directe ou indirecte, au fil des trahisons de la gauche, des affaires de la droite, ou l’inverse ?

Ne serait-il pas temps d’en finir avec le symptôme pour s’intéresser aux causes profondes de son succès. Causes profondes bien autres que celles généralement avancées par nos experts politologues, qui n’ont fait jusqu’ici qu’embrouiller les esprits sans apporter aucune lumière.

Le FN est un parti nationaliste, autoritaire et libéral, au sens économique du terme, même s’il prétend depuis peu assumer une sorte de socialisme national à la Hugo Chavez, c’est entendu. Il se place, comme tous les partis nationalistes avant lui, sur le terrain de la tradition, de la cohésion nationale, de la famille, de la force et du père, sans pour autant remettre sérieusement en cause ce qui détruit tout cela, à savoir le capitalisme total et totalitaire. Il constitue bien toutefois et paradoxalement, contrairement à ce que veulent continuer de croire ses opposants de gauche, une forme critique de ce capitalisme, une forme parcellaire, aussi parcellaire que celle du camp d’en face, choisissant un de ses côtés, se désintéressant des autres. Il critique le capitalisme mondialisateur, destructeur d’identité, scientiste, relativiste et permissif, mais veut revenir à une phase précédente de ce même capitalisme. Il ne voit pas que cette phase était la matrice de la suivante, et déjà le produit logique de celle qui la précédait. Les nationalistes ont toujours un métro de retard et veulent toujours revenir une station en arrière. Ils voudraient cesser de courir après un train dont ils assurent pourtant eux-mêmes la maintenance et la promotion.

Car ce que l’on appelle capitalisme est un système complexe et autonome dont il n’est pas possible d’analyser les différentes facettes séparément les unes des autres, et qu’il est aussi illusoire de vouloir circonscrire qu’une inondation à la suite d’un tsunami. C’est un système cohérent et total. Il se présente par exemple comme destructeur de norme et de communauté, c’est ce qui lui vaut la haine des droites traditionalistes et nostalgiques ; mais, il est aussi créateur de richesses, ce qui lui assure le soutien inconditionnel de ces mêmes droites, comme s’il y avait deux systèmes au lieu d’un.

A l’inverse, la gauche progressiste admire sans se l’avouer ce même système qui détruit les repères passés, qui déifie le mouvement, le progrès et la révolution permanente en tout domaine, tandis qu’elle rejette son fondement inégalitaire.

Les deux oppositions se caractérisent donc par leur incapacité à approuver ou à renier radicalement le système dans sa totalité cohérente, et par leur façon abstraite et partielle de regarder la réalité. Rien ne naîtra jamais de telles prémisses et la guerre entre l’une et l’autre de ces façons de voir sera aussi stérile qu’éternelle. Les deux se renvoyant la responsabilité du blocage idéologique sans se remettre en question.

Sortons donc du piège biface qui nous est tendu depuis deux siècles en prenant un peu de hauteur grâce par exemple à un éclaireur contemporain comme Pierre Legendre.

Nous avons dit que le capitalisme, ce que j’appelle, moi, le prolétarisme, avec sa manière de tout uniformiser pour tout marchandifier, fonctionnait comme un rouleau compresseur, rompant avec toutes les traditions, tous les particularismes et toutes les identités, ne laissant sur sa route que des reconnaissances de façade profitables à l’industrie, des sous-groupes artificiels en forme de cibles marketing, des ersatz de communautés. Ce qui est atteint ici, c’est le cœur de ce que Legendre appelle l’institutionnalité, c’est-à-dire la manière pour un groupe humain de se tenir debout. Ce qui est bousculé, c’est la source même de cette capacité à inventer son propre langage justificateur, sa poésie de fondation, sa structure-texte, son tissu social, sa boussole fondamentale, sur la base d’une coupure existentielle, d’une scission native inconsciente, d’une instabilité angoissante et meurtrière, d’un réel non-dit ou inter-dit. Car le réel n’est jamais supprimé, il est seulement reconstruit et plus ou moins domestiqué. L’homme est le dompteur de son propre réel. Il vit à la seule condition de pouvoir « langagifier » sur le réel et grâce à lui, sans plus jamais avoir à le regarder en face. Sur le réel, se fabrique le symbolique, l’espace socio-politique, l’espace de la durée qui rompt avec l’éternel présent de l’inceste et du meurtre et qui ouvre la possibilité du vrai. Vrai qui n’est jamais rien d’autre que l’arbitraire consensuel soutenu par l’image, le mythe. Logos et muthos étant indissociables.

Et voilà qu’une forme socio-économique nouvelle fouaille les rouages organiques de ce mystère fragile, qu’elle s’ébat comme un enfant maladroit au sein même de sa source élémentaire. Et les liens longuement tissés dans la matière invisible tombent les uns après les autres, à la grande joie destructive des parvenus de la connaissance. Ivresse de la nouveauté ! Insouciance des premiers ébats de la raison avec elle-même ! Et voici l’angoisse que l’on n’attendait pas. On ne fait pas table rase de son être même, on le repousse, on le recouvre, on l’escamote. Un ciment social porteur, et justificateur d’individu, ayant été détruit, et celui qui le remplace, car il ne saurait manquer, n’étant pas suffisant, l’enveloppe individuelle et collective craque de partout. C’est le sauve-qui-peut général. Chacun, ramené à son petit être injustifié, trouve où il peut les moyens de se soutenir lui-même. Il « gagne » en retour un certain confort matériel et la diaprure marchande. Mais il l’échange contre la déréliction. D’où le succès croissant des recettes de « développement personnel » qui jurent de rendre à l’individu, par l’individu lui-même, et souvent contre monnaie sonnante et trébuchante, ce que l’individu a perdu dans cette marchandise que par ailleurs nos nouveaux gourous ne veulent pas connaître. Trop salissante pour eux, sans doute. La marchandise crasseuse leur gâcherait un joli rêve de monade isolée, affranchie du terreau social, et perchée en un paradis artificiel, qu’il soit de fumée ou de paroles (non-mentales, bien sûr). Le sujet idéal de Sa Majesté le Capital en somme.

Dans ce chaos, un certain groupe humain peut choisir de se raccrocher à la planche pourrie du capitalisme de naguère, le capitalisme juste avant lui, qui, rétrospectivement, lui apparaît comme un havre de stabilité. Il voit l’agitation brownienne d’hier, par rapport à celle d’aujourd’hui qui lui fait peur, comme une mer d’huile, une garantie contre le présent et l’avenir. Il trouve que quand même il secoue un peu fort désormais ce capitalisme, sans voir que la secousse est précisément son essence. Ne le comprenant pas dans toute sa profondeur paradoxale, il pense en maîtriser les effets en lui réimposant une de ses formes passées, voire en revenant à son âge d’or supposé, quand il n’avait pas déployé encore ses ailes d’Icare technologico-mystique sur le monde. Ah ! Vivement le capitalisme de papa, où l’on avait des re-pères ! Ce groupe revêt le système-tigre d’une peau de substitution et finit par croire vraiment qu’il chevauche un mouton. Le vrai danger avec les nationalistes, bien plus grave que les catastrophes que leur gouvernement provoquerait, même danger somme toute qu’avec leurs opposants radicaux, c’est qu’ils perpétuent l’illusion et l’ignorance, qu’ils éternisent le symptôme, et reculent les possibilités d’un vrai diagnostique et, par suite, d’une guérison.

La source du FN n’est pas la haine mais la peur. Et on ne combat pas la peur par la haine opposée, encore moins par la peur elle-même. La peur ne s’éteint qu’avec l’image unificatrice, le sens et la solidarité, ou bien avec le sang du défoulement libidinal. « On ne se pose qu’en s’opposant » dit quelqu’un. Si on ne peut pas s’opposer à la machine invisible déstructurante, on s’oppose à son voisin ou à soi-même. Mais aussi, lorsque l’on sent confusément que quelque chose d’important pour son identité échappe, on se raccroche à ce qu’on trouve, n’importe quoi pourvu qu’on tienne debout sur ses deux pieds au sein du langage. Et ce détail qui n’en est pas un ne doit pas être méprisé, ne doit pas donner lieu à dépréciation avec l’arrogance et la morgue du parvenu, ainsi que je le vois faire tous les jours, comme si cette inquiétude appartenait à une époque révolue et manifestait simplement un retard mental, intellectuel ou politique, qu’elle ne pouvait être que le fait d’un non-civilisé haineux pris dans les rets du passé. La gauche bien-pensante se rengorge d’habitude devant de telles angoisses légitimes. Elle les prend de haut, comme si elle était elle-même garantie contre de telles misères.

Observons les bagarres autour de la question du « mariage pour tous ». Il semblerait à première vue, depuis la position d’expert de laboratoire, ou de simple pilier de comptoir plein de bon sens, que la raison soit du côté de la tolérance et de la « liberté », du progrès sociétal. Mais à y regarder de plus près, il s’agit de questions graves et indécidables. Qu’en sera-t-il de l’avenir des sociétés réellement soumises à ces évolutions mécaniques ? Nul ne le sait vraiment. On ne transforme pas le texte social, l’assise généalogique d’une communauté, le processus d’individuation et d’identification collectif, impunément. Bien malin, ou bien prétentieux, ou bien insouciant, celui qui pourrait dire aujourd’hui la vérité de demain sur des points qui remettent en cause de manière si profonde les lois de la construction symbolique et psychique humaine. Il ne suffit pas de déclarer nouveau, progressiste et juste, un changement de paradigme pour que nous soyons garantis de tout retour du refoulé collectif. En ces matières, la modestie la plus prudente s’impose.

Pourtant, tout le monde y va de sa petite certitude, de sa petite satisfaction. La gauche pousse au changement et une certaine droite regimbe. Mais la gauche est incapable de voir que ce changement qu’elle préconise de façon si enthousiaste, vient du capitalisme lui-même, qu’elle ne fait que répondre à l’injonction du système qui veut justement que tout change tout le temps dans un mouvement obligatoire et permanent, qui suscite l’inquiétude et la peur pour faire que chacun se retrouve seul devant la marchandise et n’ait pas d’autre choix que d’acheter sa tranquillité tout en buvant avidement les images du marketing comme autant de petites vérités révélées, garanties es-science.

Le FN est le réceptacle de toutes ces peurs désordonnées, comme la gauche protestataire est le réceptacle paradoxal de la révolution marchande permanente. Qui est le plus haineux ? Je n’en déciderais pas moi-même. Qui est le plus dans l’erreur ? Je vous en laisse juge. Ce qui est certain pour moi, c’est que la vérité est ailleurs.

Le sympathisant FN s’accroche au passé pour essayer d’échapper au mouvement de la Marchandise autonome, et le sympathisant Front de Gauche ou NPA, épouse ce même mouvement en croyant qu’il pourrait s’en rendre maître. Les deux font fausse route et soutiennent tant qu’ils peuvent, à leur façon différente, un système dont ils disent vouloir sortir. En parole, ils sont révolutionnaires, en actes ils sont les principaux piliers du Capital, empêchant par leur occupation hégémonique du terrain contestataire la naissance de toute nouvelle pensée politique, morale et spirituelle. Leur rôle objectif est de placer une barrière de bruit entre la réalité monstrueuse du prolétariage et le citoyen lambda, purement et simplement, de faire diversion.

Les deux groupes préparent la guerre en persistant dans leur impasse respective. Tout plutôt que de revoir les fondements de leur idéologie. Devant le mur, il n’y a plus qu’un recours alors, se choisir un adversaire complice et s’entretuer dans une sorte de sauvage ordalie. Sauf qu’à la fin, Dieu ne choisira aucun des deux, même vainqueur.

Alors, corriger la gauche par la droite et la droite par la gauche? Ce serait ajouter l'erreur à l'erreur, un regard partiel à un autre, sans arriver au total marchand. Car cette totalité de l'ordre, ou du désordre actuel, ne peut pas s'observer par petites tranches séparées. les morceaux du puzzle ne s'agencent pas aussi facilement que dans nos jeux en carton. Le tout donne leur logique aux détails, et c'est la vision d'ensemble qu'il faut privilégier.

Je sais que chacun des deux camps croit percevoir cette totalité. Mais l'histoire, en ce qui les concerne, a déjà démontré leur fourvoiement. Seule une inertie intellectuelle, idéologique et culturelle massive, un conformisme de toujours, peut expliquer un tel bégaiement.

Adrien Royo

mercredi 18 décembre 2013

Pour en finir avec l'anticapitalisme



Tant que subsistera le mot anticapitalisme, aucune contre-théorie ou contre-pratique ne verra le jour.

L’anticapitalisme est le premier rempart du prolétarisme.

Primo, il apparaît de plus en plus clairement que le capitalisme, pour employer une terminologie dépassée quoique toujours en usage partout, en tant que système instable et contradictoire, a besoin d’une opposition faussement radicale pour l’étayer. Celle-ci aura pour charge d’extérioriser la polarité négative menaçante et freinera le processus inexorable  d’écroulement. Sa fonction est d’exhiber une demi vérité spectaculaire pour cacher les fondements. On attire les velléités révolutionnaires dans un espace travesti, donnant toute les apparences de la science et de la subversion, pour les circonscrire et les contrôler. Les adolescents en mal de révolte s’y précipiteront en masse et formeront un choeur bruitiste infranchissable, étouffant toute tentative de remise en question. Des commentaires, aussi incessants qu’ineptes, sur des commentaires de commentaires, créeront un bruit de fond propre à hébéter le quidam qui pensera devant tant de morgue vociférante avoir à faire au nec plus ultra de la contestation. Occuper le terrain jour et nuit par des bavardages, voilà la technique publicitaire de nos alternatifs officiels. Des gardes rouges ou noirs, curés du dogme, crieront fort à tous les coins de rue pour montrer qu’eux seuls représentent l’avenir. Quand le psittacisme tient lieu de pensée.

Deuxio, l’anticapitalisme présuppose un capitalisme. L’anti suppose connu ce à quoi il s’oppose, puisqu’il veut le remplacer par son strict contraire. Si le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, l’anticapitalisme sera donc son contraire? Ceci a été vérifié historiquement. Tout repose sur la compréhension exacte du système et le nom qu’on lui donne. S’il s’agit de réformer à la marge, va encore, mais si l’on veut remplacer le système tout entier, mieux vaut y regarder à deux fois.

Sur ce mot là, donc, capitalisme, plus rien ne peut être fondé. Mais le mot rassure les ignorants et complaît à leurs docteurs et maîtres. Il n’est donc pas question d’en changer. Et tout le monde de répéter le mantra : capitalisme-anticapitalisme.

Je propose de foutre l’eau sale de l’anticapitalisme par la fenêtre en prenant grand soin de ne pas jeter le bébé de la critique avec.

Quand on en arrive à ce degré de confusion et de marasme intellectuel dans lequel nous vivons, il est sain de faire un ménage drastique. Voyons ensuite ce qu’il en reste.

La confusion première est née d’un euphémisme involontaire. On a dit exploitation de l’homme par l’homme, alors qu’il aurait fallu crier : « destruction de l’homme par l’homme ». L’exploitation existe bel et bien, mais elle est secondaire par rapport à la destruction universelle. Que vaut de supprimer l’exploitation si la destruction se poursuit. Et qu’on ne me dise pas que l’une provoque l’autre. Voilà un argument bien fait pour perpétuer le crime. Non ! ce n’est pas l’exploitation qui induit la destruction, mais la destruction qui s’exprime par l’exploitation, c’est bien différent, et beaucoup plus tragique.

Comprenez bien cela : l’exploitation est la conséquence de la destruction, et non l’inverse.

Quelle conclusion ?

Il faut agir sur ce qui détruit derrière ce qui exploite. Il ne faut pas se tromper de combat. Le péril étant de demeurer.

C’est difficile à comprendre ? Oui, j’en conviens. Mais pas impossible.


Adrien Royo

samedi 30 novembre 2013

Education et Management



L’éducation a eu, au cours de l’histoire, des objectifs différents. Aujourd’hui, il s’agit clairement de former des outils humains pour la Marchandise, pour le Management dirait Pierre Legendre. Qu’est-ce le Management selon lui ? Rien moins que le prescripteur moderne de la Vérité, le ciment du social qui ne se donne pas comme ciment, ce qui le distingue de tous les mortiers précédents, christianisme en tête.

Quiconque travaille aujourd’hui dans l’éducation, travaille donc plus ou moins pour le Management, qu’il le veuille ou non ; pour l’industrialisme et pour la Marchandise, en tant que formes sociales générales désignant implicitement une Référence absolue autour de laquelle s’articule tout le système de présentation et de représentation, tout l’appareil d’identification et de gestion de la violence humaine fondamentale (inceste et volonté de toute puissance, narcissisme pervers). Et entre le Management et une autre forme prescriptive, point d’alliance possible.

Il est donc parfaitement grotesque de chercher à éduquer un être humain plutôt qu’un outil, si l’on n’a pas d’abord conscience de la hiérarchie réelle. Tout en haut, la Marchandise, et, en bas, le reste, y compris Dieu. Car Dieu est au service de la Marchandise tant que celle-ci n’a pas été défaite. Si bien que personne ne sert Dieu, ou la justice, ou l’humanité, s’il reste l’esclave de la Marchandise. Le Management s’interpose subrepticement entre Dieu et les hommes. Littéralement, il prend Sa place.

Et chacun le sait, on ne peut servir deux maîtres à la fois, même si l’un des deux se cache en tant que maître pour se laisser voir comme pure technique, et donc comme pur neutre.

Par conséquent, rien n’est plus risible que les gesticulations contraintes de ces Bonaparte en chambre dont toute l’action vise à l’objectif final de l’adaptation. Adaptation à quoi ? A cette sacro-sainte réalité qui n’est qu’une toile peinte en trompe-l’œil pour attraper le naïf ou le coquin. Si Dieu n’est pas mort, c’est derrière ce décor qu’il faudra le chercher.

Un éducateur qui ne souhaite pas renverser l’Idole marchande est avant tout le serviteur de cette idole. Qu’il fasse chaque matin des prières à la Vierge ou à la République n’y change rien.


Adrien Royo