mercredi 20 avril 2011

Ceci est connu : comme pour toutes les marchandises, le prix de la marchandise force de travail baisse quand son offre augmente. Il y a un rapport direct entre chômage et salaire. Quand le chômage augmente, le salaire baisse. D'autre part, un mécanisme d’indemnisation du chômage et de protection des personnes sans ressources a été mis en place au cours des dernières décennies. Il est censé assurer un minimum vital à tous. Une relation nouvelle entre salaires et minima sociaux s'instaure. Le salaire est directement proportionnel au minimum social. Si le montant de ces aides était suffisant pour vivre décemment, les bénéficiaires ne seraient pas dans l’urgence de trouver n'importe quel travail à n’importe quel prix et ne concurrenceraient pas de manière brutale les salariés qui bossent. L’offre en force de travail diminuerait et les salaires augmenteraient. Les conditions d'une véritable égalité sur le marché "libre" du travail seraient établies. Mais le principe de réalité, qui n'est qu'un principe de prédation, vient parasiter cette belle logique. Les employeurs ont besoin d’une main-d’œuvre bon marché pour lutter contre la concurrence extérieure, ce qui implique de garder des salaires les plus bas possible. Les minima sociaux ne décollent pas. Cela démontre, si besoin était, le mensonge de l’égalité, et le mensonge concomitant de la liberté et de la fraternité. Les salariés ne sont pas libres de chercher un travail à un salaire décent et la concurrence effrénée que l’on suscite entre eux ne les rend ni fraternels ni solidaires. La concurrence étant l’alpha et l’oméga de nos systèmes, les trois valeurs de notre République sont niées. Mettons "Concurrence" aux frontons des mairies, et prions pour elle dans nos églises ! Par ailleurs, l’emploi étant au cœur de toute la rhétorique politicienne depuis 40 ans, c'est-à-dire depuis l'arrivée du chômage de masse, et "l'employabilité" étant indexée sur le niveau des salaires et des minima sociaux, toute politique de l’emploi ne vise en réalité qu'à augmenter la pression de la concurrence entre salariés par blocage des salaires. De ce qui précède, déduisons cet axiome : derrière le mot emploi se cache toujours la rigueur et l'inégalité. N’est-ce pas un magnifique paradoxe pour nos sociétés d’abondance ? Pour sortir de ce piège, il n’est que de souhaiter une croissance forte, c’est-à-dire un renforcement des structures du piège. En langage décrypté, emploi veut dire blocage des salaires, augmentation du pouvoir d’achat veut dire blocage des salaires, prime veut dire blocage des salaires. En fait, rigueur veut dire rigueur.

Et si l'on exigeait l’inverse, c’est-à-dire l’augmentation immédiate des minima sociaux ? Ce serait une catastrophe économique, nous dit-on. Mais catastrophe pour catastrophe… Au moins, nous respecterions nos valeurs et nos engagements.

Adrien Royo

samedi 16 avril 2011

Le serment d'hypocrite

Toute la médecine moderne, malgré ses incontestables prouesses techniques, et sans doute aussi à cause d’elles, est une vaste entreprise de recyclage, à des fins productivistes, du matériau humain prolétarisé. Il s’agit de réparer les éléments charnels de l’hypermachine socio-économique abîmés. On pourrait aller jusqu’à dire qu’il n’y pas d’autre médecine aujourd’hui que militaire, de celle qui intervient en dernière instance sur le front de la guerre universelle de tous contre tous et du capital autoréférentiel contre l’homme. Elle ne prévient pas, elle guérit (et encore pas toujours), en vertu du principe de cloisonnement et d’irresponsabilité individuelle qui veut qu’on laisse aux autres, aux économistes et technocrates spécialisés, ou à personne, le soin (sic) d’orienter ou d’infléchir la ligne productiviste, la courbe de la croissance sans fin.

Les médecins en général, sans qu’ils le veuillent nécessairement, s’occupent bien plus de la santé de cette hypermachine que de celle de ses outils humains. Mais tout comme on ne peut pas servir à la fois Dieu et Mammon, on ne pourra pas bien servir à la fois l’intériorité mondiale mammonisée et l’intériorité individuelle en voie de vaporisation. Il faudra bientôt choisir entre l’une et l’autre. Il faudrait déjà avoir choisi.

Comme pour le réchauffement climatique, il y a basculement aujourd’hui vers la responsabilité sociale des dérèglements et des pathologies. L’activité humaine génère désormais ses propres maux à une échelle inconnue jusque-là. Elle en vient à compromettre des équilibres biosphériques complexes et fragiles. Elle change le climat et, à une vitesse qui ne leur permet plus une adaptation suffisante, la relation des individus avec leur milieu. La médecine officielle continue de faire comme si la biologie constituait son unique terrain d’intervention alors même qu’une prolétarisation galopante internationalise et socialise toujours plus la pathogénie.

Une médecine kunique serait donc une médecine appliquée aux conditions d’existence autant qu’à l’existence elle-même et se focaliserait sur le maintien général de l’équilibre socio-biologique, au moins sur les éléments risquant de le compromettre en amont, plutôt que sur le rétablissement de cet équilibre précaire une fois que celui-ci aurait été anéanti. Au lieu de fabriquer toujours plus de machines pour soigner les blessures de guerre provoquée par la Machine, elle s’appliquerait à diminuer les risques de blessure en diminuant l’impact de la Machine et ses dimensions. Ce dont il faut d’urgence guérir, c’est de la mammonisation elle-même. Pour cela, nous en appellerons à des médecins démammonisateurs, des chirurgiens machinologues et des immunologistes déprolétarisants.

Adrien Royo

mardi 12 avril 2011

Au sortir de la guerre, la France a passé contrat avec elle-même. Libérée du joug nazi, il fallait encore qu’elle se libère de ses fantômes. Les termes de ce contrat étaient énoncés dans le Programme du Conseil National de la Résistance. Il fut élaboré en pleine occupation et visait à unir dans un projet commun de reconstruction symbolique et matérielle les forces vives de la nation incarnées par ceux qui avaient désobéi : les dissidents, les tires au flanc, les fortes têtes et les grandes gueules. Ce n’était pas embrassons-nous Folleville, mais il était question de répartir les efforts futurs et les rétributions d’une façon particulière. Ce contrat a été résilié. Le pouvoir a décidé de le déchirer, le jugeant unilatéralement caduc. Aucun nouveau contrat global n’a ensuite été proposé. On jette, on sape, on saborde, et puis on laisse faire et laisse aller selon la méthode ultra-libérale séculaire. Ce qui veut dire qu’on laisse faire les puissants et qu’on laisse tomber les faibles. Le contrat a été dénoncé, cela veut dire qu’il ne lie plus les parties contractantes. Les forces vives de la nation d'aujourd'hui : les dissidents, les tires au flanc, les fortes têtes et les grandes gueules, n’ont plus entre eux qu’à en écrire un autre.

samedi 9 avril 2011

Portugais, encore un effort!

Peuples du monde, l’incurie financière se paie toujours par la rigueur sociale et la victoire éphémère de quelques uns par la défaite de tous ! Les victoires à la Pyrrhus se succèdent maintenant à un rythme soutenu. Mais il n’y a plus guère que les Pyrrhus eux-mêmes pour en profiter. Quand ils auront, à force de victoire, défait la vie entière, leur restera l’âpre satisfaction de n’avoir laissé à personne le soin de leur propre ruine. Je sais qu’ils se paient de mots et qu’ils sont parfois sincèrement convaincus d’œuvrer pour le bien commun. Les bavures se multiplient cependant avec la montée de leur puissance. Les restes, les déchets, les indésirables conséquences de leurs actes s’accumulent, quand ils ne perdent pas simplement le contrôle illusoire de l’incontrôlable. Il n’y a pas que les réacteurs de Fukushima qui fuient. Ça fuit de partout désormais. Les bulles, les sphères, les enceintes de tous ordres s’effondrent massivement. Les bulles sociales, par exemple, lorsque les bulles spéculatives explosent à proximité. Elles se fissurent, se fragilisent, quand le lien symbolique rompt sous les coups du capital agissant pour lui-même et donnant des consignes implicites aux gagneurs, aux vainqueurs, aux quinquagénaires Rollex-men, ou aux jeunes qui en veulent. Presque toute l’énergie humaine disponible est mise au service exclusif de l’immunologie prolétariste (voir plus loin sur ce blog), c’est-à-dire au service de la néantisation. Les signes d’un confort mal partagé ou d’un progrès superficiel masquent encore pour quelque temps la réalité du vide, mais la pression augmente avec la surface de prédation, et aucune prédation supplémentaire n’atténuera les effets des déchaînements premiers. L’évacuation des gazs symboliques comprimés devient nécessaire quand l’explosion menace, mais si l’extérieur vient à manquer, vers quel lieu impossible seront-ils dirigés ? Car c’est bien la possibilité même d’un extérieur qu’a fait disparaître l’intériorité-monde nouvellement formée. Toute explosion exclue, ne reste que l’implosion, lente ou rapide selon le degré de surchauffe. Portugais, grecs, irlandais, encore un effort pour être vraiment riches !