samedi 16 avril 2011

Le serment d'hypocrite

Toute la médecine moderne, malgré ses incontestables prouesses techniques, et sans doute aussi à cause d’elles, est une vaste entreprise de recyclage, à des fins productivistes, du matériau humain prolétarisé. Il s’agit de réparer les éléments charnels de l’hypermachine socio-économique abîmés. On pourrait aller jusqu’à dire qu’il n’y pas d’autre médecine aujourd’hui que militaire, de celle qui intervient en dernière instance sur le front de la guerre universelle de tous contre tous et du capital autoréférentiel contre l’homme. Elle ne prévient pas, elle guérit (et encore pas toujours), en vertu du principe de cloisonnement et d’irresponsabilité individuelle qui veut qu’on laisse aux autres, aux économistes et technocrates spécialisés, ou à personne, le soin (sic) d’orienter ou d’infléchir la ligne productiviste, la courbe de la croissance sans fin.

Les médecins en général, sans qu’ils le veuillent nécessairement, s’occupent bien plus de la santé de cette hypermachine que de celle de ses outils humains. Mais tout comme on ne peut pas servir à la fois Dieu et Mammon, on ne pourra pas bien servir à la fois l’intériorité mondiale mammonisée et l’intériorité individuelle en voie de vaporisation. Il faudra bientôt choisir entre l’une et l’autre. Il faudrait déjà avoir choisi.

Comme pour le réchauffement climatique, il y a basculement aujourd’hui vers la responsabilité sociale des dérèglements et des pathologies. L’activité humaine génère désormais ses propres maux à une échelle inconnue jusque-là. Elle en vient à compromettre des équilibres biosphériques complexes et fragiles. Elle change le climat et, à une vitesse qui ne leur permet plus une adaptation suffisante, la relation des individus avec leur milieu. La médecine officielle continue de faire comme si la biologie constituait son unique terrain d’intervention alors même qu’une prolétarisation galopante internationalise et socialise toujours plus la pathogénie.

Une médecine kunique serait donc une médecine appliquée aux conditions d’existence autant qu’à l’existence elle-même et se focaliserait sur le maintien général de l’équilibre socio-biologique, au moins sur les éléments risquant de le compromettre en amont, plutôt que sur le rétablissement de cet équilibre précaire une fois que celui-ci aurait été anéanti. Au lieu de fabriquer toujours plus de machines pour soigner les blessures de guerre provoquée par la Machine, elle s’appliquerait à diminuer les risques de blessure en diminuant l’impact de la Machine et ses dimensions. Ce dont il faut d’urgence guérir, c’est de la mammonisation elle-même. Pour cela, nous en appellerons à des médecins démammonisateurs, des chirurgiens machinologues et des immunologistes déprolétarisants.

Adrien Royo

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