lundi 19 janvier 2009

Agit véritablement dans un monde réel, celui qui en voit la mystification.


La civilisation de la marchandise, c’est la révolution permanente.


SUR TOUS LES PLANS, LA MODERNITE, LA POST-MODERNITE ET LA POST-POST-MODERNITE, C’EST LE MISERABLE SUIVISME DES HOMMES COURANT DERRIERE LEUR CREATION.


Que ceux qui pensent avoir tout dit sur le monde des hommes en prononçant le mot capitalisme passent leur chemin. Nul réconfort ne les attend ici. Car sous le voile magique du verbe, ils gisent eux-mêmes avec leur fardeau. Que les autres approchent, s’ils le veulent, et se penchent sur l’abîme.


J’appelle corps social l’ensemble des connections entre individus réunis. Qu’elles soient symboliques, culturelles, mythologiques ou techno-scientifiques. Qu’elles soient extérieures ou intériorisées.


Le corps social était naguère essentiellement mythologique, symbolique ou religieux, il se veut maintenant techno-scientifique et rationnel. C’est-à-dire qu’il attribue à la conscience individuelle le magistère suprême sans lui permettre de l’exercer. Il existe donc désormais sous la forme de sa propre négation. L’individu devient ce nouvel absolu remplaçant de l’ancien, condamné à se regarder indéfiniment lui-même pour rechercher sa propre justification. Cet individu abstrait, moins directement présent encore que le dieu des ancêtres, construction aberrante d’un corps social caché, énerve l’individu réel comme un fantasme inaccessible et obsédant. Paradoxalement, en supprimant les arrières-mondes qui semblaient empêcher le libre épanouissement individuel et social, on a fait du corps social lui-même un arrière-monde. Un corps social pathologique.


J’appelle donc corps social pathologique un corps social métastasé tournant sur lui-même et affranchi de toute conscience scientifique ou religieuse. L’aliénation, est le rapport de l’individu avec ce corps social et donc avec lui-même.


"Eternels passagers de nous-mêmes, il n’est pas d’autre paysage que ce que nous sommes. Nous ne possédons rien, car nous ne nous possédons pas nous-mêmes. Nous n’avons rien parce que nous ne sommes rien. Quelles mains pourrais-je tendre, et vers quel univers? Car l’univers n’est pas à moi : c’est moi qui suis l’univers." Fernando Pessoa



Maîtriser son corps individuel ne suffit pas. Il faudrait inventer un yoga du corps social.


L’Aliénation est la seule religion à n’avoir que des pratiquants et pas un seul croyant.


L’aliénation parle et les hommes se taisent. D’aucuns appellent cela entrer dans l’ère de la communication.


Croissance, cela veut dire : course à la productivité, concurrence, émulation, rivalité, maintien de la dualité pauvreté-richesse, inégalité; cela veut dire : division du travail de plus en plus grande, chaque individu avec et contre tous les autres, chaque groupe d’individus provisoirement formé avec et contre tous les autres, guerre permanente et, aussi, interdépendance renforcée ; cela veut dire production sociale et appropriation privée, car l’appropriation privée est le moteur de la croissance ; cela veut dire : rapport propriétaires – non-propriétaires des moyens de production et d’échange comme rapport principal masqué par les rapports particuliers entre non-propriétaires.


Le rêve du capitalisme étant de croiser les deux catégories par association volontaire du salarié à l’exercice de son propre asservissement, et le rêve du socialisme étant de généraliser l’asservissement volontaire par suppression de l’intermédiaire privé, les deux systèmes finissent au fond par se rejoindre, le dernier ne pouvant même pas avoir l’assurance qu’une nouvelle catégorie sociale parasitaire ne viendrait pas encore une fois contrarier son idéal de pureté prolétarienne.


Croissance, accumulation, concurrence, inégalité, spécialisation, guerre permanente, interdépendance. L’instabilité est donc plus que jamais notre jardin, la révolution perpétuelle, notre horizon. Répétons qu’on ne peut vouloir la Croissance et la stabilité, la Croissance et le partage des richesses, la Croissance et la liberté, la Croissance et un projet extérieur à elle - en définitive, la Croissance et l’individu. Car, aujourd’hui plus qu’hier, toute initiative, toute activité individuelle, se détache sur un fond d’exercice social. Ce fond social, créateur de la marchandise, accélérateur d’échange et stimulateur de croissance, tend aujourd’hui à l’obésité, à la démesure. Il aspire proprement à l’état de monstre, de machine autonome surpuissante et dominatrice. Aucun processus vertueux, toutefois, n’a été perverti, aucun Age d’Or n’a été oublié, aucun complot n’a été fomenté, le système était déjà là, présent tout entier, dans le premier échange.


Adrien Royo (Pré-manifeste kunique, extraits)

dimanche 18 janvier 2009

Impossible ou nécessaire

Ayons toujours à l’esprit que ce que nous jugeons impossible en période de paix devient pourtant possible en période de guerre ou de crise, et que donc l’impossible peut se muer parfois en nécessaire. Il faut en déduire qu’une question sociale réelle nous est posée à chaque instant, à laquelle nous répondons par nos actes sociaux réels : que choisirons-nous aujourd’hui comme nécessaire, et corrélativement, que désignerons-nous comme impossible ? De toutes les manières, si exiger le nécessaire revient à vouloir l’impossible, alors exigeons tout de suite l’impossible.

Individu

(...) D’abord, je ne viens pas au monde, je viens à ce monde-là, un monde en devenir mais un monde plein : traces accumulées, stratifications de sens, cristallisation d’énergies. J’intègre un mouvement prisonnier, car déjà constitué en chemin spécifique. Un mouvement qui m’a nourri, cependant, et dont j’ai intériorisé le spectre. Il existe en moi, et j’existe en lui. Freud voit dans l’inconscient, non pas un tiroir secret de la psyché, mais bien la nébuleuse psychique primordiale, traduction mentale, et organisation, des premiers éléments de la vie individuelle, dont la conscience n’est qu’une détermination tardive. Nous dirons, par extrapolation, que le corps social, tel que nous l’entendons, apparaît comme une étendue à la fois matérielle et intellectuelle inconsciente, dont l’espace politique représente sa détermination consciente.

Considérant d’une part, que l’entreprise ontogénétique procède par individuation à partir d’une indistinction première, (l’enfant s’arrachant progressivement à l’indifférenciation physique et psychique originelle), considérant d’autre part que le corps social participe à cette naissance par transmission du langage, des connaissances, des codes de comportement, des valeurs, des instruments d’émancipation ; qu’il est aussi, avec de plus en plus de force, l’espace d’accueil de cette émancipation, de cette individuation ; qu’il constitue le lieu d’expression de cette liberté, avant la nature ; considérant tout cela, il n’est pas interdit de penser que l’individu, d’abord expulsé du corps maternel vers le corps social réduit (la cellule familiale), puis de cette cellule vers le corps social général, s’il naît au corps social, ne naît pas encore véritablement à lui-même, et qu’il finit par trouver sur la route de son individuation, comme principal obstacle, l’instrument même de sa libération. Et il le trouve en tant qu’objet extérieur coercitif, (dans la perspective de cette humanisation permanente), parce qu’il le laisse fonctionner pour lui-même au lieu de l’obliger à devenir ce qu’il doit être : un moment de cette individuation. Contrairement à ce que l’on pense d’ordinaire, le processus ne s’achève pas avec l’entrée dans l’âge adulte. Le processus est infini. La vie humaine ne peut être qu’une naissance perpétuelle. Tout achèvement est illusoire (...)


(...) Certainement, l’individu moderne est mal défini. Ses contours sont flous. Chacun croit le connaître parce qu’il se sent lui-même une entité de cette espèce. Mais, en l’occurrence, chacun est frappé de presbytie. De l’individu communautaire ancien, la marchandise a d’abord coupé les racines, c’est-à-dire les fondements de sa communauté. Puis, elle a reconstruit une sorte de communauté à elle, clandestine et faussement éloigné de l’individu moderne, atomique, libre. Ces individus modernes, atomiques, libres, font donc partie, sans s’en douter, ou le sachant mais ne l’assumant pas, d’une communauté contraignante, soubassement réel de toutes les autres formes de socialité, que nous avons appelé corps social. Cette communauté, contrairement aux communautés anciennes qui s’organisaient à visage découvert, exposant leur corps, valeurs, mythes, sans se préoccuper d’une conscience individuelle séparée, opère d’une manière occulte. Elle porte la contradiction, le paradoxe et l’incertitude au centre de son rayonnement. Elle fait monter à la surface les débris disparates d’anciennes lueurs, des valeurs de récupération, mêlées à certains codes nouveaux dont elle a besoin pour son développement, et garde au fond de ses eaux le chiffre de sa structure mouvante. En quelque sorte, elle enfouie la chair de ses mythes fondateurs dans le brouillard de son explosion sociale et politique. Cela explique, évidemment, beaucoup des hésitations, malentendus, inquiétudes, angoisses, schizophrénies, paranoïas, atonies ou désespoirs de nos contemporains sensibles (...)



(...) Quelle attitude peut marquer une plus grande adéquation avec les lois de l’économie fin de siècle, sinon celle qui permet la plus grande perméabilité à toute sollicitation extérieure, du moins qui supprime toute pesanteur morale ou communautaire, tout empêchement à la réalisation des désirs individuels s’accordant aux besoins abstraits de la civilisation nouvelle. Casser les chaînes pour mieux courir vers son maître, pour mieux se jeter dans les filets dorés de ses propres tourbillons inconscients, quelle libération ! Nous pourrions en dire autant de bien des révoltes antérieures. Mais, soyons précis, cet amer constat n’indique pas pour autant la direction du retour à quelque ordre ancien. Ce n’est pas la révolte que nous condamnons en elle-même, mais son objet et son ignorance des réalités de ce monde. Quant à ceux qui s’arc-boutaient sous les vestiges en croyant défendre une civilisation face aux nouveaux barbares, qu’ils prennent enfin conscience que leur rôle était plutôt celui, paradoxal, de fossoyeur. N’oublions pas que la civilisation de la Croissance ou de la Marchandise, c’est la révolution permanente. Son instabilité constitutive interdit de s’asseoir trop longtemps sur ses tapis. Grâce à leur activisme, ses ennemis les plus déclarés deviennent paradoxalement ses principaux auxiliaires. Que cela nous incite à plus de vigilance, et à plus de courage dans l’examen de nos réflexes sociaux. Nous dirons aux conservateurs : « vous êtes ignorants de ce que vous défendez, et prenez la réalité pour vos désirs. » Nous dirons aux révolutionnaires actuels : « vous êtes ignorants de ce que vous combattez, et prenez vos désirs pour la réalité. » Les premiers ne voient pas qu’ils doivent accepter le reniement et l’instabilité avec leurs dividendes, les seconds ne comprennent pas la nature de leur propre mouvement, les deux n’imaginent pas qu’ils puissent être ensemble les sujets de l’aliénation générale.

L’individualisme d’aujourd’hui, celui des Droits de l’Homme, des Lumières, de Descartes, de la Révolution française, serait donc l’expression la plus idoine d’une forme sociale particulière, dominée par une logique anti-individuelle. Car enfin, comment concilier l’épanouissement de la personne et la folle chevauchée de la marchandise livrée à elle-même ? Et quelle est cette personne dont on parle ?

A celle que nous voyons tous les jours dans notre glace ou bien sous la forme de corps autre, d’apparence achevée dans son parcours existentiel allant de la naissance à la mort, correspond l’éclatement et la séparation. Eclatement parce qu’elle doit s’adapter à une réalité multiple et contradictoire, séparation parce qu’elle se donne pour isolée. Plongée dans le magma socio-naturel, elle épouse la forme des différentes catégories que l’environnement lui propose, sans jamais trouver terrain solide pour son aspiration à être. L’hypocrisie du jour voudrait que l’on profite à jamais du corps social tel qu’il existe sans en subir les inconvénients. Tout le monde essaye de trouver sa place au soleil de l’Aliénation, sans voir que ce soleil décline inexorablement, et que cette place, gagnée par l’ombre, se paie de plus en plus cher. Il s’agit à l’évidence d’un confort bien pauvre, puisqu’il est d’abord servile et ensuite sans direction. La coquille de noix individuelle, ballottée par les vagues du corps social séparé, se cherche et ne se trouve pas. Mais c’est qu’elle cherche là où elle ne peut pas trouver. L’isolement n’est qu’une abstraction, la séparation une illusion. L’individu est un corps indivisible (individuum), soit, cela ne veut pas dire qu’il doive être, dans toutes ses parties, nécessairement visible. Que deviendrais-je si l’on me séparait de tout l’environnement nourricier ? (...)


Adrien Royo (Manifeste pré-kunique, extraits)

Créons-nous les uns les autres!

Pour supplanté le paradigme cynique actuel, au paradigme moral trop souvent invoqué il faut opposé un paradigme de naissance.

Non pas: aimez-vous les uns les autres! L'injonction à aimer n'ayant jamais attiré que la haine. Mais : créons-nous les uns les autres! Car il n'est pas souhaitable mais nécessaire de nous faire naître enfin comme individus.

Le clivage déterminant pour les siècles à venir, si avenir il y a, fait le départ entre les hommes de naissance (ceux qui se sentent déjà nés) et les hommes à naître (ceux qui savent que leur naissance est seulement possible).

Nous avons à créer nous-mêmes les conditions de notre naissance.

Et ces conditions sont incompatibles avec la fabrication industrielle de proto-humains clonés. Qu'ils soient charpentiers ou traders à Wall-Street.

jeudi 15 janvier 2009



Une valeur détermine une action,
et donc toute action dévoile une valeur.