dimanche 11 mars 2012

Kunisme sociéliste et maïeutique

Le constat kunique est le suivant : le développement techno-social conduit à une fracture existentielle entre corps (ou immunologie) social(e) et corps (ou immunologie) individuel(le). Le corps social ayant atteint une puissance critique à travers ses potentialités technologiques, se met à phagocyter les corps individuels dont il devrait être le garant, le soutien et la matrice ; un instrument de naissance et d’émancipation. L'être sociel (individuel et social à la fois), au lieu de fabriquer collectivement sa chrysalide, construit sa prison mondiale et le tombeau de ses espérances. C’est ainsi que la promesse originelle d’élévation se transforme en un cauchemar cynique.

L’économie, au lieu de se faire la monture docile des Hommes en travail, se replie sur elle-même et, jouissant de sa puissance artificielle, dompte les peuples et les consciences. Le Capital agit et les Hommes se taisent. Le Capital dicte ses valeurs. Le projet humain capital devient le projet inhumain du Capital qui se sert d’une petite élite financière internationale pour arriver à ses fins. Non qu’il soit tout à coup pourvu d’une conscience autonome, mais l’inertie de son mécanisme interne, considéré comme naturel, sécrète sa propre idéologie cybernétique. Il lui suffit de fonctionner sans contradiction selon ses automatismes pour susciter la classe de ses premiers esclaves, aveuglés sur leur condition véritable par le pouvoir et la richesse démesurés qu’il leur confère.

Et ce pouvoir et cette richesse, c’est par la monnaie (cette méconnue) qu’il l’autorise. Par l’une des formes de la monnaie en particulier : la monnaie scripturale, celle qui apparaît sur les livres de compte comme écriture. Cette monnaie proprement luciférienne remplace la lumière de la Bible. Au commencement était l’Ecriture. Le dieu de la banque écrivit : que la monnaie soit, et la monnaie fut. Le jour où les communautés humaines organisées laissèrent aux intérêts privés, c’est-à-dire à l’automatisme social, la prérogative régalienne de créer la monnaie, elles abandonnèrent toute chance de placer l’immunologie sociale au service de l’individuelle. Si l’exploitation ne commence pas là, tout espoir d’émancipation y finit.

Ceux qui détiennent le pouvoir quasi absolu de créer la monnaie à partir de rien, détiennent le pouvoir tout court. La monnaie dette, ou crédit, appelle la dette et la spéculation. La monnaie apparaît par le crédit et disparaît par le remboursement. Les intérêts accompagnent le remboursement et s’ajoutent au volume initial. Mais ces intérêts n’étant pas créés par le crédit, contrairement au principal, il faut le prélever sur la partie réelle de la richesse, celle qui naît du travail vivant. Ce prélèvement forme un vide qui sera comblé par un nouveau crédit, et ainsi de suite. Le maître du crédit, dans ces conditions, sera le maître de ce jeu de dupe dont les peuples aujourd’hui font les frais. Quelques banques seulement, appartenant à un petit groupe d’individus (les mêmes noms depuis plus d’un siècle), se trouvent à la tête de cet immense casino planétaire, ayant accaparé, par manœuvres et complots, la puissance monétaire. « Donnez-moi le contrôle de la monnaie d’une nation, disait Mayer Amschel Rothschild, et je me moque de qui fera les lois ». Cette phrase, connue depuis longtemps, ne fut pas suffisamment prise au sérieux.

Lors de la création, en 1913, à la suite d’un véritable coup d’Etat, de la banque centrale des États-Unis (Réserve Fédérale), dont le peuple ne voulait à aucun prix, un député clairvoyant de la Chambre des Représentants, Charles Lindbergh (cité dans le livre d'Eutace Mullins, Les Secrets de la Réserve Fédérale), disait dans le Times la chose suivante : « Cette loi (Federal Reserve Act) établit le trust le plus gigantesque de la terre. Lorsque le Président signera ce projet de loi, un gouvernement invisible, celui de la puissance monétaire, sera légalisé. Le peuple ne peut pas s’en rendre immédiatement compte, mais le jour du jugement n’est distant que de quelques années. Les trusts réaliseront bientôt qu’ils sont allés trop loin, même pour leur propre bien. Pour se délivrer de la puissance monétaire, le peuple devra faire une déclaration d’indépendance (…) Le plus grand crime du Congrès est son système monétaire. » En 1881 déjà, le Président James Garfield, peu avant son assassinat, avait déclaré que quiconque contrôle la masse monétaire contrôle les entreprises et les activités du peuple. Et un siècle auparavant, Thomas Jefferson avait prévenu le peuple américain qu’une banque centrale privée émettant la monnaie publique était une menace plus grande pour les libertés qu’une armée debout.

En 1964, un autre député, Wrigth Patman, lors d’une commission bancaire et monétaire de la Chambre, formule les choses ainsi : « Un dollar représente une dette d’un dollar due au système de la Réserve Fédérale. Les banques de la Réserve Fédérale créent la monnaie à partir du vent pour acheter au gouvernement des États-Unis des bons du Trésor, prêtant avec intérêt l’argent en circulation, en entrant dans les registres de la comptabilité nationale une ligne de crédit sur le compte du Trésor. Celui-ci rédige une obligation portant intérêt pour un milliard de dollars. La Réserve Fédérale lui accorde alors un crédit d’un milliard de dollars en échange de cette obligation et crée à partir de rien une dette d’un milliard de dollars que le peuple américain est obligé de payer avec les intérêts. » Alors que dans un document sénatorial de 1939, un certain Logan écrit : « Le gouvernement devrait créer et mettre en circulation toute la monnaie et le crédit nécessaires à la satisfaction des besoins de dépense du gouvernement et du pouvoir d’achat des consommateurs. Le privilège de battre monnaie et de la diffuser est non seulement une prérogative suprême du gouvernement, mais c’est de loin sa possibilité la plus créative. »

Ne croyons pas que ces privilèges accordés à une poignée de spéculateurs privés se limitent au cas des États-Unis et à son système de Réserve Fédérale. La plupart des banques centrales à travers le monde fonctionnent plus ou moins sur les mêmes principes. Il s’agit le plus souvent d’un conglomérat d’intérêts privés réunis fallacieusement sous l’appellation de banque centrale ou nationale. L’exemple de la Banque de France est édifiant. Elle fut créée par Bonaparte au tout début de l’année 1800, afin d’accorder à un groupe de financiers privés, dont il était l’obligé, les clés du crédit national.

Cette fonction se perpétue, et même s’accentue aujourd’hui, avec les lois Giscard-Pompidou de 1973, qui oblige l’Etat à faire appel aux banques privées pour financer ses investissements ; avec le Traité de Maastricht de 1992, qui institutionnalise l’abandon de souveraineté, et avec celui de Lisbonne en 2007, qui confirme le passage au supra-national et par la même occasion au supra-démocratique.

En résumé, la captation du crédit assure la domination sur l’économie et les richesses produites d’une nation. Elle infléchit la direction de cette production et garantit l’inégalité de la distribution. Nous sommes là au cœur du pouvoir global. Quiconque ne prend pas à bras le corps le problème de la monnaie, ne peut prétendre changer quoi que ce soit au régime multiséculaire de l’injustice. La monnaie est le sang de l’économie. Celui qui en contrôle la circulation, contrôle la santé du corps social. Il peut à sa guise en irriguer les muscles selon sa convenance. La collusion, en cette matière, entre puissances d’argent et puissances militaro-industrielles et politiques, s’avère nécessaire et fructueuse. Les États ayant toujours besoin de financements occultes, et les banquiers étant toujours avides de légitimité. Les uns apportent donc aux autres ce dont ils ont besoin, dans une parfaite harmonie féodale. Les médias sous contrôle et les universitaires d’élevage, complètent le tableau en organisant la diversion.

La démocratie mal comprise actuelle, qui est une anti-démocratie, ne sera donc jamais la solution. Elle est bien plutôt le problème. Pseudo-démocratie et monnaie sont étroitement liées. Celle-là ne peut être autre chose que l’instrument du recyclage de la souveraineté populaire et de l’opinion, et celle-ci l’instrument même du contrôle au-delà des partis et des gouvernements. Qui mènent le jeu ? Une oligarchie internationale sans scrupules et sans morale, prête à tout pour maintenir ses privilèges et sa puissance. Ses lieux de rencontre : le CFR (Council of Foreign Relations), la commission Trilatérale, le groupe Bilderberg, la City de Londres et Wall Street.

Pourtant, nous l’avons dit souvent, et je le répète encore : la richesse privée n’existe pas, il n’y a de richesse que publique et sociale. Cette affirmation n’a rien d’arbitraire, elle est la conséquence d’un examen impartial de nos conditions humaines d’existence. Nous naissons tous au sein d’un héritage formé d’un mélange de travail mort et de symbolisme vivant, transmis par les générations antérieures. Cet héritage appartient fondamentalement à tous. Et c’est sur la base de cet héritage collectif que toute richesse se crée. Toute richesse étant ajoutée collectivement au corps social à l’aide des outils transmis par le collectif, il ne peut donc légitimement se trouver aucune richesse privée, c’est-à-dire n’ayant rien à devoir au collectif. La richesse privée, accaparement d’une partie de la richesse collective par un individu ou un groupe d’individus, ne saurait donc avoir d’autre légitimité que celle d’une libre décision collective dûment exprimée selon les règles démocratiques. Or ce choix n’a jamais été fait. Rien, en cette matière, n’a jamais été soumis au peuple, c’est-à-dire à l’assemblée des héritiers. Il se pourrait par exemple qu’une telle assemblée choisisse d’autoriser, pour différentes raisons, l’un de ses membres à s’approprier une partie plus importante de l’héritage commun. Sauf que pour le moment, personne n'a statué, et, qu'à défaut d’une telle décision, tout le monde part et arrive à égalité.

Il a fallu une sacrée dose de propagande et de désinformation pour éviter de s’apercevoir jamais d’une chose aussi banale. Il est vrai que cette banalité n’en est plus une à partir du moment où l’on s’efforce de la cacher.

Imaginons l’extraordinaire révolution dans les esprits, si l’on prenait vraiment conscience de cela. Que resterait-il, dans ce cas, de la légitimité des spoliateurs de richesses publiques que sont les propriétaires du monde ? Quels sophismes leur faudrait-il inventer pour maintenir encore leurs privilèges indus ?

Je soutiens qu’un tel déplacement des lignes philosophiques serait au moins aussi important que celui qui, au 18e siècle, fut à l’origine intellectuelle des révolutions française et américaine. On ne découvre jamais, dans le domaine des sciences de l’Homme, que ce qui était su déjà sans être verbalisé. Tout le monde savait alors que l’aristocratie héréditaire ne reposait plus sur rien. Qu’elle était parfaitement illégitime et qu’elle se maintenait au pouvoir par la force. Encore fallait-il que cela fût prononcé. De même avec l’oligarchie actuelle, si sûre de son droit.

La pseudo-démocratie et la monnaie sont donc indissociables. L’une conforte l’autre et réciproquement. Nous ne pourrons donc envisager aucune émancipation véritable qui n’abolirait pas l’une et ne donnerait pas le contrôle de l’autre au peuple.

C’est pourquoi les deux piliers de toute réforme véritable sont une constitution et une monnaie toutes deux populaires. Une constitution écrite par les citoyens eux-mêmes pour eux-mêmes, selon des modalités qu’explore actuellement, avec succès, Etienne Chouard ; et une monnaie du peuple pour le peuple, selon des modalités énoncées depuis fort longtemps par les tenants du Crédit Social ou de l’Economie Distributive. Que ces énonciations viennent de droite ou de gauche nous importe peu ici, dans la mesure ou le clivage droite-gauche, en certaine matière, a servi le plus souvent à assurer le spectacle pseudo-démocratique, et ou les extrémistes des deux bords ont rarement joué d’autre rôle que celui d’idiots utiles du système, manipulables à souhait. Cela étant dit sans animosité, malgré le respect que j’ai pour certains d’entre eux (à gauche plutôt), et sans remettre en cause leur générosité. L’histoire du 20e siècle étant essentiellement l’histoire des trahisons de classe, foin des représentations établies !

La démocratie est donc un préalable. Etienne Chouard a raison de considérer l’absence de constitution véritable, c’est-à-dire garantissant le pouvoir des citoyens en limitant drastiquement celui de leurs représentants, comme la cause des causes de nos malheurs sociaux. C’est pourquoi il préconise le retour au tirage au sort pour une assemblée constituante. Le principe étant de ne pas laisser aux gens de pouvoir le loisir de dessiner le cadre de son exercice. Seul moyen d’échapper à la tentation toujours présente chez les meilleurs de vouloir faire le bonheur des gens malgré eux. D’abord, donc, une constitution, ensuite le contrôle public de la création monétaire. Le reste sera déduit à partir de ces deux prémisses.

Le kunisme sociéliste a pour objet la naissance de l’individu. L’individu existe mais ne consiste pas. Il doit advenir par harmonisation de ses trois corps : individuel, social et cosmique. Le corps social, collectif par essence, est la partie fragile de l’ensemble. Facile a détourné, il porte en lui des potentialités négatives fortes, capables de saper les fondements de l’être global. La rapidité exponentielle de son développement au long des deux derniers siècles, et son inclination pour le monstrueux, menace sa fonction « maïeutique ». Au lieu d’aider à l’accouchement des individus, il ne cesse aujourd’hui d’augmenter ses capacités d’avortement, et ses progrès technologiques, mis au service de la domination, accentuent chaque jour davantage les effets pervers de sa croissance. Provoquer sa résilience, lui appliquer une thérapie, devient donc une nécessité non seulement politique, économique et morale, mais surtout anthropologique et spirituelle.

L’originalité décisive de notre kunisme sociéliste, est de proposer un projet humain cohérent et global qui va bien au-delà de la simple réforme ou révolution politique. L’enjeu n’est rien moins que la naissance de l’individu. Loin des oppositions convenues, nous forgeons notre conviction, non sur une essence, mais sur un devenir. La question n’est pas de savoir si l’Homme est fondamentalement bon ou mauvais, pécheur ou pas, et si les sociétés qu’il organise sont plus ou moins correctrices de cette origine, mais si l’être sociel (individuel et social), bon et mauvais, que nous sommes toujours, arrivera à se faire naître un jour en tant que sujet harmonisé et libre.

Nous remettons en cause les deux visions individualiste et collectiviste de l’Homme pour le saisir comme un sociêtre tendu vers l’individualité réelle. Individualité qui ne nie pas le corps social, mais le sculpte au contraire pour le mettre au service de sa naissance qui est aussi une re-naissance.

Le kunisme sociéliste est donc une maïeutique qui considère la politique comme un exercice spirituel, une discipline du corps social, ayant pour objectif  la naissance de l’individu.

Nous voulons offrir une perspective anthropologique et spirituelle, un projet exigeant mais concret, à un moment où l’on se contente trop souvent de platitudes moralisatrices ou culpabilisantes, de vains appels à la Justice, ou de gesticulations sans contenu.  

A cette fin, trois grands principes ont été dégagés :

1 – La richesse privée n’existe pas.
2 – La démocratie est le gouvernement des pauvres.
3 – Les ressources naturelles sont un bien commun.

Avec deux moyens fondamentaux :

1 – Une vraie constitution.
2 – Un contrôle public de la monnaie.

 
                                                                                                               Adrien Royo

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