vendredi 18 novembre 2011

Intérêt principal

En étudiant cet été la manière curieusement simple et inattendue de fabriquer de la monnaie à partir de rien, à partir d’une promesse, d’une banale reconnaissance de dette, je n’avais pas mesuré encore l’importance de l’intérêt, pierre de touche de l’édifice, élément central du processus mondialisé d’asservissement. Je l’avais bien lié au concept de surtravail cher à Marx, mais un autre aspect, plus intrinsèquement coercitif, m’avait échappé.

En deux mots : au moment de l’acceptation d’un prêt, seul le principal de la dette est créé, pas l’intérêt. Ca n’a l’air de rien, mais nous touchons là au secret de la guerre généralisée de tous contre tous.

Contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire, ni l’Etat ni les gouvernements ni les banques centrales ne créent la monnaie. Du moins pas la totalité de la monnaie. Pas même sa plus grande partie. En réalité, 90% de la monnaie en circulation, monnaie scripturale, est créée par les banques privées au moment de l’acceptation d’un prêt, quelle que soit la nature de ce prêt. Et même si légalement, ces banques sont tenues d’avoir en réserve un certain pourcentage (8%) du capital prêté, il faut bien comprendre qu’elles créent cette monnaie scripturale (lignes d’écriture sur un livre de compte informatisé) à partir de rien. Il s’agit purement et simplement d’une génération spontanée. Vous empruntez 10 000 euros pour achetez une voiture. La banque inscrit le nombre 10 000 à la colonne passif de sa comptabilité (ce qu’elle vous doit) et inscrit la même somme en face, à la colonne actif (ce que vous lui devez). 10 000 moins 10 000 étant égal à zéro, les comptes sont à l’équilibre. Cette banque vient de créer 10 000 euros de monnaie. Au fur et à mesure de vos remboursements, le volume de monnaie disponible diminue et, à l’occasion de votre dernier remboursement, elle retourne dans les limbes. Ce qui veut dire que si tout le monde remboursait ses emprunts en même temps, il n’y aurait plus de monnaie en circulation.

Alors, quid des intérêts ? La monnaie correspondante n’ayant pas été créée, il faut bien qu’ils soient prélevés quelque part. Or ce quelque part ne peut se trouver que dans la masse monétaire en circulation au moment du paiement. Il s’ensuit qu’à cause des intérêts, il y a toujours moins de monnaie en circulation que d’argent nécessaire au remboursement de la dette globale : intérêts plus principal. Par l’intérêt, on organise donc la rareté. Intérêts et principal doivent être payés au moyen du seul principal disponible. Mais que se passe-t-il lorsque beaucoup d’individus ont besoin en même temps d’une chose qu’ils ne peuvent trouver en quantité suffisante ? Ils luttent contre tous les autres pour ne pas en manquer. Voilà donc le secret de la compétition, de la concurrence généralisée, de la lutte pour la survie dans les sociétés d’abondance : tout le monde se trouve en concurrence avec tout le monde pour le remboursement des intérêts de sa dette. Sort commun renforcé par le blocage des salaires et le chômage de masse qui poussent à emprunter pour survivre. Cela revient à jeter quelques billets de banques au milieu d'une foule d’affamés. Chacun se battra pour en attraper le maximum aux dépends du voisin. L’essentiel étant de se tirer d’affaire individuellement. Tant pis pour les autres. Au lieu de mettre l’accent sur la coopération, ce système stimule, ou crée de toute pièce, des réflexes de peur et de violence. C’est la fabrication industrielle de l’égoïsme et du cynisme qui est ici énoncée. La division en est l’aboutissement. Il s’agit donc d’un processus diabolique. Si le symbole réuni, le diable (diabole) divise pour mieux régner. L’intérêt pourrait donc être vu comme l’outil social du diable. Dans ce cas, la spéculation sur les intérêts des intérêts serait le comble du satanisme, son apogée.

Le kunisme, aidé en cela par les chercheurs de la permaculture, qui insistent sur le travail de coopération dans les écosystèmes naturels, démontrant qu’il n’y a pas de fatalité à la lutte individuelle pour la survie, est la résistance à ce processus.


Adrien Royo

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