samedi 24 janvier 2009

Morale

(...) L’efficacité matérielle, telle qu’elle est comprise aujourd’hui, détachée de toute notion de justice ou de solidarité, sans même parler d’Aliénation, de corps social pathologique ou d’Individu-projet, ne peut à elle seule justifier le prélèvement individuel infini, sauf à faire de cette efficacité même la finalité absolue de toute société, et donc de toute vie humaine. Et si le droit à la propriété garantit le droit à la richesse, s’il le légitime juridiquement, il ne lui confère pas cependant un statut définitif, inconditionnel et illimité. Admettons qu’un individu ait le droit de s’approprier, en fonction de son travail, ou de son mérite personnel, une part plus importante de la richesse globale, rien ne justifie pour autant qu’on lui accorde, en cette matière, un pouvoir discrétionnaire? Dans un souci de cohérence, avec une pointe d’ironie et la volonté de conduire ce raisonnement au-delà des préjugés traditionnels, nous proposerons la formule suivante : puisque la société rémunère une fonction selon le degré qu’elle occupe sur l’échelle de la responsabilité, déterminons le degré de responsabilité générale par la position sur l’échelle des rémunérations. Qu’en échange de l’autorisation donnée à l’individu de s’enrichir librement, nous exigions qu’il assume proportionnellement ses responsabilités pécuniaires vis-à-vis de l’ensemble social dont la richesse ne le sépare pas. Car si nous décidons d’une transcendance : la réalité économique, par exemple, ou la nécessité de créer une plus grande richesse matérielle, encore faut-il, dans une véritable démocratie, qu’elle soumette tous les individus à ses exigences, et pas seulement les moins fortunés d’entre eux. On pourrait soupçonner, autrement, et nous serions forcés alors de rester sur le terrain brutal de la lutte des classes, une partie de la population, d’instrumentaliser l’autre à son seul bénéfice en se cachant derrière un masque de fatalité. Car de deux choses l’une : ou bien nous définissons comme un mal provisoire, et comme infrahumain, le système qui jette l’individu contre lui-même à travers l’altérité, et nous essayons ensemble, riches et pauvres de le dominer, avec pour conséquence nécessaire que les riches seraient moins riches et les pauvres moins pauvres, ou bien nous l’acceptons crûment, et devons nous résigner à considérer comme équivalentes, sa violence intrinsèque et la violence corollaire de réaction. Autrement dit, si la violence est acceptée, au nom d’un certain pragmatisme, comme principe inhérent d’une structure socio-économique, elle ne peut plus être condamnée ailleurs, l’individu ne se dépasse pas lui-même, rien n’est vrai, tout est permis, et les pauvres sont fondés à utiliser la violence pour essayer de conquérir les places que la violence conserve. Il n’est pas douteux, en ce sens, que le nihilisme soit aussi la vérité sous-jacente du monde actuel (...)

Adrien Royo (Manifeste pré-kunique, extrait)

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