mardi 14 septembre 2010

Je voudrais ici payer ma dette à un héros de la musique populaire française et internationale, populaire parce que sans nœud pap’ ni cravate, je veux parler de Christian Vander. La sortie récente d’un album que je considère comme le chef-d’œuvre du maître : « Emëhntëhtt-Ré », me donne l’occasion de saluer le courage, la cohérence, l’indifférence souveraine à toute mode, la fidélité coltranienne et l’audace d’un musicien à la générosité inépuisable. Si le dernier opus magmaïen m’enthousiasme tant c’est qu’il est une sorte de condensé de ce que peut Magma dans ses meilleurs moments : nous transporter dans les profondeurs de nous-mêmes pour y creuser le sillon de la tragédie immobile et sublime, en même temps que de la joie stupéfaite et contemplative. L’étonnement sacré étant la particularité de cette figure intemporelle nous appelant au mystère, comme elle était déjà celle de Coltrane. Plus qu’un batteur-chanteur-compositeur, Christian est avant tout un créateur de vertige, un alchimiste obsessionnel, et l’éminent serviteur d’une transe dionysiaque immortelle jetée comme un serpent dans l’espace machinique de la modernité. Depuis 1969, année de l’apparition du groupe Magma sur la scène mondiale, son venin ne cesse de bouleverser le corps social et le corps individuel de beaucoup de ceux qui, comme moi, se laissèrent béatement mordre une première fois. Car magma exerce une sorte de fascination addictive ou de répulsion quasi phobique comme le serpent.

Le kunisme doit presque tout à Christian Vander et son univers kobaïen. C’est lui qui m’a donné le sens de la tragédie, le courage de la recherche et le plaisir du don. Avec Marx, Debord, Kafka et Pessoa, il est de mon Panthéon très personnel, un frère de larme. Larme de joie et de souffrance mêlées.

Jamais, je crois, Christian n’a approché de si près la perfection. Ce voyage initiatique dans le tombeau d’un pharaon imaginaire, dépasse tout en profondeur, sérénité, assurance, maîtrise de composition et d’arrangement, équilibre sonore, et dignité. L’introduction d’un vibraphone n’est pas pour rien dans cette réussite. Les sonorités cristallines, souvent à l’unisson avec les voix, le clavier ou la basse, apaisent et ouvrent à la fois la matière extraordinairement dense de cet espace musical. Je considérais déjà, il y a 20 ans, Kontarkosz (l’un des mouvements de cette épopée enregistré en 1973) comme le morceau vanderien le plus abouti. La livraison de l’œuvre totale enfin gravée me confirme dans l’idée qu’il y avait bien là quelque chose comme une apothéose souterraine. Mais ce n’est qu’aujourd’hui que Christian a été capable de la rendre avec la maturité nécessaire. Je rêverais d’un enregistrement dans la même veine d’un Theusz Hamtak.

A écouter de toute urgence: Magma

vendredi 27 août 2010

J’ai toujours pensé que capitalisme était un terme inapproprié pour désigner le projet anthropologique global, fût-il inconscient, de notre mode de production; qu’il était réducteur et pas assez évocateur. Moins évocateur assurément que servage ou esclavage, décrivant les périodes antérieures. Marx l’avait utilisé en son temps par commodité parce qu’il était à disposition. Je lui préfèrerais, ô combien, prolétariage par exemple, ou salariage, qui souligneraient d’emblée le devenir instrument des hommes de cette ère ; qui désigneraient sans détour le projet évident de réduction existentielle. L’un de ces termes (prolétariage aurait ma préférence) permettrait aussi d’entrevoir une sortie du clivage absurde et inopérant capitalisme-anticapitalisme, ou même capitalisme-socialisme, pour inventer quelque chose de plus profond, inversant le rapport historique infrastructure-superstructures. Car un simple changement de propriétaire, comme nous le confirment des expériences récentes in vivo, ne garantirait nullement une sortie de ce prolétariage, nonobstant le fétichisme : le rapport social voilé.

Bien que l’économie mérite sa primauté, et que nous acceptions son analyse marxienne, quel esprit réellement scientifique aujourd’hui pourrait négliger l’hypothèse réaliste selon laquelle notre mode de production : « le monde à l’envers », « le reniement achevé de l’homme », serait non pas l’ultime étape avant la naissance d’un monde réconcilié, sans classes, mais la dernière avant l’autodestruction? Autrement dit, pourquoi refuser d’imaginer notre mode de création de richesses comme le dévoilement d’une praxis humaine uniquement dépassable en termes non-économiques ? Imaginons un petit instant que ce qui s’appelle encore capitalisme ait eu pour l’humanité une valeur heuristique définitive mettant en lumière sa part maudite et donnant pour mission de la dépasser en conscience au moyen d’un nouveau projet anthropologique global. Imaginons qu’un grand miroir se soit tout à coup dressé sur le monde, et qu’il nous permette enfin de sortir de notre ignorance. Socialisme ou communisme conservant trop encore de cette ignorance.

Entendons-nous bien : il est fort possible que le développement des forces productives, selon le schéma marxiste, nécessite en effet un changement de mode de production. Mais je prétends que ce nouveau mode, si on le laissait advenir, serait nécessairement plus réducteur encore que l’ancien ; le mouvement des forces productives livré à lui-même, facteur négligé par Marx en raison de l’optimisme scientiste de son siècle, et révélé par la prise de conscience écologique actuelle, étant en lui-même un mouvement anéantisseur d’humanité, au plan moral du moins, transformant les hommes en machines désirées, la seule machine désirante étant le capital, c’est-à-dire la valeur en procès mécanique et autonome, détachée même du rapport social qui l’avait fait naître.

Le kunisme est donc cette question posée d’un autre dépassement. Il tend à constituer un regard et un corps, un œil correspondant au grand dévoilement prolérarial. C’est pourquoi il est un projet esthétique et politique, une réconciliation aussi avec le grand récit et l’épopée.

vendredi 16 juillet 2010

Le kunisme est un mouvement artistique visant à propager le virus social anticynique. C’est une maladie socialement transmissible (MST), capable de provoquer des troubles à l’ordre cynique, c’est-à-dire à l’ordre de la résignation intellectuelle et sociale. Le kunisme s’attaque directement à l’organe sécréteur d’illusions addictives au centre du système immunitaire libéral-collectiviste. Il dissout les membranes idéologiques protectrices et pénètre le noyau avorteur d’humanité, anti-individuel, de la machine Capital : forme actuelle du corps social pathologique.

Au collectivisme libéral cynique, ce virus bienfaisant oppose son idiotie kunique.