jeudi 25 juin 2015

Avant-après

Ingrats! La loi dite sur le renseignement est évidemment un progrès puisqu'elle légalise ce qui auparavant se faisait illégalement. Et si, contre toute attente, les services secrets élargissent quand même le champ de leurs activités illégales futures pour échapper à la loi républicaine, il n'y aura qu'à légiférer une nouvelle fois.

Je propose d'ailleurs, dans un but de simplification, de généraliser cette solution à tout ce qui se pratique communément en toute illégalité: La consommation de drogues, l'évasion fiscale, la contrefaçon, etc.

Et puis, autre progrès notable, vous pourrez saisir désormais le juge pour savoir si vous êtes écoutés. A condition toutefois que vous n'ayez rien à vous reprocher, ou, plus précisément, que l’État n'ait rien à vous reprocher, ce qui est très différent. Car l’État, si c'est moi ça va, mais si c'est mon voisin, alors là, il n'y a plus qu'à prier le bon Dieu.

mercredi 10 juin 2015

Macron, l'esthéticien

On s'interroge souvent sur la question de savoir si le chômage, en France et ailleurs, est structurel ou conjoncturel. Question aussi vide que récurrente. Il est évidemment structurel et général si l'on admet que le chômage est la forme moderne de ce qui s'appelait auparavant pauvreté ou misère et pas seulement le nom donné aux salariés privés d'emploi et indemnisés, rangés sous forme statistique dans les disques durs des administrations. C'est ainsi qu'aux États-Unis par exemple, n'est pas chômeur le prisonnier noir dans sa cellule, le clochard dans les rues de New-York, ou le vendeur à la sauvette du Missouri, ce qui permet de présenter de belles statistiques démontrant la parfaite santé de l'économie et la reprise éclatante après une période de vaches maigres qu'il fallait affronter avec courage - que voulez-vous la nature est ainsi faite - après la pluie le soleil, etc.

Cependant le chômage n'est pas structurel dans le sens où il serait lié à une structure organisationnelle ou étatique qui pourrait être changée. Il est structurel en ce sens (Marxien) qu'il est un produit nécessaire du fonctionnement même de la machine prolétariste, une conséquence normale de la contradiction interne du système global de la Valeur s'autovalorisant. Il est structurel parce que ce système doit impérativement, c'est dans son ADN, détruire ce qui le fait vivre, à savoir le travail humain productif. Le prolétarisme, ce que l'on appelle communément le capitalisme, est une « impossibilité en mouvement » (Marx), une maladie auto-immune du corps social. Le chômage n'étant qu'un de ses nombreux symptômes. Et comme rien n'est plus habituel que de prendre le symptôme pour la maladie, on brandit l'épée de l'économie pour partir à l'assaut du chômage, tandis que prospère le virus spectaculaire incompris dont l'économie est le premier support.

Ce regard sur le monde, le regard du Marx ésotérique, comme dirait Robert Kurz ou Anselm Jappe, dévoile l'imposture fondamentale de toute gesticulation étatique. Toute action d'un gouvernement quel qu'il soit, simple outil au service de la machine fétichiste, pour éradiquer le chômage, ne peut être qu'une vaste entreprise de ravalement. Les gouvernants sont des équipes d'esthéticiens chargés de maintenir le mensonge en état de survie clinique, de refaire une beauté régulière à un monstre social atteint de la lèpre marchande. Et Macron est un grand esthéticien, un esthéticien de gauche par surcroît, ce qui est un gage d'efficacité dans la manipulation des masses encore un peu laborieuses. 

Adrien Royo

dimanche 7 juin 2015

La technologie sans la critique de la valeur

Réglage du thermomètre

Il est amusant de constater la prodigieuse faculté d'aveuglement de la plupart des commentateurs économiques, complaisamment relayés par nos politiques et nos médias mainstream. Aveuglement qui repose sur des présupposés absurdes et cachés. Exemple: le chômage en France concerne très majoritairement les jeunes et les «vieux » non-diplômés et non-qualifiés, vérité statistique. Solution: la formation et le diplôme. Présupposé jamais énoncé et jamais soulevé: il y a suffisamment d'emplois qualifiés pour tout le monde, et s'ils n'existent pas encore, ils se créeront. Comment? Par la grâce du marché qui, comme la nature, a horreur du vide. Du sophisme de la plus belle espèce, non? Il s'agit, dans le premier cas, d'un pur fantasme dont on fait une évidence tellement aveuglante qu'il n'est pas permis une seconde d'en douter; et dans le deuxième d'une prière magique à peu près du même ordre que la danse de la pluie pour faire tonner le ciel. Encore que j'aie personnellement beaucoup plus de respect pour la danse que pour la rhétorique pseudo-scientifique des experts en chômage qui disent tous la même chose depuis deux siècles, et qui étant contredits par les faits depuis si longtemps, en tirent une force supplémentaire, inaltérable et paradoxale, inaltérable parce que paradoxale, de conviction.

Autre exemple: la dette publique vient d'une dépense inconsidérée de l'État. Solution: l'austérité. Présupposé: la réduction des dépenses de l'État augmente sa richesse comme le paiement de vos dettes garnit votre porte-monnaie. Autre évidence d'une aveuglante banalité. Problème: aujourd'hui, c'est la dette qui crée la richesse et pas l'inverse.

Les présupposés cachés ou jugés trop évidents pour qu'on les rediscute permettent au discours de tourner en boucle sur lui-même dans une auto-justification dont la force auto-suggestive s'amplifie un peu plus à chaque nouvelle rotation. Il ne s'agit de rien d'autre que d'arguments d'autorité répétés avec l'aplomb indestructible de ceux qui ont été placés en position de transmettre un savoir précisément parce qu'ils n'y connaissent rien globalement, mais s'aveuglent beaucoup dans leur minuscule spécialité. N'ayant pas commencé à gravir la montagne du haut de laquelle ils pourraient profiter d'une vision générale des choses de ce monde, ils remuent avec gourmandise la boue de leur pauvre mangeoire étriquée.

C'est ainsi qu'on en arrive à déduire du chômage de masse français, dont la spécificité supposée est plus que discutable, chaque région du monde ayant sa propre règle de calcul pour apprécier les conséquences de sa politique fraternelle, une série de mesures d'éradication toutes plus définitives les unes que les autres, allant de la baisse de salaire au contrat zéro heure, en passant par la réduction des indemnités, le flicage des chômeurs, le travail obligatoire et la suppression des freins aux licenciements, pudiquement rebaptisés freins à l'embauche, propres à transformer le chômeur soit en travailleur misérable, soit en misérable tout court. Tant il est vrai qu'un chômeur non-inscrit, un pauvre à l'ancienne donc, ne comptant plus pour rien dans nos communautés libres et fraternelles, ne saurait conserver le droit aux statistiques officielles. Ce qui compte, c'est que le si joli graphique Powerpoint sur les écrans de nos cravatés redevienne présentable, avec de belles courbes « inversées », pour que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Car si vous avez de la fièvre, n'écoutez pas votre instinct qui vous dit bêtement que vous êtes malades. Persuadez-vous plutôt que le thermomètre est mal réglé. Relevez de quelques crans le point zéro et la fièvre disparaîtra en même temps que votre maladie imaginaire.

Adrien Royo