dimanche 15 juillet 2012

Initiation

Le niveau de conscience actuellement requis pour espérer atteindre à l'émancipation véritable, implique le franchissement d'un espace initiatique de dessaisissement, de "désillusion". Une sorte de parcours de pré-baptême à trois niveaux :

Au premier, nous cesserions de croire que les médias officiels nous informent;

Au deuxième, que le système politique représentatif est une démocratie;

Au troisième (le plus élevé), que l'argent, l'Etat et le travail sont nécessaires.


Adrien Royo

Ne travaillez jamais!

Je ne connais rien de plus salutairement vrai sur la condition de salarié que ces phrases de Guy Debord tirées de son film "In girum imus nocte et consumimur igni": 

"Ils ressemblent beaucoup aux esclaves, parce qu’ils sont parqués en masse, et à l’étroit, dans de mauvaises bâtisses malsaines et lugubres. Mal nourris d’une alimentation polluée et sans goût, mal soignés dans leurs maladies toujours renouvelées, continuellement et mesquinement surveillés, entretenus dans l’analphabétisme modernisé et les superstitions spectaculaires qui correspondent aux intérêts de leurs maîtres. Ils sont transplantés loin de leurs provinces ou de leurs quartiers, dans un paysage nouveau et hostile, suivant les convenances concentrationnaires de l’industrie présente. Ils ne sont que des chiffres dans des graphiques que dressent des imbéciles. Ils meurent par série sur les routes, à chaque épidémie de grippe, à chaque vague de chaleur, à chaque erreur de ceux qui falsifient leurs aliments, à chaque innovation technique profitable aux multiples entrepreneurs d’un décor dont ils essuient les plâtres. Leurs éprouvantes conditions d’existence entraînent leur dégénérescence physique, intellectuelle, mentale. On leur parle toujours comme à des enfants obéissants, à qui il suffit de dire : « il faut … », et ils veulent bien le croire, mais surtout, on les traite comme des enfants stupides, devant qui bafouillent et délirent des dizaines de spécialisations paternalistes improvisées de la veille, leur faisant admettre n’importe quoi en le leur disant n’importe comment, et aussi bien le contraire le lendemain. 

"Séparés entre eux par la perte générale de tout langage adéquat aux faits, perte qui leur interdit le moindre dialogue, séparés par leur incessante concurrence, toujours pressés par le fouet dans la consommation ostentatoire du néant, et donc séparés par l’envie la moins fondée et la moins capable de trouver quelque satisfaction, on leur enlève, en bas âge, le contrôle de ces enfants, déjà leurs rivaux, qui n’écoutent plus du tout les opinions informes de leurs parents et sourient de leur échec flagrant, méprisent, non sans raisons, leur origine, et se sentent bien davantage les fils du spectacle régnant que ceux de ses domestiques qui les ont par hasard engendrés. Ils se rêvent les métis de ces nègres là. Derrière la façade du ravissement simulé, dans ces couples comme entre eux et leur progéniture, on n’échange que des regards de haine.

"Cependant, ces travailleurs privilégiés de la société marchande accomplie ne ressemblent pas aux esclaves en ce sens qu’ils doivent pourvoir eux-mêmes à leur entretien. Leur statut peut être plutôt comparé au servage, parce qu’ils sont exclusivement attachés à une entreprise et à sa bonne marche, quoique sans réciprocité en leur faveur ; et surtout parce qu’ils sont étroitement astreints à résider dans un espace unique : le même circuit des domiciles, bureaux, autoroutes, vacances et aéroports toujours identiques. Mais ils ressemblent aussi aux prolétaires modernes par l’insécurité de leurs ressources, qui est en contradiction avec la routine programmée de leur dépenses. Il leur faut acheter des marchandises, et l’on a fait en sorte qu’ils ne puissent garder de contact avec rien qui ne soit une marchandise. "Où pourtant, leur situation économique s’apparente plus précisément au système particulier du « péonage », c’est en ceci que, cet argent autour duquel tourne toute leur activité, on ne leur en laisse même pas le maniement momentané. Ils ne peuvent que le dépenser, le recevant en trop petite quantité pour l’accumuler. Ils se voient obligés de consommer à crédit ; et l’on retient sur leur salaire le crédit qui leur est consenti, dont ils auront à se libérer en travaillant encore. Comme toute l’organisation de la distribution des biens est liée à celle de la production et de l’Etat, on rogne sans gêne sur leurs rations, de nourriture comme d’espace, en quantité et en qualité. Quoique restant formellement des travailleurs et des consommateurs libres, ils ne peuvent s’adresser ailleurs, car c’est partout que l’on se moque d’eux. Ceux qui n’ont jamais eu de proie, l’on lâchée pour l’ombre. Le caractère illusoire des richesses que prétend distribuer la société actuelle, s’il n’avait pas été reconnu en toutes les autres matières, serait suffisamment démontré par cette seule observation que c’est la première fois qu’un système de tyrannie entretient aussi mal ses familiers, ses experts, ses bouffons. Serviteurs surmenés du vide, le vide les gratifie en monnaie à son effigie. Autrement dit, c’est la première fois que des pauvres croient faire partie d’une élite économique, malgré l’évidence contraire. Non seulement ils travaillent, ces malheureux spectateurs, mais personne ne travaille pour eux, et moins que personne les gens qu’ils payent : car leurs fournisseurs mêmes se considèrent plutôt comme leurs contremaîtres, jugeant s’ils sont venus assez vaillamment au ramassage des ersatz qu’ils ont le devoir d’acheter. Rien ne saurait cacher l’usure véloce qui est intégré, dès la source, non seulement pour chaque objet matériel, mais jusque sur le plan juridique, dans leurs rares propriétés. De même qu’ils n’ont pas reçu d’héritages, ils n’en laisseront pas."