jeudi 26 avril 2012

Perspectives européennes d'après élections

Par François Leclerc

"Le désendettement est pris en Europe dans un cercle vicieux qu’il faudrait briser. Mais comment ? La détérioration des conditions économiques et le poids des problèmes non résolus pèsent sur le système bancaire européen, aboutissant au final à une diminution du crédit et au maintien d’une croissance globalement atone. Les banques sont confrontées à la baisse de leurs revenus et à la dépréciation de leurs actifs, ce qui accentue leurs besoins de désendettement et diminue encore leurs encours de crédit. Le tout associé au dysfonctionnement du marché interbancaire, qui se poursuit.

Les dérèglements du système financier sont plus que jamais le principal moteur de la poursuite de la crise et leur résolution devrait être au cœur de toute stratégie. Ils vont appeler une nouvelle intervention de la BCE, mais celle-ci ne réglera pas ses problèmes de solvabilité, toujours niés, jamais réglés et plus que jamais présents.

Le dernier « rapport sur la stabilité financière globale » du FMI a dressé le décor en annonçant que les 58 plus importantes banques européennes allaient devoir – suivant l’hypothèse modérée – réduire leurs bilans de 2.000 milliards d’euros d’ici à la fin 2013 (le FMI compte 2.600 milliards en dollars). L’impact en termes de crédit à l’économie est de -7 % pour la zone euro et en points de PIB de -1,4 %, selon cette même hypothèse.

Eurostat, l’institut statistique européen, a de son côté mesuré l’impact de la dette privée sur la dette publique en additionnant seulement ce qui traîne sous les tapis. Il est arrivé à un total de 603 milliards d’euros, l’Allemagne se détachant en tête avec une contribution de près de la moitié de ce montant, reconnue par la Bundesbank, devançant nettement le Royaume Uni, l’Irlande et les Pays-Bas. Il ne faut pas chercher bien loin les données à l’origine de ces calculs : elles proviennent des bilans des bad banks créées dans ces pays. En Allemagne, ce sont les actifs toxiques de Hypo Real Estate et de WestLB qui y sont parqués, avec la garantie de facto de l’État. D’après Handelsblatt, le quotidien économique allemand, 100 milliards d’euros d’actifs toxiques supplémentaires devraient être ajoutés prochainement à ce compte, en provenance de WestLB.

La mode est à nouveau aux bad banks, le gouvernement autrichien venant de réinjecter 1,27 milliards d’euros dans KA Finanz, dont l’État est l’unique actionnaire, où sont retenus les actifs toxiques de Kommunalkredit, nationalisé dès 2008. Sans compter les garanties qui vont aller avec et dont le montant n’a pas été communiqué.

Mais Eurostat ne s’est pas arrêté à ce constat général et vient de sévir en Irlande. L’institut a intégré dans les comptes publics 5,8 milliards d’euros consacrés par le gouvernement au sauvetage des banques, et contesté le traitement comptable de 32 milliards d’euros de dette détenue par NAMA (la bad bank irlandaise), faisant à l’arrivée plonger le déficit 2011 à -13,1 %, bien au-dessus de l’objectif de -10,6 % fixé par la Troïka. Rappel : le gouvernement irlandais a injecté 64 milliards d’euros ces trois dernières années dans ses banques.

La situation en Irlande apparaît comme préfigurant ce qui attend l’Espagne, en beaucoup plus grand pour cette dernière. Ce qui explique que la gravité et l’ampleur de la situation n’y est reconnue qu’à reculons, faute de disposer d’une solution. Les analyses sur la bulle immobilière espagnole n’en finissent pas de démontrer qu’elle est loin d’avoir encore produit tous ses effets dévastateurs sur le système bancaire espagnol, acculant le gouvernement et les autorités européennes à finir par trouver une solution afin de le renflouer et d’éviter son écroulement. Une fois de plus, des centaines de milliards d’euros sont évoqués.

La part des logements vides s’accroit désespérément, terminés, en cours de construction ou bien en attente d’acheteurs après expulsion des occupants n’ayant pu payer leurs mensualités de remboursement de prêt. Selon le New York Times qui a dernièrement consacré une enquête fouillée au sujet, des professionnels de l’immobilier chiffrent à 1,9 million de logements le parc d’invendus et à 3,9 millions le nombre de ceux qui pourraient être mis sur le marché dans les années à venir. Par rapport à leur pic de 2007, les prix seraient destinés à chuter de 60 %… Les chiffres donnent le tournis, d’autres estimations concluant à l’existence de 21.000 promoteurs immobiliers devant 126 milliards d’euros aux banques, selon un consultant immobilier interrogé par Reuters. Les promoteurs seraient artificiellement maintenus en vie par leurs créanciers afin que ces derniers n’aient pas à constater leurs pertes.

Les banques ne sont pas uniquement menacées par cette situation, les Espagnols aussi, dans un pays où les patrimoines reposent sur 80 % de valeurs immobilières. La baisse du marché représente un appauvrissement généralisé du pays, un de plus.

Un éclairage inédit a également été apporté par l’enquête du New York Times. Suivant l’exemple donné par les banques américaines, leurs consoeurs espagnoles n’ont pas manqué d’évacuer de leurs bilans à destination du marché européen beaucoup de leurs crédits immobiliers en les titrisant après les avoir packagés. Afin de préserver leur crédit sur le marché, les banques espagnoles ont dans un premier temps rachetés ces actifs à leurs acquéreurs, lorsqu’ils étaient particulièrement douteux. Mais elles doivent désormais les racheter avec une décote de 10 à 30 %, n’ayant plus les moyens de payer plein pot.

La bulle immobilière n’est pas dans les moyens de l’Espagne ; sera-t-elle dans ceux des dirigeants européens qui vont devoir se faire violence ? Tout du moins une fois évacués les bricolages du gouvernement espagnol qui évalue encore deux montages possibles : la création de bad banks déguisées en sociétés immobilières, et des emprunts aux banques de l’État pour que celui-ci en retour les finance…

Les dirigeants européens seront placés devant un dilemme, car leurs accords actuels ne permettent pas au FESF (fonds européen de stabilité financière) de financer directement les banques, les aides devant passer par les États. Ce qui reviendrait, si une telle décision était prise, à accroître le déficit public espagnol…

La seconde grande question qui monte est celle de la croissance. D’autant que le Royaume-Uni vient officiellement d’entrer en récession, confirmant s’il en était besoin que la stratégie de David Cameron – réaffirmée faute d’alternative par George Osborne – est un échec total.

Mais, une fois admis que sans croissance le désendettement des États est mal parti, il reste à en dégager le financement. Car c’est sous cet angle que la question est prioritairement abordée, sans remettre en cause la priorité accordée au désendettement, en se contentant d’énumérer les secteurs d’activité qui pourraient être porteurs de croissance et donc de revenus fiscaux, comme s’il s’agissait d’une simple formalité.

Mais comment faire, si les banques ne peuvent pas et les États non plus ?

Mario Draghi, le président de la BCE, a admis de son côté que la BCE n’y parvenait pas davantage. Il a procédé aujourd’hui à l’analyse des résultats de l’injection de 1.000 milliards d’euros dans le système bancaire, pour reconnaitre qu’ils n’avaient pas produit tous les effets escomptés, car « la demande [de l'économie] est contenue, donc la demande de crédit est contenue ». « Nous ne pouvons pas suppléer au manque de demande » a-t-il déploré, faisant valoir toutefois que du temps avait été gagné, « ce qui n’est pas négligeable »… On n’était pas habitué à un langage aussi direct, faut-il que les choses ne tournent pas rond ?
Il a ensuite été nettement plus loin, en déclarant devant le Parlement européen : « Nous avons un pacte budgétaire (…) nous devons revenir en arrière afin de faire un pacte de croissance ». Tout en réaffirmant la nécessité de la politique d’austérité actuelle et les bienfaits des réformes structurelles, pour retomber sur ses pieds. Estimant qu’il faut persévérer et que « nous sommes au milieu du gué », Mario Draghi n’en a pas moins affirmé son attachement au « modèle social européen », tout en considérant qu’il ne peut être fondé sur l’endettement… Il y en a donc pour tout le monde.

Angela Merkel a ainsi pu réaffirmer : « Nous avons besoin de croissance, de croissance sous forme d’initiatives pérennes, pas juste de programmes de conjoncture – qui creuseraient encore la dette publique – mais de croissance comme Mario Draghi l’a dit aujourd’hui, sous forme de réformes structurelles ». Jean-Claude Juncker a repris la balle au bond : « Il est évident qu’il faut compléter la politique européenne par une stratégie de croissance », ajoutant en négociateur accompli : « Ce n’est pas nécessairement une affaire de traité, mais c’est une affaire à traiter. »

Dans ce contexte très évolutif et contradictoire, François Hollande a trouvé du champ pour exprimer les quatre points du mémorandum qu’il envisage d’adresser aux chefs d’États s’il est élu. Il propose de créer des eurobonds ayant pour objet de financer « des projets industriels d’infrastructure », d’accroître les moyens de la Banque européenne d’investissement, de mobiliser les reliquats inutilisés des fonds structurels européens et de créer une taxe sur les transactions financières.

Est-ce que ces mesures fondent une alternative à une stratégie en déroute ? Sont-elles susceptibles de déclencher une croissance salvatrice et miraculeuse ? Il est permis de ne les considérer que comme l’expression prudente de la base de négociations difficiles avec l’équipe allemande au pouvoir, tout au plus. Si cet obstacle devait être franchi, peut-on croire que l’équation du désendettement européen pourrait alors être résolue ? Le silence qui subsiste sur les mesures à prendre en direction du système financier – une taxe financière n’étant somme toute qu’une mesure aussi symbolique que ne l’est la taxation des revenus les plus élevés – montre que le compte n’y est pas. Tout un volet essentiel de la crise reste dans l’ombre.

Une dynamique peut-elle néanmoins s’enclencher, qui conduirait à des remises en cause nécessaires ? Les nouveaux épisodes de la crise seront sans conteste le moteur le plus puissant.

samedi 14 avril 2012

Le dos au mur

Les marchés, avec le concours de l'Union Européenne, nous placent dos au mur. C'est eux ou nous. La plupart des politiques choisissent "eux", mêmes ceux qui ne le disent pas. There is no alternative, paraît-il. Mais si, il y en a une, seulement elle ne passe pas par les politiques. Elle passe même par leur congé. L'alternative s'appelle Démocratie. Votez le 22 avril, mais ne venez pas vous plaindre en septembre comme si vous ne saviez pas. Le 22 avril, c'est de décocratie dont il sera question, pas plus.

La preuve ici : http://www.fakirpresse.info/Le-plan-de-bataille-des-marches,359.html

mardi 3 avril 2012

Le sabre, le goupillon et le coffre-fort.

L'ordre moral, nous dit ce cher Henri Guillemin (dans l'Autre Avant-Guerre, par exemple), c'est l'alliance de l'armée, de l’Église et des possédants. Il nous fait remarquer ensuite que tout cela relève d'une pratique toute voltairienne. Que nous disait le philosophe national "hors micro"? Qu'"il est fort bon de faire accroire aux humbles qu'ils ont une âme immortelle et qu'il existe un Dieu vengeur qui punira mes paysans s'ils veulent me prendre mon blé."

Ce qui renvoie à nos régime de "liberté". Il se confirme que la démocratie, telle qu'elle se pratique aujourd'hui, n'est que le cache sexe de la prédation oligarchique, l'autre nom de la confiscation du pouvoir par les privilégiés. Comprenons bien que ce n'est pas de démocratie réelle dont il est question, mais d'un mot qui s'oppose à la chose qu'il semble désigner. Le régime parlementaire par élection au suffrage universel est le régime le mieux fait pour faire tenir tranquille la plèbe. Il la plie à une décision majoritaire présentée comme souveraine et démocratique, quand elle est en réalité le résultat d'une manipulation oligarchique avec spectacle d'opposition, ou opposition du spectacle, pour reprendre la terminologie debordienne.

Si on ne prend pas les mouches avec du vinaigre, il faut bien convenir en revanche qu'on prend les pigeons avec des mots. Et parmi les pigeons, il en est de particulièrement stupides qui se piquent d'anti-démocratie, sans comprendre qu'ils demandent ce qui existe déjà sous un faux nom.

Ah! c'est que la modernité est plus complexe qu'on ne l'imagine au premier abord. Mais aussi plus simple, par certains côtés.

Adrien Royo