Par François Leclerc
Dans le blog de Paul Jorion - http://www.pauljorion.com/blog/?p=36353#more-36353
"Le désendettement est pris en Europe dans un cercle vicieux qu’il
faudrait briser. Mais comment ? La détérioration des conditions
économiques et le poids des problèmes non résolus pèsent sur le système
bancaire européen, aboutissant au final à une diminution du crédit et au
maintien d’une croissance globalement atone. Les banques sont
confrontées à la baisse de leurs revenus et à la dépréciation de leurs
actifs, ce qui accentue leurs besoins de désendettement et diminue
encore leurs encours de crédit. Le tout associé au dysfonctionnement du
marché interbancaire, qui se poursuit.
Les dérèglements du système
financier sont plus que jamais le principal moteur de la poursuite de
la crise et leur résolution devrait être au cœur de toute stratégie. Ils
vont appeler une nouvelle intervention de la BCE, mais celle-ci ne
réglera pas ses problèmes de solvabilité, toujours niés, jamais réglés
et plus que jamais présents.
Le dernier « rapport sur la stabilité
financière globale » du FMI a dressé le décor en annonçant que les 58
plus importantes banques européennes allaient devoir – suivant
l’hypothèse modérée – réduire leurs bilans de 2.000 milliards d’euros
d’ici à la fin 2013 (le FMI compte 2.600 milliards en dollars). L’impact
en termes de crédit à l’économie est de -7 % pour la zone euro et en
points de PIB de -1,4 %, selon cette même hypothèse.
Eurostat,
l’institut statistique européen, a de son côté mesuré l’impact de la
dette privée sur la dette publique en additionnant seulement ce qui
traîne sous les tapis. Il est arrivé à un total de 603 milliards
d’euros, l’Allemagne se détachant en tête avec une contribution de près
de la moitié de ce montant, reconnue par la Bundesbank, devançant
nettement le Royaume Uni, l’Irlande et les Pays-Bas. Il ne faut pas
chercher bien loin les données à l’origine de ces calculs : elles
proviennent des bilans des bad banks créées dans ces pays. En
Allemagne, ce sont les actifs toxiques de Hypo Real Estate et de WestLB
qui y sont parqués, avec la garantie de facto de l’État. D’après
Handelsblatt, le quotidien économique allemand, 100 milliards d’euros
d’actifs toxiques supplémentaires devraient être ajoutés prochainement à
ce compte, en provenance de WestLB.
La mode est à nouveau aux bad banks,
le gouvernement autrichien venant de réinjecter 1,27 milliards d’euros
dans KA Finanz, dont l’État est l’unique actionnaire, où sont retenus
les actifs toxiques de Kommunalkredit, nationalisé dès 2008. Sans
compter les garanties qui vont aller avec et dont le montant n’a pas été
communiqué.
Mais Eurostat ne s’est pas arrêté à ce constat
général et vient de sévir en Irlande. L’institut a intégré dans les
comptes publics 5,8 milliards d’euros consacrés par le gouvernement au
sauvetage des banques, et contesté le traitement comptable de 32
milliards d’euros de dette détenue par NAMA (la bad bank irlandaise), faisant à l’arrivée plonger le déficit 2011 à -13,1 %, bien au-dessus de l’objectif de -10,6 % fixé par la Troïka. Rappel : le gouvernement irlandais a injecté 64 milliards d’euros ces trois dernières années dans ses banques.
La
situation en Irlande apparaît comme préfigurant ce qui attend
l’Espagne, en beaucoup plus grand pour cette dernière. Ce qui explique
que la gravité et l’ampleur de la situation n’y est reconnue qu’à
reculons, faute de disposer d’une solution. Les analyses sur la bulle
immobilière espagnole n’en finissent pas de démontrer qu’elle est loin
d’avoir encore produit tous ses effets dévastateurs sur le système
bancaire espagnol, acculant le gouvernement et les autorités européennes
à finir par trouver une solution afin de le renflouer et d’éviter son
écroulement. Une fois de plus, des centaines de milliards d’euros sont
évoqués.
La part des logements vides s’accroit désespérément,
terminés, en cours de construction ou bien en attente d’acheteurs après
expulsion des occupants n’ayant pu payer leurs mensualités de
remboursement de prêt. Selon le New York Times qui a dernièrement
consacré une enquête fouillée au sujet, des professionnels de
l’immobilier chiffrent à 1,9 million de logements le parc d’invendus et à
3,9 millions le nombre de ceux qui pourraient être mis sur le marché
dans les années à venir. Par rapport à leur pic de 2007, les prix
seraient destinés à chuter de 60 %… Les chiffres donnent le tournis,
d’autres estimations concluant à l’existence de 21.000 promoteurs
immobiliers devant 126 milliards d’euros aux banques, selon un
consultant immobilier interrogé par Reuters. Les promoteurs seraient
artificiellement maintenus en vie par leurs créanciers afin que ces
derniers n’aient pas à constater leurs pertes.
Les banques ne sont
pas uniquement menacées par cette situation, les Espagnols aussi, dans
un pays où les patrimoines reposent sur 80 % de valeurs immobilières. La
baisse du marché représente un appauvrissement généralisé du pays, un
de plus.
Un éclairage inédit a également été apporté par l’enquête
du New York Times. Suivant l’exemple donné par les banques américaines,
leurs consoeurs espagnoles n’ont pas manqué d’évacuer de leurs bilans à
destination du marché européen beaucoup de leurs crédits immobiliers en
les titrisant après les avoir packagés. Afin de préserver leur crédit
sur le marché, les banques espagnoles ont dans un premier temps rachetés
ces actifs à leurs acquéreurs, lorsqu’ils étaient particulièrement
douteux. Mais elles doivent désormais les racheter avec une décote de 10
à 30 %, n’ayant plus les moyens de payer plein pot.
La bulle
immobilière n’est pas dans les moyens de l’Espagne ; sera-t-elle dans
ceux des dirigeants européens qui vont devoir se faire violence ? Tout
du moins une fois évacués les bricolages du gouvernement espagnol qui
évalue encore deux montages possibles : la création de bad banks déguisées en sociétés immobilières, et des emprunts aux banques de l’État pour que celui-ci en retour les finance…
Les
dirigeants européens seront placés devant un dilemme, car leurs accords
actuels ne permettent pas au FESF (fonds européen de stabilité
financière) de financer directement les banques, les aides devant passer
par les États. Ce qui reviendrait, si une telle décision était prise, à
accroître le déficit public espagnol…
La seconde grande question
qui monte est celle de la croissance. D’autant que le Royaume-Uni vient
officiellement d’entrer en récession, confirmant s’il en était besoin
que la stratégie de David Cameron – réaffirmée faute d’alternative par
George Osborne – est un échec total.
Mais, une fois admis que sans
croissance le désendettement des États est mal parti, il reste à en
dégager le financement. Car c’est sous cet angle que la question est
prioritairement abordée, sans remettre en cause la priorité accordée au
désendettement, en se contentant d’énumérer les secteurs d’activité qui
pourraient être porteurs de croissance et donc de revenus fiscaux, comme
s’il s’agissait d’une simple formalité.
Mais comment faire, si les banques ne peuvent pas et les États non plus ?
Mario
Draghi, le président de la BCE, a admis de son côté que la BCE n’y
parvenait pas davantage. Il a procédé aujourd’hui à l’analyse des
résultats de l’injection de 1.000 milliards d’euros dans le système
bancaire, pour reconnaitre qu’ils n’avaient pas produit tous les effets
escomptés, car « la demande [de l'économie] est contenue, donc la
demande de crédit est contenue ». « Nous ne pouvons pas suppléer au
manque de demande » a-t-il déploré, faisant valoir toutefois que du
temps avait été gagné, « ce qui n’est pas négligeable »… On n’était pas
habitué à un langage aussi direct, faut-il que les choses ne tournent
pas rond ?
Il a ensuite été nettement plus loin, en déclarant
devant le Parlement européen : « Nous avons un pacte budgétaire (…) nous
devons revenir en arrière afin de faire un pacte de croissance ». Tout
en réaffirmant la nécessité de la politique d’austérité actuelle et les
bienfaits des réformes structurelles, pour retomber sur ses pieds.
Estimant qu’il faut persévérer et que « nous sommes au milieu du gué »,
Mario Draghi n’en a pas moins affirmé son attachement au « modèle social
européen », tout en considérant qu’il ne peut être fondé sur
l’endettement… Il y en a donc pour tout le monde.
Angela Merkel a
ainsi pu réaffirmer : « Nous avons besoin de croissance, de croissance
sous forme d’initiatives pérennes, pas juste de programmes de
conjoncture – qui creuseraient encore la dette publique – mais de
croissance comme Mario Draghi l’a dit aujourd’hui, sous forme de
réformes structurelles ». Jean-Claude Juncker a repris la balle au bond :
« Il est évident qu’il faut compléter la politique européenne par une
stratégie de croissance », ajoutant en négociateur accompli : « Ce n’est
pas nécessairement une affaire de traité, mais c’est une affaire à
traiter. »
Dans ce contexte très évolutif et contradictoire,
François Hollande a trouvé du champ pour exprimer les quatre points du
mémorandum qu’il envisage d’adresser aux chefs d’États s’il est élu. Il
propose de créer des eurobonds ayant pour objet de financer « des
projets industriels d’infrastructure », d’accroître les moyens de la
Banque européenne d’investissement, de mobiliser les reliquats
inutilisés des fonds structurels européens et de créer une taxe sur les
transactions financières.
Est-ce que ces mesures fondent une
alternative à une stratégie en déroute ? Sont-elles susceptibles de
déclencher une croissance salvatrice et miraculeuse ? Il est permis de
ne les considérer que comme l’expression prudente de la base de
négociations difficiles avec l’équipe allemande au pouvoir, tout au
plus. Si cet obstacle devait être franchi, peut-on croire que l’équation
du désendettement européen pourrait alors être résolue ? Le silence qui
subsiste sur les mesures à prendre en direction du système financier –
une taxe financière n’étant somme toute qu’une mesure aussi symbolique
que ne l’est la taxation des revenus les plus élevés – montre que le
compte n’y est pas. Tout un volet essentiel de la crise reste dans
l’ombre.
Une dynamique peut-elle néanmoins s’enclencher, qui
conduirait à des remises en cause nécessaires ? Les nouveaux épisodes de
la crise seront sans conteste le moteur le plus puissant.