mercredi 27 juillet 2011

La richesse privée n'existe pas


J’ai souvent dit que la richesse privée n’existait pas en soi, qu’il n’y avait de richesse que sociale, c’est-à-dire créée par tous, les vivants et les morts, et que les modalités de son partage devait faire l’objet d’une décision démocratique. A un moment où il est beaucoup question de plafonnement des revenus ou des salaires, peut-être n’est-il pas superflu de reprendre l’argumentaire.

Toute personne qui devient riche aujourd’hui le doit, pour une très grande part, une part grandissante, du fait de l’interdépendance toujours plus grande des humains, au travail collectif vivant et mort dont il ne peut s’abstraire. Routes, voies ferrées, avions, moyens de communication en tout genre, extraction minière, énergie, police, armée, éducation, savoirs, etc., toutes choses dont il bénéficie avant même de naître et qu’il n’a jamais payées lui-même. Qu’il reçoit donc en héritage, et dont sa situation propre, plus ou moins confortable au départ, lui permet de profiter de manière inégale. Par travail vivant, j’entends bien sûr le travail collectif présent, et par travail mort, le travail accumulé des ancêtres. Tout ceci constitue ce que j’appelle un corps social, prolongement d’un corps individuel qui seul ne peut exister.

Tout corps individuel nouveau se greffe donc d’emblée sur un corps social déjà existant avec lequel il forme une entité globale cohérente et insécable.

Mais la greffe avec ce corps social partagé par tous, je veux dire par tous les humains, car un pays n’est qu’une partie du corps social monde, ne prend pas la même forme pour chaque individu. Si le corps social global est ce qui existe pour tous préalablement à l’existence de chacun, le visage qu’il présente est changeant. En tant qu’espace transitionnel, le filtre familial opérera, selon sa condition, des transferts inégaux d’un corps à l’autre. Les uns profiteront peu, les autres beaucoup, d’un même héritage. Et ceux qui, par chance, en auront beaucoup profité seront évidemment mieux placés ensuite pour s’en approprier, par leur travail ou leurs rentes, des parts plus généreuses. Cette boucle d’inégalité, l’inégalité au départ augmentant l’inégalité à l’arrivée, devient inacceptable lorsqu’elle passe un certain seuil. C’est pourquoi il est essentiel de procéder sans cesse à des ajustements, des rééquilibrages, en redistribuant de façon juste, c’est-à-dire démocratique.

D’autre part, quel que soit son travail, son intelligence, sa créativité, sa compétence et son énergie, aucun homme ne peut valoir infiniment plus que son prochain. Ou alors sa valeur n’est plus mesurable en argent. Les journées, même poussées à l’extrême ne font jamais que vingt-quatre heures, et l’énergie que déploie un mineur de fond, un ouvrier du bâtiment ou un paysan, ne me semble pas moins grande que celle d’un trader de Wall Street. Je sais bien que la force de travail est un marché comme un autre et qu’il obéit avant tout à la loi de l’offre et de la demande, qu’un patron aux grandes capacités sera plus demandé et donc mieux payé qu’un autre. Mais la question de droit reste ouverte : les limites de l’appropriation privée doivent-elles être, oui ou non, posées ? Oui, sans hésitation. Car il n’y a pas d’autre légitimité possible pour la richesse personnelle qu’une décision commune et démocratique. Si chacun pouvait décider par lui-même et pour lui-même de ce qu’il peut se permettre en société, où s’arrêterait le crime ? Il n’y aurait pas de crime. Et un ordre inégalitaire maintenu seulement par la force, qu’elle soit symbolique, réelle ou institutionnelle, tombera par la force. De quel droit arrêter un pauvre qui voudrait s’approprier une part supplémentaire de la richesse collective en volant le riche, si la richesse de ce dernier n’était pas auparavant socialement légitimée. L’est-elle actuellement ? Oui de fait, mais non en droit. Ce n’est pas parce que la plupart prend pour acquis le droit à l’appropriation illimitée, et pense même qu’il n’y a pas d’appropriation, mais seulement la juste récompense d’un travail honnête, que ce droit est légitime. On pensait aussi, avant l’abolition de l’esclavage, qu’il était juste de pouvoir acheter et vendre des hommes. On connaît la suite. Récompenser les talents et les initiatives, certes, mais comment et dans quelles limites ? C’est ce que nous devons tous décidés parce nous sommes tous concernés à part égale.

Payer des impôts semble injuste surtout à ceux qui ont beaucoup d’argent. Comme si cet argent était à eux. Il faut changer de modèle.

L’héritage collectif dont je parlais plus haut est le même pour tous à la naissance mais son accès est inégal. Si nous voulons réellement œuvrer pour l'émancipation, il nous faudra mettre le corps social en libre accès. Plus de péages, plus de privilèges. Redistribution massive et réhabilitation des entrées. Et revenu d'existence, bien sûr.

Adrien Royo

mardi 26 juillet 2011

samedi 2 juillet 2011


L'humanité souveraine a inventé ces derniers temps de magnifiques outils. Sa grandeur, aujourd'hui, serait d'apprendre à s'en passer.